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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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Justice et raison (i972)

La perspective philosophique de Perelman a toujours été de tenter de formaliser de faA§on logique et analytique les problèmes soulevés par la philosophie classique. C'est dans cet esprit qu'il a cherché A  réhabiliter cette discipline pourtant si décriée depuis Platon qu'est la rhétorique comme il a voulu, dans la lignée d'Aristote, revenir A  l'essence de l'argumentation.
La réflexion sur le droit et la justice occupe dans son œuvre une place privilégiée parce que le droit se donne sous la forme de systèmes juridiques, régis par une pensée systématique et par lA  susceptibles de jugements et d'éluations. En partant du constat qu'il y a paradoxe A  définir le juste de faA§on arbitraire alors mASme que la justice vise A  réduire ou A  éviter l'arbitraire, Perelman refuse de juger les différentes conceptions des justices concrètes ; A  la justice concrète dont l'étude équiut A  un choix de leur toujours contesle, il oppose la justice formelle qui se ramène A  l'application correcte d'une règle au sein d'un système juridique : en ce sens, la justice formelle constitue l'élément commun A  toutes les conceptions de la justice concrète qui, si elles préconisent des règles différentes, affirment toutes qu'AStre juste c'est respecter la règle. Tout le problème de la justice formelle réside alors dans la rigueur du raisonnement par lequel un acte ou une décision est déduit de la règle adoptée par la justice concrète.
C'est A  partir de lA  que se pose le problème de l'arbitraire dans la justice : en rappelant que la justice comprend trois éléments, "la leur qui la fonde, la règle qui l'énonce et l'acte qui la réalise", Perelman montre clairement où se situent la possibilité de l'arbitraire et l'exigence du rationnel. Autant les règles et les actes relèvent de raisonnements qui doivent AStre rigoureux et légitimes en fonction d'un système fondé sur une leur, autant la détermination de cette leur essentielle est nécessairement arbitraire. C'est d'ailleurs l'idée mASme de leur qui, du point de vue de la logique formelle, implique l'arbitraire. L'idée d'une justice parfaite est donc absurde et irrationnelle car elle présuppose la possibilité d'une leur parfaite légitimée par d'autres leurs ou d'autres règles, ce qui nous renvoie nécessairement dans une régression A  l'infini. La justice rationnelle est celle qui accepte son imperfection c'est-A -dire qui admet que la leur sur laquelle elle repose relève d'un choix qui aurait pu AStre différent.

De l'arbitraire dans la justice
Un acte est formellement juste s'il observe une règle énonA§ant l'obligation de traiter d'une certaine manière tous les AStres d'une catégorie déterminée. Remarquons que la règle elle-mASme n'est soumise A  aucun critère moral ; la seule condition qu'elle doit remplir est d'une nature purement logique. Qu'il s'agisse de punir ou de récompenser, d'appliquer une loi sur les successions, un règlement sur la voirie ou une taxe douanière, si la règle pose l'obligation de traiter d'une faA§on déterminée les AStres d'une certaine catégorie, de l'obsertion de la règle résulte un acte formellement juste.
On peut se demander, et non sans raison, si cette indétermination sur le contenu mASme de la règle ne peut pas amener des esprits retors A  échapper A  toute accusation d'injustice formelle, tout en leur laissant une liberté d'action presque complète, en leur permettant l'arbitraire le plus entier. Rien n'empASche en effet, quand on désire ne pas traiter selon la règle un AStre d'une certaine catégorie essentielles, de modifier la règle par une condition supplémentaire qui ferait apparaitre deux catégories lA  où il n'y en ait qu'une seule auparant : cette subdivision permettrait, du coup, de traiter autrement des AStres qui feraient dorénant partie de deux catégories différentes. La modification peut AStre quelconque : elle peut aussi bien consister en une restriction se rapportant A  des conditions de temps ou d'espace qu'en une limitation affectant n'importe quelle propriété de membres de la catégorie. Au lieu de dire - Tous les M doivent AStre P -, on dira, par exemple, - tous les M nés ant 1500 doivent AStre P - ou - tous les M nés en Europe doivent AStre P - ou en général - tous les M affectés de la qualité A doivent AStre P -. De cette modification de la règle résultera immédiatement la conséquence que les M nés après 1500, que les M nés en dehors de l'Europe ou, en général, que les M qui n'ont pas la qualité de A ne devront plus AStre P. L'ancienne règle ne leur étant plus applicable, on sera libre de formuler une nouvelle règle A  leur égard, qui dira comment ces AStres devront AStre traités. C'est tout l'art des ca-suistes.
