L'Organisation des Nations unies (ONU) a soixante ans en 2005. Mais sa légitimité reste mal assise. Depuis l'automne
2002, la
crise puis la guerre d'Irak confirment les contradictions fondamentales sur lesquelles repose et est vouée à reposer l'ONU. L'organisation reste le lieu central du débat étaire. Durant l'automne 2002 et l'hiver 2002-2003, c'est à l'ONU ou plus précisément au Conseil de sécurité que s'échangent les arguments sur le dossier irakien. Pourtant, l'organisation mondiale, conçue pour encadrer l'usage de la force, se révèle incapable d'empêcher les États-Unis d'attaquer l'Irak et de mettre fin à la dictature de Saddam Hussein. À peine la guerre en principe terminée, le Conseil de sécurité est à nouveau saisi de l'Irak, à la fois légitimant et tentant de contrôler l'occupation de ce pays (résolutions 1483 du 22 mai
2003, 1500 du 14 août 2003, 1546 du 8 juin 2004). De même les États-Unis reennent-ils vers l'organisation mondiale pour obtenir de l'Iran l'abandon de ses ambitions nucléaires militaires. L'ONU demeure incontournable.
Pourtant les critiques émanent de tous les côtés. Pour les réalistes, incarnés aujourd'hui par l'Administration Bush, l'ONU n'est qu'une bureaucratie encombrante et parfois corrompue, incapable de régler les conflits, la solution de ceux-ci dépendant des équilibres (ou des déséquilibres) de force entre les États concernés. Ainsi, aux yeux de Washington, seuls les États-Unis sont capables de batir une paix authentique au Moyen-Orient, en imposant aux régimes en place une dynamique démocratique. Pour le Sud, le monde en développement, cette organisation est un beau projet, confisqué par les plus puissants, et en particulier par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) pouvant, avec leur droit de veto, bloquer tout ce qui leur déplait. Ce droit de veto leur donne, et surtout aux États-Unis, la capacité de stopper l'adoption de toute résolution contraire à leurs intérêts : ainsi toute mise en cause d'Israël rencontre-t-elle l'opposition de Washington (politique dite des « deux poids, deux mesures », Palestiniens et Arabes se ressentant comme inégalement traités en aison aux Israéliens). Quant aux libéraux, à ceux qui croient à la paix par le droit, l'ONU les déçoit : l'organisation mondiale ou au moins son centre, le Conseil de sécurité, ne peut pas dompter les jeux de la puissance. En 2003, la crise irakienne confirme que la machine onusienne n'est pas en mesure de stopper une grande puissance déterminée à utiliser des
moyens militaires. En outre, les opérations de maintien de la paix, qui doivent montrer sa capacité à prendre en charge des territoires ravagés par la guerre, illustrent au contraire beaucoup de ses insuffisances, les Casques bleus pouvant se comporter aussi mal que n'importe quelle troupe (ainsi la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo [MONUC]). Enfin, que de tragédies d'où l'ONU a été ou est absente : génocide du Rwanda (1994), massacre de Srebrenica (1995), atrocités du Darfour (depuis février 2003) et même guerres de Tchétchénie ( 1994-l996, 1999-2000)!
En même temps, il est largement admis que, si l'organisation mondiale était supprimée, l'humanité irait au désastre dans le cas où elle ne recréerait pas tout de suite une institution analogue. L'ONU, aussi insuffisante soit-elle, est l'enceinte des dialogues étaires ; ces dialogues n'accouchent le plus souvent d'aucun accord mais, tant qu'ils se poursuivent, les armes sont plus ou moins contraintes de se taire.
L'ONU est portée par un formidable rêve, celui du Projet de paix perpétuelle d'Emmanuel Kant ( 1795). Ce rêve, qui n'a longtemps été qu'une affaire de philosophes, entre dans le champ politique avec les fameux « quatorze points » du président Wilson (8 janer 1918) : « Une association générale des nations devra être formée [] dans le but de fournir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux grands comme aux petits États ». Il en résulte la Société des nations (SDN) qui souffre d'emblée d'insuffisances graves. Les États-Unis, initiateurs de l'organisation, n'en font pas partie (non-ratification du traité de Versailles). En particulier, fidèles au testament de Washington excluant toute alliance permanente pour ce pays, ils rejettent tout engagement qui leur imposerait de participer à des actions militaires qu'ils n'auraient pas décidées seuls. Or la SDN est créée pour maintenir la paix. Par ailleurs, des États-clés sont laissés de côté : Allemagne, Union soétique1. La SDN fonctionne par consensus, ce qui la voue à l'impuissance dans les crises. Elle échoue, dans les années 1930, à empêcher les engrenages menant à la guerre. Cet échec, loin d'enterrer l'idée d'une organisation mondiale responsable de la paix, accouche au contraire de l'ONU. Les États-Unis confirment leur profond attachement à leur sion d'une paix par un pacte étaire. L'ONU tire les leçons de l'échec de la SDN. La nouvelle organisation se veut « inclusive », ouverte à tous les États. Elle est dotée, avec le Conseil de sécurité, d'un mécanisme décisionnel, responsable du maintien de la paix, et régi par des procédures précises, conférant un poids particulier aux vainqueurs de 1945. Ceux-ci (États-Unis, URSS, Chine, Royaume-Uni et France) sont membres permanents du Conseil, chacun disposant d'un droit de veto sur toute décision.
