EXERCICE
DISSERTATION (Plan détaillé)
Sujet :
Etude critique du rôle de la notion de faute dans la responsabilité administrati.
Plan détaillé
' Montrer quelle est, aujourd'hui, la place de la notion de faute et comment elle intervient comme fondement de la responsabilité parallèlement A la notion de risque.
' Pourquoi cette place importante est-elle encore accordée A cette notion ?
Montrer que la responsabilité administrati est une institution juridique jeune.
Dans un système juridique fondé sur l'idée de souraineté, ce qui fut le cas aussi bien A la fin de l'Ancien Régime que durant la période révolutionnaire, la responsabilité ne saurait AStre que fondée sur la faute. On n'admet pas que le sourain puisse en commettre, la faute ne pouvant apparaitre que lors de l'exécution. Signalons qu'en Angleterre subsiste, au moins sur un théorique, l'adage : - king can do no wrong - (le roi ne peut commettre de faute).
' Pourquoi un déclin de l'importance accordée A la notion de faute ?
On peut avancer :
' L'affaiblissement de la notion de souraineté durant la première moitié du XIX1 siècle.
' Le caractère illusoire de la responsabilité des seuls fonctionnaires.
' L'insuffisance théorique de la seule notion de faute comme fondement de la responsabilité administrati. En droit privé, ce fondement s'explique par l'origine pénale de la responsabilité civile et par des considérations d'ordre moral Néanmoins mASme en droit privé, il se révèle parfois insuffisant et l'on voit apparaitre le risque de sacrifier la victime En
droit public, une modification du fondement de la responsabilité a semblé encore plus nécessaire. Pourtant le Conseil d'Etat n'a pas tiré de cette idée toutes les conséquences logiques. Et lorsqu'il a admis de plus en plus largement que soit engagée la responsabilité de l'Administration, il s'est fondé, certes, sur la notion de risque et d'égalité devant les charges publiques, mais aussi très fréquemment sur la notion de faute.
' Cependant, mASme si la notion de faute régressait, en tant que fondement de la responsabilité administrati, ceci ne lui enlèrait pas tout intérASt. Elle interviendrait dans un deuxième temps, au niau de la recherche de la répartition définiti des responsabilités.
La notion de faute ne peut servir de fondement A la responsabilité administrati. Ce sera la première partie.
La notion de faute doit servir A exonérer la collectivité publique de sa responsabilité. Ce sera la deuxième partie.
I ' LA NOTION DE FAUTE NE PEUT SERVIR SEULE DE FONDEMENT A€ LA RESPONSABILITé ADMINISTRATIVE.
' La faute ne peut AStre commise par l'Administration, c'est-A -dire que mASme si on l'avait voulu, la responsabilité administrati ne peut, A proprement parler, reposer sur la faute.
' En réalité, lorsqu'on dit que la responsabilité administrati repose sur la faute, on fait supporter A la collectivité publique une obligation de garantie des fautes d'autrui.
' Or cette obligation de garantie : est difficile A envisager,
ne répond pas A la nature des choses.
1er Une obligation de garantie difficile A envisager.
' Une question matérielle se pose : la collectivité administrati peut-elle assurer une garantie de toutes les fautes commises par les agents publics ?
On connait la solution : elle a consisté a élir
une distinction entre faute personnelle et faute
de service.
Rappel de cette distinction et de l'évolution de la
jurisprudence.
' Or cette distinction est difficile A élir et serait parfois scandaleuse pour la victime.
Donner des exemples de distinctions difficiles entre faute personnelle et faute de service ou faute non dépourvue de tout lien ac le service. Montrer qu'A la limite, dans certains cas très gras, la faute devrait AStre considérée comme personnelle, ce qui nuirait A la victime Aussi le juge a-t-il tendance A chercher un lien mASme illusoire ac le service-Mais, dans ce cas, cet appel A la notion de faute correspond-il A la nature des choses ?
2e Une obligation de garantie qui ne correspond pas A la nature des choses.
' Rappel de la conception du droit privé : Fonder la responsabilité sur la faute a un fondement logique. En effet, lorsqu'un préjudice survient, il n'y a pas de raison a priori pour le mettre A la charge de l'une des parties, plutôt que de l'autre On le met A la charge de la partie qui a commis une faute.
Rappel des exceptions A ce principe : existence d'un contrat d'assurance, risque créé, risque contrepartie du profit
' Rappel de la conception du
droit administratif : Le problème est tout autre : lorsqu'un préjudice a été causé, il est avant tout question de savoir si celui-ci se relie ou non au fonctionnement d'un service public.