Au lieu d'agir d'une faA§on formellement injuste, en traitant de manière inégale deux AStres faisant partie de la mASme catégorie essentielle, on préférera modifier la règle de faA§on que, formellement, l'action soit juste et irréprochable.
Prenons un exemple pittoresque de cette faA§on d'agir tiré de la politique douanière contemporaine.
Actuellement, la politique douanière des états constitue un des attributs de leur souveraineté. Ils peuvent donc imposer, comme bon leur semble, les produits de provenance étrangère que l'on désire intraduire sur leur territoire. Pourtant, pour faciliter des relations commerciales internationales, les états sont amenés A  limiter leur arbitraire dans le domaine douanier par des traités de commerce qui lient les états contractants pour un laps de temps déterminé. Certains de ces traités contiennent la clause de - la nation la plus favorisée -, clause qui permet aux exportateurs de l'état A  qui ce traitement est accordé de bénéficier du tarif douanier le plus favorable accordé A  n'importe quel état sur n'importe quel produit.
Supposons que le Danemark bénéficie dans un pays A, de la clause de la nation la plus favorisée. Si l'état A permet au beurre suisse de franchir les frontières de son territoire moyennant une très faible redence, il sera automatiquement obligé de permettre au beurre danois d'entrer moyennant la mASme redence, faute de quoi il transgresse son traité de commerce avec le Danemark et agit de faA§on formellement injuste.
L'état A ne désirant pas accorder aux exportateurs danois le bénéfice de son accord avec la Suisse, et ceci malgré la clause de la nation la plus favorisée, et ne voulant pas non plus transgresser ouvertement son traité avec le Danemark, s'en est tiré par une modification A  la règle : au lieu de diminuer les droits d'entrée sur le beurre, il a diminué la taxe sur le beurre - provenant des ches dont les paturages se trouient A  plus de 1.000 mètres d'altitude -. Cette règle, applicable au beurre suisse et pas au beurre danois, permet de favoriser le premier pays sans violer la clause de la nation la plus favorisée.
Que résulte-t-il de ces considérations ? Qu'il est toujours possible, par une modification de la règle, d'échapper A  l'injustice formelle et ceci dans tous les cas où la règle elle-mASme n'est pas imposée. La justice formelle peut, dans tous ces cas, coïncider avec une inégalité réelle A  cause de l'arbitraire des règles. Il en résulte que le rôle de la justice formelle est très réduit dans tous les cas où il ne s'agit pas de règles élies, imposées A  celui qui doit les observer.
Quand il s'agit d'observer une règle élie, nous tombons dans la partie de la justice formelle qui coïncide avec ce que M. Dupréel appelle la justice statique et dont le rôle est loin d'AStre négligeable dans la vie pratique, car elle constitue le fondement de la justice dans l'application du droit positif.
Mais si l'on désire que la justice formelle ne soit pas une formule vide en dehors du droit positif, que ce soit en morale ou en droit naturel, il est indispensable d'éliminer, dans la mesure du possible, l'arbitraire des règles qu'elle doit appliquer.
La condition que cette exigence imposera aux règles ne porte plus sur leur forme, mais sur leur contenu. Pourtant, comme nous allons le voir, cette condition n'épuise pas le contenu de la règle, mais impose A  celle-ci l'intégration dans un système : cette obligation aura pour conséquence d'accentuer le caractère rationnel des règles de justice.
