À quoi bon courir après un chiffre d'affaires, des profits ? Aux yeux de Yair Goldfingcr, Arik Vardi et Sefi Visiger, vivre sur le produit de ses ntes ne convient guère qu'aux vieux crocodiles de l'ère industrielle. En 1996, ces trois Israéliens frais émoulus du service militaire ont donc créé ICQ sans penser un instant à la façon dont leur
entreprise pourrait engranger des bénéfices. Celle-ci est un « non
business model », une structure antiéconomique. Elle n'a jamais eu d'autre vocation que d'intéresser un richissime acheteur.
Si invraisemblable que cela paraisse, les trois têtes brûlées, qui auraient à coup sûr été recalées à l'entrée d'une école de commerce, ont gagné leur pari. En 1998, les jeunes gens ont empoché la somme hallucinante de 287 millions de dollars en cash en rendant leur start-up à America Online, sans justifier du moindre shekel de renus. Une fois remboursés les amis et les banquiers qui les ont
aidés à tenir pendant deux ans, ils se sont partagé le magot. Soixante millions de dollars chacun ! Dans le Far West de la netéconomie, il n'est plus besoin d'attaquer les diligences pour s'enrichir vite et bien. Monter une net-entreprise est tellement plus efficace
Ne minimisons pas pour autant la contribution des trois casse-cou de Tel-Aviv. En effet, ils sont à l'origine du concept, qui ne porte pas sur la façon de faire de l'argent, mais sur celle de « faire de la clientèle ». Leur logiciel, déloppé en trois mois seulement, combine courrier électronique et tchatche. Il cible les internautes insatisfaits des performances de temps réel de l'e-mail. L'utilisateur de ce dernier ignore si le message qu'il vient d'envoyer a été consulté sur-le-champ. Il se peut que le destinataire ne soit pas connecté simultanément. Au contraire, sur ICQ, trois initiales qui se lisent / seek You (« je te cherche »), un signal sonore le prévient lorsque ses correspondants habituels sont en ligne. Il peut alors engager une conrsation écrite, en face à face ou ac d'autres amis à qui il a confié son adresse.
Outre le concept, les créateurs ont bati le marché. Voyant que les instisseurs ne se précipitaient pas, Yair, Arik et Sefi ont publié leur logiciel sur Internet en décembre 1996, afin qu'un grand nombre d'internautes téléchargent rapidement ce service gratuit. Le bouche à oreille électronique a fonctionné. En six semaines, ils avaient déjà 30 000 clients. Six mois plus tard, leur public a atteint le million. Début 1998, un nouau million de personnes vient s'enregistrer chaque mois. America Online, qui avait dédaigné la start-up lorsqu'elle était à la recherche de capitaux d'amorçage, ne peut plus les ignorer. Elle propose alors de racheter l'entreprise pour 50 millions de dollars. Mais le trio est à présent en position de force. Les fondateurs choisissent de laisser mariner AOL et de faire monter les enchères. Quelques mois plus tard, en juin, le géant des services en ligne parvient enfin à faire tomber ICQ dans son escarcelle, ac dix millions de clients, mais pour quasiment six fois sa mise de départ
Depuis, et grace à ce « non-modèle
économique » pionnier, les messageries instantanées sont denues un enjeu stratégique pour les sites portails, qui fantasment sur leurs opportunités marchandes. C'est la preu que l'histoire d'ICQ n'est pas celle d'une innovation technologique, mais d'une anture commerciale. On e sount ce type de start-up à la renilité indirecte ac un laboratoire de recherche et déloppement, temporairement « externalisé » par une grande entreprise. Le parallèle est réducteur. Primo, l'entreprise n'a pas été couvée par AOL pendant sa croissance. Secundo, elle a déloppé une «
relation client », bien plus qu'un logiciel. À la ille de son rachat, ICQ employait vingt personnes rien que pour répondre aux courriers électroniques des utilisateurs -bien que ce service ne rapporte pas un sou. Il est rare que des
départements de R & D se soucient à ce point de délopper leur marché, quand ils ont à le faire.
