Pour comprendre A quoi sert le projet de Constitution pour l'Europe, il serait erroné de s'en tenir A ce qui change. La aison entre le projet et les traités de Rome et de Maastricht fait ressortir qu'il y a beaucoup plus de continuité que de changement. Le projet a en effet pour objet premier de consolider ce qui était d'ores et déjA acquis entre les quinze états membres, et A quoi les dix candidats qui adhéreront en 2004 ont accepté de souscrire. Quatre points essentiels font que la Constitution pour l'Europe se distingue de manière radicale de la Constitution d'un état.
Confédération contre fédération
Le titre exact du texte définitivement adopté par la Convention est - Projet de traité élissant une Constitution pour l'Europe -.
La Convention s'en est tenue A son mandat : faire des propositions A la CIG, qui a seule le pouvoir formel de réser les traités de Rome et de Maastricht. Il s'agit donc d'un projet d'accord entre états, les états qui seront membres de l'Union et des Communautés européennes au moment de sa signature, et non de la Constitution d'un ensemble de nature étatique.
LA où le préambule du texte américain de 1787 déclare : - Nous, peuple des étals-Unis [] ordonnons et élissons la présente Constitution pour les états-Unis d'Amérique -, le préambule du projet européen de 2003 reste rédigé au nom de représentants des état membres. La Convention de Philadelphie, convoquée pour réser les Articles de Confédération de 1777 (le traité qui hait entre elles les treize anciennes colonies), proposa une Constitution qui élissait un gouvernement de type fédéral. Depuis lors, la distinction formelle entre confédération et fédération tient selon les juristes A ce qu'une confédération repose sur un traité entre états souverains, alors qu'une fédération est fondée par une Constitution, élie par un pouvoir constituant (le peuple en général, le monarque dans le cas des Constitutions octroyées comme par exemple les Chartes franA§aises de 1814 et 1830). La nature de traité du projet de Constitution pour l'Europe a deux conséquences importantes des points de vue juridique et pratique.
Les traités de Rome ont éli entre les états membres des Communautés un ordre juridique particulier, dont leurs ressortissants peuvent se prévaloir devant les tribunaux nationaux et communautaires. D n'empASche que les traités, y compris le projet élissant une Constitution pour l'Europe, restent régis en dernière analyse par le
droit international public, plus exactement les principes et règles relatifs aux traités internationaux.
En 2003, après un demi-siècle d'intégration européenne, bon nombre de textes constitutionnels d'étals membres ne se réfèrent pas A l'Union européenne, ou alors de faA§on très indirecte. C'est le cas pour la majorité des états fondateurs des Communautés dans les années 1950. La conséquence en est que les
dispositions constitutionnelles relatives aux traités internationaux s'appliquent aux traités élissant les Communautés et l'Union, mASme s'il y a un certain nombre de particularités supplémentaires prévues pour leur adoption, comme c'est le cas dans la Constitution allemande depuis 1992 (art. 23).
L'Union européenne, el non les états-Unis d'Europe
La aison entre l'Union européenne et les états-Unis d'Amérique est A la fois inéle et révélatrice, et ce n'est pas par hasard que le terme - états-Unis d'Europe - n'est plus vraiment A la mode chez les partisans de l'intégration, contrairement A l'époque de Jean Monnet. Les états-Unis d'Amérique sont un état souverain, faisant partie de la communauté internationale, composé d'états ayant certes leurs propres institutions et Constitutions, mais qui ne sont pas quant A eux souverains. Les rapports entre états n'y ont rien A voir avec les relations internationales, ni en théorie ni en pratique. Qui plus est, depuis la guerre de Sécession, il est clair que l'Union est indisible et qu'un état ne peut pas en sortir.
Dans le cadre des Communautés el de l'Union européenne, les états continuent A maintenir entre eux des relations internationales de type tout A fait classique : chaque état membre a des représentations diplomatiques et consulaires dans tous les autres états membres, dont le personnel jouit des prilèges et immunités reconnus par le droit international.