Maintenir la paix, telle est la raison d'être de l'ONU. Soixante ans après sa mise en place, l'organisation peut être tentée de mettre à son crédit l'absence, depuis 1945, d'un nouveau conflit mondial. Mais est-ce vraiment elle qui empêche l'explosion d'une conflagration étaire ? N'est-ce pas plutôt le
développement d'armements tellement terribles (capacités nucléaires, notamment) qui ont amené les hommes à se montrer beaucoup plus prudents dans le recours à la guerre ? Par ailleurs, les affrontements armés de toutes sortes ne manquent pas depuis 1945 : entre 200 et 700, selon les évaluations, le nombre le plus bas s'en tenant aux affrontements interétatiques, le plus élevé incluant les guerres ciles de tous ordres-La tache de l'ONU est particulièrement complexe du fait certes des goureuses résistances de la souveraineté étatique mais aussi des transformations profondes de la question de la paix au cours des dernières décennies. Les eux enjeux de puissance, d'équilibre persistent. En même temps, la diffusion massive et la densité croissante des interdépendances font pour la première fois de la terre un espace tenu ensemble par des liens humains de toutes sortes, confronté à des défis dits « globaux » : population, maladies, pollutions, armes de destruction massive, etc. Aujourd'hui il ne s'agit plus seulement d'empêcher le déchainement des olences interétatiques et autres mais aussi d'organiser une sure pacifique de l'humanité. L'enronnement, la
santé publique, les terrorismes et bien d'autres problèmes relèvent désormais du maintien ou plutôt de la construction de la paix (sécurité globale). L'ONU, alors qu'elle n'est pas parvenue à éliminer la guerre, voit ses responsabilités s'élargir sans limites, puisqu'il lui faut désormais traiter cette gestion des
risques ou des menaces étaires. Telle est bien la thématique des objectifs du Millénaire pour le développement2.
Outre l'ambition de ses buts, l'organisation combine trois caractères, qui à la fois se complètent et se contredisent.
- L'ONU est une instance de légitimation. Sa bénédiction, si elle n'est pas absolument nécessaire (en 1999, la guerre du Kosovo, par laquelle l'Alliance atlantique met fin à la politique de purification ethnique de la « Yougoslae » de Slobodan Milosec, est déclenchée sans mandat du Conseil de sécurité), est perçue comme essentielle. En 2003, les Etats-Unis de l'Administration Bush, décidés à attaquer l'Irak de Saddam Hussein, recherchent - en vain -cette bénédiction, conscients qu'elle seule peut assurer la pleine légitimité de leur action militaire.
- L'ONU est un instrument d'intervention. Même si l'armée onusienne, prévue par les articles 45 à 47 de la Charte, ne voit pas le jour, PONU mène des opérations très diverses de maintien ou de rélissement de la paix. Ces opérations ad hoc, créées soit par l'Assemblée générale, soit principalement par le Conseil de sécurité, se multiplient depuis la fin de la guerre froide. Le Conseil n'est plus quasiment paralysé par le veto systématique de l'URSS ou des États-Unis. Ces interventions soulèvent tout de même d'innombrables difficultés dans chacune de leurs dimensions : buts politiques, organisation logistique, décisions militaires, relations avec les populations concernées, etc. (voir encadré 2).
- L'ONU est une bureaucratie. Elle en a les défauts : lourdeur, irresponsabilité, gaspillage et même corruption (scandales liés à l'opération « Pétrole contre nourriture »). Ces caractères bureaucratiques font de l'organisation mondiale la cible parfaite de courants souverainistes, en particulier au Congrès américain dont plusieurs membres préfèrent oublier que les États-Unis en sont les initiateurs (voir encadré 4).
Aujourd'hui l'ONU t dans une succession de paradoxes : la notion de maintien de la paix s'élargit mais, simultanément, les États ne semblent pas avoir renoncé au droit d'user de la force militaire ; ce droit, tout en se révélant irréductible, doit être de plus en plus justifié ; enfin, le Conseil de sécurité n'est peut-être plus représentatif, mais aucune formule alternative n'emporte la conction.
Ce qui s'impose tout de même en premier lieu, c'est le caractère central acquis par l'ONU dans le monde de l'après-guerre froide. Elle est l'enceinte où se discutent les grands défis de la guerre et de la paix. Cependant, l'ONU fait et fera face longtemps à trois difficultés majeures, à la fois distinctes et entremêlées : / 'élargissement du maintien de la paix ; l'incapacité de l'organisation à retirer aux grandes puissances le droit défaire la guerre ; enfin, la légitimité contestée du Conseil de sécurité.
La constellation onusienne
Le système onusien est d'une extrême richesse, l'ONU, elle-même, n'étant que le cour d'un ensemble d'au moins 15 organisations (institutions spécialisées) et agences.
L'ONU est la structure centrale, s'occupant de la question internationale par excellence (le maintien de la paix, la gestion de la force légitime), et comprend six organes principaux :
. l'Assemblée générale, réunissant tous les États membres (191 en 2005), est un forum étaire, sans pouvoir juridique;
. le Conseil de sécurité est l'instance centrale. Les résolutions qu'il adopte pour le maintien de la paix (chapitre VII) doivent être appliquées par tous les États membres. Il est le policier officiel du monde, ayant pour mission de prévenir ou d'arrêter tout affrontement armé ;
. le secrétaire général peut être considéré comme un médiateur étaire, chargé d'alerter les États sur tout risque de crise ou de conflit. Il ne peut agir qu'avec les instructions du Conseil de sécurité, mais dispose tout de même, s'il se montre habile, d'une influence considérable, pouvant se faire reconnaitre comme une instance morale, dénonçant tel ou tel danger (sida, antisémitisme, etc.). En même temps, le secrétaire général est très vulnérable, soumis notamment à la surveillance des grandes puissances ;
. le Conseil
économique et social doit traiter des dimensions économiques et sociales de la paix. Son rôle est resté marginal ;
. le Conseil de tutelle a été conçu afin de surveiller l'évolution des territoires sous tutelle, mais a perdu toute raison d'être ;
.
la Cour internationale de justice peut soit être consultée pour as sur toute question juridique par des
organisations internationales, soit statuer sur des litiges que lui soumettent les États.
L'ONU, instance centrale de légitimation
Du 25 avril au 25 juin 1945, la conférence de San Francisco installe l'ONU au centre du système mondial. L'objectif de cette rencontre est d'élir un pacte entre les 51 États participants, tous les États souverains d'alors, à l'exception des États ennemis : Allemagne, Japon, Italie. L'ambition est bien un contrat entre tous les États de la ète. En 2005, ce but d'universalité peut être considéré comme presque atteint: l'organisation compte 191 États membres Les absents ou exclus sont très peu nombreux : le Vatican, Taiwan.
Tout au long de la guerre froide, de la fin des années 1940 au début des années 1990, l'ONU se retrouve mise de côté pour deux raisons liées : la conuration Est-Ouest du système mondial ; la paralysie du Conseil de sécurité qui en résulte, chacun des deux supergrands mettant son veto sur tout dossier que l'autre souhaiterait évoquer. Or, depuis les années 1990, une donne radicalement différente s'instaure.