Si c'est le cas, on doit répondre A une seconde question : faut-il, dans ce cas, mettre le préjudice A la charge de celui qui l'a subi ? Un principe fondamental s'y oppose : celui de l'égalité des administrés devant les charges publiques
D'où, en dehors de tout texte, le déloppement de la notion de responsabilité fondée sur le risque. Rappel du déloppement de cette notion et de ses principaux domaines d'application
Toutefois, cette évolution est encore loin d'avoir été poussée jusqu'A son terme logique ; rappel des obstacles accumulés par le Conseil d'Etat (nécessité d'un préjudice gra, spécial).
' Une seule objection A cette évolution logique ; si elle était beaucoup plus poussée : ne se heurterait-on pas A une conséquence possible, la théorie du risque n'aboutirait-elle pas A la disparition du sens des responsabilités ? Non, car la notion de faute peut internir, sur un tout autre , pour conserr le sens des responsabilités.
II. ' La notion de faute peut servir A exonérer la col-
LECTIVITé ADMINISTRATIVE DE SA RESPONSABILITé.
Cela de deux manières
' Soit en permettant A l'Administration qui a indemnisé la victime de se retourner contre le fonctionnaire fautif : dans ce cas, la faute du fonctionnaire est le fondement de l'action récursoire.
' Soit en permettant A l'administration de faire ésectiuner sa responsabilité en cas de faute de la victime.
1er La faute du fonctionnaire, fondement de l'action ré-cursoire.
' Rappel de l'origine et du déloppement de cette jurisprudence
' Les cas dans lesquels elle joue (donner des exemples : utilisation d'armes dangereuses par les personnels de police, collaborateurs bénévoles de l'Administration).
' Montrer quelles sont les fautes qui sont susceptibles d'AStre retenues dans le cadre d'une action ré-cursoire : on voit réapparaitre une distinction faute personnelle, faute de service. Mais les difficultés dans l'élissement d'une ligne de démarcation sont désormais sans inconvénients pour la victime qui a déjA été indemnisée par l'Administration.
' Quelle est la nature de cette faute personnelle par rapport A la faute du droit privé ? (CE. 2 mars 1957 :Jean-nier): il s'agirait plutôt de la faute disciplinaire commise vis-A -vis de l'administration.
' Quelles sont les limites de cette jurisprudence ? Son danger résultant de ce qu'elle risque d'AStre trop
automatique et trop sévère pour certains (cf. les conclusions de M. Kahn dans l'affaire Jeannier).
2e La faute de la victime, cause exonératoire de portée générale.
' Rappel de l'utilisation de cette faute dans la jurisprudence.
' Montrer qu'elle joue dans tous les cas où elle existe, que la responsabilité ait été fondée sur la base du risque ou de la faute.
' Montrer, par des exemples, la rigueur ac laquelle le Conseil d'Etat l'apprécie en exonérant totalement ou partiellement l'Administration de sa responsabilité
La notion de faute n'est donc pas écartée lorsque la jurisprudence fonde la responsabilité administrati sur le risque. Ce dernier fondement est plus logique en la matière car il découle du principe d'égalité entre les administrés.
N.B. ' On relira le sujet proposé :
- Etude critique du rôle de la notion de faute dans la responsabilité administrati -. Ceci supposait nécessairement que l'on ne traite pas du rôle de la notion de faute, mais que l'on déloppe des idées personnelles. L'intérASt d'une telle dissertation est de prour que l'on a suffisamment assimilé le droit positif pour AStre capable de le critiquer.
EXERCICE
CAS PRATIQUE
Le lundi 1" mai A 1 heure du matin, un camion conduit par M. Lecocq, éleur, roulant A vi allure, dérapa sur une plaque de sable déposée sur la route, la ille, par les services municipaux. Le camion s'écrasa dans le fossé. M. Lecocq fut grièment blessé et le taureau qui se trouvait dans le camion put s'échapper. Alerté par un automobiliste de passage, l'agent de police de garde de la petite commune voisine arriva sur les lieux et se lanA§a A la poursuite du taureau.
L'agent Léillé, visiblement ivre, tira sur un ane appartenant A M. Laplume, cultivateur. Il avait pris cet animal pour le taureau. Ce dernier ne fut, finalement, rattrapé que 3 km plus loin, par M. Tartarin, ancien garde-champAStre, qui s'était courageusement lancé A la poursuite et A qui la capture coûta la vie.
