La satisfaction des conditions de démocratie politique et économique que nous venons d'évoquer marquerait la reconquASte de la politique et de l'économie par l'espace public. Elle nous rendrait une réelle indidualité sociale, poserait les bases de la liberté et de l'autodétermination aux niveaux politique et économique. Mais les pouvoirs politique et économique ne sont pas les seules formes de pouvoir, et les démocraties politique et économique ne suffisent donc pas A  instaurer la démocratie générale. Celle-ci est inconcevable si elle ne s'étend pas A  l'ensemble du champ social : au lieu de travail, A  la famille, A  l'école, bref A  toutes les institutions économiques et culturelles qui composent ce champ.
Historiquement, il y a eu plusieurs expériences de démocratie dans le champ social, notamment au XXe siècle, en général dans des périodes d'actité révolutionnaire. Mais elles ont été de courte durée et ont surtout concerné les entreprises (comme les conseils ouvriers hongrois40 en 1956) et les élissements d'enseignement (comme les assemblées générales d'étudiants A  Paris en 1968). Elles se sont rarement étendues au-delA .
L'un des problèmes cruciaux de la démocratie dans le champ social est celui des rapports au sein du ménage. Le statut économique et social des femmes s'est amélioré au xx* siècle, sous le double impact de l'expansion des besoins de main-d'œuvre en économie de croissance et de l'action des mouvements féministes. Néanmoins, les rapports entre les sexes dans le ménage sont d'essence hiérarchique ' en particulier dans le Sud, où t la majorité de la population mondiale. Mais la famille, si elle partage avec l'espace public des traits communs fondamentaux - l'inégalité et les rapports de pouvoir-, a toujours été classée dans l'espace privé. Comment faire pour réussir A  la démocratiser ? Tel est le problème ici.
Une solution possible est d'abolir la distinction entre espace public et foyer. Certaines théoriciennes féministes, en particulier écoféministes, glorifient l'oikos et ses valeurs comme substitut A  la polis et A  sa politique, ce qui, observe Janet Biehl, - peut aisément se lire comme une tentative de dissoudre le politique dans le domestique, le cique dans le familial, le public dans le privé41 -.
A€ l'autre extrASme, certaines féministes marxistes42 proposent de supprimer la dualité public/privé en dissolvant tout espace privé dans un espace public unique, un champ étatique socialisé ou fraternel. Mais, remarque Val Plumwood, les féministes qui revendiquent la - déprivatisation - du foyer sont aujourd'hui une minorité, mASme si la plupart soulignent que le concept de - e familiale privée - a ser A  interdire toute remise en cause de la subordination des femmes4-'. Une autre solution possible consiste A  laisser la famille dans l'espace privé, mais A  la - démocratiser -, au sens où ses relations internes deendraient des rapports démocratiques, et le ménage une structure compatible avec la liberté de tous ses membres44.
A€ mon sens, la question n'est pas d'effacer la distinction entre e privée et e publique. Le vrai problème est de trouver comment, en maintenant et en accentuant l'autonomie des deux espaces, élir des dispositifs institutionnels qui introduisent la démocratie au foyer et dans le champ social en général (lieux de travail, élissements d'enseignement, etc.), et renforcent les dispositifs institutionnels des démocraties politique et économique. Une vraie démocratie est inconcevable si le temps libre n'est pas réparti A  égalité entre tous les citoyens, et cette condition ne sera jamais satisfaite tant que persistera l'actuel climat hiérarchique dans la famille, l'entreprise et ailleurs. De plus, la démocratie dans le champ social, en particulier au foyer, n'est possible que si l'on instaure des dispositifs institutionnels qui, reconnaissant que la famille est un - satisfacteur -, intègrent dans le général de satisfaction des besoins les soins et les serces assurés au sein du ménage.