Un espace mondial décloisonné et de plus en plus structuré
Avec l'évanouissement de l'antagonisme Est-Ouest - durant lequel chacun des deux blocs assurait, lui-même, sa propre paix3 -, l'espace mondial cesse d'être cloisonné (bloc occidental, bloc soétique, Tiers-Monde). Dans le monde post-bipolaire, les crises ne sont plus filtrées, toutes peuvent remonterjus-qu'à l'ONU. Le jeu diplomatique retrouve une ouverture, une complexité qu'il n'avait pas ou plus.
Cet assouplissement du jeu onusien, du fait de la fin de la guerre froide, bénéficie également de la diversification du Sud. Lui aussi cesse de se comporter comme un quasi-bloc guidé par un seul motif : l'anti américanisme ou l'anti-occidentalisme. Dans les années 1960 et 1970, alors que le Conseil de sécurité est paralysé par l'antagonisme Est-Ouest, l'Assemblée générale, dominée par l'arrivée massive des pays récemment décolonisés, s'érige en machine de guerre anti-occidentale, multipliant les résolutions affirmant l'indépendance du Tiers-Monde. À partir des années 1980, l'Assemblée s'affranchit peu à peu de cette rigidité tiers-mondiste. Le Tiers-Monde n'est plus automatiquement soudé contre l'Occident. Les pays du Sud prennent conscience de leurs intérêts stricts d'État. Ainsi, en 1990, condamnent-ils massivement l'occupation du Koweït par I ' Irak, ce dernier étant pourtant un pays du Sud.
Ce décloisonnement politique s'opère alors que, simultanément, la
mondialisation s'amplifie et s'accélère : écroulement ou transformation des régimes autarciques, ouverture et porosité des frontières, développement des échanges, intégration des économies, etc. Cette poussée de mondialisation remodèle les questions de sécurité : sécurité des flux (notamment maritimes et aériens), contrôle des flux dangereux, surveillance des zones grises, mise en ordre des espaces de délinquance. Ainsi émergent les problèmes dits « globaux », questions concernant toute la ète, et dont l'enjeu ultime est la sure de l'humanité. Ces problèmes, du changement
du climat à la prolifération des armes de destruction massive, rappellent à l'humanité la précarité de sa condition. Surtout, avec ces problèmes nés des actités ou des inventions humaines, les hommes se découvrent responsables de leur sure. La sécurité ne peut se réduire à l'élimination de la guerre ; elle doit être globale, c'est-à-dire ser à diminuer ou à contrôler tous les risques qui menacent l'homme : conflits armés, mais aussi catastrophes industrielles, désastres écologiques, etc.
Parallèlement à cet élargissement de la sécurité, contribuant à « mondialiser » la paix, s'opère un renforcement du maillage institutionnel mondial. L'ONU n'est pas une organisation isolée, c'est une pièce d'un dispositif complexe et dynamique, celui de l'institutionnalisation du monde. Le maintien de la paix s'inscrit dans une problématique plus vaste : organiser le développement pacifique de l'humanité.
Ainsi ce qui était entouré de silence est désormais connu et débattu : massacres, génocides, etc. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948) se révèle être une première pierre sur une longue route conduisant notamment à la création de tribunaux pénaux internationaux dans les années 1990. De même, les formes de solidarité institutionnelle s'approfondissent-elles. Le Fonds monétaire international (FMI) n'est pas qu'un gendarme économique, c'est aussi une source d'aide et de coopération. Les structures privées poussent les instances publiques à se montrer moins administratives, plus proches des hommes. La question de la guerre et de la paix se trouve insérée dans une problématique plus vaste, celle de la construction d'une société mondiale.
La deuxième naissance du Conseil de sécurité
- Pour les fondateurs de l'ONU, et surtout pour les États-Unis, le Conseil de sécurité est l'organe central du système. Avec, notamment, ses cinq membres permanents - les cinq vainqueurs de 1945 -, il doit assurer le maintien de la paix par une concertation permanente entre les principaux acteurs, gardiens de l'ordre éli. Il s'agit bien d'adapter à un univers démocratique, fondé sur l'égalité souveraine des États, le principe très classique de la gestion de la paix par les vainqueurs, par les grands. Le Conseil de sécurité ou plus exactement ses membres permanents organisent à l'échelle étaire une structure analogue au concert européen des siècles passés, qui réunissait régulièrement les grandes puissances européennes, veillant à préserver ensemble la paix. Le bon fonctionnement du système requiert donc l'entente entre ces puissances, celles-ci plaçant la paix au-dessus de leurs intérêts particuliers4. En 1945, la première source de blocage de l'ONU ent justement des désaccords de fond entre les deux principaux vainqueurs, les États-Unis et l'URSS.
Le Conseil de sécurité est largement paralysé de 1950 à la fin des années 1980. Durant ces décennies, le Conseil n'est en mesure de prendre des décisions que si les deux supergrands ne sont pas en désaccord. Les cas sont très rares : définition des principes de règlement du conflit israélo-arabe (fameuse résolution 242 du 22 novembre 1967) ; en 1966, condamnation de la proclamation unilatérale de l'indépendance par la Rhodésie du Sud ; en 1977, sanctions contre l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Le Conseil de sécurité nait ou renait vraiment en 1990-l991 avec l'affaire du Koweït (invasion de l'émirat par les forces irakiennes). Le Conseil connait un moment exceptionnel de quasi-unanimité pour condamner l'occupation irakienne et autoriser le recours à la force armée pour libérer le Koweït (résolution 678 du 29 novembre 1990). Le Conseil et notamment ses cinq membres permanents identifient des intérêts communs : respect des frontières élies et de l'égalité souveraine des États. Ainsi rejettent-ils toute agression d'un État par un autre État.
Même si le consensus du moment koweïtien ne se retrouve guère durant les années 1990, le Conseil s'installe au cour de plusieurs crises ou conflits : ex-Yougoslae, Corne de l'Afrique, etc.