Saisi le 10 mai par MM. Lecocq, Laplume et les ayants droit de M. Tartarin, le maire répondit le 20 du mASme mois que la responsabilité de la commune ne saurait AStre engagée.
a) M. Lecocq est entièrement responsable de l'accident. Il roulait trop vite et la plaque de sable était signalée (l'enquASte devait révéler que le panneau de signalisation, non lumineux, se trouvait légèrement en retrait de la route, A moitié caché par des ronces).
b) M. Laplume peut tout au plus demander remboursement de son ane A l'agent Léillé, seul responsable de la mort de l'animal. De toute faA§on, il s'agit d'une opération de police judiciaire.
c) Quant aux ayants droit de M. Tartarin, ses fonctions de garde-champAStre ayant pris fin, ils ne pouvaient malheureusement rien obtenir de la commune, sinon une indemnité gracieuse que le maire s'efforcerait de faire voter par le Conseil municipal.
Les victimes vous demandent :
1er De quels recours juridictionnels elles disposent ?
2e Quels arguments juridiques elles peunt invoquer A l'appui de leurs requAStes ?
3e M. Laplume vous demande spécialement si l'agent Léillé peut supporter, d'une faA§on ou d'une autre, une partie du préjudice ?
A' Quant aux ayants droit de M. Tartarin, ils vous demandent s'ils ont droit A une indemnité et de quel type?
Corrigé
Introduction.
Rappel des faits (étant donné que ceux-ci sont exposés clairement et brièment dans le deuxième paragraphe de l'énoncé du cas pratique, il est possible de les reprendre sans les modifier sensiblement).
Les victimes désirent engager les actions juridictionnelles possibles. Dans un souci de clarté, on reprendra successiment le cas de chacune d'entre elles en examinant, d'une part, les recours dont elles disposent et les arguments juridiques qu'elles peunt invoquer et en répondant, d'autre part, aux questions particulières posées par certaines.
1er Examen de la situation de M. Lecocq.
M. Lecocq peut se plaindre de la présence sur la route d'une plaque de sable déposée par les services municipaux. Cette plaque semble AStre A l'origine de l'accident et il sera probablement facile, pour la victime, de prour un lien direct de cause A effet entre ce fait et l'accident.
Juridiquement, le problème se pose de la faA§on suivante. Les services municipaux ont certainement la possibilité de déposer du sable sur la route si cela est nécessaire A son entretien (ce que l'on peut légitimement supposer ici). Mais ils ont également le devoir d'informer les usagers de cet élément anormal. Or, ici, il ressort de l'enquASte que le panneau de signalisation, non lumineux, était placé en retrait de la route et A demi caché par les ronces.
On pourrait dès lors penser intenter un recours devant le tribunal administratif du lieu où s'est produit l'accident. Le fondement en serait la faute dont les services municipaux se sont rendus coupables en élissant une signalisation insuffisante. Dans la mesure où l'activité incriminée des services de police est une activité de réglementation et de signalisation, leur responsabilité est engagée dès qu'il existe une faute simple.
Mais, en l'espèce, le dommage se rattache A la notion de
travail public. Or cette responsabilité spéciale absorbe la responsabilité pour faute de service du
droit commun, alors mASme que la mauvaise exécution, l'inexécution ou le mauvais fonctionnement du travail public proviendraient d'une faute de service individualisée.
Dès lors, s'agissant du dommage accidentel surnu A un usager de l'ouvrage public, la route en l'occurrence, la théorie du risque ne joue pas en principe. Mais, il existe, A l'encontre de l'administration une présomption de faute, dont elle ne peut s'exonérer qu'en prouvant qu'elle a procédé A un entretien normal de l'ouvrage.
De toutes faA§ons et quel que soit le fondement de l'action intentée, le juge administratif recherchera s'il n'y a pas eu faute de la victime. Or, en l'espèce, le camion de M. Lecocq roulait A une vi allure, trop vite peut-AStre. Selon l'appréciation faite par les juges A partir du dossier, la faute de la victime sera considérée comme entrant pour 10 %, 20 %, ou plus, dans la réalisation du dommage.
2e Cas de M. Laplume.
Le dommage dont peut se plaindre M. Laplume est la perte de son ane tué par l'agent Léillé. M. Laplume dispose d'un choix :
a) Il peut, tout d'abord, intenter une action contre l'agent Léillé devant les tribunaux judiciaires. II invoquera alors la faute personnelle de l'agent de police. Cette faute, on le sait, est la faute particulièrement gra, révélant, selon la formule célèbre de Laferrière - l'homme ac ses faiblesses, ses passions, ses imprudences - (concl. sur T.C. 5 mai 1877 : Laumonnier-Carriot).