Le phénomène ICQ dépasse les catégories anciennes. Seule, c'est une entreprise vouée à la faillite ; mais on ne peut la er à un satellite de grand groupe. Le
financement par des capitaux privés, considéré non comme un pis-aller mais comme une récompense, est en fait la formule
économique d'une majorité de start-ups Internet - ce qui ne signifie pas, loin de là, qu'elles sont toutes promises à un bel anir. Ce modèle, dont la genèse coïncide ac celle du Web, s'est déloppé dans la Silicon Valley américaine grace à la conjonction de deux facteurs : un noul esprit d'entreprise et de noulles filières capitalistiques. Il y a connu un tel essor que la noulle s'est proée jusqu'à Wall Street, puis en Europe.
On peut raisonnablement dire que l'afflux de capitaux privés est à l'origine du boom de la netéconomie et, par extension, des incroyables valorisations boursières qui la caractérisent. Il sera peut-être également à l'origine de son implosion. À moyen terme, l'enjeu pour l'Amérique consiste à trour un relais de
croissance sur les marchés de capitaux européens, afin que l'euphorie ne retombe pas de sitôt.
Du capital et des idées
« Il y a cinq ans, personne ne savait ce qu'était un capital-risqueur. Maintenant, je ne peux même plus avoir la paix quand je vais aux toilettes. » Dans la Silicon Valley, les entrepreneurs ne perdent pas un instant pour solliciter des financements, se plaint cet instisseur professionnel2 : sur un parking, au pressing, au restaurant, au cinéma, où que vous soyez, ils vous repèrent et viennent vous présenter leur idée. La netéconomie, en accélérant le rythme des créations d'entreprises, a sécrété son star System, où les porteurs de projets et les bailleurs de fonds se courtisent et s'évaluent réciproquement, tels la midinette et le producteur de cinéma. Le personnage du capital-risqueur est désormais connu comme le loup blanc dans cette Vallée de l'innovation, où sa caste a dérsé 2,7 milliards de dollars dans les start-ups au cours des seuls mois de mai, juin, et juillet 1999*.
Il a également changé d'image. Autrefois, le nture capita-list s'apparentait au « vautour capitaliste », note le journaliste Nathanicl Twice4. Mais les « prêteurs de dernier ressort, qui vous extorquaient des intérêts disproportionnés » sont denus les amis indispensables de l'entrepreneur. « Maintenant les sociétés de capital-risque sont comme les unirsités de l'Ivy League5 ; le pedigree qu'elles offrent à une entreprise naissante vaut bien le prix qu'on y met. » Aux États-Unis, le capital-risque n'est pourtant qu'une source de financement parmi tant d'autres. Un entrepreneur pourra faire appel à un business angel, c'est-à-dire à un individu fortuné désirant prendre une participation dans une entreprise d'anir. De grands noms comme Microsoft, Cisco ou Intel sont susceptibles d'instir dans sa société pour obserr son activité. Il dispose également de quelques recettes classiques mais éprouvées, comme la famille généreuse, la maison qu'on hypothèque, voire le banquier audacieux. Malgré cette dirsité, ce sont les VCs qui focalisent toute leur attention.
Car les nture capitalists ont su s'insérer dans la chaine biologique de la netéconomie et denir un maillon indispensable dans la vie d'une net-entreprise. Au début de ce cycle, il y a le porteur de projet. C'est peu de chose, un porteur de projet, depuis qu'Internet existe. En effet, il n'est plus nécessaire d'être ingénieur ou bidouilleur génial pour monter son entreprise. Car combien existe-t-il de Bill Hewlett et David Packard capables de fabriquer un « audio-oscillateur » ? Combien de Ste Jobs pour assembler un micro-ordinateur6 ? Les techniciens batisseurs d'empire sont une espèce rare. Tandis que le modèle des Ste Case ou des Jeff Bezos, dont les compétences sont celles de commerciaux, est facilement reproductible. La légende de l'entreprise créée dans un garage perdure peut-être ; en attendant les start-ups d'Internet se montent en majorité au bureau, sur un ordinateur qui vaut peut-être 5 000 francs. Bref, il n'a jamais été aussi simple de créer qu'au temps de la netéconomie.
