L'institution d'une Cour pénale internationale a une dimension symbolique et historique si forte qu'on oublie quelquefois que son instauration ne fait pas disparaitre les autres mécanismes internationaux relatifs A l'identification, la poursuite, l'arrestation et le jugement des auteurs présumés de crimes internationaux.
Le pas accompli A l'échelle de l'humanité est considérable, chacun en conent. Toutefois, des doutes subsistent sur la réalité de l'indépendance et de Feffectité de
la Cour pénale internationale. Aussi, l'arsenal
juridique préexistant restera-t-il nécessaire, A la fois comme bouclier pour les ctimes et comme instrument de dissuasion A l'égard des criminels.
En outre, les états ont entériné le principe de la complémentarité de la
compétence de la Cour avec celles des juridictions nationales ; ils devront, pour rester cohérents, en tirer toutes les conséquences. Ce qui signifie, et c'est essentiel, qu'ils devront utiliser plus systématiquement et de faA§on plus précise les instruments juridiques internationaux, et les incorporer dans leurs lois nationales quand ils ne l'ont pas fait (carence qui les dispense de respecter des conventions internationales alors mASme qu'ils les ont ratifiées). Il leur faudra, ensuite, affirmer la volonté politique - qui a cruellement manqué dans bien des cas -d'engager des poursuites, d'arrASter, de juger ou d'extrader les présumés criminels internationaux qui seraient sur leur territoire. Enfin, ils seront amenés A généraliser, en les harmonisant, les mécanismes de compétence universelle portant sur les crimes internationaux dans le cadre des lois d'adaptation de leur législation nationale. En effet, la ratification du Statut ne suffira pas. Encore faut-il que les états qui l'auront ratifié aménagent leur législation nationale afin d'AStre en mesure de satisfaire efficacement et complètement aux obligations auxquelles ils auront ainsi souscrit, et notamment leurs obligations de coopération.
La lutte contre l'impunité sera une des grandes ambitions du prochain millénaire.
Avant de faire un état de l'arsenal juridique existant, des conditions dans lesquelles il a été appliqué et avant d'aborder ce que devra AStre le comportement des états dans les prochaines années pour se mettre en conformité avec leurs obligations après ratification du statut de la CPI, nous évoquerons brièvement les enjeux de la lutte contre l'impunité.
Les enjeux de la lutte contre l'impunité
La lutte contre l'impunité des auteurs de graves olations des droits de l'homme comporte de toute édence des dimensions morale, politique et juridique.
En vertu des normes internationales (qui seront rappelées plus loin), l'obligation d'assurer le respect des droits de l'homme impose aux états des obligations spécifiques, comme celles d'enquASter sur les faits, ou, le cas échéant, de traduire en justice les personnes incriminées.
On sait aujourd'hui que, lorsque les souffrances endurées dans un pays ont été effroyables et que la vérité a été confisquée ou falsifiée, la promulgation - inélement tardive - de lois d'amnistie s'oppose au besoin de justice, y compris lorsque ces lois sont validées par des référendums. En effet, une loi d'amnistie ne peut AStre opposée aux ctimes que si elle résulte d'une consultation populaire sincère, transparente et démocratique.
En d'autres termes, l'essence mASme des crimes de nature internationale - qui sont dans bien des cas des crimes imprescriptibles -, c'est précisément de générer une souffrance imprescriptible et par conséquent un besoin de justice qui ne se tarit jamais et qui, A un moment ou A un autre, resurgit nécessairement.
Cette exigence de justice est plus criante et plus légitime encore lorsque le
travail de mémoire et le deuil ont été rendus impossibles.
C'est très exactement ce qui se passe au Chili. On observe d'ailleurs que, contrairement A ce qu'ont pu dire des ministres du gouvernement actuel de Santiago, l'arrestation du général Augusto Pinochet, loin d'AStre A l'origine d'une guerre cile ou de menaces de coup d'état, a réveillé, certes, de eux démons mais a réveillé également la justice chilienne '.
En effet c'est pour une large part grace A l'arrestation du général Pinochet que quelques juges courageux ont relancé les enquAStes et provoqué de nouvelles arrestations. Ils ont considéré, comme l'ont fait les juges franA§ais et esnol, que le crime de disparition était de nature continue, ce qui permettait de contourner la loi d'amnistie adoptée au Chili en 1978.