En l'occurrence, on peut considérer que le fait, pour un agent de police, d'AStre en état d'ivresse pendant les heures de service constitue une faute d'une particulière gravité. M. Laplume pourra donc réclamer A l'agent Léillé l'indemnisation de l'intégralité du préjudice. Il risquera seulement de se heurter A l'insolvabilité de ce dernier.
b) Aussi peut-il choisir de s'adresser directement A l'Administration. Au cas de refus de celle-ci, il intentera une action en indemnité devant le tribunal administratif. Le fondement en sera que la faute personnelle de l'agent a été commise dans le service.
Il faut seulement que la faute en question soit considérée comme une faute lourde puisqu'il s'agit de mettre en jeu la responsabilité du service de police dans l'action.
Cette condition est certainement remplie ici. On peut, d'ailleurs, ajouter que cette faute n'a été rendue possible que par suite d'un défaut de surillance de l'Administration (cf., par exemple, CE. 13 décembre 1963 : Ministre des Armées c. Consorts Occelli ; CE. 9 décembre 1966 : Mouton). Ce défaut de surillance est considéré comme constituant une faute de service ayant rendu possible les agissements dommageables.
On peut, enfin, invoquer la jurisprudence Lecomte et Daramy (CE. 24 juin 1949). Aux termes de cette jurisprudence, la responsabilité de l'Administration, du fait des services de police, est engagée sans faute lorsque ses agents font utilisation d'armes dangereuses (A condition que la victime ne soit pas une des personnes visées par l'opération de police). Cette jurisprudence a subi une extension dans la mesure où un simple pistolet a été ultérieurement considéré comme en permettant l'application (CE. 1" juin 1951 : Jung, CE. 27 avril 1953 : Nicol cf. également : CE. Ass. 26 octobre 1973, Sadoudi).
(Une objection du maire doit AStre immédiatement rejetée. L'opération ne consistait certainement pas en une opération de police judiciaire. On ne peut considérer que la poursuite du taureau équivalait A la poursuite d'un malfaiteur !)»
L'action sera intentée contre l'Administration devant le tribunal administratif du lieu et, comme dans l'hypothèse précédente, l'Administration supportera, dans un premier temps, l'intégralité du préjudice.
Mais cette situation peut AStre considérée comme anormale. Elle correspond A l'intérASt de la victime, mais elle fait peser sur le contribuable le poids des fautes commises par les agents publics. Aussi, depuis les arrASts Lamelle et Delville (CE. As. 28 juillet 1951), est-il admis que l'Administration puisse, dans un second temps, se retourner contre l'agent public. Le contraire est également vrai si la charge du dommage a pesé en totalité sur cet agent alors que sa responsabilité n'était que partielle.
Dans ce cas, la faute prise en considération n'est pas la faute au sens du droit civil, mais la faute disciplinaire commise vis-A -vis de l'Administration. La responsabilité du fautif est appréciée par le juge administratif selon les principes du droit public. Jusqu'A présent le Conseil d'Etat s'est montré relatiment sévère et il a admis, assez fréquemment, que l'agent public supporte l'intégralité du préjudice. Celui-ci ne peut pas, notamment, se prévaloir du défaut de surillance qui n'atténue, en rien, la gravité de sa faute personnelle (CE. Sect. 19 juillet 1959 : Moritz).
On peut donc penser que l'agent Léillé devra supporter l'intégralité du préjudice qu'il a causé A M. La-plume.
3e Cas des ayants droit de M. Tartarin.
M. Tartarin se trouvait, au moment où il a trouvé la mort, dans la situation de collaborateur bénévole du service public. Il a, en effet, collaboré au service public de la police municipale, défaillante, par suite de l'état d'ivresse de l'agent Léillé.
Toutes les conditions exigées par la jurisprudence du Conseil d'Etat se trount remplies :
M. Tartarin a collaboré A un service public (celui de la police municipale) puisque son interntion était destinée A ésectiuner un danger menaA§ant la sécurité publique.
Son concours a été motivé par l'urgence, mASme s'il n'a pu AStre ni sollicité, ni accepté (CE. 17 avril 1953 : Pin-guet).