Quant aux citoyens de l'Union, ils bénéficient certes d'un grand nombre de droits qui leur sont garantis par les traités institutifs et A l'avenir par la Constitution, mais ils continuent A AStre d'abord et avant tout des citoyens de leur propre état, qui peut prendre fait et cause pour eux par le mécanisme classique de la - protection diplomatique -. MASme s'ils sont des résidents prilégiés par rapport aux ressortissants d'états tiers - extracommunautaires -, les citoyens de l'Union non nationaux restent soumis A la législation relative aux étrangers, par exemple A l'obligation de disposer d'une sectiune de séjour, etc. Le projet de Constitution ne change rien A cela.
Le projet de Constitution clarifie en particulier un point qui était depuis longtemps débattu entre les juristes : la possibilité ou non de sortir de l'Union. Il affirme clairement le droit de sécession dans l'art. 59. qui fixe la procédure du retrait volontaire de l'Union.
La méthode communautaire
Une fois entrée en gueur la Constitution pour l'Europe, la Communauté européenne cessera d'exister, puisqu'elle sera fondue dans l'Union. Mais l'Union continuera A appliquer la méthode communautaire, comme il ressort explicitement du premier article du projet :
- 1. Inspirée par la volonté des citoyens et des états d'Europe de batir leur avenir commun, cette Constitution élit l'Union européenne, A laquelle les états membres confèrent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs. L'Union coordonne les politiques des étals membres sant A atteindre ces objectifs et exerce sur le mode communautaire les compétences qu'ils lui transfèrent - (soulignépar l'auteur).
La teneur de ce paragraphe était clairement élie dès les premières réunions plénières où la Convention a commencé A débattre du projet de traité constitutionnel. Valéry Giscard d'Eslaing n'a eu de cesse de répéter que d'une part l'Union continuerait de coordonner ' comme prévu depuis le traité de Maastricht ' les politiques dans les domaines où les compétences ne lui étaient pas transférées par les Etats membres, c'est-A -dire essentiellement en matière de PESC, et que d'autre part elle exercerait les compétences transférées - sur le mode fédéral -, c'est-A -dire par des institutions communes (Parlement, Commission, Conseil).
Cependant, les tentatives pour introduire le terme fédéral dans les traités institutifs se sont toujours heurtées A l'opposition ouverte du gouvernement britannique. DéjA en 1991, John Major avait refusé l'inscription dans le traité de la - vocation fédérale - proposée conjointement par Helmut Kohi et FranA§ois Mitterrand, parce qu'elle impliquait A ses yeux une évolution de l'Union européenne vers une forme d'état. La formule de 2002 selon laquelle les compétences sont exercées - sur le mode fédéral - était déjA en soi un compromis ; cela ne suffit pas. Lors d'une site au Premier ministre britannique Tony Blair, le président de la Convention accepta de rayer le terme fédéral du projet de texte. C'est la raison pour laquelle le texte mentionne le - mode communautaire -.
Pour autant que la demande britannique ait été réellement l'expression d'une volonté de marquer les limites du processus d'intégration européenne, il s'agit vraisemblablement d'une ctoire A la Pyrrhus. En effet, alors que l'on n'a jamais su ce que pourrait vérilement signifier le terme fédéral dans le cadre de l'intégration européenne, la méthode communautaire est bien identifiée depuis son invention par Jean Monnet et ses collaborateurs en 1951. Elle repose sur deux éléments essentiels.