Des sondages réalisés A Santiago ces derniers mois indi quent que les nouvelles générations ' en contradiction avec leurs parents souvent favorables A une amnésie col lective - préfèrent majoritairement ce travail sur 1? mémoire et la reprise des poursuites judiciaires. L'atti tude provocatrice du général Augusto Pinochet lors de son arrivée au Chili le 3 mars 2000 a édemment validé les doutes qui existaient quant A la réalité de son état de santé. De très nombreuses critiques avaient été faites tant sur la méthode que sur le fond du rapport médical rédigé par des médecins anglais. Les
organisations internationales des droits de l'homme avaient marqué un point important en obtenant de la Haute Cour de Londres qu'elle ordonne la divulgation de ce rapport médical mais avaient échoué dans leur tentative d'obtenir tant de la Haute Cour de Londres que de M. Jack Straw la désignation d'une contre-expertise qui pourtant s'imposait. Elle seule, pour peu qu'aient été désignés des médecins spécialistes, notamment en gériatrie ainsi que des médecins provenant de chaque pays concerné, aurait été de nature A faire taire les doutes sur le caractère politique de la décision de M. Jack Straw ayant autorisé le général Augusto Pinochet A rentrer au Chili.
Cette décision, si elle ne fait pas disparaitre les avancées décisives résultant de l'arrestation du général Augusto Pinochet, a provoqué frustration et colère légitimes chez les familles.
L'épilogue de l'affaire Pinochet démontre que s'agissant de la répression des crimes les plus graves, aucune disposition de nature discrétionnaire du type de celle dont s'est prévalu M. Jack Straw ne saurait A l'avenir AStre admise. En d'autres termes, l'évaluation de l'état de
santé d'un présumé bourreau, si agé soit-il, ne saurait intervenir que dans un cadre strictement juridictionnel.
Au Chili, contrairement A ce qui a été écrit, la levée de l'immunité du général Augusto Pinochet reste formellement possible en dépit de l'amendement constitutionnel voté discrètement par la Chambre des députés le 25 janer 2000. Elle ne dépend que du courage des juges composant la Cour des appels de Santiago. Le juge Tapia Gus-man a fait part de sa confiance dans l'issue de cette procédure, qui reste très incertaine mASme si les jeux ne sont pas complètement faits.
La jurisprudence Pinochet devait connaitre un nouveau
développement en Afrique avec l'inculpation de l'ancien chef d'Etat tchadien M. Hissène Habré, par un juge d'instraction sénégalais, le 3 février 2000. sur plainte déposée par des ctimes et plusieurs associations, dont la FIDH et Human Rights Watch, du chef de complicité de torture. La justice sénégalaise s'est ainsi honorée, mais sa tache reste immense.
La Cour d'appel du Sénégal va statuer prochainement sur la requASte en nullité de la procédure déposée par les avocats d'Hissène Habré, et a priori, c'est ce qu'il faut souhaiter, elle devrait y répondre négativement. Quoi qu'il en soit, par cette inculpation qui sera peut-AStre suie d'une nouvelle inculpation du chef de crimes contre l'humanité, un nouveau message fort a été adressé, notamment aux dictateurs africains qui sont encore au pouvoir ou A la retraite.
En Afrique du Sud, Nelson Mandela a fait preuve d'une intuition extraordinaire en organisant la commission Vérité et Réconciliation. La commission, qui a siégé A Johannesburg et dont les travaux se sont achevés A la fin de l'année 1998, était en effet organisée autour d'un principe singulier : en contrepartie de l'aveu des crimes par leurs auteurs, l'impunité leur a été accordée dans l'immense majorité des cas.
Dorénavant, la vérité des crimes sous l'apartheid est élie en Afrique du Sud. Elle l'est partiellement, imparfaitement; des frustrations subsisteront, l'absence de chatiment dans les cas les plus cruels a suscité de ves réprobations, mais désormais l'histoire de l'Afrique du Sud ne pourra plus AStre falsifiée.
Hun Sen, l'homme fort de Phnom Penh, s'est dressé face aux pressions internationales qui exigeaient et exigent toujours de lui la mise en place de procès dignes de ce nom au Cambodge, si possible dans le cadre d'une justice internationale.
Il est en effet acquis aujourd'hui que la création d'un tribunal ad hoc - c'est-A -dire un tribunal institué par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies -est impossible du fait du veto de la Chine et de l'embarras inavouable des autres membres permanents du Conseil de sécurité (au premier chef les Etats-Unis), compte tenu de leur attitude passée dans le conflit cambodgien.
Tous les observateurs considèrent en outre, au Cambodge comme ailleurs, qu'il ne saurait y avoir de coexistence pacifique, de construction solide d'une
démocratie digne de ce nom si l'exigence de vérité et le besoin de justice des ctimes ne sont pas, mASme imparfaitement, respectés.