De mASme, on peut considérer que son concours a dépassé la contribution normale que l'on peut attendre de tout usager du service public (CE. 27 octobre 1961 : Caisse primaire de sécurité sociale de Mulhouse). N'oublions pas, en effet, que M. Tartarin était garde-champAStre, mais retraité.
Enfin, l'utilité de son concours ne peut AStre contestée.
Les ayants droit de M. Tartarin pourront, en principe, prétendre A une indemnité intégrale sans avoir A prour une quelconque faute de l'Administration. Celle-ci est responsable sur la base du risque, c'est-A -dire du principe d'égalité (jurisprudence Saint-Priest-la-Plai-ne).
Une seule atténuation serait possible A ce principe de l'indemnisation intégrale. Il faudrait que la victime ait commis une faute, ce qui n'est pas dit ici.
EXERCICE
COMMENTAIRE D'ARRET
Conseil d'Etat - Section. ' 29 avril 1987 Garde des Sceaux, ministre de la Justice
c. Banque populaire de la région économique de Strasbourg
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité du recours :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la Banque Populaire de la région économique de Strasbourg a été victime le 6 mars 1978 d'un vol A main armée commis par MM. Schneider et Fischer détenus bénéficiaires respectiment d'une permission de sortir et d'une mise en semi-liberté et par M. Gon-thier ancien détenu bénéficiaire d'une libération conditionnelle ;
Considérant que la décision par laquelle le ministre de la justice accorde A un condamné la libération conditionnelle, en rtu des articles 730 et 732 du code de procédure pénale dans leur rédaction applicable en l'espèce, est un
acte administratif dont les conséquences dommageables relènt de la
compétence de la juridiction administrati ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de ladite juridiction pour en connaitre doit AStre écarté ;
Considérant que les mesures de libération conditionnelle, de permission de sortir et de semi-liberté constituent des modalités d'exécution des peines qui ont été instituées A des fins d'intérASt général et qui créent, lorsqu'elles sont utilisées, un risque spécial pour les tiers susceptibles d'engager, mASme en l'absence de faute, la responsabilité de l'Etat ; qu'il résulte de l'instruction que, quelques jours seulement après s'AStre soustraits A l'exécution de leur peine, MM. Schneider et Fischer ont formé ac M. Gonthier, qui n'avait pas satisfait aux mesures de probation auxquelles il était soumis, une association criminelle qui s'est manifestée par une série d'agressions A main armée commises au cours des mois de janvier, février et mars 1978 ; que, dans ces conditions, il existe un lien direct de cause A effet entre le fonctionnement du service pénitentiaire et le dommage causé A la Banque Populaire de la région économique de Strasbourg ; que, dès lors, le Garde des Sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé A soutenir que, c'est A tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat A rser A la Banque Populaire de la région économique de Strasbourg une indemnité d'un montant non contesté de 306 610 F ;
Décide :
Article 1" : Le recours du Garde des Sceaux, ministre de la justice est rejeté.
Commentaire
L'ère des audaces jurisprudentielles n'est pas close. En témoigne cet important arrASt de section qui étend aux dommages causés aux tiers par les condamnés bénéficiaires d'une mesure de libération conditionnelle, ordonnée par le juge de l'application des peines ou par le ministre, la possibilité d'engager la responsabilité de l'Etat pour risque devant la juridiction administrati.
Les faits ressortent suffisamment de l'arrASt. Trois malfaiteurs se sont associés pour commettre une série d'agressions A main armée dont a été victime, en dernier lieu, la banque défenderesse. L'originalité de l'affaire tient A ce que chacun de ces malfaiteurs bénéficiait d'une mesure différente d'exécution de sa peine privati de liberté : deux d'entre eux étaient des détenus bénéficiaires respectiment d'une permission de sortir et d'une mise en semi-liberté, le troisième étant un ancien détenu bénéficiaire d'une libération conditionnelle. Les premiers n'avaient pas réintégré l'élissement pénitentiaire où ils purgeaient leurs peines, le troisième avait cessé de se soumettre aux mesures de contrôle qui lui étaient imposées.
Saisi par la banque d'une action indemnitaire dirigée contre l'Etat, le tribunal administratif de Strasbourg a accueilli la requASte et déclaré l'Etat responsable sans faute des dommages causés A ladite banque.
Ce jugement, rendu le 17 mai 1984, a été confirmé sur appel du Garde des Sceaux, par l'arrASt commenté dont il n'est pas secondaire de noter qu'il a été rendu par le Conseil d'Etat, sur le point principal qui nous intéresse, contrairement aux conclusions du Commissaire du Gournement, M. Vicouroux.