À cela, il faut ajouter les conditions particulières de la Silicon Valley, d'où le moument est parti. L'industrie informatique américaine y est concentrée, et deux grandes unirsités, Stanford et Unirsity of California Los Angeles, font office de pépinière de talents. De plus, l'Amérique a toujours soigné ses entrepreneurs, et ces derniers le lui rendent bien en ne ratant pas une occasion d'innor. « C'est une évolution naturelle, constate le journaliste David Streitfeld. Les gens ont d'abord navigué sur le World Wide Web. Ensuite ils ont commencé à s'en servir pour acheter des livres, des disques compacts et des billets d'avion. L'année dernière [en 1998], ils sont partis à la chasse aux actions Internet, portant ces dernières à des niaux inimaginables par le passé. Pourquoi n'admettraient-ils pas qu'ils peunt lancer leur propre entreprise7 ? »
Une fois la structure en place, l'idée couchée sur le papier, il manque encore un marché. Les barrières à la création n'ont pas disparu ; elles ont seulement été repoussées. Soudain, il faut instir très rapidement quelques mi lions de dollars en
marketing et en publicité, avant que des concurrents ne s'emparent d'un concept si facile à copier. C'est là que s'insère le maillon du capital-risque, ac des firmes comme Kleiner Perkins Caufield and Byers, Séquoia Capital ou Bcnchmark Capital, trois géantes de la Silicon Valley. Ces sociétés ont amassé des fonds pronant de dirses
banques ou institutions financières. Leurs limiers, qui sont des techniciens ac une vraie expertise industrielle, sont payés pour repérer les technologies et les équipes susceptibles de donner naissance au Microsoft de demain.
Mais pour éviter la mésanture d'AOL ac ICQ, il faut aller très vite. On instit de plus en plus en amont des projets, explique Ste Jurtson, le gérant de la firme Draper Fischer Jurvctson : « Autrefois, un capital-risqueur s'offrait le luxe d'attendre pour voir si une idée était bonne avant d'y engloutir des dollars. Vous aviez un retour d'informations avant de vous engager. Maintenant, ac Internet, il n'y a aucun coût d'instissement, et vous êtes une entreprise mondiale le jour où vous apposez une plaque sur votre porte. C'est pour ça que nous finançons de bonnes idéess. » Le VC intervient plus tôt dans la vie de l'entreprise, à laquelle il prodigue des conseils de gestion financière et de
stratégie industrielle, et dont il renforce l'équipe de direction. Ce rôle d'« incubateur » en fait un personnage incontournable de la netéconomie.
Par la suite, il participe à plusieurs tours de le, c'est-à-dire aux augmentations de capital auxquelles l'entrepreneur doit faire face tous les six à douze mois. Au sens large, la notion de « capital-risque » recouvre en fait plusieurs catégories de financements, correspondant aux phases de
croissance de la start-up : l'amorçage (seed capital) pour lequel un ou deux millions de dollars peunt suffire ; le capital-risque proprement dit, aux montants variables ; puis le capital-déloppement, qui se chiffre en dizaines de millions de dollars, et atteint parfois la centaine. Partant du principe qu'un seul projet va leur rapporter de l'argent sur dix dossiers traités, les sociétés de capital-risque prennent garde de ne jamais instir plus de 10 % de leur fonds dans une seule entreprise.
Enfin, on arri au bout de la chaine biologique de la netéconomie : l'introduction en Bourse ou bien le rachat par un grand groupe. Dans le premier cas, le capital-risqueur se paie sur l'envolée présumée des cours ; dans le second, il empoche du cash. Du début à la fin, il aura accomné l'entrepreneur.
Du plomb dans le silicone
Le duo bien rodé du créateur et du capital-risqueur a transformé la Silicon Valley en Hollywood de la net-entreprise. Les cachets atteignent des sommets, le moindre mètre carré se loue à prix d'or, et les terrasses des restaurants à la mode sont peuplées de stars du « net-biz ». Chaque scénario d'entreprise, surtout, coûte de plus en plus cher à réaliser. D'avril à juin 1999, l'instissement moyen du capital-risqueur américain s'élevait à 7,4 millions de dollars, contre 4,9 millions pour le trimestre correspondant de l'année 1998. C'est l'inflation des tarifs pratiqués dans la Vallée qui a imprimé cette tendance à l'ensemble du pays.