- Le Conseil, tout en se montrant souvent disé, se fait le promoteur d'une paix globale partant de la mise à plat du passé, afin de rendre possible un avenir radicalement nouveau. Ainsi, sur le fondement du chapitre VII (maintien de la paix), crée-t-il deux tribunaux pénaux internationaux, celui pour l'ex-Yougoslae (TPIY, résolution 808 du 22 février 1993) et celui pour le Rwanda (TPIR, résolution 955 du 8 novembre 1994). Élir la paix, c'est donc notamment punir ceux qui commettent des « olations graves du droit
humanitaire » et garantir aux ctimes ou a leurs enfants une réparation. Ces tribunaux sont conçus comme l'une des composantes de processus globaux, sant à transformer une région : identification et sanction des eilles haines, consécration des frontières, mise en place de régimes démocratiques, organisation d'un espace d'échanges et de développement économique.
- Le Conseils 'impose comme l'instance mondiale de légitimation, le lieu où est consacrée la légitimité d'une intervention extérieure : en 1994, opération française « Turquoise » au Rwanda ; également en 1994, opération américaine « Soutenir la
démocratie » en Haïti ; en 1999, opération australienne pour l'accession du Timor oriental à l'indépendance ; en 2003, opération « Artémis » en République démocratique du Congo ; en 2004, Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), etc. La puissance intervenante, obtenant un mandat du Conseil de sécurité, peut se poser en instrument de la communauté internationale. Certes, en 1999, il y a l'exception du Kosovo : la guerre menée par l'Alliance atlantique, pour mettre fin aux terribles exactions de la « Yougoslae » de Slobodan Milosec au Kosovo, n'est pas autorisée par le Conseil de sécurité (veto certain de la Russie, en cas de demande d'autorisation). Ce qu'illustre le Kosovo, c'est bien la difficulté de la légitimation dans un monde qui reste une jungle tout en devenant une société. Si le policier officiel est disé, un policier de fait doit-il et peut-il agir à sa place ?
- Enfin, le droit de veto, cet atout exclusif des cinq membres permanents, n 'est peut-être plus tout à fait un pouvoir absolu, le Conseil devenant une enceinte à Quinze.
Selon la Charte, « les décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions [que les questions de procédure] sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents [] » (article 27 alinéa 3). Le mot « veto » n'apparait pas explicitement dans ce texte, mais il s'agit bien de cela : tout membre permanent peut bloquer tout projet de résolution qui ne lui conendrait pas. Tout au long de la guerre froide, le recours au veto va de soi : notamment, les États-Unis et l'URSS bloquent systématiquement tout ce qui peut les gêner.
Avec la décomposition des clivages Est-Ouest et Nord-Sud, les débats du Conseil de sécurité tendent à s'organiser à Quinze. Si, à l'époque Est-Ouest, la priorité est en général « négative » (bloquer le texte de l'autre camp), elle deent « positive » dans le monde post-Est-Ouest : les résolutions du Conseil de sécurité sont essentielles pour la légitimité d'opérations militaires ; le but est alors d'obtenir un texte et donc à la fois de ne pas se heurter à un veto et de rallier au moins neuf voix. En février-mars 2003, les États-Unis et la France s'opposent durement autour de l'Irak. Les premiers veulent obtenir une résolution soutenant leur action contre le régime de Saddam Hussein ; la seconde bloque cette démarche -d'où une
concurrence fiévreuse entre les deux États pour rallier les dix membres non permanents. Finalement, les États-Unis renoncent à leur résolution. Ce qu'indique eelte péripétie, c'est bien que les membres non permanents commencent d'acquérir un poids spécifique. Quelque chose comme une démocratisation du Conseil s'opère : le recours au veto doit être justifié ; les membres non permanents, élus par l'Assemblée générale, agissent et sont perçus comme des représentants du plus grand nombre ( 186 États sur 191).
L'élargissement du maintien de la paix
La mission centrale de l'ONU est de maintenir la paix. Dans l'esprit des auteurs de la Charte, il s'agit d'empêcher ou d'arrêter des guerres classiques, ou des affrontements armés entre des entités à peu près égales.
De l'arrêt incertain des guerres à la pacification des sociétés
Depuis les années 1990, le Conseil étend le domaine du maintien de la paix : la paix doit résulter non d'un équilibre toujours précaire entre puissances, mais d'une démarche globale, sant à transformer l'ensemble des rapports entre ceux qui s'affrontaient.
Il ne s'agit plus seulement de stopper des combats mais d'organiser des processus de pacification des sociétés et de leurs rapports, notamment en contraignant ces sociétés à regarder en face les crimes commis. Ici se profile le problème de « la construction d'États » (state-buildingf (voir également encadré 2). La paix ne peut être assurée que par un certain type d'État : « Les meilleurs instruments pour la prévention des conflits sont des États capables, exerçant leur souveraineté de manière responsable, faisant face à leurs dangers intérieurs avant que ces dangers n'affectent les autres, et agissant collectivement avec les autres États pour apporter des solutions aux menaces globales6 ». Ainsi, dans le sillage de la fin de l'antagonisme Est-Ouest, « des élections périodiques et honnêtes » (résolution A/46/137 du 17 décembre 1991 de l'Assemblée générale des Nations unies) sont-elles identifiées comme l'une des conditions de la paix
Dans cette perspective, les droits de l'homme deennent l'une des dimensions de la nouvelle paix globale, d'où les débats autour de la Commission des droits de l'homme de l'ONU. Pendant des décennies, cette instance intergouvernementale, composée de 53 États, n'est qu'une trine diplomatique : pour les États du Tiers-M onde, seul importe le respect de leur souveraineté ; quant aux Occidentaux, ils sont tout à fait disposés à jouer le même jeu. Le scandale éclate en 2003. La Libye est élue pour un an présidente de la Commission (33 voix pour, 17 abstentions, 3 votes contre : États-Unis, Canada et Guatemala). Pour les États-Unis de l'Administration Bush, les droits de l'homme sont un enjeu réel. L'épisode libyen inscrit la réforme de la Commission dans l'agenda de l'ONU. De plus, Kofi Annan, africain d'origine (né au Ghana), veut rester dans les mémoires comme un secrétaire général dépassant les eux clivages (ici, entre Occident et Tiers-Monde) et promouvant une organisation pleinement universelle. En 2005, dans son de réforme de l'ONU7, Kofi Annan propose de remplacer la commission discréditée par un Conseil des droits de l'homme. Ce conseil serait plus restreint que l'actuelle commission ; il ne devrait comprendre que des États incontesles en matière de droits de l'homme. Ici, commencent les difficultés : qu'est-ce qu'un État incontesle en matière de droits de l'homme ? Par exemple, cet État doit-il être partie aux deux pactes des Nations unies sur les droits cils et politiques, ainsi que sur les droits économiques, sociaux et culturels ? Les États-Unis n'ont pas ratifié le second, la Chine n'a pas ratifié le premier. Par ailleurs, le Conseil peut-il être ouvert à des États commettant des olations graves des droits de l'homme ? Doit-il et peut-il accueillir la Russie (Tchétchénie) ou même les États-Unis (Guantanamo) ?
