Le processus de structuration de la fonction personnel s'est opéré, nous l'avons vu, sur la base théorique du Taylorisme, du courant des relations humaines, et sur le pilier du droit social.
Mais c'est un
contexte économique et politique particulièrement favorable qui va servir de levier au développement de la fonction
ressources humaines. Cette période qualifiée de -Trente glorieuses- - selon l'expression de Jean Fourastié - va permettre d'impulser la mise en place de structures et de procédures qui organisent et formalisent toutes les grandes fonctions de l'entreprise.
Légitimé par le modèle de l'état Providence (A) lui-mASme étroitement relié au compromis fordiste (B), la fonction personnel va amorcer un vérile virage dans la mise en œue du processus de professionnalisation (C).
A - Le modèle de l'état Providence
Difficile de dater avec précision l'émergence d'un phénomène aussi complexe que cette notion d'Etat Providence. Cette idée d'un état protecteur et garant d'une solidarité collective a connu une lente gestation au cours des siècles, mais n'a trouvé en Europe une vérile formalisation théorique qu'A partir de la seconde moitié du xixc siècle.
On peut identifier comme point de départ de l'intervention de l'état dans le domaine social, la loi du 22 mars 1841 qui visait A limiter et A réglementer le
travail des enfants". Mais c'est sans aucun doute dans la pensée de Bismarck1" que la formalisation théorique du principe d'un état protecteur est apparue de manière la plus claire.
Les prémisses de l'intervention de l'état dans le domaine social ont donc été posées dès le xix1 siècle, sur la base d'une logique essentiellement -hygiéniste-. En revanche ce n'est qu'A partir de 1945, que l'on a pu voir se mettre en place le vérile état Providence, -promoteur du social-. Cela s'est traduit concrètement en France, par une augmentation très significative de la part du budget de l'état consacré A cette politique, qui est passée de 12% du PIB en 1913 A environ 45 % en 1995.
Le cadre de l'état Providence tel qu'il s'est développé après la seconde guerre mondiale dans les pays industrialisés s'est organisé sur la base d'un modèle théorique (I), et qui trouve son application concrète dans un type d'intervention spécifique (2).
1) Le cadre théorique de l'état Providence
Les fondements théoriques de l'état Providence résultent de la convergence de trois courants de pensée :
- l'influence du marxisme et du
socialisme qui ont grandement incité les gouvernements des pays A
économie de marché, A jouer un rôle important dans la redistribution des revenus ;
- la pensée Keynésienne a aussi exercé une influence évidente sur les gouvernements :
» parce qu'elle préconisait de siliser l'économie, en aidant A maintenir le revenu disponible des individus malgré les fluctuations du cycle économique ;
» parce qu'elle justifiait un programme de
travaux publics et des indemnités de chômage pour amortir les effets négatifs des phases de dépression ;
- enfin, l'économie des
biens publics, développée par Samuelson et Richard Musgrave, qui incitait l'état A fournir un grand nombre de biens publics". Partant de l'hypothèse selon laquelle le secteur privé ne verrait aucun intérASt A produire ces biens, il y avait une légitimité a priori pour les confier au secteur public.
De ces trois courants est née, sur le pratique, une forme d'action publique fondée sur deux principes :
- un principe d'intervention publique théorisée principalement par Keynes, comme moyen de régulation le plus efficace des activités économiques au sens large ;
- un principe de solidarité: le principe de solidarité, initié d'abord par Beveridge, dans son lie -un travail pour tous dans une société libre- mais repris ensuite par de nombreux auteurs et notamment par Musgrave qui fonde toute la légitimité de l'action publique.
Ces deux principes conjugués ont largement influencé, en France et en Europe, toute la gestion des ressources humaines, notamment en ce qui concerne le partage des responsabilités entre dirigeants et pouvoirs publics, pour la mise en œue de la protection sociale et de la solidarité.
L'Etat Providence, dans le discours théorique mais aussi dans la pratique, s'était vu assigner trois grandes trois missions principales :
- une fonction d'allocation qui consiste en une affectation des recettes A des dépenses d'ordre collectif ;
- une fonction de silisation ou de régulation qui sert A lutter contre les déséquilibres économiques ;
- une fonction de redistribution pour corriger les écarts dans la répartition des revenus.