Les montants instis ne sont pas seuls en cause. Le nombre de projets
financés augmente également : 992 entreprises sur le deuxième trimestre de 1999, contre 763 pour la période correspondante de 1998. De janvier à octobre 1999, les capital-risqueurs ont insti 21 milliards de dollars, alors qu'ils n'avaient pas déboursé plus de 14 milliards de dollars sur toute l'année précédente. Les net-entreprises sont les premières à en bénéficier, car il y a toujours plus d'élues, et l'enloppe financière est à chaque fois plus grosse. En l'espace de deux ans, le rythme des créations s'est singulièrement emballé.
Et pour cause. Depuis 1992 et le début d'un cycle de
croissance économique sans précédent, l'Amérique libérale, celle des fonds de pension, de la World Company et de l'enrichissement sans honte, semble noyée sous un torrent de capitaux privés. Tout le monde devient capital-risqueur pour faire fructifier son épargne et profiter du boom de la netéconomie. Les modernes moutons de Panurge conrgent dans la Silicon Valley, l'endroit où il faut être pour ne pas manquer un épisode de la révolution économique en cours. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de l'industrie des technologies de l'information, réputées s'affranchir des lieux physiques : l'innovation se concentre sur un territoire grand comme un département français, à partir duquel elle se diffuse.
Les industriels comme AT&T, Lucent et même les Européens Bertelsmann ou Vindi ont créé sur place leur filiale de capital-risque. D'autres sociétés regroupent les porteurs de projets dans un lieu physique, puis les count de leur sollicitude et de leurs capitaux. Ces « incubateurs » ont une paternité Prestigieuse : eCompanies a été fondée par Jake Wincbaum, ex-gourou Internet de Disney, et Lycos Ventures porte le nom du célèbre portail. Mais on voit également apparaitre des hybrides, comme CMGI, dont on ne sait plus trop s'il s'agit d'une firme de capital-risque, d'un incubateur ou d'un portail. En effet, la holding a permis Péclosion de Geocities, en finançant sa
croissance jusqu'à son acquisition par Yahoo ; elle a racheté AltaVista en 1999 pour l'introduire en Bourse ; elle possède des parts dans une vingtaine de sites fédérateurs, dont Lycos. Dans la Silicon Valley, semble-t-il, on est nture capi-talist dès lors qu'on a un peu d'argent de côté. Même la CIA a lancé son fonc s, afin de ne pas être prise de vitesse. Doté de 28 millions de dollars, il s'appelle In-Q-It, en référence à « Q », le savant fou de James Bond !
Combien de temps la Silicon Valley tiendra-t-elle à ce rythme ? Victime de son succès, elle vit un engorgement permanent doublé d'une hyperspéculation immobilière et salariale. Mais elle souffre par-dessus tout du manque de main-d'oeuvre qualifiée. En 1999, le déficit était estimé à quelque 160 000 diplômés sur un bassin total de 500 000 travailleurs l2. Les cabinets juridiques et les consultants, débordés par la demande, refusent des dossiers d'entreprises en création. D'autant plus qu'ils ne parviennent pas à conserr leurs collaborateurs : leurs meilleurs experts sont régulièrement débauchés à prix d'or ou partent fonder leur start-up.
Par ailleurs, la
concurrence devient extrêmement aiguë, poussant les instisseurs à financer des structures de moins en moins viables, parce qu'ils doint se décider en une semaine. Sur 282 dossiers
financés dans la Silicon Valley d'avril à juin 1999, une centaine sont de purs projets Internet : services en ligne de business to business, commerce électronique ou communautés virtuelles. « Quand vous commencez à voir cinq entreprises qui ndent en ligne de la nourriture pour chiens et chats, il est temps de s'inquiéter de la taille réelle de ce
marché », constate un capital-risqueur13. Construites sur des bases de plus en plus fragiles, une majorité d'entre elles ne parviendront sans doute jamais à conquérir une clientèle digne de ce nom.
« Trop d'argent, chassant essentiellement des idées redondantes, et trop peu de déloppeurs et d'exécutants, reposant entièrement sur un nombre de plus en plus réduit de leaders et de visionnaires qui passent sount d'un "gros coup" à un autre », s'exaspère Esther Dyson, elle-même à la tête d'une société de capital-risque. Selon cette personnalité influente d'Internet, quand la
croissance ralentira, la vallée sera pavée des cadavres de net-entreprises. On réalisera alors que « les "vraies" start-ups se construisent selon la bonne vieille méthode : en créant un environnement où les gens viennent travailler pour accomplir le rê de construire une meilleure entreprise autour d'un meilleur produit ou service, en comnie d'autres personnes qui donnent le meilleur d'elles-mêmes ».