L'ambition de l'ONU deent immense : reconstruire le système international autour d'États se concevant non comme des machines de guerre, mais comme des rouages de la gestion étaire (contrôle du territoire et des actités s'y déroulant, participation à la surveillance des flux, contribution à l'élaboration des réglementations internationales, etc.).
L'ONU et la construction d'États
Depuis la décennie 1990, la construction d'États ou de nations s'impose comme l'une des rubriques majeures de l'agenda mondial : Cambodge, ex-Yougoslae, Afghanistan, Irak, etc.
Trois exemples mettent en lumière ce que peut faire l'ONU, ainsi que les limites de son action.
. Kosovo. Le 10 juin 1999, la résolution 1244 du Conseil de sécurité place le Kosovo sous administration des Nations unies. Tout en continuant de faire partie de la République fédérale de Yougoslae - renommée « Serbie et Monténégro » -, il doit être doté de la plus large autonomie. Six ans après la guerre qui a fait capituler la « Yougoslae » de Slobodan Milosec, le Kosovo demeure en très médiocre état. Les Albanais sont furieux de ne pas disposer d'un État indépendant. Les Serbes voudraient récupérer des morceaux de la pronce (cantonisation).
. Afghanistan. En novembre 2001, l'Afghanistan des Talibans est balayé. Un processus se met en place sous l'égide des Nations unies : élissement d'institutions démocratiques ; proclamation de la République islamique d'Afghanistan ; élection à la présidence du modéré Hamid Karzaï. Mais ce pays est loin d'être sorti de son bourbier. Ce que confirme l'Afghanistan, c'est le rôle nécessairement limité de l'ONU. Elle est un expert en gouvernement et en administration fournissant une assistance technique.
. Irak. En Irak, l'ONU est une instance de légitimité et un spectateur. Tout au long de la crise s'achevant par l'occupation de l'Irak (automne 2002-printemps 2003), les États-Unis de l'Administration Bush, échouant à obtenir un mandat du Conseil de sécurité légitimant leur intervention militaire, mettent de côté l'ONU. Pourtant, peu à peu, celle-ci ou plus exactement le Conseil de sécurité se trouve réintroduit dans les affaires irakiennes. En 2003-2004, il adopte quatre résolutions bénissant le processus irakien.
Les opérations de maintien de la paix
Les opérations de maintien de la paix, ces interventions par lesquelles l'ONU envoie dans une zone
donnée des Casques bleus séparer des combattant et veiller au respect d'un cessez-le-feu, ne sont pas prévues par la Charte. Selon celle-ci, l'ONU doit être dotée d'une armée, coiffée par un Comité d'état-major. Cette armée étant restée sur le papier, l'ONU bricole les forces de maintien de la paix. La première (Force d'urgence des Nations unies [FUNUI], 1956-l967) est conçue en 1956 par l'Assemblée générale, à la suite de l'affaire de Suez. D'autres opérations suivent : Opération des Nations unies au Congo (ONUC) au Congo ex-belge (1960-l964) ; Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (United Nations Force Peace Keeping in Cyprus, UNFICYP) depuis 1964; Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) depuis 1978, etc. Au total, près de 60 opérations depuis 1956, impliquant 750 000 militaires venant de 123 pays. Une douzaine d'opérations sont encore en cours.
Ces opérations, plutôt que d'être des étapes dans un processus de paix, sont le plus souvent des actions dont les buts politiques s'enlisent.
Plusieurs se poursuivent depuis des années alors que les perspectives de règlement sont constamment repoussées : Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO) depuis 1991, MONUC (République démocratique du Congo) depuis 1999, etc.
Des opérations sont engagées, alors que le Conseil de sécurité, responsable politique de ces actions militaires, est profondément disé. Des forces de maintien de la paix se retrouvent parfois dans des situations de guerre, mais elles ne sont en aucune manière préparées pour ce type de mission : Congo ex-belge au début des années 1960, ex-Yougoslae en 1992-l995, Somalie en 1992-l993, etc.
Les troupes composant ces forces finissent souvent par être perçues comme des occupants. Les Casques bleus se comportent parfois mal. Ainsi la MONUC, l'opération la plus importante de maintien de la paix, commet-elle de nombreuses exactions.
Éléments bibliographiques : Chesterman (2004), Dobbins (2004).
Des chantiers éparpillés et inachevés
Cet élargissement du maintien de la paix a quelque chose d'une fuite en avant, d'où la multiplication des chantiers éparpillés et inachevés.
L'ex-Yougoslae illustre cet inachèvement. En 1995, à la suite des accords de Dayton, les Nations unies passent la main à l'Alliance atlantique en Bosnie-Herzégone. L'ONU est poussée de côté du fait des disions entre les membres permanents du Conseil de sécurité, en particulier entre les Occidentaux soucieux de préserver une unité bosniaque et la Russie plus ou moins protectrice de la Fédération yougoslave de Slobodan Milosec. En 1999, la tragédie du Kosovo (répression massive des Kosovars par l'armée serbe) dise à nouveau le Conseil de sécurité, la Russie s'opposant à toute opération contre Belgrade. L'Alliance atlantique, agissant sans mandat du Conseil, met Belgrade au pas. Les combats terminés, l'ONU récupère l'administration du Kosovo (résolution 1244 du 10 juin 1999), mais c'est pour être prisonnière d'un dilemme insoluble : la résolution, tout en réaffirmant « la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslae », réaffirme également le souhait d'« une autonomie substantielle et d'une large auto-administration » pour le Kosovo. Le Kosovo s'installe dans un prosoire lourd de conflits, le Conseil de sécurité ayant le choix entre deux options, toutes deux mauvaises : soit le maintenir dans l'orbite serbe, ce que rejettent olemment les Kosovars ; soit lui donner son indépendance et donc ouvrir la voie à de nouvelles résions de frontières (notamment sécession de la partie albanaise de la Macédoine).