Il est impossible de dire ce qu'est une règle juste sans présenter une définition toujours discule, de la notion de justice. Il nous semble pourtant possible, sans définir d'une faA§on subjective une notion dont le sens émotif est très prononcé, de compléter nos considérations sur la justice formelle par l'analyse des conditions de nature rationnelle, imposées aux règles de justice concrète, pour éviter leur arbitraire.
Les formules de justice concrète posent ou impliquent des catégories essentielles dont les membres doivent AStre traités d'une certaine faA§on, la mASme pour tous.
Considérer qu'une telle formule est injuste, c'est, ou bien critiquer la classification qu'elle élit ou bien le traitement qu'elle réserve aux membres des différentes catégories.
Supposons que la formule détermine la division de tous les AStres dont on s'occupe en trois catégories A, B et C et qu'il en résulte que - tous les A doivent AStre P -, - tous les B doivent AStre R - et - tous les C doivent AStre S -. En affirmant que la règle est injuste, on peut s'insurger ou bien contre la division en ces trois catégories, ou bien tout en admettant le bien-fondé de cette division, on peut trouver injuste la différence entre le traitement réservé aux membres de ces trois catégories. La première critique émanera d'habitude des partisans d'une autre formule de justice concrète, tandis que la deuxième sera celle d'un adepte d'une autre modalité de la mASme formule.
Prenons un exemple concret de controverse sur des questions pratiques, en le présentant pour la clarté de l'exposé, comme une simple application des formules de justice concrète.
L'on peut s'attaquer au système des allocations familiales, A  supposer qu'on le considère comme la mise en application de la formule - A  chacun selon ses besoins -, en trount injuste que l'on tienne compte, dans la détermination du salaire des ouvriers, d'autre chose que de leur rendement : il de soi que le partisan de la formule - A  chacun selon ses œuvres - divisera les ouvriers en d'autres catégories que celui qui tient compte de la formule - A  chacun selon ses besoins - ; il peut donc accuser d'injustice la classification que détermine cette dernière règle de justice concrète. Mais quelqu'un qui trouve parfaitement justifié le système des allocations familiales peut trouver injuste que l'on accorde pour le quatrième enfant, par exemple, une allocation dix fois supérieure A  celle accordée pour le premier, alors que c'est le premier enfant qui accroit de la faA§on la plus sensible les charges du ménage.
On voit immédiatement que cette dernière critique est d'un tout autre ordre que la première : en effet, elle se place sur le mASme terrain que celui auquel elle s'adresse, elle admet déjA  une certaine plate-forme commune, la nécessité des allocations familiales pour subvenir aux besoins du ménage. Par contre, la critique de celui qui trouve injuste de tenir compte d'une autre formule que de celle qui rémunère les ouvriers proportionnellement A  leur rendement n'attache pas de l'importance A  la mASme leur que la formule - A  chacun selon ses besoins - et il sera infiniment plus difficile de trouver un terrain d'entente entre les partisans de ces formules différentes de la justice.
Demandons-nous, pour commencer, en quoi consiste la critique de celui qui trouve injuste une traitement trop différent réservé aux membres de diverses catégories essentielles qu'il considère comme fondées, et en quoi on pourrait faire droit A  sa critique.
En critiquant la loi pénale franA§aise, qu'il trouve profondément injuste, Proudhon écrit' :
- Un pauvre diable dont les enfants crient la famine, vole, la nuit, dans un grenier, après effraction et escalade, un pain de quatre livres. Le boulanger le fait condamner A  huit ans de traux forcés : voilA  le droit Par contre, le mASme boulanger, prévenu d'avoir mis du platre dans son pain en guise de farine et du vitriol pour le lein, est condamné A  cinq livres d'amende : c'est la loi. Or, la conscience crie que ce trafiquant est un monstre, et la loi elle-mASme absurde et odieuse. D'où vient cette contradiction ? -
Proudhon ne voit aucun inconvénient A  ce qu'on punisse celui qui commet un vol avec effraction aussi bien que celui qui falsifie les denrées alimentaires, mais il trouve que la peine n'est pas proportionnée, dans les deux cas, A  la gravité du délit commis.
