NAVIGATION RAPIDE : » Index » MANAGEMENT » ENTERPRISE MANAGEMENT » La forme franÇaise de l entreprise Le tabou communautaireDans un contexte de maturation normale, le droit du trail de type patrimonial-contractuel en serait resté A la fonction qui a déjA été décrite : faire contrepoids au droit de propriété de l'entrepreneur privé. Mais en France, après la guerre, c'est en fait d'une mission bien plus chargée et proprement exorbitante dont a été chargé le législateur : celle de garantir que la relation de production resterait en toute circonstance attachée A la logique patrimoniale-contractuelle, et la plus éloignée possible de toute tentation de type institutionnel ou communautaire. Toutes les dispositions de l'après-guerre sont allées dans ce sens. Par delA la réhabilitation des syndicats (soumises A la réserve d'une vérification d'indépendance A l'égard du patronat), le droit du trail a systématiquement privilégié les droits et les libertés collectives au détriment des droits et libertés des individus. En tant qu'émanation d'une classe sociale, les collectifs ouvriers bénéficiaient en effet d'une présomption d'indépendance, alors que les salariés considérés comme individus redevenaient des -membres- appartenant A l'entreprise. Exemple entre tous, le droit de grève ne peut s'exercer que collectivement; la grève menée A titre personnel n'est plus qu'un acte d'indiscipline, sanctionné A ce titre. Si les nouvelles institutions de représentation du personnel recelaient une part d'ambiguïté, la pratique l'a immédiatement levée : les comités d'entreprise et les délégués du personnel ont été des instruments de défense des intérASts des salariés, jamais des instruments de coopération ni d'implication dans les affaires de la firme. Les procédures de négociation codifiées en 1950 ont soigneusement contourné tout risque de collaboration, le cadre de la branche professionnelle offrant de ce point de vue le maximum de garanties. Constat tout aussi révélateur : après la guerre, aucune disposition significative de droit social n'a jamais présenté l'employeur comme le responsable d'une institution; au regard du droit, les dirigeants, mASme salariés, ont été ceux qui investissaient, qui employaient, qui payaient les salaires, et les contentieux ne pouient surgir qu'A propos des conditions dans lesquelles ces fonctions étaient remplies. Qu'est-ce que le règlement intérieur d'une entreprise en France? C'est un document éli par l'employeur et qui définit les droits et obligations des salaries pour la bonne exécution des taches quotidiennes. On pourrait s'attendre A ce que ce règlement se donne l'ambition de fixer les repères de quelque code constitutionnel en rapport avec la vie de l'entreprise. Rien de cela n'est prévu ni n'existe encore aujourd'hui. Depuis toujours, la tradition voulait qu'il ne s'agisse que d'un répertoire de consignes disciplinaires subalternes de nature A faire respecter les installations physiques de l'élissement et A prévenir les désordres; les dispositions de 1945 n'y ont rien changé, si ce n'est pour imposer un droit de contrôle du comité d'entreprise et de l'autorité administrative sur le contenu de ces textes. Au lieu de s'intéresser au contenu des règlements et A leur effet sur la marche de l'entreprise, on s'est inquiété des pouvoirs respectifs qui deient revenir A chaque acteur dans leurs phases d'élaboration et de mise en œuvre. Mais ceci n'est pas tout. Au cours des trente années qui ont suivi la Libération, aucune expérience politique décisive n'a eu raison en France de cette situation limite d'interdit anticommunautaire. Durant cette période, A chaque fois que les pouvoirs publics ont eux-mASmes pris l'initiative de tester la possibilité d'une ouverture ou d'un -retour A la normale- sur ces questions sensibles, ils ont dû rebrousser chemin. C'est le général de Gaulle qui le premier, A son retour au pouvoir, en a fait l'expérience, bien que son rôle historique dans la lutte contre Vichy lui ait fourni l'autorité qui convenait pour ne pas AStre suspecté de renouer avec les errements d'-ancien régime-. De Gaulle était partisan depuis longtemps d'un programme de -participation- qui rendrait les salariés plus solidaires de leur entreprise, de ses performances et de ses résultats. Après 1958, il fut fermement épaulé sur ce point par des organisations telles que le Centre franA§ais du patronat chrétien (C.F.P.C), idéo-logiquement attaché A la résorption de l'état de lutte des classes dans l'entreprise et A l'affirmation en son sein du -caractère indissociable de l'économique et du social-. Dès 1959, une ordonnance fut prise en faveur de l'intéressement des salariés A l'amélioration des résultats ou de la productivité de leur entreprise. Il s'agissait d'une mesure A caractère symbolique, d'application