Un autre exemple de ces inachèvements est donné par les désillusions que suscitent les deux tribunaux pénaux internationaux (exYougoslae, Rwanda), créés par le Conseil de sécurité. Ces tribunaux doivent montrer que le Conseil est le garant de paix justes. Or, pour l'ex-Yougoslae, plusieurs des principaux criminels (Radovan Karadzic, Ratko Mladic) courent toujours, rappelant qu'il n'y a pas de justice sans police. Quant au Rwanda, le processus judiciaire s'est enlisé et décomposé, le tribunal créé par le Conseil se révélant peu efficace et corrompu, et le Rwanda élissant ses propres tribunaux.
Le recours à la guerre de plus en plus contraint de se justifier
La Charte entre utopie et réalité
La question du recours à la force représente le défi central de la Charte de l'ONU. À cette question, elle donne une réponse prudente : l'objectifn 'est pas de supprimer la force, mais d'en discipliner l'usage. Le but ultime est le transfert de la force légitime des États vers un « policier mondial », le Conseil de sécurité des Nations unies. Il s'agit, selon le vocabulaire de Max Weber, de remettre le « monopole de la olence légitime » à une autorité étaire. La Charte concilie sécurité collective démocratique (au sein de l'Assemblée générale, chaque État, quelle que soit sa puissance, a une voix) et exigence d'efficacité : le Conseil, avec ses membres permanents, est bien un directoire de grandes puissances.
La Charte ignore le mot « guerre ». D'une part, la guerre est de ces notions protéi formes qui échappent à toute définition juridique : à peine cernées, elles se transforment (ainsi la guerre interétatique reculant devant des formes infinies de « guerre cile »). D'autre part, l'absence de ce mot suggère bien la transformation du statut de la guerre : celle-ci cesse d'être un mode normal de régulation des rapports interétatiques pour devenir un acte de délinquance, condamné par le droit.
La Charte ne peut ignorer la réalité : le monde reste fait d'États souverains ; tout système universel doit être bati non contre eux mais avec eux. Le fameux article 51 rappelle qu'« aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au
droit naturel de légitime défense, indiduelle ou collective1*, dans le cas où un membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationale ». L'agression d'un État par un autre État est toujours possible. L'ONU n'offre aux États qu'une garantie limitée, l'intervention possible et probable du Conseil de sécurité. Si le Conseil se révèle incapable de prendre les « mesures nécessaires », tout État agressé doit demeurer en mesure de se défendre.
Par ailleurs, le Conseil de sécurité reste composé d'États. C'est donc à un collège d'États, comprenant d'abord les cinq plus puissants d'entre eux, qu'est confié le pouvoir de police étaire. Lorsque le Conseil délibère et décide, les États membres, tout en devant protéger les intérêts généraux de la ète, ne sauraient oublier leurs intérêts propres. En 1991, la libération du Koweït, bénie par le Conseil de sécurité, est une action de police internationale ; c'est aussi une opération dictée par les intérêts de l'Occident (empêcher le contrôle par l'Irak de réserves pétrolières considérables).
L'ONU est d'autant plus contrainte de prendre acte de la jungle interétatique que, contrairement à ce que prévoit la Charte (articles45 à 47), l'organisation mondiale n'a jamais été dotée par les États des « contingents nationaux » qui auraient constitué l'embryon d'une armée étaire. Les troupes onusiennes n'ont jamais vu le jour.
Dans ces conditions, le Conseil de sécurité n 'est pas le policier du monde mais seulement le garant d'un usage encadré de la force par les États membres. Ces derniers restant maitres des décisions et des moyens militaires, l'ONU peut, dans la meilleure des hypothèses, les amener à accepter une certaine discipline dans le recours à la force. Telle est l'une des directions explorées par le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement intitulé « Un monde plus sûr : notre affaire à tous », dit « rapport des Sages », commandé par Kofi Annan9.
Discipliner le recours à la force
L'État souverain demeure le détenteur de la légitimité, le gardien de la sécurité d'un territoire, d'une population. Le droit de faire la guerre peut-il être retiré à l'État ? Une évolution spécifique au monde actuel confère une actualité particulière à cette question : la prolifération multiforme de moyens de destruction, pouvant donner à des « voyous » (États, mais aussi groupes privés) la capacité de déchainer brutalement une frappe redoule - ainsi, le 11 septembre 2001, Al-Qaida détournant à des fins meurtrières des aons a priori tout à fait pacifiques. Les États peuvent-ils être laissés démunis devant cette imprésibilité, susceptible de se déchainer à tout moment ?
Le rapport des Sages de l'ONU considère que la responsabilité centrale du Conseil de sécurité est d'« autoriser ou [d'] approuver l'usage de la force ». Or, pour le rapport, le paysage mondial d'aujourd'hui est radicalement différent de celui ensagé par la Charte en 1945. Pour celle-ci, conçue à partir des conflits de la première moitié du xxc siècle, le défi majeur est de prévenir ou d'empêcher l'éclatement de grandes guerres entre États. Ces guerres s'inscrivent dans un schéma connu : ce sont des affrontements interétatiques, s'accomnant de mobilisations lourdes de forces considérables, avec un début (déclaration de la guerre), un milieu (bataille) et une fin (ctoire de l'un des camps). Soixante ans plus tard, ces guerres n'apparaissent plus à l'ordre du jour : la guerre de conquête a perdu toute légitimité (ainsi, en 1990-l991, l'invasion du Koweït condamnée puis anéantie) ; en outre, la puissance et la sophistication des armements contraignent à beaucoup de prudence les États, conscients des risques suicidaires de toute montée aux extrêmes. Dans cet enronnement, le danger majeur ent (ou endrait) d'acteurs incontrôlables (mouvements, États voyous), cherchant à désiliser ou à détruire le système en place. Pour les États élis, il est exclu qu'ils ne développent pas de moyens militaires leur permettant de neutraliser ces acteurs et, plus précisément, d'anéantir leurs capacités de frappe. Telle est bien l'idée directrice de la doctrine Bush, formulée dans le discours prononcé à l'Académie militaire de West Point le Ier juin 2002 : « Notre sécurité requiert de transformer notre outil militaire ; celui-ci doit être prêt à frapper à tout moment n'importe quel coin de la ète []. Nous devons être prêts à lancer une action préemptive si cette dernière se révèle nécessaire pour défendre notre liberté et nos es. »
Les États, et d'abord les plus puissants, ne sont en aucune manière disposés à abandonner leurs armements. Ces armements sont appelés à être constamment modernisés afin d'éliminer ou au moins de réduire les risques d'attaque-surprise. Dans un tel climat, ce que peut espérer obtenir l'ONU, c 'est un code de bonne conduite, engageant les États à recourir à la force armée dans le respect de certaines conditions. Le Conseil de sécurité vérifierait que les conditions nécessaires sont remplies ; si elles le sont, il pourrait autoriser l'usage de la force militaire. Le rapport des Sages, toujours circonspect, n'énumère pas les conditions, il demande au Conseil de se poser cinq questions :
- La menace est-elle d'une nature et d'une graté telles qu'elle requiert l'usage de la force militaire ?