Quand la Vallée nargue Wall Street
Sur la côte Est, où Esther Dyson a ses bureaux, on obser la frénésie de la Vallée ac une méfiance mêlée d'admiration. New York n'est pas complètement dépourvue dans la révolution en cours, même si elle est moins richement dotée. Elle a sa « Silicon Alley15 » et ses VCs. Le 55, Broad Street, un immeuble des années soixante entièrement cablé et truffé de technologies par un promoteur malin, Bill Rudin, s'est rempli en dix-huit mois des noms les plus prestigieux : Sun, IBM, N2K, le Cyberlab d'Ericsson En 1999, la ville s'est dotée d'un incubateur très médiatique, ac i-Hatch, créé par Sony, Bertelsmann et quelques autres alliés de poids. Surtout, Wall Street s'emplit les poches ac les valeurs Internet dont l'Ouest l'abreu.
Mais dans la capitale financière des États-Unis, on appréhende les effets désilisants d'un tel afflux de start-ups. Au premier semestre de 1999, plus de cent net-entreprises ont été introduites en Bourse : c'est à peu près autant qu'au cours des quatre années précédentes cumulées16 ! Or, si les capitaux privés foisonnent à l'Ouest, les public markets,7, c'est-à-dire les marchés financiers, pourraient être moins liquides à l'Est. Le cas échéant, les gestionnaires de portefeuilles de titres se révéleraient incapables d'allonger les sommes nécessaires pour que les start-ups soient cotées à leur juste valeur, du moins à celle que leur prêtent les spéculateurs. Mais la congestion boursière semble inélucle, en raison des contraintes de trésorerie des sociétés de capital-risque. Depuis 1999, ces dernières sont à la recherche de profits rapides, pour faire face à des instissements de plus en plus élevés. Elles sont tentées de faire entrer leurs protégées en Bourse très rapidement, parfois au bout de six mois, afin de cueillir le fruit de leurs efforts. Brusquement, une marée d'actions Internet submerge les places financières. Y aura-t-il suffisamment d'acheteurs ? Et les cours ne vont-ils pas brusquement chuter, en raison de l'abondance de l'offre ? Les nture capitalists s'en moquent, car ils sont habitués à perdre leur pari et leur mise neuf fois sur dix. Les gestionnaires avisés de portefeuilles de titres, eux, sont moins blasés. Ils redoutent que les VCs ne provoquent le « grand krach », dans leur insouciance - nous y reviendrons au chapitre suivant.
Les pontes de Wall Street ont une autre raison de s'alarmer. Car, depuis 1998 au moins, les net-entrepreneurs nus de l'Ouest ébranlent et rénont le système bancaire traditionnel d'une façon qui irrite sourainement Y eslishment new-yorkais. Dans la chaine biologique des start-ups, nous l'avons vu, le banquier classique n'a pas sa place. Un technicien au regard affûté le supte : le capital-risqueur. Plus en aval, au moment où l'entreprise décide d'entrer en Bourse, les
banques d'instissement entrent en scène à leur tour. Ces élissements financiers font essentiellement affaire ac de grands comptes, laissant le menu fretin à d'autres. Prenons l'exemple des trois ténors américains du métier, Goldman Sachs, Merrill Lynch, et Morgan Stanley. Les
clients « institutionnels », fonds mutuels, gestionnaires professionnels et grandes entreprises, représentent au minimum 40 % de leurs renus et de leurs profits. Us ont recours à ces
banques pour acheter des titres en gros, pour être conseillés lors d'une fusion ou d'une acquisition, et enfin pour souscrire à une émission d'actions.