facultative et de portée financière très limitée. L'intention n'en était pas moins claire : il s'agissait d'engager un grand mouvement qui déboucherait A terme sur une participation vérile des salariés au capital et, par suite, A l'administration de leurs sociétés. Or il fallut attendre 1967 pour que soit promulguée, toujours par voie autoritaire d'ordonnance, une disposition de portée plus générale sur la -participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises-. Il s'agissait de favoriser la distribution d'actions au personnel et de constituer des fonds prélevés sur les bénéfices en vue d'une répartition différée des sommes ainsi accumulées. Des problèmes du mASme type se sont présentés A chaque fois que l'idée est venue aux gouvernants de -réformer l'entreprise- pour la rendre A la fois plus efficace et plus démocratique. Cet objectif, développé au début des années soixante par des clubs politiques réformateurs, a tourné autour de thèmes constants : il faut confirmer le pouvoir des syndicats, mais faire en sorte que ceci ne stérilise pas le fonctionnement collectif de l'entreprise ni n'empASche de -renforcer le gouvernement de l'entreprise- (Bloch-Lainé, 1963). Le problème a été que toutes les tentatives menées dans cet esprit conduisaient par la nature des choses A sortir d'un cadre purement patrimonial. C'est notamment ce qui est arrivé en 1975, lorsque le Président Giscard d'Estaing, nouvellement élu, a demandé A un comité d'experts préside par Pierre Sudreau de préparer une réforme générale de l'entreprise. Le rapport du Comité Sudreau fut un très sant compromis entre la nécessité de consolider les acquis du système contractuel et le souci de créer des formes de gouvernement industriel plus modernes et plus légitimes que celles qui procédaient de la simple propriété du capital. D'un côté, il fallait -achever de reconnaitre l'interlocuteur syndical, améliorer le fonctionnement des institutions représentatives du personnel et développer une politique active de négociation-. Mais en contrepartie et pour -consolider l'autorité dans l'entreprise-, le rapport proposait une formule nouvelle de -cosurvcillancc-. La création des conseils de cosurveillance deit permettre de faire siéger côte A côte dirigeants et syndicats dans une instance de contrôle économique de la firme sans encourir le reproche de confusion des rôles qui était adressé A plusieurs solutions alternatives : on contournerait ainsi non seulement les difficultés de la participation, mais aussi celles de la cogestion et plus encore de l'autogestion, mise en ant A la mASme époque dans le camp syndical (Sudreau, 1975). Le compromis était-il trop sant, ou trop timide? Toutes les interprétations sont restées ouvertes pour expliquer que le Président de l'époque et son gouvernement se soient finalement résignés A ne pas donner suite. La moins mauise consiste A observer qu'en fait, dans le contexte politique libéral du moment, la Commission Sudreau n'ait elle-mASme pas pu se conincre de la possibilité de transgresser sérieusement les règles non-dites du -tout-contractuel-. Les autorités en ont pris acte, dans le soulagement général. Certains ont vu lA une confirmation parmi d'autres du fait que la société franA§aise était une -société bloquée-. C'est en tout cas A la mASme époque, par une loi datée de juillet 1976, que l'Allemagne fédérale décidait d'élargir le système de cogestion en vigueur depuis 1951 dans le secteur du charbon et de l'acier : dans toutes les entreprises de plus de 2000 salariés étaient institués des conseils de surveillance paritaires mettant A égalité les représentants des actionnaires et les représentants des salariés. En Suède, en Norvège, et depuis le début de la mASme décennie, des lois et accords de -démocratie industrielle- étaient A l'œuvre, rendant obligatoire la représentation des salariés dans les conseils d'administration des sociétés employant plus de 100 ou 200 salariés En France, jusqu'A la fin des années soixante-dix, seul l'engagement effectif des organisations ouvrières dans le débat aurait en réalité permis de faire sauter le -ou communautaire- hérité de Vichy. Elles étaient dans ces années de croissance au plus haut de leur puissance; elles étaient les plus directement concernées par les réformes; elles étaient idéologiquement protégées par l'immunité que leur ait lu leur dissolution en 1941. En 1968, dans l'improvisation relative du mouvement social que chacun connait, elles aient par ailleurs cautionné une évolution importante : celle dont fut l'objet la création des sections syndicales d'entreprise, obtenue par une loi de décembre 1968 A la suite de la grande négociation au sommet du printemps. Certes, ces sections ne faisaient pas une révolution : il s'agissait de structures juridiquement