NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » economie europeneana Réformer avec modestie ou inventer sans responsabilitéLa difficulté du projet politique européen est d'AStre aujourd'hui A chel entre plusieurs systèmes de définition. Nous sommes maintenant entre deux. L'autorité des Etats-nations est certes renforcée, mais Maastricht initie tout de mASme l'étape suinte dont la conclusion sera inéluclement un passage de relais de souveraineté. Et dans le moment actuel, nous assistons au craquement du modèle antérieur, A l'occasion duquel ressurgissent tous les problèmes de l'espace politique européen. Ils sont au nombre de trois. C'est, d'une part, le fait que l'espace socioculturel d'une nation déborde la plupart du temps le cadre de l'Etat-nation. Le > contenant - ne suffit plus A gérer les relations socioculturelles liées A l'identité, soit parce que le cadre est débordé par la multiplication des processus, soit parce qu'il n'a plus assez de pouvoir d'intégration. L'ouverture économique avec l'acte unique, en favorisant la circulation, renforce cette dualité de logique. C'est d'autre part, comme conséquence du premier mouvement, la résurgence du problème des minorités '. A partir du moment où le cadre étatique n'a plus sa fonction d'intégration ou de répression, les revendications minoritaires sont croissantes, d'autant que, pour des raisons économiques, l'Europe en quarante ans est devenue une terre d'immigration. Le démantèlement de l'Europe de l'Est accentue aussi le mouvement de circulation et de brassages. C'est enfin, comme conséquence des deux premiers mouvements, la question des frontières, jamais réglée mais remise au premier avec l'ouverture de l'Europe, l'afflux des populations étrangères et l'effondrement du communisme. Ces trois facteurs indirectement liés A la construction de l'Europe ne sont pas pour rassurer le citoyen. Certes, le décalage entre les espaces socioculturels et les Etats-nations ainsi que la question des minorités et des frontières sont antérieures A la construction de l'Europe politique. Mais la désilisation géopolitique A la suite de l'effondrement du communisme, renforcée par l'ébauche de l'Europe politique, remet ces trois phénomènes au centre de l'actualité. Il faut donc reprendre ici notre objection A l'égard de l'utopie politique. MASme si l'histoire a souvent ancé par grandes utopies, y compris pour l'Europe, avec la CECA et le Marché commun en leur temps, la contrainte de la démocratie de masse modifie le statut de l'utopie. Le changement d'échelle et de visibilité de l'Europe politique n'introduisent-ils pas des changements radicaux par rapport aux utopies antérieures qui prévoyaient toutes un décalage entre l'initiative de l'utopie et sa réalisation ' ? Aujourd'hui, avec la démocratie égalitaire A l'échelle européenne, tout est synchronique. Comment éviter que la transparence et la simultanéité démocratique ne provoquent un phénomène de rejet A l'égard d'un projet politique qui désilise les cadres antérieurs de perception de la réalité politique? D'où l'hypothèse centrale de ce livre : l'utopie démocratique européenne, A condition de partir de l'expérience des peuples en revisitant leur passé, peut conjurer les risques d'un rejet violent. C'est le changement de registre de l'Europe technocratique A l'Europe démocratique qui, A son tour, change le statut du rapport au passé et A l'identité. Le propos vise moins A se méfier du caractère utopique de la construction politique européenne, qu'A rappeler les contraintes qualitatives introduites par le modèle de démocratie de masse '. La profonde originalité de la construction européenne est de s'AStre faite pacifiquement depuis quarante ans, mASme si elle s'est édifiée sur un champ de ruines et de sang. Autour d'elle, quand on voit la CEI et l'Europe de l'Est, les mASmes haines continuent A tuer. Comment préserver le caractère pacifique de ce projet? » La première chose A entreprendre est de réduire l'impression de bricolage politique, due A l'écart entre ce qui existe et ce A quoi il faudra arriver. Il existe pour cela un moyen simple : loriser le fonctionnement actuel de la communauté, la faire connaitre, mieux expliquer cette réalité politique peu connue et originale. Valoriser ce qui existe aurait au moins l'antage de rappeler l'importance de l'acquis, et de ne