Que devrait-on répondre A  Proudhon pour justifier la différence du traitement réservé aux membres de ces deux catégories déterminées par le droit pénal, pour prouver qu'il ne s'agit pas de mesures arbitrairement adoptées, mais de dispositions justes, prises en connaissance de cause ? Il faudrait définir la notion - gravité du délit - de faA§on qu'il en résulte, contrairement A  l'affirmation de Proudhon, la proportionnalité de la peine A  la gravité de l'acte.
Pour montrer que les règles, déterminant deux catégories différentes ainsi que le traitement réservé A  leurs membres, ne sont pas arbitraires, il faut montrer comment ces deux règles et les différences qu'elles impliquent, se déduisent d'un principe plus ste, plus général, dont elles ne constituent que des cas particuliers.
De mASme si l'on demande : - est-il juste qu'un manœuvre gagne 5 francs l'heure, alors que tel médecin gagne 50.000 francs par mois ?- On pourrait répondre ou bien que cette différence de traitement n'a rien A  voir avec la justice, n'étant qu'un simple effet de la loi de l'offre et de la demande, ou bien si l'on veut défendre le bien-fondé de cette différence, on doit trouver une catégorie plus ste, comme celle, par exemple, d'importance du service rendu, dont on serait A  mASme de déduire la différence de traitement entre un manœuvre et un médecin renommé.
Ces deux exemples suffisent pour montrer ce qu'il faut entendre par une règle arbitraire. Une règle est arbitraire dans la mesure où, tout en n'étant pas une conséquence nécessaire d'une loi théorique, elle n'est pas susceptible de justification.
Parler d'injustice autre que formelle, c'est toujours er deux règles différentes ; le raisonnement qu'on pourrait y opposer ne prouverait pas que les règles sont justes, parce que l'on ne peut pas imposer A  tout le monde la mASme conception de la justice ' mais du moins qu'elles ne sont pas arbitraires, parce qu'elles sont justifiées, qu'elles se déduisent d'une règle plus générale dont elles ne constituent que des cas particuliers.
Quand il s'agit de justice formelle, on se contente de er le traitement réservé aux membres de la mASme catégorie essentielle mais on n'a aucun moyen de er les catégories entre elles. Par contre, la critique adressée A  une règle de justice concrète amène la recherche d'un terme de aison entre diverses catégories essentielles de faA§on A  justifier, par le rapport entre chaque catégorie et le genre dont elle dépend, la différence de traitement entre ces différentes catégories. La réponse de celui que l'on accuse de formuler une règle injuste, parce qu'elle favorise les membres d'une catégorie par rapport A  ceux d'une autre, ne peut AStre que l'indication de la règle plus générale dont les deux règles que l'on e se déduisent logiquement. Justifier, c'est toujours montrer comment une catégorie déterminée s'intègre dans une catégorie plus ste, comment une règle particulière se déduit d'une règle plus générale.
Nous avons vu quelle analogie existe entre l'explication d'un phénomène et la justification d'un acte, comment l'acte juste et le phénomène expliqué coïncident tous deux avec la conclusion d'un syllogisme. Nous ne serons nullement étonnés de constater l'existence de la mASme analogie entre le fait d'expliquer une loi théorique et celui de justifier une règle normative.
Expliquer une loi, c'est montrer qu'elle se déduit d'un système plus général dont elle constitue, dans des conditions déterminées, un cas particulier. C'est ainsi que la loi de l'attraction terrestre constitue un cas particulier du principe de gravitation universelle. Le besoin d'expliquer la loi de l'attraction terrestre s'est fait sentir au moment où l'attention du penseur a été attirée par une différence anormale de comportement : pourquoi la pomme tombe-t-elle par terre, alors que la lune, subissant la mASme attraction, ne vient pas s'écraser sur la terre qui l'attire ? Pourquoi la lune et la pomme se comportent-elles différemment par rapport A  la terre ? L'explication a été fournie par le principe de gravitation universelle dont on a pu déduire aussi bien la loi de l'attraction terrestre que la résistance de la lune vis-A -vis de la terre.