Or, aux États-Unis, les
banques d'instissement profitent de leur position de force pour imposer leur prix à des clients institutionnels piégés par l'effet de lock-in. En effet, elles sont seules en mesure d'offrir un tel bouquet de prestations. Lorsqu'une entreprise s'adresse à l'une d'entre elles pour préparer son entrée en Bourse, ou Initial Public Offering (IPO), c'est le banquier, qu'on appelle alors V underwriter, qui détermine la valeur initiale de l'action. Il sélectionne lui-même les gros clients, ceux dont il désire faire ses obligés. C'est au cours du roadshow qu'il va à leur rencontre. Ce rituel de la netéconomie, littéralement « spectacle ambulant », lui permet de présenter ses poulains à une assemblée de banquiers locaux, de représentants des fonds mutuels, d'instisseurs dits « institutionnels ». Le patron en quête d'argent vante un modèle économique insurpassable, un marché mondial, une croissance étourdissante. Bref, il fait miroiter l'inévile et fulgurant succès de sa net-entreprise lorsqu'elle sera introduite en Bourse. L'itnderwriter n'a plus qu'à passer dans les rangs pour la quête : il s'enquiert auprès de chacun de ces gros clients du volume d'actions qu'ils désirent obtenir dès l'ourture. Puis il fixe le prix d'introduction et attribue les lots à ces fidèles. Il prend au passage une commission plutôt salée, tournant sount autour de 7 % des capitaux collectés.
Ces pratiques de firme dominante ont des conséquences particulièrement perrses pour les start-ups Internet. Car l'underwriter sous-évalue systématiquement le prix initial de l'action, afin de provoquer un effet d'aubaine parmi les boursicoteurs et de favoriser ainsi ses clients institutionnels. En spéculateurs professionnels, ces derniers rendent leurs parts à leurs propres clients dans les deux premiers jours de l'introduction en Bourse. Les acheteurs se précipitent, les cours montent, l'action crè le plafond. Mais 'argent que les institutionnels privilégiés se sont mis dans la poche est perdu pour la start-up en quête de fonds. Ainsi, selon l'institut Hoor's IPO Central, si le prix initial n'était pas sous-évalué, les net-entreprises auraient levé 35 milliards de dollars, au lieu de 25 seulement en réalité, grace aux introductions en Bourse réalisées au cours du premier trimestre de 1999 l8
Certains entrepreneurs de start-ups ont donc décidé de ne plus s'en laisser compter par les
banques d'instissement traditionnelles et de se tourner rs de nouaux entrants - les barbares de la profession. Ils peunt s'adresser à Wit Capital, créée en 1996, ou à Schwab, le mutant. Ces deux élissements transmettent quelques ordres d'achat via Internet, élargissant le cercle des souscripteurs initiaux. À moins que les entrepreneurs n'élisent E*Offering, une banque virtuelle créée en 1999 et détenue à 25 % par le courtier E:;"Trade. Elle réser la moitié des titres émis aux clients de ce dernier. De ce fait, non seulement l'accès aux actions se démocratise, mais le taux de la commission chute autour de 3 % à 5 % des montants levés.
La banque d'instissement virtuelle W.R. Hambrecht, fondée début 1999, prend un pari encore plus audacieux. Elle a innté, ac son logiciel open IPO, l'introduction en Bourse ourte, fonctionnant sur le modèle des enchères hollandaises. Les clients intéressés par l'émission de titres indiquent par courrier électronique le prix qu'ils sont prêts à en donner, et le nombre d'actions qu'ils achèteraient pour ce tarif. La valeur initiale de l'action n'est pas arrêtée en fonction de la proposition la plus élevée qui a été formulée - car il s'agirait alors d'enchères anglaises. Il n'y a pas non plus de préséance en faur des gros : le fait qu'une institution soit sur les rangs pour acquérir 100 000 actions ne la place pas dans une situation privilégiée par rapport au petit épargnant qui désire en souscrire cent. Ces détails-là ne sont plus pris en compte. On se contente de choisir le point d'équilibre idéal entre l'offre et la demande, le prix « juste » à la fois pour les acheteurs et le ndeur, puis d'attribuer les actions à ceux qui ont souscrit à cette catégorie de prix. En définiti, la start-up ramasse plus d'argent lors de l'émission, puisqu'il n'y a pas eu de braderie de titres au privilège des instisseurs institutionnels. Enfin, son cours en Bourse est moins sujet aux effets de yo-yo et à la démesure spéculati, puisque les acquéreurs sont a priori vraiment intéressés par la détention de ces actions sur le long terme .