pas créer le sentiment faux qu'il faut tout inventer. La connaissance est la meilleure arme contre l'intolérance; l'ignorance, le premier allié des préjugés. Il y a une sorte de - masochisme politique - A ne pas expliquer la réalité du fonctionnement politique de l'Europe. Très peu de citoyens connaissent les mécanismes institutionnels européens, les relations entre la Commission, le Parlement, le Conseil des ministres, la Cour de justice et les autres institutions. Et très peu également connaissent l'étendue du trail mené. L'Europe est toujours traitée - A part - et - en plus - des problèmes nationaux, alors que pour une bonne part les décisions qui relèvent apparemment de la souveraineté nationale sont en réalité largement déterminées par le niveau européen. Il y a dans les lacunes de la communication grand public de la commission les défauts du modèle technocratique élitiste : - Inutile d'expliquer trop longuement ce que l'on fait; cela prendrait du temps, ne serait pas compris compte tenu de la technicité des dossiers, et soulèverait des objections auxquelles, la plupart du temps, les réponses sont déjA apportées. - On voit ici A l'œuvre la bonne conscience de l'élite qui traille pour le bien de tous, et le préjugé selon lequel les opinions nationales ne sont - pas prAStes -, ou - pas intéressées - par le niveau européen. Ceci est exact, mais la meilleure manière de dépasser le scepticisme est de mieux faire connaitre la réalité du fonctionnement du système politique de la CEE y compris dans ses contradictions. L'absence de documentation synthétique sur l'action de la CEE depuis vingt ans est un signe de la difficulté de la Communauté A assumer sa propre histoire, et de sa difficulté A s'autonomiser par rapport aux Etats. Il y a certes tous les documents possibles et imaginables, mais selon une approche incompatible avec la logique - grand public - qu'exige une communication A l'échelle de l'Europe. Le silence sur le bilan du Parlement, ou de la Cour européenne de justice, participe également de cette difficulté A prendre le citoyen comme partenaire. Ne pas loriser le trail, modeste mais essentiel, de ces deux institutions, n'est-ce pas déjA reprendre A son compte le jugement critique sur l'Europe ? La faible représentation que l'Europe donne d'elle-mASme exprime deux phénomènes : la difficulté A se décaler par rapport au modèle de l'Etat national et la difficulté A trouver un mode de communication grand public pour toucher les citoyens des différents pays. Par exemple, différencier les modes de communication sur l'Europe selon les pays, leurs traditions, leur propre rapport A Bruxelles, et éviter de réduire la communication A un récit nécessairement chaotique et prosaïque du ici et maintenant. A ce titre, la sous-éluation du trail du Parlement reflète cette incapacité A sortir des schémas traditionnels. VoilA une institution unique au monde qui, dans son fonctionnement quotidien, montre l'ambition et la complexité du projet européen. Et l'on s'échine A réduire les problèmes A des questions de sièges, de navettes entre les capitales alors que les compromis, au sens le plus noble de la démocratie, entre idéologies, nationalismes, expertises, intérASts privés, montrent concrètement comment la construction de l'Europe n'est pas la fin des identités nationales '. Au contraire. Comme le disent tous ceux qui y traillent, ce lieu est aussi, et ant tout, traversé par les identités nationales, ce qui devrait rassurer ceux qui craignent pour la perte de leur identité. Le Parlement est sans doute l'institution européenne la plus proche de l'idéologie politique qui sous-tend le projet, celle qui, en grandeur nature, montre le possible et l'impossible d'une communication interculturelle, bref celle qui quotidiennement justifie la folle ambition d'un tel projet, et son extrASme complexité. Au lieu de loriser cette expérience, on la cache. Parlement, Commission, Cour de justice : voilA trois institutions relativement originales A partir desquelles une réflexion théorique et sociologique pourrait AStre menée. Une société n'existe pas sans institutions, et si les institutions ne suffisent pas A créer une société, on devine leur importance dans le cas d'une situation nouvelle. L'intérASt de la - construction - de l'Europe est de pouvoir suivre en grandeur nature la genèse