- Les motifs de l'opération ensagée sont-ils suffisamment pressants pour fonder la nécessité d'une action militaire ?
- Toutes les options non militaires (en particulier, négociations de tous types) ont-elles été épuisées ?
- Les moyens de l'intervention sont-ils strictement proportionnés à la menace ? Il s'agit de supprimer la menace. Rien de plus, rien de moins.
- Enfin, les résultats probables de l'action promettent-ils d'être positifs ? Les avantages de l'action l'emportent-ils sur ceux de l'inaction ?
Ces cinq questions, non seulement le Conseil de sécurité devrait les soulever lors de toute crise mais chaque État devrait aussi se les poser au moment d'engager une action militaire.
Le rapport conclut : « Ces directives régissant l'usage de la force devraient être consignées dans des résolutions déclaratoires du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale. »
Un déplacement subreptice du pouvoir du Conseil de sécurité ?
Un éventuel code de bonne conduite pour l'usage de la force armée n'abolit pas la question qui hante le système onusien : les États, et notamment les plus puissants, sont-ils vraiment disposés à accepter que le recours à la force soit contrôlé par une instance supérieure ?
Pour la Charte, seule la légitime défense (self défense) peut justifier le recours par les États à la force militaire « jusqu'à ce que » le Conseil de sécurité agisse. Le Conseil doit devenir le policier du monde, à la fois parce qu'il est chargé d'empêcher les États de se battre et parce que les membres des Nations unies mettent à sa disposition des capacités militaires (article 45 de la Charte) pour stopper ou prévenir d'éventuelles « chamailleries » interétatiques. Ce dispositif n 'a jamais fonctionné du fait tant des disions du Conseil que de l'absence d'armée onusienne, qui n 'a connu aucun début de réalisation.
Au fond le rapport des Sages prend acte de cet échec et en tire pour leçon un déplacement du rôle du Conseil de sécurité : celui-ci devrait être un arbitre, veillant au respect des règles du jeu (le code de bonne conduite). Mais les États sont-ils mûrs pour se rallier à cette solution, c'est-à-dire prêts à se soumettre à un authentique contrôle du Conseil sur leur usage de la force ?
Le Conseil, toujours composé d'États, resterait à la fois juge et partie. Est-il concevable que les États-Unis (ou la Russie, ou la Chine) se soumettent à un mécanisme de vérification de leur droit souverain d'utiliser leurs armements ? Les cinq grands renonceraient-ils à brandir leur droit de veto, lorsque serait débattue une menace les sant directement ? Ces grands et bien d'autres États pourraient-ils accepter qu'une menace, ressentie et analysée par eux comme grave et imminente, soit laborieusement décortiquée par le Conseil de sécurité, certains des Quinze avançant que l'affaire appelle réflexion et discussion ?
Refonder le Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité s'efforce de combiner les deux logiques fondamentales du système international contemporain. Les cinq membres permanents s'inscrivent dans la logique multiséculaire de la puissance et de l'équilibre : il s'agit des cinq vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et, depuis toujours, il appartient d'abord aux vainqueurs d'organiser et de gérer l'ordre en place. Les dix membres non permanents, élus pour une période de deux ans, incarnent, eux, la dynamique démocratique de cet ordre. L'ONU est batie comme le mécanisme d'une paix démocratique : un pacte entre tous les États souverains, ceux-ci ayant les mêmes droits et obligations, et acceptant de se soumettre à un policier mondial, le Conseil de sécurité. Ce dernier prend donc en compte à la fois les
données traditionnelles (la prééminence des vainqueurs) et l'universalisation des principes démocratiques.
Soixante ans ont passé. Les cinq vainqueurs de 1945 occupent toujours leur position prilégiée, chacun gardant son siège de membre permanent avec droit de veto. Or cette position ne peut être modifiée qu'avec l'accord du détenteur10. Les États-Unis, la Russie et la Chine, du fait de leur taille et de leur puissance, bénéficient d'une légitimité peu contestée. Il n'en va pas de même pour le Royaume-Uni et la France, puissances moyennes, en outre membres de l'Union européenne qui, elle, pourrait avoir un jour vocation à occuper un siège de membre permanent. Ni le Royaume-Uni, ni la France ne sont disposés à abandonner cet élément fondamental de leur statut international - d'où, depuis des décennies, un débat lancinant sur la réforme du Conseil de sécurité, toutes sortes d'options étant ensagées. Pourtant, d'emblée, selon le rapport des Sages, une limite semble être posée : Il n 'est pas question de toucher aux membres permanents ; ce qui est proposé, c 'est d'élargir leur nombre. L'Allemagne, le Japon, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud font valoir de nombreux titres (en particulier leur contribution financière à l'ONU) à occuper un tel siège. Il en résulte une surenchère, jusqu'à présent sans résultat ; l'Inde réclamant un siège, le Pakistan avance : pourquoi pas moi ? De même le Nigeria, rivalisant avec l'Afrique du Sud, souligne qu'il est de loin le pays le plus peuplé d'Afrique et que, par conséquent, il devrait obtenir le siège des Africains.