L'œuvre de justice est l'auxiliaire et l'alliée de la paix. Elle en est également la condition. Lorsque la tentation de l'oubli prend le pas sur l'exigence de justice, les fondations d'une démocratie restent fragiles.
L'accord de paix, signé A Lomé le 7 juillet 1999, entre la guérilla sierra-léonaise et le gouvernement fait totalement l'impasse sur l'exigence de justice des ctimes. L'impunité a été consentie aux bourreaux, dont on sait, mASme s'il s'agit de crimes - oubliés -, qu'ils ont été responsables de crimes contre l'humanité. On peut considérer, en vertu des normes internationales communément admises, que cet accord de paix n'est et ne sera pas opposable aux ctimes dans la mesure où il n'a pas été entériné ni validé par une consultation transparente de la population.
Néanmoins, les bourreaux sierra-léonais pourraient un jour AStre interceptés en application des mécanismes de compétence universelle.
Les mécanismes dits de compétence universelle
En règle générale, le
droit international reconnait aux états les compétences territoriale (liée au territoire), personnelle (liée A la nationalité de la ctime) et de sauvegarde (liée aux cléments constitutifs de sa souveraineté).
La reconnaissance croissante, ces cinquante dernières années, de l'existence de valeurs communes a conduit A la mise en œuvre de mécanismes dits de compétence universelle. Le principe de compétence universelle est dérogatoire aux principes communément admis par les états. Il énonce que tout état peut et - dans certains cas doit -poursuivre les crimes commis par des étrangers A l'étranger, dès lors que ces crimes sont qualifiés de crimes internationaux, c'est-A -dire commis par des ennemis du genre humain ' hostis humani generis.
Rappelons que les premiers mécanismes dits de compétence universelle ont été dictés non pas aux fins d'assurer la poursuite des crimes dits internationaux mais dans le souci d'assurer la protection de certains des intérASts fondamentaux des états. Ainsi, la première infraction qui a donné lieu A la compétence universelle a été la piraterie en haute mer : il résultait, d'abord du droit international coutumier et ensuite du droit conventionnel fixé par la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, que tout état était autorisé A exercer sa compétence A l'égard d'actes commis par un pirate qui se trouverait sur son territoire '.
Il arrive, lorsque la préoccupation des états en ce qui concerne leur sécurité est extrASme, que soit décidée une compétence universelle obligatoire - c'est-A -dire qu'il ne s'agit pas uniquement d'une faculté consentie aux états, mais d'un devoir.
Le juge Gilbert Guillaume parle justement de compétence - obligatoire mais subsidiaire -, pour bien rappeler qu'elle n'est en réalité obligatoire qu'A défaut d'extradition. En effet, lorsqu'on parle de compétence universelle obligatoire, on se réfère en général au principe aut detere, autjudicare (soit extrader, soit juger).
A€ cet effet, deux types de traités peuvent AStre distingués : ceux par lesquels les états élissent directement cette compétence universelle et ceux par lesquels les états acceptent d'assumer une obligation d'élir la compétence universelle qui leur est reconnue.
Le premier cas apparait pour la première fois dans la convention du 16 décembre 1970 pour la répression et la capture illicite d'aéronefs dans son article 4, A§ 2 '.
Mais le droit international est allé plus loin. Lorsqu'il s'agit de olation grave du droit humanitaire, les Etats ont accepté d'assumer une - obligation d'exercer une compétence universelle -. Cette disposition existe dans les conventions de Genève de 1949, dont on peut rappeler les articles pertinents intégralement :
- Les hautes parties contractantes s'engagent A prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates A appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de commettre, l'une ou l'autre des infractions graves A la présente convention définies A l'article suivant.
Chaque partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer A ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement A une autre partie contractante intéressée A la poursuite, pour autant que cette partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes.
Chaque partie contractante prendra les mesures nécessaires pour faire cesser les actes contraires aux dispositions de la présente convention, autres que les infractions graves définies A l'article suivant. -
C'est un mécanisme similaire qui a été édicté par la Convention contre la torture et autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant adoptée A New York le 10 décembre 1984 en son article 6 qui dispose :
- 1. S'il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont il dispose, tout étal partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupA§onnée d'avoir commis une infraction sée A l'article 4 assure la détention de cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Celte détention et ces mesures doivent AStre conformes A la législation dudit état : elles ne peuvent AStre maintenues que pendant le délai nécessaire A l'engagement de poursuites pénales ou d'une procédure d'extradition.