C'est qu'il n'était point évident d'étendre aux mesures de libération conditionnelle la théorie du risque. C'est pour la jurisprudence une avancée nole.
L'affaire présentait en outre A juger une question, qui ne met certes pas en cause les principes, mais qui n'est pas moins délicate et importante pratiquement pour les tiers victimes de ce type de malfaiteurs : l'existence d'un lien de cause A effet entre le fonctionnement du service pénitentiaire et le dommage.
On examinera successiment ces deux points.
I - L'extension de la responsabilité de l'Etat pour risque :
UNE SOLUTION HARDIE.
L'application de la théorie du risque pour fonder la responsabilité de l'Etat en matière de dommages causés par des détenus bénéficiaires de - méthodes noulles dans l'exécution des peines privatis de liberté - (formule employée par le Conseil d'Etat), n'est pas une nouauté.
La Haute Assemblée l'a admise lorsque les détenus sont bénéficiaires de permission de sortie - c'était le cas, dans notre espèce, de l'un des malfaiteurs - (CE-, 2 décembre 1981, Theys), en relevant que cette mesure d'exécution de la peine est mise en œuvre - en vue, notamment, de favoriser le maintien des liens familiaux ou la préparation A la réinsertion sociale -. Mais de telles mesures créent un risque spécial pour les tiers - qui ne bénéficient plus des garanties qui résultaient pour eux de l'application plus rigoureuse des peines privatis de liberté -.
Les commentaires autorisés n'ont pas manqué de reler que c'est lA une jurisprudence d'équité pour les victimes et qui évite de condamner une politique pénitentiaire qui tend A la réadaptation sociale des détenus.
Cette solution s'inscrit naturellement dans la jurisprudence Thouzelier inaugurée en 1956 A propos des mineurs confiés A des
institutions publiques d'éducation surillée, et étendue aux dommages causés par des malades mentaux bénéficiant d'une sortie d'essai (CE., 13 juillet 1967, département de la Moselle). Il n'est pas sans intérASt de reler ici que c'est en s'inspirant de cette jurisprudence du Conseil d'Etat que
la Cour de Cassation a récemment jugé, par une décision particulièrement innovatrice, qu'un centre d'aide par le travail devait répondre, au sens de l'article 1384, alinéa 1", du code civil, d'un handicapé mental placé dans ce centre, et réparer les dommages qu'il avait causés (Ass. plén., 25 mars 1991, Association des centres éducatifs du Limousin') : remarquable illustration de l'influence de la jurisprudence administrati sur la jurisprudence civile.
La mASme solution pouvait-elle AStre retenue dans le cas où le préjudice est causé par un détenu bénéficiaire d'une mesure de semi-liberté, voire surtout d'une libération conditionnelle ?
S'agissant de la semi-liberté (quand bien mASme cette mesure ne serait, comme en l'espèce, qu'une condition préalable A la libération conditionnelle), il ne pouvait faire de doute que, A l'instar de la permission de sortie, elle constituait une mesure administrati concernant exclusiment le fonctionnement administratif du service pénitentiaire.
C'est au sujet de la libération conditionnelle que le débat s'est noué, jusqu'au sein de la Haute Assemblée, puisque celui-ci a justifié le renvoi de l'affaire devant la section du contentieux.
11 convient de rappeler que les litiges relatifs A la nature ou aux limites d'une peine infligée par l'autorité judiciaire échappent A la compétence du juge administratif, contrairement A ceux qui concernent le fonctionnement administratif du service pénitentiaire, les décisions prises pour l'exécution de ce dernier émaneraient-elles d'une autorité judiciaire (CE., 5 février 1971, dame u Picard).
Or les arguments ne manquaient évidemment pas pour assimiler la libération conditionnelle A la peine elle-mASme dont elle suspend l'exécution au contraire de la permission de sortie ou mASme de la semi-liberté, pendant l'exécution desquelles la peine continue A courir et A l'expiration desquelles la réintégration du milieu fermé est une obligation stricte et pénalement sanctionnée.
Ces arguments n'ont pas convaincu le Conseil d'Etat. Il n'a pas voulu distraire la libération conditionnelle du groupe de décisions qui, prises pour l'exécution du service pénitentiaire, sont considérées comme constituant des actes administratifs relevant de la compétence de la juridiction administrati : outre les trois types de mesures mises en œuvre en l'espèce, le Professeur Chapus (droit du contentieux administratif) distingue le placement A l'extérieur, la soumission au régime progressif, les autorisations de sortie sous escorte, la suspension provisoire, le fractionnement ou la réduction de la peine.