De mASme la justification d'une règle normative fait appel A  un principe plus général, dont on peut déduire le traitement différent appliqué A  des AStres faisant partie d'autres catégories essentielles.
Ces considérations mettent A  jour une fois de plus, la relativité aussi bien de l'explication que de la justification ; toute justification est relative A  des principes plus abstraits. Mais ces lois, on peut aussi vouloir les expliquer, ces principes, on peut aussi devoir les justifier, vu leur caractère arbitraire. L'explication et la justification auront alors recours A  des lois encore plus générales, A  des principes encore plus abstraits : on aboutira aussi bien dans le domaine théorique que dans le domaine pratique, A  l'édification de systèmes rationnels. Au système théorique de la science fera pendant un système normatif de la justice.
Pourtant, si loin qu'on remonte dans l'explication et dans la justification, un moment arrivera où l'on s'arrAStera. Cet arrASt ne sera peut-AStre que provisoire, il n'aura rien de nécessaire, mais il déterminera le sommet d'un état de la science, le plafond d'un système normatif.
Les lois les plus générales de la science, qui permettent d'expliquer toutes les autres mais restent elles-mASmes inexpliquées, déterminent les traits les plus généraux de la réalité ; ce sont elles qui font que l'univers ne se réduit pas A  une tautologie, A  un simple développement du principe d'identité. C'est leur existence qui permet A  la science d'espérer de nouveaux développements, de nouveaux progrès en profondeur. Nous ne dirons pas, avec E. Meyerson, que l'explication n'est qu'une réduction de la réalité A  une identité, mais nous affirmons que c'est le fait que cette réduction ne peut pas se faire et ne se fera jamais, qui nous permet de comprendre pourquoi l'explication est toujours relative et toujours inachevée, pourquoi la science ne parviendra jamais A  épuiser son objet.
Ces lois qui se trouvent au sommet de notre système scientifique, si elles posent des liaisons logiquement arbitraires, parce que inexpliquées, il n'est pas question de les mettre en doute : en effet, les liaisons qu'elles affirment sont universelles et définissent notre réalité : on n'a qu'A  s'incliner dent les faits.
Mais il en est tout autrement dans un système normatif. Les principes les plus généraux d'un pareil système, au lieu d'affirmer ce qui est, déterminent ce qui ut : ils posent une leur, la leur la plus générale, dont se déduisent les normes, les impératifs, les commandements. Or cette leur n'a de fondement ni dans la logique, ni dans la réalité. Son affirmation ne résultant ni d'une nécessité logique, ni d'une universalité expérimentale, la leur n'est ni universelle ni nécessaire : elle est, logiquement et expérimentalement, arbitraire. C'est d'ailleurs parce qu'elle est arbitraire, donc précaire, que la leur se distingue de la réalité. De mASme que la norme suppose une liberté, de mASme la leur suppose un arbitraire.
Notre effort de justification des règles pour en éliminer, dans la mesure du possible, l'arbitraire, doit s'arrASter A  un principe injustifié, A  une leur arbitraire. Un système de justice, si poussé qu'A soit, ne peut éliminer tout arbitraire : autrement, en effet, il ne serait plus un système normatif : il poserait une nécessité logique ou une universalité expérimentale et son caractère normatif disparaitrait immédiatement.