2. Ledit état procède immédiatement A une enquASte préliminaire en vue d'élir les faits. -
Les rédacteurs de la convention précitée ont estimé que les pays signataires devaient poursuivre, parmi les personnes responsables, celles susceptibles d'AStre considérées comme des agents de la
fonction publique d'une part et, d'autre part, plus généralement, toute personne agissant A titre officiel ou A son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite.
L'étude des travaux préparatoires de la Convention du 10 décembre 1984 révèle que ces rédacteurs entendent ser, A travers l'expression - agent de la force publique -. toute personne ayant un pouvoir officiel quelconque de l'Etat, que ce pouvoir soit cil ou militaire, qui :
- consent A l'acte de torture ;
- aide toute autre personne A commettre un acte de torture ;
- en donne l'ordre ou interent A cette fin ;
- ne prend pas les mesures voulues pour prévenir ou réprimer la torture.
Il s'agit des deux seules conventions internationales qui ont édicté un mécanisme de compétence universelle, sauf A rappeler l'article IV de la Convention contre l'apartheid du 30 novembre 1973 aux termes duquel les états parties s'engagent :
-A€ prendre des mesures législatives, judiciaires et administratives pour poursuivre, faire juger et punir conformément A leur juridiction les personnes responsables ou accusées des actes définis A l'article II de la présente convention (c'est-A -dire les crimes d'apartheid), qu'elles résident ou non sur le territoire de l'état dans lequel ces actes ont été perpétrés et qu'il s'agisse de ressortissants de ces états ou d'un autre état ou de personnes apatrides. -
Notons que cette convention, si elle est en gueur, n'a jamais reA§u le moindre commencement d'application.
Paradoxalement, la convention du 6 décembre 1948 ne mentionne, en son article 6, que la compétence territoriale de l'Etat dans lequel les actes de génocide ont été commis, excluant la compétence universelle. S'agissant des crimes contre l'humanité, il n'existe pas non plus de mécanisme conventionnel de compétence universelle communément admis par la majorité des états; pas plus que ces derniers, pour la plupart, n'admettent de poursuivre les crimes contre l'humanité sur le seul fondement de la coutume internationale.
Cependant, on peut admettre que, progressivement, les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité puissent AStre soumis A la compétence universelle en vertu du droit coutumier international. Dans le mandat d'arrASt international délivré A Augusto Pinochet et ayant conduit A son arrestation A Londres, le juge Balthazar Garzon y fait expressément référence ' mASme s'il n'a pas été sui sur ce point par le juge anglais.
Cette analyse a été consacrée par la décision du Tribunal de District de Jérusalem dans l'affaire Eichmann1 -les juges ayant fait expressément référence A l'existence d'un droit international coutumier relatif aux crimes contre l'humanité.
On verra, dans le cadre de l'étude de la jurisprudence franA§aise en la matière, que cette dernière est sur ce point susceptible d'évoluer.
Les états et la compétence universelle
La très grande majorité des états ont ratifié les quatre conventions de Genève du 12 août 1949 et la convention du 10 décembre 1984 contre la torture. Pour autant, peu d'entre eux ont adapté leur législation nationale de faA§on A y incorporer l'obligation de participer A la lutte contre l'impunité. En outre, quelques-uns ont adopté des définitions internationales plus larges ou plus étroites que ces conventions, ce qui est et sera A l'origine de nombreuses difficultés.
On peut citer par exemple la loi belge du 16 juin 1993 relative A la répression des infractions graves au droit international humanitaire, qui transpose les conventions de Genève dans son droit interne. La loi belge a opéré une double extension en prévoyant d'une part une compétence universelle pour les actes non qualifiés d'infractions graves aux conventions et au protocole additionnel nA° 1, et d'autre part pour les infractions graves au protocole nA° 2.
En l'espèce, il y a extension unilatérale par un état de ses compétences au-delA de ce qu'il est autorisé A faire par la disposition conventionnelle pertinente.
C'est le juge belge qui, dans le mandat d'arrASt international d'extradition délivré A l'encontre du général Augusto Pinochet, a considéré que, s'agissant des crimes contre l'humanité, il existait -une règle coutumière du droit des gens, voire de jus cogens reconnaissant la compétence universelle et autorisant les autorités étatiques nationales A poursuivre et A traduire en justice en toutes circonstances les personnes soupA§onnées de crimes contre l'humanité1-.
De nombreux autres états, s'ils ont incorporé dans leur loi nationale les mécanismes de compétence universelle édictés par les conventions de Genève, l'ont fait alors mASme que ces conventions ne l'exigeaient pas et en rappelant que leur application était subordonnée A un critère de territorialité. En d'autres termes, ils ont été plus restrictifs que les conventions précitées en exigeant, pour AStre compétents, que soit dénoncée A tout le moins la présence de l'auteur présumé de crimes de guerre sur leur territoire, A l'exception de la justice belge.