Ces pratiques font frémir les banques d'instissement traditionnelles, car elles ébranlent leur monopole sur la distribution de titres. Comment les Big Three vont-elles dicter leur loi aux clients institutionnels si elles perdent cette prérogati ? Toutefois, neuf mois après l'inntion du procédé, l'open IPO était encore un succès mitigé, car les cobayes se comptaient sur les doigts d'une main. Le net-magazine Salon, première entreprise liée à Internet à tenter les enchères inrsées, en juin 1999, a vu le cours de son action chuter de 50 cents le jour de l'ourture. L'anture a refroidi une bonne partie des patrons de start-ups. Ces derniers sant bien, d'ailleurs, qu'il est plus risqué de s'adresser à une banque sans expérience pour préparer son introduction en Bourse. Ils anticipent également un impact psychologique négatif : les instisseurs traditionnels pourraient bouder une valeur dont le cours ne s'envole pas le premier jour.
Bref, les Morgan Stanley, Merrill Lynch et Goldman Sachs ne sont pas encore aux abois. Mais Wall Street est artie : à l'anir, elle devra ménager un peu plus de place aux gestionnaires de petits portefeuilles. Quant aux start-ups nues de l'Ouest, elles n'engraisseront pas indéfiniment les grands financiers de la côte Est. Les plus sages ont compris la leçon et font du gringue aux net-entrepreneurs. Ainsi, la géante Chase Manhattan a racheté la « boutique » Hambrecht & Quist en septembre 1999, et Goldman Sachs a pris en mars de la même année une participation de plus de 20 % dans Wit Capital
L'Europe s'éille
Malgré leur rivalité, Wall Street et la Silicon Valley nourrissent la même inquiétude au sujet de l'Europe. Car la locomoti américaine ne pourra entrainer l'économie mondiale ad vitam oternam : lorsque la machine à dollars s'essoufflera, il faudra qu'elle trou un relais de croissance à l'extérieur. C'est pourquoi il est indispensable que les entrepreneurs du Vieux Continent puissent s'insérer dans la même chaine biologique
que les start-ups Internet américaines. Si l'Europe n'entre pas dans cette dynamique, prévoit le sociologue Manuel Castells, « il y aura moins de capitaux disponibles pour instir dans la noulle économie. Et ça, c'est la seule catastrophe vérile qui puisse arrir au
capitalisme informationnel. C'est pire que l'éclatement de la bulle spéculati20 ». La reprise qui s'ébauche sur les rivages orientaux de l'Atlantique risque alors de s'arrêter tout net ; tandis que la noulle prospérité américaine s'évanouira aussi vite qu'elle était apparue.
Depuis 1998 environ, les Quinze s'équipent d'infrastructures capitalistiques adaptées à la netéconomie. Au début de la chaine créati, le potentiel d'instisseurs individuels s'élèrait à un million de personnes, capables d'apporter entre dix et vingt milliards d'euros aux porteurs de projets. D'ores et déjà, les business angels européens seraient 125 000 en activité21. Les sociétés de capital-risque, quant à elles, auraient placé 14,5 milliards d'euros (16 milliards de dollars) dans les start-ups en 1998. Ce chiffre est à er aux 14,3 milliards de dollars instis la même année aux États-Unis.
Mais la vraie révolution est ailleurs : le capital-risque commence à changer de visage. Traditionnellement, les Européens font surtout du « capital-déloppement » - c'est-à-dire que leurs instissements vont aux sociétés élies plutôt qu'aux start-ups en phase d'amorçage. Par conséquent, les net-entrepreneurs n'ont personne pour les aider à décoller. Cette préférence du Vieux Continent pour la sécurité tient au fait que les bailleurs de fonds sont principalement des banques traditionnelles. En Amérique, il s'agit plutôt d'entreprises ayant une solide culture industrielle. La prise de risque n'y est donc pas un vain mot, car les financiers sant que les paris sur le long terme peunt rapporter gros. Les banquiers européens, eux, appliquent les règles de prudence que leur dicte leur profession. Heureusement, le fossé culturel ac les États-Unis se comble progressiment, car les bailleurs de fonds prennent conscience des exigences particulières du financement de start-ups.