Tous système de justice ne constitue que le développement d'une ou plusieurs leurs, dont le caractère arbitraire est lié A  leur nature mASme. Ceci nous permet de comprendre pourquoi il n'existe pas un seul système de justice, pourquoi il peut en exister autant qu'il y a de leurs différentes. Il en résulte que, si une règle est considérée comme injuste par quelqu'un qui préconise une autre formule de justice concrète, donc une autre répartition en catégories essentielles, il n'y a qu'A  enregistrer l'antagonisme qui oppose les partisans des différentes formules de la justice : en effet, chacun d'eux met au premier une autre leur. Etant donné la pluralité des leurs, leur opposition et leur caractère arbitraire, le raisonnement est incapable de départager les antagonistes, faute d'un accord sur les principes qui pourraient servir de point de départ A  la discussion. Pour qu'un accord sur les règles de justice puisse s'élir, il faut qu'on puisse justifier toutes celles qu'on attaque et qu'on n'attaque pas toutes celles qu'on ne peut justifier, A  savoir celles qui accordent A  certaines leurs la première place dans la conduite de notre action.
Si l'on considère une règle comme injuste, parce qu'elle accorde la prééminence A  une autre leur, on n'a qu'A  enregistrer le désaccord : un raisonnement sera incapable de donner tort A  l'un ou l'autre des adversaires. Remarquons que si un tel état de choses se produit le plus souvent lorsqu'il s'agit de débattre la répartition des AStres en catégories essentielles, il se peut que des questions de leur interviennent mASme lorsqu'on discute sur le traitement A  réserver aux membres de certaines catégories.
Prenons la critique que Proudhon a adressée au droit pénal franA§ais. Nous avons vu que les antagonistes auraient pu se mettre d'accord s'ils définissaient de la mASme faA§on - la gravité du délit -. Si l'un fait dépendre cette gravité du trouble qu'elle introduit dans l'ordre social et l'autre des souffrances qu'elle inflige A  la victime du délit on se trouvera en présence de deux attitudes incompatibles, basées sur une conception différente du droit pénal : la première se préoccupant de protéger la société, la deuxième mettant au premier l'individu. De cette différence résultera, dans bon nombre de cas, une autre appréciation de la gravité du délit. Le vol d'une somme d'argent, dans les mASmes circonstances, sera punissable de la mASme faA§on, d'après celui qui se préoccupe surtout du trouble que ce vol apporte dans la société, peu importent les souffrances que ce vol ait causées. Par contre, celui qui se préoccupe de ces souffrances, considérera comme infiniment plus odieux et plus grave le vol de toutes les économies d'un impotent que le vol de la mASme somme dans le coffre-fort d'une grande banque, et exigera pour le premier délit une chatiment bien plus sévère. On voit comment une autre conception de la gravité du délit permettra de classer dans un autre ordre d'importance les catégories déterminées par le droit pénal : c'est ainsi que, en fin de compte, le désaccord sur le traitement réservé aux membres d'une catégorie essentielle, quand il découle d'un désaccord sur des leurs, détermine également un changement dans la classification des AStres ou des actes.
Ce n'est que quand il y a accord sur les leurs que développe un système normatif, que l'on peut chercher A  justifier les règles, qu'il est possible d'éliminer tout ce qui favorise ou défavorise arbitrairement les membres d'une certaine catégorie essentielle. LA  où l'accord sur des leurs permet le développement rationnel d'un système normatif, l'arbitraire consistera dans l'introduction de règles étrangères au système : on pourra attaquer ces règles comme injustes, parce que arbitraires et non fondées.
Une règle n'est donc pas arbitraire en soi : elle ne le devient que dans la mesure où elle reste injustifiée. L'arbitraire, comme la justification, étant relatifs A  d'autres règles, tout le système est fondé sur les principes qui se trouvent A  sa base, et sa leur est liée A  celle des affirmations arbitraires et injustifiées qui lui servent de fondement. Cest ainsi que, en définitive, tout système de justice dépendra des leurs autres que la leur de justice et sa leur proprement morale sera en fonction des affirmations arbitraires A  partir desquelles il se développe ()
Pourtant la justice possède une leur propre, quelles que soient les autres leurs sur lesquelles elle se fonde : c'est celle qui résulte du fait que son application satisfait A  un besoin rationnel de cohérence et de régularité.