La Haute Assemblée a aussi fait sienne la démonstration de MM. Labetoulle et Cabanes, commentateurs autorisés de l'arrASt Picard (AJDA, 1971, p. 147). Ceux-ci avaient bien vu que le juge de l'application des peines n'est pas conduit, dans tous les cas, A prendre des décisions qui aient le caractère juridictionnel - faute de litige, de procédure, de voies de recours et d'autorité de chose jugée, et qui peunt AStre tenues pour le prolongement de la décision de justice car - elles n'ont aucune relation ac le crime ou le délit ou ac la peine infligée -, le juge tenant compte - uniquement du comportement du condamné au cours de sa détention et de ses capacités de reclassement -.
Ajoutons que pour les victimes de mesures qui, pour AStre de natures différentes, n'en poursuint pas moins le mASme but et leur font courir des
risques semblables, cette solution cohérente s'imposait, dès lors qu'en toute occurrence l'appréciation de la responsabilité de l'Etat fondée sur le risque ne peut conduire le juge administratif A se prononcer sur la régularité et l'opportunité de telle mesure.
Mais une fois admis le principe de la responsabilité de l'Etat, l'indemnisation n'est pas automatique. Encore la victime doit-elle élir l'existence d'un lien direct de cause A effet entre le fonctionnement du service pénitentiaire et le dommage qu'elle a subi.
II - Le lien de causalité directe : une jurisprudence réductrice.
En étendant la responsabilité sans faute de l'Etat au domaine des mesures de libération conditionnelle, le Conseil d'Etat a adopté une position de principe, grosse d'ailleurs de nouaux déloppements théoriques, qui n'est tout de mASme pas dépourvue de considérations d'ordre pratique.
A l'inrse, pour apprécier l'existence d'un lien de causalité directe, le Conseil d'Etat fait preu d'un pragmatisme, atténué par l'application de quelques critères constants de lieu et de temps, mais qui réduit la portée du principe de la responsabilité de l'Etat.
Il est vrai que le critère de la proximité géographique a été progressiment abandonné.
Reste le critère de temps : en général, un délai de quelques jours séparant la mesure prise en faur du détenu et la date de surnance du dommage constitue un indice du lien de causalité directe (arrASt Trouillet de 1966). mais non un délai de six mois (CE. 27 mars 1985, dame Henry).
En l'espèce, les faits incriminés se sont produits trois mois après la soustraction des malfaiteurs au contrôle de l'administration, mais au terme d'une série continue d'agressions qui avaient commencé quelques jours seulement après que ces malfaiteurs se fussent soustraits A l'exécution de leur peine.
Ce critère de temps reste donc assez flou. Il manifeste le désir du Conseil d'Etat de se donner le moyen d'apprécier cas par cas l'opportunité d'indemniser les victimes. On ne lui voit guère d'autre justification logique.
Une telle politique jurisprudentielle, conforme aux méthodes habituelles du juge administratif, peut apparaitre comme contradictoire ac celle consistant, dans l'intérASt des victimes comme dans celui de la politique pénale de réinsertion des détenus, A étendre le domaine de la responsabilité de l'Etat fondée sur le risque, laquelle devrait par nature AStre moins conditionnée que la responsabilité fondée sur la faute.
EXERCICE
CAS PRATIQUE
Le médecin traitant de M. Dulac ayant décelé, au cours d'une visite de routine, une tache suspecte sur le poumon droit de son client, a adressé celui-ci aux fins d'examen A son confrère le Professeur Siclone, chef de service au Centre Hospitalier Général de Moulinsard.
L'éminent Professeur a ainsi pratiqué une interntion sur la personne de M. Dulac aux seules fins de préler un fragment de poumon, qu'il a aussitôt fait parnir au laboratoire de l'Hôpital. L'échantillon a été retourné au chirurgien au bout de quelques minutes, ac ce diagnostic signé par un anatomo-pathologis-te : - existence d'une tumeur cancéreuse -.
Au seul vu de cette note, et M. Dulac se trouvant encore allongé sur la le d'opération, le Professeur Si-clone a décidé de pratiquer l'exérèse du poumon atteint sans attendre le réil de son patient.
Celui-ci, qui était nu pour un simple examen, s'est ainsi réillé amputé de son poumon droit.