D'aucuns craignent en effet que, le mieux étant l'ennemi du bien, une extension excessive du mécanisme de compétence universelle n'aboutisse A ce que n'importe quel juge puisse se déclarer compétent dès lors que sont dénoncés des crimes internationaux, sans autres critères que l'intervention d'une ctime, quelle que soit sa nationalité.
Or c'est très exactement ce qu'a fait le juge de Bruxelles qui s'est déclaré récemment compétent pour instruire sur la base d'une plainte déposée par des rescapés des crimes commis au Cambodge entre 1975 et 1979, alors que n'était mASme pas évoquée la présence de présumés criminels sur le territoire belge.
Le critère de territorialité nous semble relativement décisif et essentiel pour que puisse AStre ensagée une harmonisation A l'échelon de la ète des législations nationales et éter de donner des prétextes aux états pour continuer A se montrer récalcitrants.
Enfin, un Etat qui a ratifié une convention internationale comportant un mécanisme de compétence universelle et qui a incorporé celui-ci dans sa législation internationale a l'obligation de poursuivre mASme si, A la date A laquelle ont été commis les faits dénoncés, n'existait pas une incrimination correspondant exactement A ces faits.
L'obligation de poursuivre résulte de la ratification de la convention internationale et de son incorporation dans l'ordre interne.
C'est cette règle qu'a suie la justice franA§aise quand elle a condamné Paul Touer, Klaus Barbie et Maurice Papon pour crime contre l'humanité. Les condamnations ont été prononcées sur la base d'infractions criminelles (complicité de séquestration pour Maurice Papon, par exemple) et non sur la base d'incriminations spécifiques relatives au crime contre l'humanité - qui n'ont été incorporées dans le Code pénal qu'A compter du 1er mars 1994. Le juge franA§ais a fondé sa compétence pour poursuivre ces crimes contre l'humanité sur la charte du Tribunal de Nuremberg et l'accord de Londres du 8 août 1945.
En outre, quand on analyse le comportement des états depuis qu'ont été édictés les premiers mécanismes de compétence universelle - et notamment les articles pertinents des conventions du 12 août 1949 -, on découvre que, pour la plupart, ils répugnent A les incorporer dans leur législation et que, quand ils le font, ils restent très timorés dans leur application - lorsqu'il s'agit par exemple d'engager des poursuites, mASme lorsqu'un présumé criminel international se trouve sur leur territoire.
Dans l'immense majorité des cas, ces quinze dernières années, le déclenchement de poursuites A rencontre de présumés responsables de crimes internationaux, qu'il s'agisse de crime contre l'humanité, génocide, crime de guerre ou torture, a été initié par des ctimes ou par des organisations internationales de défense des droits de l'homme.
De plus, quand les autorités policières et judiciaires locales acceptent de déclencher des enquAStes, elles ne se donnent pas nécessairement les
moyens de recueillir les preuves ni de diligenter les commissions rogatoires internationales. Ainsi Goran G., alias Krkica Goran, accusé en 1992 par un juge helvétique de olation des lois et coutumes de guerre, a été acquitté par un tribunal militaire le 23 avril 1997 faute de preuves.
En Autriche, Dusko Cvjctkoc, un Bosno-Serbe, a été également acquitté le 31 mai 1995 du chef de génocide, en l'absence de preuves-
A€ l'inverse, il faut s'en réjouir, la justice helvétique a néanmoins montré qu'elle était capable de donner A un juge d'instruction les moyens de ses missions. Ainsi, après deux ans et demi d'instruction, Fulgence Niyonteze, ressortissant rwandais, a été condamné le 30 avril 1999 par le Tribunal militaire de Lausanne A la peine d'emprisonnement A e du chef d'assassinat et d'instigation A assassinat et crimes de guerre commis dans la commune de Mushubati au cours du génocide perpétré au Rwanda.Il ne suffit donc pas d'appliquer les textes, encore faut-il que les juges nationaux aient la compétence et les moyens nécessaires pour poursuivre efficacement leurs investigations, ce qui est loin d'AStre le cas.
Compétence universelle résultant des statuts des tribunaux ad hoc
L'article 29 du statut du TPY et l'article 28 du statut du TPR organisent la coopération de l'entraide judiciaire entre le Tribunal des états : - Les états collaborent avec le tribunal A la recherche et au jugement des personnes accusées d'avoir commis des olations graves du droit international. - Aucune restriction n'est mentionnée tendant A limiter la coopération aux nationaux accusés d'avoir commis ces crimes ou A des personnes se trouvant sur le territoire de l'état dont la coopération est réclamée.