» Les pouvoirs de la Commission européenne. ' La méthode communautaire repose notamment sur l'invention d'une institution qui n'a pas son pareil, ni dans les états ni dans les
organisations internationales : la Commission européenne. La Commission est un organe indépendant chargé de dégager l'intérASt général européen, A travers une participation originale aux trois fonctions classiques de l'état :
' elle participe A la fonction législative de faA§on déterminante, puisqu'elle a le monopole de l'initiative pour la législation et la réglementation européennes ' A de très rares exceptions près ;
' elle participe A la fonction executive en appliquant directement un certain nombre de politiques communes ' c'est particulièrement clair dans le cas des règles de concurrence, où elle dispose d'un pouvoir de décision propre, et dans les cas où elle gère le budget communautaire, en particulier la
politique agricole commune, les fonds structurels, la politique de la recherche ou la politique d'aide au développement ;
' elle participe A la fonction judiciaire en disposant du pouvoir d'engager des poursuites devant
la Cour de justice contre les états membres qui ne respectent pas leurs obligations ' d'une manière qui la fait ressembler A un procureur.
L'on peut certes adresser bien des reproches A la Commission européenne et A ses serces, reproches qui ne sont pas différents par essence des critiques que l'on peut adresser aux gouvernements et administrations des états. Il n'en est pas moins clair que c'est l'existence de ces trois pouvoirs aux mains de la Commission qui a assuré l'efficacité de la méthode communautaire lA où les méthodes de coopération intergouvernementale ne permettaient pas de résoudre les problèmes.
Le rôle de procureur est peut-AStre le plus mal connu du public, en mASme temps que le plus fondamental. L'expérience montre en effet que l'on ne doit pas compter sur les états membres pour déposer des recours les uns contre les autres devant la Cour de justice, car ils ont tous des manquements A se reprocher et ils craindraient de s'engager dans un cycle de représailles. Quant aux recours des particuliers, ils sont parfois très efficaces, mais ils sont aléatoires et ne suffisent certainement pas A impressionner un gouvernement récalcitrant.
Le projet de la Convention garde intacts les pouvoirs de la Commission et le système très original de séparation des pouvoirs qu'il met en place. Le maintien du monopole d'initiative ' A l'exception de certains domaines qui échappaient auparavant A la Communauté ' permet A la Commission de garder son pouvoir de retirer une proposition. Elle est ainsi en mesure d'empAScher l'adoption d'une législation ou d'une réglementation trop marquée par les marchandages intergouvernementaux, et qui irait de ce fait A rencontre de l'intérASt européen.
Beaucoup de spécialistes considèrent A juste titre que certaines politiques gérées par la Commission sont mal conA§ues, qu'elles ne sont plus adaptées A un enronnement qui a changé ou qu'elles sont gérées de faA§on inefficace : la Constitution ne donne pas d'orientation sur la teneur des politiques, car ce n'est pas le rôle d'une Constitution. Dans la continuité du traité de Rome, le projet ne fait qu'élir des litres de compétences, comme disent les juristes : il précise dans quels domaines et selon quelles procédures les institutions de l'Union peuvent agir, mais il ne lui dicte pas sa politique et encore moins la faA§on de l'appliquer.
» L'approche fonctionnaliste de l'intégration européenne. ' Depuis la Déclaration Schuman de 1951, la méthode communautaire est également caractérisée par une approche fonctionnaliste. Les termes d'approche fonctionnaliste et néofonctionnaliste, utilisés essentiellement en science politique, ne font que théoriser une méthode pragmatique développée par Jean Monnet sur la base de l'expérience qu'il avait acquise d'abord dans la gestion de la logistique interalliée pendant les deux guerres mondiales, puis dans la mise au point et l'application du Marshall pour la reconstruction de l'Europe. Elle tient en une phrase célèbre de la Déclaration Schuman, due A la plume de Monnet et de ses collaborateurs : - L'Europe ne se fera pas d'un coup et dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. -
La littérature spécialisée sur l'intégration européenne n'a pas fini de débattre de la réalité et des limites, des vertus et des défauts de cette approche pragmatique. Le point essentiel, et souvent oublié. est que la méthode communautaire refuse d'élir une fois pour toutes quelles sont les institutions et les pouvoirs exercés en commun.