C'est alors et alors seulement que le praticien fut pris d'un doute et fit procéder, dès la fin de l'opération, A un noul examen du poumon extrait. Le rdict ne fut pas moins net que le précédent : peut-AStre y avait-il une légère tuberculose qui aurait pu AStre traitée facilement, mais certainement pas la moindre tumeur cancéreuse.
M. Dulac, arti par son médecin de l'erreur ainsi commise, voit désormais son espérance de vie réduite ; il ne peut plus faire aucun effort physique, ne peut évidemment plus travailler, a besoin d'une tierce personne, et ne peut plus pratiquer son sport favori, la chasse.
11 vous consulte pour savoir comment il peut obtenir réparation de ces préjudices qu'il estime fort importants dès lors que des deux poumons, le droit a un rôle prépondérant.
Corrigé
1 Rappel des faits.
2 A priori les erreurs qui ont été ici commises sont d'une gravité telle qu'on voit mal comment l'hôpital pourrait échapper A la mise en cause de sa responsabilité.
Cependant cette responsabilité n'est évidemment pas commandée par l'importance des dommages subis.
En outre et surtout la responsabilité des élissements de
santé publics reste largement subordonnée A l'existence d'une faute de service, mASme si, depuis une jurisprudence récente, il devient possible d'engager cette responsabilité sans faute.
3 Avant d'exposer ce régime, il convient de rappeler que M. Dulac a le choix entre deux voies de recours parallèles : il peut assigner le Professeur Siclone ou l'ana-tomo-pathologiste personnellement devant le juge civil ou le juge pénal ; ou bien il se contente de demander A l'hôpital l'indemnisation de son préjudice.
4A° S'il choisit cette dernière solution, il doit savoir qu'en matière de responsabilité hospitalière, la faute de service, naguère, n'avait pas la mASme qualification selon que les dommages avaient été causés par des actes médicaux ou par le mauvais fonctionnement ou l'organisation défectueuse du service : dans le premier cas, seule une faute lourde pouvait engager la responsabilité de l'hôpital, alors que dans le second cas une faute simple suffisait.
Et il ressortait d'une analyse (attenti) de la jurisprudence que la faute lourde médicale était plus rarement admise que l'autre ; il est vrai qu'elle était bien malaisée A démontrer.
Depuis un revirement de jurisprudence amorcé par la Cour administrati d'appel de Lyon, cette preu sera désormais plus facile A rapporter puisque le Conseil d'Etat a, d'une part, abandonné l'exigence de la faute lourde médicale, remplacée par la faute simple (Ass., 10 avril 1992, Epoux V.), et, d'autre part, admis que, exceptionnellement, la responsabilité de l'hôpital puisse AStre engagée mASme sans faute lorsque l'acte médical qui a causé directement les dommages et qui était nécessaire au diagnostic ou au traitement présentait un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle (CE, Ass., 9 avril 1993, Bian-chi).
Au cas présent, en rtu de cette noulle jurisprudence le patient ne peut manquer d'AStre indemnisé quel que soit le fondement choisi - il l'aurait été, au demeurant, sur le fondement ancien de la faute lourde médicale.
A l'évidence, le diagnostic éli par l'anatomo-pa-thologiste, accepté sans hésitation par le chirurgien, et dont on sait qu'il était faux n'a pu AStre éli A la suite d'un examen sérieux. La faute est patente.
Il est mASme permis de voir dans les modalités hatis de l'élissement de ce diagnostic, sans qu'aucun contact se fût éli entre le chirurgien et le laboratoire et sans qu'aucun contrôle n'ait été opéré malgré la gravité de ce diagnostic et les conséquences opératoires qui en sont résultées, une faute simple dans l'organisation du service.
On pourrait enfin reprocher A l'hôpital de n'avoir pas arti M. Dulac de l'interntion qui allait AStre pratiquée. Sur ce terrain la jurisprudence n'est pas absolument claire et catégorique. Mais en l'espèce il serait difficile d'admettre que l'hôpital n'est pas fautif de s'AStre abstenu d'informer M. Dulac, voire de n'avoir pas recueilli son consentement.
5 Quant aux chefs de préjudice indemnisables, M. Dulac pourra réclamer une indemnisation des atteintes A son intégrité physique, voire des souffrances physiques, le remboursement de ses préjudices financiers (pertes de renus, frais dirs), enfin les troubles de toute nature dans les conditions d'existence, les siennes et celles de sa famille, qui incluent le préjudice moral, les douleurs morales, les dommages physiologiques, etc.