La plupart des états européens ont adopté une législation nationale en conformité avec ces obligations, et ils l'ont fait en rappelant que cette obligation ne pouvait s'exercer que si le présumé auteur de crimes commis en ex-Yougoslae et/ou au Rwanda se trouvait sur leur territoire. Mais chaque pays a formulé ses règles A sa faA§on.
La France face aux mécanismes de compétence universelle
L'article 689-l pose le principe de l'obligation de création d'une compétence universelle éventuellement prévue par des conventions internationales, en l'enserrant dans deux limites tenant A sa nature et A ses conditions d'application. Il est en effet affirmé que la compétence universelle sera toujours d'utilisation facultative, et que cette faculté ne sera utilisée que lorsque le présumé coupable se trouve sur le territoire franA§ais ' ce qui correspond A la pratique quasi unanime des états. L'article 689-l énonce ainsi :
- En application des conventions internationales sées aux articles suivants, peut AStre poursuie et jugée par les juridictions franA§aises, si elle se trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable hors du territoire de la République de l'une des infractions énumé-rées par ces articles -
Les articles suivants énumèrent les différentes conventions qui font naitre ainsi une compétence universelle. Les différentes conventions sont les suivantes :
-article 689-2 : la Convention contre la torture de 1984 ;
- article 689-3 : la Convention européenne pour la répression du terrorisme de 1977.
Quant aux articles suivants, ils sont relatifs A des conventions spécifiques, notamment pour la répression de la capture illicite d'aéronefs et pour la répression des actes illicites contre la sécurité et la nagation maritimes.
On notera tout d'abord que les mécanismes de compétence universelle résultant des conventions de Genève du 12 août 1949 n'ont pas été incorporés dans le Code de procédure pénale franA§ais. Il serait des plus paradoxal que la France ratifie le statut de la CPI sans adapter simultanément sa législation nationale.
Les atermoiements de la justice franA§aise A l'examen des plaintes déposées depuis 1994 par des ctimes de crimes internationaux méritent qu'on y consacre un peu d'attention.
Le 20 juillet 1994, des ressortissants bosniaques qui avaient trouvé refuge en France ont déposé plainte avec constitution de partie cile sur le fondement de l'ensemble des textes pertinents relatifs aux crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide et torture.
Pour la première fois, un juge d'instruction franA§ais, Jean-Pierre Getti, suivant une ordonnance rendue le 6 mai 1994, s'est déclaré compétent sur le fondement de la convention de New York du 10 décembre 1984 et sur le fondement des conventions de Genève du 12 août 1949.
La Chambre d'accusation de Paris a infirmé totalement cette ordonnance par un arrASt du 24 novembre 1994, et ce en s'appuyant sur deux motifs. Elle a considéré d'une part que la convention de New York ne pouvait s'appliquer, faute pour les parties ciles de démontrer l'existence d'indices de la présence en France de criminels serbes ; elle a refusé ensuite d'appliquer les conventions de Genève, faute d'incorporation dans l'ordre public franA§ais.
Le 26 mars 1996, un arrASt laconique de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les plaignants. Cet arrASt a été commenté de faA§on très critique par la doctrine1.
Le mASme sort devait AStre fait A une plainte déposée ultérieurement par des réfugiés rwandais.
Une information ayant été ouverte simultanément pour génocide, crimes contre l'humanité et également sur le fondement des articles 689-l et 689-2 du Code de procédure pénale, l'abbé Wenceslas Munyeshyaka, prAStre mandais, était mis en examen et arrASté le 25 juillet 1995 par un juge d'instruction de Privas, sa présence sur le territoire franA§ais n'étant pas discule.
Par ordonnance rendue le 9 janer 1996, le juge d'instruction a décliné sa compétence pour instruire sur le fondement des crimes contre l'humanité et de génocide, ne se déclarant compétent que sur le seul fondement de la convention du 10 décembre 1984 (c'est-A -dire sur le fondement des articles 689 précités du Code de procédure pénale).
Sur pourvoi formé A rencontre de l'arrASt rendu par la Cour d'appel de Nimes le 20 mars 1996, qui mettait A néant l'ordonnance rendue par le juge d'instruction, la Cour de cassation permettait une relance de l'instruction, le 6 janer 1998, rappelant que c'était A bon droit que le juge d'instruction de Privas s'était déclaré compétent pour instruire du chef de tortures. Entre-temps, le 22 mai 1996, une loi aux fins d'incorporation dans la législation franA§aise du statut du Tribunal international pour le Rwanda avait été promulguée en France.