faibles (de simples démembrements de syndicats dont le siège restait extérieur A la firme) et qui ne préuraient en rien quelque forme que ce soit de collaboration syndicale A l'administration de la firme. Ce fut néanmoins une vraie rupture, la seule peut-AStre de ces trois décennies qui fût A revers des habitudes prises de distance extrASme entre les partenaires de l'entreprise. A partir de ce moment en effet, les nouveaux -délégués de section-, installés de droit dans les locaux de l'entreprise, sont devenus les correspondants permanents des patrons. Siégeant aux comités d'entreprise, habilités A négocier, ils ont ant l'heure transformé le paysage de la confrontation sociale en France et préuré une sorte de -normalisation- de la forme franA§aise de l'entreprise. La situation n'a réellement bougé qu'après, du fait de deux données nouvelles. La première a consisté dans la montée du chômage et dans la multiplication des licenciements collectifs pour cause économique. Inconteslement, la situation de crise des années soixante-dix a poussé les militants A des attitudes plus constructives, plus soucieuses de prise en compte des contraintes conjoncturelles de gestion. En mASme temps s'est développé A la base un phénomène de -patriotisme d'entreprise-, particulièrement manifeste dans les réactions de sauvegarde exprimées A l'annonce des licenciements (-l'entreprise, ce sont les hommes, pas les murs!-). Après l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, ce sont ces indices d'appropriation sociale des firmes qui ont donné son assise A l'action du nouveau gouvernement en faveur de la -citoyenneté d'entreprise-, sans parler du programme de nationalisations. La deuxième donnée du changement a été l'évolution politique consécutive aux événements de 1981. Bien que très affaiblis sur le terrain, les syndicats ont alors concouru A une refonte suffisamment substantielle des règles du jeu social pour qu'on puisse y voir le signe que le -syndrome de Vichy- ait commence A se perdre A l'horizon du temps passé. Importante par elle-mASme, la nationalisation d'un grand nombre d'entreprises privées a été suivie en 1983 d'une -loi de démocratisation du secteur public- dans laquelle on a pu voir la première vérile -réforme institutionnelle- de l'entreprise que la France ait adoptée depuis longtemps. C'est notamment A ce moment que les conseils d'administration de toutes les grandes entreprises nationales se sont ouverts aux -administrateurs salariés-. Le plus important a cependant été les quatre grandes lois sociales promulguées en 1982 et réunies sous l'intitulé des -nouveaux droits des trailleurs dans l'entreprise-. Décision A haute teneur symbolique : l'une de ces lois a réformé le régime des conventions collectives de février 1950 pour faire notamment que l'entreprise devienne une instance autonome et obligatoire de négociation, quand tout s'organisait naguère au niveau de la branche. Une autre disposition a créé un -droit A l'expression directe et collective des salariés sur l'organisation et le contenu de leur trail-. D'application très inégale, le -droit d'expression- a néanmoins eu pour conséquence remarquable de rendre légitime l'intervention des salariés dans un domaine qui releit jusque-lA par définition de la compétence exclusive de l'entrepreneur : celui de l'organisation de la production. Il a aussi donné une sorte de statut légal aux collectivités concrètes de trail (groupes de trail d'atelier, de bureau), rompant lA la tradition qui voulait qu'il n'y ait rien entre l'individu lié par le contrat de trail et le collectif représenté par le syndicat. Pour le reste, les nouveaux droits ont essentiellement consisté A reloriser le rôle des institutions représentatives du personnel et les moyens mis A leur disposition. En connaissance de cause, les lois de 1982 ont soigneusement contourné le thème dangereux de la réforme de l'entreprise et y ont habilement substitué une démarche de réforme des droits des trailleurs dans l'entreprise. Dans la mASme direction, l'accent mis sur le renforcement des prérogatives syndicales a fait de l'édifice un ensemble globalement conforme aux grands principes de la conception patrimoniale-contractuelle de l'entreprise. Malgré ces prudences (ou grace A elles?), la réalité est devenue soudain plus malléable, les perspectives plus ouvertes : la banalisation de la négociation d'entreprise d'une part, la situation nouvelle de recouvrement entre les champs de compétence des employeurs et des salariés d'autre part, ont constitué des transgressions caractérisées des ous passés. Accomnées par l'affaiblissement paradoxal du pouvoir de mobilisation syndicale A la base, elles ont fait qu'une e a été tournée. La suinte s'écrit maintenant. |
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