des institutions nécessaires A cette nouvelle forme politique. » La seconde chose A faire est de relancer un débat théorique sur les notions centrales de nation, identité, souveraineté Dans le chapitre quatre, j'ai montré l'importance qu'il y aurait A souligner les filiations historiques de ces différents concepts. Ici, il serait utile de recenser les thèmes développés actuellement par la philosophie, la sociologie, l'anthropologie, autour de ces concepts, et voir comment ils s'appliquent, ou non, au cas concret de l'Europe. Sans doute ces différents concepts permettraient-ils une réappropriation des réalités. Une fois de plus la Belgique devrait AStre au cœur d'une réflexion de ce type, Etat-nation très récent (1830), artificiel et faux comme disent certains qui prédisent régulièrement sa disparition. Il serait intéressant de voir les avis et les enjeux de la séparation progressive des communautés flamande et wallonne depuis 1970 et 1980. L'issue est-elle si » naturellement - la disparition prochaine de ce - faux Etat-nation - au profit de deux grandes régions qui rejoindraient l'Europe des régions, pendant que Bruxelles acquerrait son statut de première ville européenne ? Ou bien, au contraire, la Belgique au bord de son éclatement et de sa disparition dans l'Europe politique en construction, ne sera-t-elle pas l'occasion d'un sursaut » nationaliste -, impensable depuis trente ans, et qui conduirait au contraire A vouloir maintenir cette identité collective, certes fragile et récente mais indispensable, pour aborder, sans crainte d'anomie, la constitution du nouvel espace politique qu'est l'Europe? Un débat sur la solidarité entre la Flandre riche et la Wallonie pauvre relance l'alternative entre une évolution de type tchéquo-sloque ou au contraire plus violente. Reloriser les identités collectives pourrait alors sembler le meilleur moyen de limiter le risque de balkanisation d'une partie de l'Europe de l'Ouest. La Suisse depuis longtemps est également un pays A interroger quant A son unité plurilinguistique. Il est par ailleurs indispensable, mais difficile, de relancer un débat sur la - citoyenneté politique -, au moment où Maastricht parle de - citoyenneté européenne -. Que peut signifier aujourd'hui la citoyenneté politique ? Celle-ci, comme le dit Dominique Schnapper, n'est-elle pas désormais concurrencée par la - citoyenneté économique - ? Les objets de la légitimation politique sont en effet de plus en plus liés aux interventions de protection sociale. Et, depuis l'après-guerre, la cohésion nationale s'acquiert autant par l'adhésion A des leurs politiques que par le maintien d'une relative cohésion sociale. - Dans la société démocratique où la volonté proprement politique s'exprime moins que les aspirations A l'égalité dent l'éducation, l'habitat et l'emploi, moins que le besoin de protection sociale, c'est par son action dans l'ordre économique et social que l'Etat national contribue A intégrer les divers groupes sociaux. C'est dans la mesure où il se donne pour ambition d'améliorer la condition économique et sociale des citoyens qu'il devient légitime. Ses interventions constituent autant de moyens de gérer les relations de concurrence entre les divers groupes et les diverses catégories sociales. ' - C'est en cela que l'Etat-nation n'est pas si dépassé que certains le disent et le souhaitent. Il reste un instrument privilégié de maintien d'une situation de paix civile et sociale, assure l'application de l'idéal démocratique de redistribution et d'égalité, et constitue par ce biais le meilleur initiateur A la citoyenneté politique. Comme l'écriit Raymond Aron, - la nation a pour principe et pour finalité la participation de tous les gouvernés A l'Etat. C'est pour participer A l'Etat que les minorités réclament que leur langue soit reconnue [] Renier la nation moderne, c'est rejeter le transfert A la politique de la revendication éternelle d'égalité.2 -
Le problème de l'accueil de - l'autre -, ou des réfugiés, est probablement la plaie la plus béante de l'Europe actuelle, son plus grand échec, A l'antipode de ses traditions et de son histoire. Echec d'autant plus visible qu'il a lieu au moment où triomphent, sur les ruines des idéologies, les thèmes des droits de l'homme et de l'action humanitaire. |
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