Ce mécanisme devait recevoir application, pour la deuxième fois, sur plainte déposée par la Fédération internationale des droits de l'homme et la Ligue des droits de l'homme A rencontre du capitaine Ely Ould Dah, ressortissant mauritanien.
Alors qu'il était en formation militaire A Montpellier, Ely Ould Dah a été mis en examen pour crimes de torture et incarcéré le 3 juillet 1999. Il a été mis en liberté le 18 septembre 1999 par la Chambre d'accusation de Montpellier. L'instruction se poursuit.
Par un arrASt rendu le 14 mars 2000, la Chambre d'accusation de Montpellier a refusé de faire droit A la requASte en nullité de procédure qui avait été présentée par le capitaine Ely Ould Dah. Il a quitté clandestinement la France au début du mois d'avril 2000, olant ainsi le contrôle judiciaire qui lui faisait obligation de rester sur le territoire franA§ais. Sauf nouvelle arrestation, il sera jugé par défaut.
La compétence des juridictions franA§aises dépend également de de la mise en conformité de sa législation avec ses obligations résultant de la constitution des deux tribunaux ad hoc
La loi du 2 janer 1995 (Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslae) et celle du 22 mai 1996 (Tribunal pénal international pour le Rwanda) ont assuré cette mise en conformité. L'article 2 commun A ces deux lois entérine le mécanisme de compétence universelle dans les termes suivants :
- Les auteurs ou complices des infractions mentionnées A l'article Ier peuvent AStre poursuis et jugés par les juridictions franA§aises (L. nA° 96-432 du 22 mai 1996) "en application de la loi franA§aise" s'ils sont trouvés en France. Ces dispositions sont applicables A la tentative de ces infractions, chaque fois que celle-ci est punissable.
Toute personne qui se prétend lésée par l'une de ces infractions peut, en portant plainte, se constituer partie cile dans les conditions prévues par les articles 85 et suivants du Code de procédure pénale, dès lors que les juridictions franA§aises sont compétentes en application des dispositions de l'alinéa précédent. Le Tribunal international est informé de toute procédure en cours portant sur des faits qui pourraient relever de sa compétence. -
La circulaire d'application prise par le garde des Sceaux, en application de la loi d'adaptation au Tribunal international sur la Yougoslae, donne une interprétation de ces articles. Ainsi est-il rappelé (p. 3) :
- L'article 2 du chapitre 1er du titre 1er de la loi pose le principe de la compétence universelle des juridictions franA§aises pour les infractions mentionnées A l'article 1er dès lors que l'auteur ou le complice de ces faits est trouvé sur le territoire franA§ais.
La reconnaissance de cette compétence universelle qui n'était pas exigée par la résolution du Conseil de sécurité constitue une importante innovation; elle marque la volonté de la France de collaborer aussi efficacement que possible A la répression de ces crimes. Elle permet ainsi l'application de la loi franA§aise A rencontre de tout criminel de guerre qui tenterait de se réfugier sur notre territoire, mASme dans l'hypothèse où celui-ci ne serait pas encore recherché par le Tribunal international. -
Dans le prolongement des débats qui se sont tenus A l'Assemblée nationale, le garde des Sceaux a précisé A nouveau que l'impossibilité de mettre en mouvement l'action publique contre les personnes ne se trouvant pas sur le territoire franA§ais n'empASchait nullement les parquets de faire procéder, A titre conservatoire et au cours d'une enquASte préliminaire, A l'audition des personnes ctimes de ces crimes et qui seraient réfugiées en France.
Aucune audition A titre conservatoire n'a été effectuée A l'initiative du Parquet, en dépit des plaintes évoquées ci-dessus.
Par contre, très récemment et pour la première fois, ont été arrAStés en France, en exécution de mandats d'arrASt délivrés par le TPR, deux ressortissants rwandais : M. Jean de Dieu Kamuhanda arrASté le 26 novembre 1999 qui a été rapidement livré au TPR, puis M. FranA§ois Xaer Nzuwonemeye arrASté en France le 18 février 2000 qui devrait connaitre vraisemblablement le mASme sort. A€ rencontre de l'un et l'autre sont reprochés des crimes de génocide et crimes contre l'humanité.