2) Les moyens de l'état Providence
L'interventionnisme de l'état dans le champ économique et social était considéré depuis la
crise des années 1930 et jusqu'au début des années 1980 comme le mode normal de régulation des rapports sociaux. Bénéficiant d'un large consensus en faveur de ce type de politique publique, l'Etat Providence s'est doté d'outils qui ont servi de fondement A sa légitimité et ont renforcé son efficacité. La ification et la mise en œue d'une protection sociale A grande échelle, ont permis A l'Etat Providence de structurer les deux pôles de son action :
- par le biais de la ification, les gouvernements successifs ont pu trouver un outil performant de prévision et d'anticipation des grandes mutations auxquelles devait faire face la société franA§aise. Aucun secteur stratégique n'était exclu de ce
volontarisme industriel. C'est ainsi que -l'économie de
financement administré-, particularisme tout A fait hexagonal, a permis d'accomner les grandes mutations technologiques des Trente Glorieuses. De la locomotive BB au TGV, de la Caravelle A l'Airbus, de la fusée Diamant au lanceur Ariane, sans oublier le programme électro-nucléaire, toutes ces initiatives soutenues et encadrées par l'état ont contribué A conférer A la France le label de -l'indépendance nationale-l2 ;
- par la mise en forme d'institutions de protection sociale, l'état Providence avait su imaginer des réponses adaptées aux problèmes de la solidarité. La création des ministères sociaux traduisait la préoccupation des gouvernements successifs de donner une visibilité aux
politiques publiques ciblées sur la question sociale au sens large. La mise en œue d'actions en direction des publics les plus fragilisés - personnes agées, enfants - ainsi que l'instauration de
politiques sectorielles -généralisation progressive de la sécurité sociale, politique des transferts sociaux, politique de santé, politique de l'emploi - illustrent bien la montée en puissance des politiques publiques en matière de solidarité.
Cette promotion du social a correspondu A une période où l'économie et le social étaient sinon totalement réconciliés, du moins considérés comme non contradictoires; le social soutenait la croissance, l'économie permettait une juste répartition des fruits de la croissance".
B - Le compromis Fordiste, cadre théorique de légitimité de la gestion dees ressources humaines
Bien que les travaux de Ford aient été publiés pendant l'entre-deux guerres, la notion de fordisme a été utilisé pour caractériser le modèle de
croissance importante qu'ont connu les pays développés pendant la période des -Trente glorieuses-. Les caractéristiques de cette croissance fordiste, tels qu'elles ont été mises en évidence par les théoriciens de l'école de la régulation14 sont au nombre de cinq, chacune étant étroitement liée A l'autre, A tel point qu'il est difficile de repérer précisément l'enchainement des causes A effets :
- le trait marquant de ce cycle de croissance repose sur le modèle de la production de masse. Reprenant A son compte le principe de l'OST (organisation scientifique du travail) proposé par Tayi.or, Ford a systématisé le travail A la chaine. Ce faisant, cette nouvelle forme de production a permis de réaliser des gains de
productivité importants et de développer la production en grande série (production de masse) ;
- les gains de productivité réalisés et la production de masse ont, par un effet d'entrainement, enclenché le processus de la
consommation de masse, grace A une redistribution aux salariés des nouveaux profits dégagés ;
-ce double phénomène de production et de consommation de masse conjugué, a entrainé un mouvement de concentration des entreprises. La recherche continue de gains de productivité et la production en grande série, imposaient la constitution de grandes unités de production ;
- corollaire immédiat de la concentration et de la constitution de grandes entreprises industrielles, le taux de -salarisation-de la population active n'a cessé de croitre pendant toute cette période ;
- enfin, pour terminer le leau de l'économie de type fordiste, on peut dire que le mouvement de croissance économique s'est accomné d'une part, d'une montée en puissance des besoins de qualification et d'autre part, d'une tendance croissante A la tertiarisation de l'appareil productif.
Le cercle vertueux du Fordisme reposait donc sur le couple production de masse -consommation de masse. Ce modèle associait étroitement une forme d'organisation de la production et un mode d'organisation sociale, une conception de la redistribution et du partage des fruits de la croissance économique. Il se caractérisait également, sur le de l'organisation du travail, par les trois règles suivantes:
- la détermination du niveau et de la hiérarchie des salaires, par référence A des postes de travail, définis eux-mASmes dans les classifications d'emplois négociés dans le cadre des branches ;
- une indexation des salaires sur
les prix A la consommation, permettant de maintenir le pouvoir d'achat ;
- une indexation des salaires sur les gains de productivité anticipés15.