Lorsque la Convention a ouvert ses travaux, des pressions importantes s'exerA§aient pour qu'elle mette fin A cette ouverture du processus communautaire. Ces pressions ne venaient pas seulement de milieux hostiles A l'intégration européenne, mais aussi d'institutions comme celles des Lander allemands, qui rendaient l'Europe responsable de ce qu'elles percevaient comme une perte de leurs pouvoirs, ou encore d'experts de tous horizons qui constataient l'inefficacité d'un certain nombre de politiques communautaires.
Finalement la Convention résista A ces pressions. La Constitution consacre le maintien de l'aspect ouvert de l'approche fonctionna-liste par la combinaison de deux dispositions : l'art. 3 qui précise les objectifs de l'Union, et la clause de flexibilité de l'art. 17. Ce dernier
marque la continuité avec le traité de Rome, dont il reprend l'art. 308 (ex-235) tout en le précisant et en adaptant la procédure aux pouvoirs renforcés du Parlement européen.
La Constitution économique de I'Europe
Le traite de Rome avait dès 1957 une caractéristique très particulière, et qui le distinguait des Constitutions de ses états membres, alors mASme que les textes adoptés en 1946 par la France, en 1947 par l'Italie et en 1949 par l'Allemagne tentaient de consacrer les objectifs économiques et sociaux caractéristiques de l'après-guerre en Europe de l'Ouest.
Le traité élissant la CEE a essayé ' avec succès ' de fixer en termes juridiques les principes et les règles de fonctionnement d'une économie de marché, caractérisée par le libre jeu de l'offre et de la demande, la liberté de circulation des produits et serces, ainsi que des facteurs de production (travail et capital) et la fixation claire de règles de concurrence. Les vertus du
marché étaient exaltées pour deux raisons : les auteurs du traité pensaient que c'était le meilleur mécanisme (ou le moins mauvais) pour assurer la prospérité, et ils étaient convaincus que les sectiunels, dus au manque d'un système solide de concurrence, avaient contribué au renforcement des dictatures et plus encore au réarmement de l'Allemagne, et donc aux horreurs de la guerre.
Le traité CEE mettait en place une économie de marché A l'échelle européenne, en consacrant les quatre - libertés - de circulation (marchandises, serces, travailleurs, capitaux) et en élissant des règles de concurrence, mais en laissant les états membres libres de leurs choix structurels en matière d'état-prodence : - Le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les états membres - (art. 295. ex-222, repris par le projet de Constitution, art. III-331).
La situation économique et les conceptions relatives A l'état-prodence ont considérablement changé en cinquante ans. Le projet de Constitution essaie néanmoins de synthétiser l'acquis du traité de Rome, les conceptions spécifiquement européennes de l'économie de marché liée A la solidarité sociale ainsi que les traditions et les inquiétudes de certains états membres. Il le fait au moyen de trois séries de dispositions.
La rédaction de l'art. 3 (Objectifs), constamment peaufinée, réaffirme plusieurs points essentiels : - L'Union offre A ses citoyennes et A ses citoyens [] un marché unique où la
concurrence est libre et non faussée. - - L'Union ouvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social [].-- Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les états membres - (soulignépar l'auteur).
L'art. 4 Libertés fondamentales et non-discrimination réaffirme les fondements de la CEE : libre circulation et interdiction des discriminations en raison de la nationalité.
Enfin les droits sociaux consacrés par la Charte urent aux arts. 11-27 A 11-38. Ils devraient aider A trouver un équilibre entre les règles du marché et les objectifs de solidarité, dans la législation et les politiques de l'Union. De plus, ils pourront serr A atténuer les effets d'une application simpliste des principes de concurrence dans la jurisprudence de la Cour. Cela permettra aux états membres de préserver leurs systèmes particuliers d'état-prodence, pour autant qu'ils ne causent pas de distorsions A caractère discriminatoire entre les différents pays de l'Union.