La compétence du juge franA§ais en fonction de la nationalité de la ctime
Les ctimes peuvent porter plainte en se fondant sur le principe de la compétence personnelle passive édictée par l'article 113-7 du Code pénal qui prévoit que -la loi pénale franA§aise est applicable A tout crime ainsi qu'A tout délit puni d'emprisonnement commis par un FranA§ais ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la ctime est de nationalité franA§aise au moment de l'infraction -. Par cet article, l'état reconnait son obligation de protéger ses nationaux lorsqu'ils sont ctimes sur un territoire étranger d'une infraction commise par un étranger.
C'est notamment sur ce fondement, et sur ce fondement seulement, que le procureur de la République de Paris a ouvert deux informations du chef de séquestration suie de torture, incrimination correspondant aux crimes de disparition, après qu'ont été déposées, courant 1999, deux plaintes, en Argentine et au Chili, élies au bénéfice de ctimes franco-chiliennes (octobre 1999), d'une part, et de familles franco-argentines (juillet 1999), d'autre part. Les ayants droit des personnes disparues ou assassinées avaient en vain soutenu que le juge franA§ais devait AStre compétent pour informer sur le fondement des crimes contre l'humanité.
Sur réquisition conforme du parquet, le juge d'instruction, M. Le Loire, a rendu deux ordonnances de refus d'informer de ce chef (pour les ctimes franco-chiliennes le 10 décembre 1998, pour les ctimes franco-argentines le 2 décembre 1998) dont on peut extraire les principales motivations :
-Que, en effet, l'article 211-l réprime le crime de génocide, l'article 212-l "les autres crimes contre l'humanité", tels les pratiques massives et systématiques d'exécutions sommaires, les enlèvements de personnes suies de leur disparition, la torture ou les actes inhumains inspirés par des motifs politiques [] et organisés en exécutions d'un concerté A rencontre d'un groupe de la population,
Mais que ces dispositions ne sont toutefois entrées en gueur que le 1er mars 1994,
Qu'antérieurement A cette date, les juridictions pénales franA§aises n'ont connu de poursuites du chef de crimes contre l'humanité que pour des faits perpétrés sur le territoire franA§ais au cours de la Seconde Guerre mondiale. Que cette compétence se fondait sur la charte du Tribunal militaire international de Nuremberg annexée A l'accord de Londres du 8 août 1945 ainsi que de la résolution des Nations unies du 13 février 1946, Que ces instruments internationaux ne sauraient AStre invoqués ici. Ils ne sont, en effet, applicables qu'aux crimes contre l'humanité, perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Qu'A cet égard, il conent de se rapporter A un arrASt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 1er avril 1993.-
Il faut souhaiter que la Cour de cassation, qui sera saisie un jour, conformément A l'évolution spectaculaire qu'a connue le droit international, infirmera sa jurisprudence antérieure et reconnaitra que le droit international coutu-mier relatif aux crimes contre l'humanité rend possible en droit franA§ais la poursuite de tels crimes commis avant l'entrée en gueur du nouveau Code pénal.
Cette évolution, très attendue, en appelle bien d'autres.
La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), dans un as rendu le 16 février 1998. prône une solution qui a le mérite d'englober en une seule loi toutes les réformes nécessaires. Elle - recommande que soit volée une loi aux fins d'incorporation dans le droit pénal franA§ais, des dispositions pertinentes des conventions de Genève, ainsi que de leurs deux Protocoles additionnels et des textes de DIH qui lient notre pays - afin d'assurer sans ambiguïtés la compétence universelle des juridictions répressives.
Par ce mASme as, la Commission consultative a également recommandé au garde des Sceaux que soit prévue une circulaire précisant que les plaignants, quand ils sollicitent la mise en mouvement de l'action publique sur le fondement de mécanismes de compétence universelle, ne soient pas formellement contraints d'apporter la preuve de la présence sur le territoire franA§ais des auteurs présumés des infractions qu'ils dénoncent.
Une telle circulaire n'a toujours pas été ensagée, elle est pourtant indispensable sauf A faire peser sur les plaignants la charge de l'enquASte qu'ils n'ont ni les moyens ni l'obligation d'assumer.
On constate ainsi que les juridictions nationales, mASme si elles se sont souvent montrées frileuses et n'ont pas accepté sans hésitation le primat du droit international, ont su progressivement adapter leur jurisprudence. On peut édemment déplorer les lacunes, le manque de moyens donnés aux magistrats pour accomplir leurs taches. Ces difficultés montrent également que la répression des crimes internationaux qui est fondée sur des principes de morale universelle est aussi celle qui bouscule le plus la raison d'état, tant elle est susceptible de révéler des zones d'ombre.
De ce que sera demain l'attitude des juridictions nationales dépendra clairement réflectité de la future Cour pénale internationale.