Ce modèle fut largement relayé par la culture syndicale. En effet, la division du travail qui était le principe mASme de l'organisation du travail dans l'entreprise était reproduite A une plus grande échelle, notamment A celle des partenaires sociaux, acteurs de la
négociation sociale. Chaque partenaire de la négociation - dirigeants, salariés, syndicats - avait une représentation claire du rôle qu'il avait A jouer. Cette
connaissance des règles du jeu de la négociation sociale permettait A chacun de se situer clairement dans le conflit pour le partage de la Valeur Ajoutée. L'objet mASme des revendications tournait principalement autour de la question salariale.
C'est dans ce contexte théorique, politique et économique du modèle Fordiste, qui conurait A la fois un modèle socio-économique et un mode de
management des entreprises, que s'est développée la fonction personnel.
C - Les axes de développement de la fonction personnel
Au départ, limitée aux fonctions d'administration du personnel - dont la tache principale consistait dans la tenue précise des
fichiers du personnel et la réalisation de la paye - la fonction personnel s'est progressivement enrichie A partir du bilan social ( 1 ) pour prendre en compte, ensuite, des problématiques de plus en plus diversifiées (2).
I) Le bilan social
Une étape importante dans le processus de professionnalisation de la fonction ressources humaines a été franchie avec la loi de 1977 qui a imposé aux chefs d'entreprises, comptant au moins 300 salariés, d'élir un bilan social. C'est un document annuel, qui permet de prendre un cliché instantané des principales données concernant les ressources humaines.
Le bilan social récapitule en un document synthétique les principales informations concernant le personnel. Ce document, qui s'organise en 7 chapitres, décline sous forme d'indicateurs toutes les composantes humaines qui irriguent le système social de l'entreprise :
- emploi (suivi des effectifs) ;
- rémunération et charges accessoires ;
- conditions d'hygiène et de sécurité ;
- autres conditions de travail (durée, organisation, conditions physiques du travail) ;
- formation ;
- relations professionnelles :
- conditions de vie des salariés et de leur famille dans la mesure où ces conditions dépendent de l'entreprise (on trouvera dans ce chapitre notamment le rôle du comité d'entreprise).
Trois idées-force sous-tendent la logique du bilan social qui repose :
- sur une conception du temps court : celui de l'année, calquée sur la logique du bilan comple annuel ;
- sur une méthode analytique fondée sur un système d'inventaire ;
- enfin, sur une logique financière qui fait apparaitre essentiellement le coût des ressources humaines.
Le bilan social a joué un rôle de vérile coup de pouce dans le processus de formalisation de la fonction Ressources Humaines. Il a permis notamment d'identifier les premiers indicateurs permettant de procéder A un suivi rigoureux d'une année sur l'autre, avec notamment le suivi des effectifs, le suivi de la masse salariale, le suivi des actions de formation et l'évolution des conditions de travail. Malgré des limites soulignées par un certain nombre d'auteurs"1, il a servi de point d'appui A la structuration de la fonction personnel, qui s'est ensuite largement enrichie pour intégrer des missions nouvelles.
2) Les missions de la Direction des Ressources Humaines
Malgré la présence de différences très marquées entre les entreprises, selon leur taille et le secteur d'activité, on peut observer une tendance générale vers une différenciation très marquée des fonctions imparties aux Directions des Ressources Humaines.
Le champ d'activité peut se décomposer en cinq pôles :
- il y a d'abord, l'administration du personnel avec la paye, la gestion du système d'information du personnel et la gestion des effectifs, et la réalisation du bilan social ;
- viennent ensuite toutes les questions relatives A la gestion des personnes et particulièrement ce qui concerne la gestion du recrutement et le déroulement de la carrière dans ses différents aspects: mobilité, formation, promotion, démission, licenciement, etc ;
- les aspects de la gestion collective commencent également A prendre une place non négligeable dans les préoccupations des responsables du personnel. Certains sont en lien direct avec la gestion de l'entreprise comme le calcul et maitrise de la masse salariale, la gestion prévisionnelle des effectifs, la gestion du budget et des moyens de formation, l'élissement et la gestion du social. D'autres sont plus au service de l'encadrement: étude des emplois-types, évolution des emplois sensibles, suivi du déroulement des entretiens d'appréciation, élissement du de formation ;
- le volet du développement social correspond A la mise en œue de pratiques de management qui couent des domaines étendus. H peut s'agir des s de communication, de réalisation d'enquAStes auprès du personnel (satisfaction, attentes, évaluation), d'élaboration de s d'actions en matière de qualité, de management participatif, d'aménagement du temps de travail ;
- le dernier champ de préoccupations des responsables du personnel concerne le domaine des relations sociales et syndicales : organisations des élections, préparations des réunions du CE, CCE, CHSCT, conduite des réunions, faire vie le dialogue social, négociation des accords, gestion des conflits.