Un autre maillon manquant pourrait se révéler plus ardu à pourvoir, au dernier stade de la chaine biologique de la net-entreprise. C'est la phase de l'introduction en Bourse. En effet, les instisseurs en ont besoin pour se rémunérer. Une levée de capitaux sur les marchés financiers équivaut pour eux à la douce musique du tiroir-caisse qu'on remplit. Pourquoi feraient-ils des efforts s'ils n'ont pas cette récompense en perspecti ? Or le marché américain des valeurs à croissance rapide, le Nasdaq, n'a pas son pareil de l'autre côté de l'Atlantique. Créée en 1971, cette Bourse est la première dans le monde à avoir abandonné le système de la « corbeille » pour passer à une cotation en temps réel, entièrement électronique. De fait, le Nasdaq n'existe pas hors du monde virtuel, sauf à considérer quelques moniteurs informatiques réunis à Wall Street, dans une pièce ourte aux photographes de
presse et aux touristes. Les entreprises high-tech, notamment celles qui sont en phase de démarrage, en ont fait leur marché de prédilection, ce qui lui a valu une capitalisation de 2 600 milliards de dollars en 1998, ac la croissance la plus rapide de toutes les Bourses américaines : 44 % de plus en un an. En décembre 1998, le Nasdaq comptait plus de 5 000 entreprises cotées, dont 273 introduites au cours de l'année pour une valeur totale de 14 milliards de dollars.
L'économie européenne, en revanche, est fragmentée entre plusieurs Bourses à la vitalité variable. L'Easdaq, qui devrait jouer le rôle du Nasdaq23 à l'échelle continentale, ne comptait que 51 entreprises cotées en octobre 1999, trois ans après sa création. Quant à sa capitalisation totale, elle faisait pale ure à côté de celle de son homologue américaine, ac 21,4 petits milliards de dollars. Ce marché paneuropéen rassemblant quatorze pays est moins déloppé que les places nationales les plus dynamiques, telles Francfort, ac le Neuer Markt, ou la City de Londres.
Peut-être l'accord signé en 1999 entre les huit principales places financières des Quinze et de la Suisse, instituant une Bourse européenne à compter de nombre 2000, permettra-t-il de résoudre le problème de cette fragmentation24. À moins que la société exploitant le Nasdaq ne grandisse plus vite qu'elle : en effet, elle a annoncé en nombre 1999 la création du Nasdaq-Europe à Londres, après celle du Nasdaq-Japon. Il devrait être opérationnel au même moment que la Bourse des Quinze, et présentera l'avantage d'être relié aux places de marché sours dans le monde entier. Le Nasdaq-Europe ayant pour actionnaires des poids lourds tels que le français Vindi, le japonais Softbank et l'australien News Corporation, il est à craindre que les initiatis européennes soient moins convaincantes25.
Les public markets ne deviendront pas populaires pour autant. Qu'ils s'unissent est une bonne chose, mais cela ne suffit pas à attirer les épargnants. Selon Jacques Vallée, un capital-risqueur français installé à San Francisco, ce sont les banques d'instissement et la nuée de juristes et d'économistes qu'elles entrainent dans leur sillage qui font le dynamisme du Nasdaq. « Il ne suffit pas pour une société d'accéder à la Bourse, encore faut-il qu'un marché actif soit créé pour ses actions. Là encore, ce rôle est assuré aux États-Unis par les underwriters qui ont soutenu l'introduction26. » En publiant leurs analyses indépendantes, ces experts suscitent l'intérêt des gestionnaires de portefeuilles. De tels spécialistes manquent toujours pour animer les places européennes.
Pourtant, les dés ne sont pas jetés. Si l'Europe est parnue en quelques années à se doter d'un réseau honorable d'instisseurs privés, pour accomner la récente floraison de start-ups, il n'y a pas de raison qu'elle reste dépourvue de marchés financiers dignes de ce nom. Cette fois, c'est la frénésie boursière des petits épargnants qui pourrait changer la donne. Le miracle de la netéconomie, tel qu'il est décrit aux États-Unis, frappe les esprits, et chacun espère grappiller sa part du gateau en panant sur les valeurs Internet. C'est sans doute ainsi que l'Europe boursière s'éillera, jusqu'à ce que le grand krach la croque