À LA RECHERCHE DE LA COMPOSITION IDÉALE
En 1945, le critère d'éligibilité aux sièges de membres permanents est en principe simple : urer parmi les vainqueurs du conflit. La mise en ouvre de ce principe s'accomne de négociations complexes. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l'URSS sont des vainqueurs incontesles, participants exclusifs aux sommets qui préparent l'après-guerre (Téhéran, Yalta, Potsdam). La Chine (de Chiang Kaishek), elle, obtient son siège grace aux États-Unis de Roosevelt, pour lesquels elle doit être un allié-clé, une « puissance-relais » en Asie. Le cas de la Fiance est plus délicat : ni les États-Unis, ni l'URSS ne lui reconnaissent la position de vainqueur ; mais le Royaume-Uni de Churchill, hanté par la menace soétique sur l'Europe, veut avoir un allié européen sûr, qui ne saurait être que la France - d'où l'obstination, couronnée de succès, de Churchill à obtenir un siège de membre permanent pour cet État.
Alors aujourd'hui quel peut être le critère d'éligibilité ? Le poids démographique ? Les capacités militaires ? Les ressources financières ? De plus le Conseil ne doit-il pas représenter toutes les parties du monde, notamment le Moyen-Orient et l'Afrique, régions d'où n'émerge pourtant aucune puissance d'envergure étaire ?
Sur ce terrain particulièrement miné", le rapport des Sages se montre d'une grande prudence. Il parait être guidé par deux idées : ne pas toucher aux cinq membres permanents actuels, qui garderont leur siège ; assurer une meilleure représentatité géographique du Conseil par l'accueil de nouveaux membres selon des modalités diverses. Deux solutions sont proposées :
- création de six sièges supplémentaires de membres permanents sans droit de veto et de trois sièges de membres non permanents avec un mandat de deux ans. Le nombre total des membres du Conseil s'élèverait de 15 à 24, ces 24 se répartissant en quatre groupes égaux de six (Afrique, Asie-Pacifique, Europe, Amériques) ;
- création, aux côtés des cinq permanents et de dix non permanents, d'une troisième catégorie de sièges avec mandat renouvelable de quatre ans. Ce nouveau groupe comprendrait huit États. Par ailleurs, serait créé un nouveau siège avec mandat de deux ans non renouvelable. L'effectif total du Conseil serait également de 24 membres, toujours disé en quatre groupes égaux : Afrique, Asie-Pacifique, Europe, Amériques.
Dans ces deux schémas, le Groupe prend acte qu'il n'existe « aucun moyen pratique de modifier le pouvoir que le droit de veto confère aux États que le détiennent. 11 reste que cet élément a un côté anachronique qui sied mal à l'institution, étant donnée l'avancée de la démocratie ». Le rapport, sans le formuler explicitement, considère que le droit de veto est voué à dépérir. En marquant clairement que la formule des membres permanents avec droit de veto est un héritage de la Seconde Guerre mondiale, il limite les espoirs des États (Allemagne, Japon, etc.) qui rêvent de rejoindre le club restreint des plus puissants. Ces nouveaux membres permanents n'auraient pas, eux, le prilège ultime : le droit de veto. Lerapport, en ne touchant pas aux cinq permanents actuels, les incite donc à se rallier à ses suggestions et à ouvrir le Conseil au Sud.
Par ailleurs, quelle que soit la formule retenue, tout élargissement du Conseil de sécurité laisse intacte sa difficulté fondamentale : il est composé d'États qui, chacun, ont leurs intérêts. Un Conseil de 24 membres a toutes les chances d'être encore plus disé ou conflictuel qu'un Conseil a 15.
Les scandales de l'ONU
L'ONU est une bureaucratie qui manie des sommes considérables. Pour d'innombrables entreprises, allant de l'expertise militaire aux
travaux publics, elle est une source de marchés importants. Depuis les années 1990, la multiplication de ses interventions entraine des contrats de toutes sortes. Inélement se faufilent les risques de corruption. C'est une organisation sous surveillance, d'abord de la part de son créateur, qui est également la première puissance du monde, les États-Unis. Pour les courants américains hostiles à l'ONU, tout ce qui montre ses faiblesses structurelles doit être relevé et dénoncé.
Par ailleurs, Kofi Annan, secrétaire général de l'organisation depuis 1997, s'est imposé comme un homme d'envergure, porte-parole des intérêts les plus nobles de l'humanité. Mais il a heurté l'Administration Bush, en s'opposant à l'intervention militaire américaine en Irak.
Le secrétaire général ne peut pas être seulement une autorité morale, il doit être aussi un gestionnaire rigoureux. C'est dans ce contexte qu'au début de 2004 plusieurs affaires ennent ternir l'ONU et son secrétaire général. Ainsi sont mis sur la place publique les trafics ayant accomné l'opération « Pétrole contre nourriture » (livraison à l'Irak de Saddam Hussein de produits indispensables contre du pétrole). Une
entreprise suisse, Cotecna, ayant employé le fils de Kofi Annan, est particulièrement sée. Ce que montrent ces affaires, loin d'être terminées, c'est que le secrétaire général et son administration doivent être irréprochables dans tous les domaines.
Réforme improbable, mutation inéle ?
Le rapport des Sages sera présenté par le secrétaire général en septembre 2005 à un sommet réunissant à New York les plus hauts responsables mondiaux. Que ressortira-t-il des débats de cette rencontre ? Les trois colosses du Conseil (États-Unis, Russie, Chine) ont une approche réaliste, voire cynique de l'ONU (l'utiliser si cela est possible, la contourner si elle doit être une entrave)12. Ces colosses ne paraissent pas près de mobiliser leur crédit politique pour changer l'ONU. Pour le Royaume-Uni et la France, l'ouverture d'un grand débat autour de la réforme ne peut que mettre en péril leur siège de membre permanent. Quant au Tiers-Monde, qui, lui, ne saurait que souhaiter un rééquilibrage radical du système onusien, il demeure disé par les appétits des uns et des autres.
La réforme de l'ONU passe probablement par une crise, contraignant tant les plus grandes puissances que les pays du Sud à reconnaitre l'importance centrale de l'organisation mondiale.