Prenons l'exemple d'un système normatif assez singulier pour attacher le plus grand mérite A  la taille des individus. De ce système découleront des règles qui poseront l'obligation de traiter les hommes d'une faA§on plus ou moins proportionnelle A  leur taille. On peut chercher A  éliminer de ce système toute règle arbitraire, tout traitement inégal, tout favoritisme, toute injustice. A l'intérieur du système, dès qu'on ne met pas en discussion le principe fondamental qui lui sert de base, la justice aura un sens bien défini : celle d'éviter tout arbitraire dans les règles, toute irrégularité dans l'action.
Nous sommes amenés ainsi A  distinguer trois éléments dans la justice : la leur qui la fonde, la règle qui l'énonce, l'acte qui la réalise.
Ces deux derniers éléments, les moins importants d'ailleurs, sont les seuls que l'on puisse soumettre A  des exigences rationnelles : on peut exiger de l'acte qu'il soit régulier, qu'il traite de la mASme faA§on les AStres faisant partie de la mASme catégorie essentielle ; on peut demander que la règle soit justifiée, qu'elle découle logiquement du système normatif adopté. Quant A  la leur qui fonde le système normatif, on ne peut la soumettre A  aucun critère rationnel, elle est parfaitement arbitraire et logiquement indéterminée. En effet, si n'importe quelle leur peut servir de fondement A  un système de justice, cette leur, en elle-mASme, n'est pas juste. Ce qu'on peut qualifier de justes, ce sont les règles qu'elle détermine et les actes qui sont conformes A  ces règles.
Le caractère arbitraire des leurs qui fondent un système normatif, leur pluralité et leur opposition, font qu'un système de justice nécessaire et parfait est irréalisable. Poser l'existence d'un système de justice parfait, c'est affirmer que la leur sur laquelle il est basé s'impose d'une faA§on irrésistible, c'est affirmer, en définitive, l'existence d'une seule leur qui domine, ou englobe, toutes les autres. La prééminence de cette leur ne serait plus arbitraire : elle s'imposerait logiquement ou expérimentalement, elle résulterait d'une nécessité rationnelle ou d'un fait d'expérience. Or cette hypothèse contient, en elle, une contradiction interne : la notion de leur est incompatible, en effet, aussi bien avec la nécessité formelle qu'avec l'universalité expérimentale : pas de leur qui ne soit logiquement arbitraire.
Seul un rationalisme naïf croit la raison capable de trouver les vérités évidentes et les leurs indiscules. La justice étant, de tout temps, considérée comme la manifestation de la raison dans l'action, le rationalisme dogmatique croyait en la possibilité de développer un système de justice parfaite.
Le rationalisme critique, par contre, réduisant le rôle de la raison, ne lui reconnaissant aucun pouvoir de déterminer le contenu de nos jugements, est amené, par contrecoup, A  limiter son importance dans l'élissement d'un système normatif. La justice en tant que manifestation de la raison dans l'action, doit se contenter d'un développement formellement correct d'une ou de plusieurs leurs, qui ne sont déterminées ni par la raison ni par un sentiment de justice.
De mASme que la discussion sur la justice formelle ne pouit aboutir quand on désirait réduire, du mASme coup, des divergences concernant des formules de justice concrète, de mASme la discussion sur les règles de justice ne pourra aboutir si on désire, en conclusion, annihiler toutes les divergences concernant les leurs. Notre exigence de justice doit se limiter A  l'élimination des règles de tout arbitraire qui ne résulte pas d'un jugement de leur irréductible. De mASme qu'un acte juste est relatif A  la règle, la règle juste sera relative aux leurs qui servent de fondement au système normatif.
Toute leur étant arbitraire, il n'existe pas de justice absolue, entièrement fondée en raison. Pour AStre plus précis, il n'existe pas de justice absolue, sauf A  l'égard d'AStres identiques qui, quel que soit le critère choisi, feront toujours partie de la mASme catégorie essentielle. Dès que deux AStres ne sont plus identiques, dès qu'on doit se poser la question de savoir s'il faut négliger la différence, qui les sépare ou si, au contraire, il faut en tenir compte, dès qu'on doit distinguer les qualités essentielles et secondaires, pour l'application de la justice, on fait intervenir des considérations de leur, nécessairement arbitraires.
C'est le caractère émotif des leurs qui sont A  la base de tout système normatif qui fait que l'application de la justice apparait comme une opération dont toute affectivité n'est pas entièrement exclue. Un système de justice peut, tout entier, se ressentir de la coloration émotive qu'y proe la leur fondamentale dont il constitue un développement rationnel.
En basant un système normatif sur l'idéal de bienfaisance, on peut mASme AStre amené A  faire des accrocs A  la stricte application de la règle, si cette irrégularité a pour conséquence une diminution de la souffrance : on n'en voudra pas trop au juge qui n'applique pas la loi dans toute sa rigueur, s'il le fait uniquement en considération d'une situation exceptionnellement malheureuse ; de mASme le droit de grace accordé aux souverains leur permet d'adoucir les sévérités de la loi, en tenant compte de circonstances spéciales que le juge n'ait pas A  prendre en considération.
D'ailleurs les inégalités réelles dont on tient compte pour appliquer une formule de justice posent un nouveau problème pour la conscience. Est-il juste que les AStres ou leurs actes soient inégaux naturellement ? Est-il juste que l'un soit né droit, et l'autre pervers, l'un beau et l'autre contrefait ? A cette question, on peut répondre de deux faA§ons différentes. On peut dire que l'inégalité est un effet des lois naturelles, de la destinée, et que la justice est étrangère A  tout ce qui est nécessaire. Par contre, un croyant répondra que ces inégalités résultent de la volonté divine, dont les décrets sont impénétrables. Mais chacune de ces deux réponses aura pour conséquence de tempérer, de quelque faA§on, l'application de la justice. La première déterminera l'introduction de la notion d'irresponsabilité, de sorte que l'on ne punira que les actes qui paraitront l'effet d'une volonté libre, donc responsable. La deuxième aura pour conséquence d'adoucir l'application de la justice par la charité car ceux A  qui Dieu refuse ses bienfaits, doivent pouvoir au moins espérer une certains compensation dans la miséricorde des hommes.
Le caractère arbitraire des fondements de la justice fait qu'elle ne s'impose pas directement comme d'autres vertus plus spontanées, de sorte que l'intransigeance outrancière dans son application peut mASme conduire A  des conséquences qu'une ame bien née ressentira comme injustes : summum jus, summa injuria. C'est pourquoi un AStre épris de justice ne se contentera pas d'appliquer strictement et aveuglément les règles qui découlent de son système normatif : il pensera toujours au fondement arbitraire de son système qui n'est pas, et ne peut pas AStre, un système parfait. Il n'oubliera pas qu'A  côté des leurs reconnues par lui, il existe d'autres leurs pour lesquelles des gens se dévouent et se sacrifient et qu'une révision des leurs est toujours possible.
C'est ainsi que, si la justice apparait comme la seule vertu rationnelle, qui s'oppose A  l'irrégularité de nos actes, A  l'arbitraire de nos règles, il ne faut pas oublier que son action est fondée elle-mASme sur des leurs arbitraires, irrationnelles et qu'A  celles-ci s'opposent d'autres leurs auxquelles un sentiment de justice raffiné ne peut rester entièrement insensible.



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Les méthodes d interprétation intrinsèque - l interprétation de la loi
Les méthodes d interprétation extrinsèque - l interprétation de la loi
L électisme des méthodes actuelles d interprétation de la loi
La détermination du contenu de la norme
La question de la codification
La stratégie du procès
Le raisonnement juridictionnel
Analyse des comportements et modes de correction des solutions légales
La méthodologie de la preuve