Le thème personnaliste domine sans nul doute la pensée de Sciacca, et il ressort tout particulièrement de son interrogation sur la justice et sur le bien moral. Aussi voudrions-nous saisir l'occasion de ce congrès afin d'en proposer une lecture informelle et réflexi, en déloppant sur ce point les projets ou les visées majeures de Sciacca au-delA de leurs applications conscientes et immédiates, et non certes en vue de contribuer A une noulle lecture exégétique ou d'histoire de la
philosophie du courant sciaccien, mais en vue de marquer ici l'importance que nous avons analogiquement attribuée A la notion de personne (ou de -prosôpon-) dans les perspectis qui nous sont le plus familières, et dans le souci de remonter A une métaphysique et A une éthique sous-jacentes au droit.
En resituant de cette manière un tel thème, nous croyons d'ailleurs que sa portée originale ne se manifeste qu'ac plus de netteté au premier de la vie morale qui est le sien. La philosophie
juridique et sociale éprou sans cesse la philosophie morale, et elle sert de révélateur A ses intuitions.
S'il y a ainsi une métaphysique de la justice chez Sciacca, et si une inspiration ou une idée personnaliste s'en dégage, nous n'en comprendrons toutes les nuances et toute la profondeur de signification insoupA§onnée qu'en la considérant A trars ses ultimes conséquences dans l'ordre des principes potentiels d'un droit et, plus largement, d'une -morale sociale-, au sens antique et classique de la dikaiosunè ou justice générale de la loi naturelle, concept légué par l'aristotélisme en Occident puis incorporé et dépassé dans une tradition d'interprétation augustinienne et thomiste.
Connaissance et valeur: indivisibilité de l'AStre
La démarche sciaccienne conduit, très rosminiennement, A assumer en sa totalité, en son - intégralité - l'exigence de l'AStre et de la valeur qui s'y attache. Et c'est ac une vi acuité qu'elle a attiré l'attention sur les menaces d'occultation, d'-obscurcissement- des facultés de discernement de cet AStre formant un -tout- indécomposable, quand il se donne A percevoir et A vivre au cœur de l'existence morale sans mASme AStre identifié ni suivi dans sa vérité. Car le danger est toujours celui de la division, qui fait basculer l'homme, déjA constitutiment - déséquilibré -, du côté de la relativité et de la contingence, rs des biens éphémères qui le sollicitent par leurs attraits superficiels et leurs séductions faciles. Ce n'est donc pas assez pour lui d'en prendre conscience, si l'homme se résigne complai-samment A cette situation d'écartèlement constant entre un - vrai - et un - faux - bien, ou entre un bien total et un bien partiel, et s'il se laisse égarer en dehors des voies de l'AStre, ce qui le mène A s'ignorer lui-mASme et, fatalement, A ignorer les autres, A se détourner de l'AStre en lui, et A ne pouvoir le capter dans l'altérité immédiate.
C'est que l'AStre atteint sa plénitude en la personne. Or, celle-ci ne souffre précisément aucune de ces divisions qui affectent de faA§on irréductiblement nominaliste les représentations du monde et de la société qu'on lui prASte. Quand la personne en vient A subir elle-mASme ces éclatements et ces ruptures qu'elle introduit dans l'unirs de son analyse et de son action, elle consomme alors une sorte d'injustice absolue ou ce que nous pourrions ne pas hésiter A appeler : l'injustice par définition, dans son commencement, A sa racine. Cette injustice est de reporter sur soi-mASme un mal extérieurement diffusé A trars une Weltanchauung dont elle s'affranchit et se désolidarise volontiers, et qui alimente finalement une contradiction ac elle, qui n'est autre que la contradiction entre son monde vécu ou senti et son monde pensé ou conceptualisé
Il ne suffit pas, par conséquent, de scruter gnoséologiquement les causes d'erreurs commises qui peunt aboutir A une dénaturation du regard sur l'extériorité. Encore faut-il prolonger la réflexion sur le mal de la division dans le sujet et montrer quelles fins s'en trount ébranlées au cœur de son AStre personnel. Ces fins s'identifient, en effet, ac la personne elle-mASme qui apparait placée dans le champ d'un tel regard ou dans la perspecti d'un tel point de vue. La vérité rejoint par lA la valeur, l'approche gnoséologique l'approche axiologique, et toutes deux sont commandées par une mASme enquASte ontologique.
Mais si ce propos ne fait guère de difficulté A AStre admis au de ce qui peut apparaitre comme visant une morale individuelle, et touchant le rapport de chacun ac l'autre le plus proche, en sa singularité, il semble beaucoup moins aisé A faire respecter au du droit proprement dit et d'une -morale sociale -, ce qui est pourtant le seul moyen A notre sens d'en vérifier toute la force de vérité, si tant est que la - totalité - de l'AStre requière A cet égard de la persona in actu qu'elle ne se contente pas d'assumer la dimension d'une seule vie morale mais toutes les dimensions interdépendantes de cette mASme vie, y compris celle qui conduit sa volonté A trars la positivité historique : la positivité de la justice ou de la moralité du droit. L'acte doit s'actualiser, s'incarner et réaliser concrètement ainsi l'unité ontologique dont il procède. C'est dans le concret que l'unirsel atteint sa plénitude. Et ce concret ne s'en tient pas davantage A la positivité des langages juridiques ou moraux comme A des partitions A interpréter, il s'entend de l'interprétation vivante elle-mASme qui rend de la note un son A la fois unirsellement vrai et irremplaA§ablement unique.
Dans ces conditions, le problème n'est pas d'ajouter une dimension A une autre en présupposant une hétérogénéité des dimensions entre elles ; il n'est pas de changer de registre. D'un côté, la difficulté est plutôt d'avoir A affronter l'inachèment ou l'incomplétude d'une morale qui ne conduirait pas l'idée personnaliste qui la guide jusqu'A l'examen de ses aspects les plus juridiques. Et, d'un autre côté, force est de connir qu'il n'y a pas de
philosophie du droit (ou de morale juridique) ou de morale sociale, sans que se soit justement imposé au préalable un principe stimulateur et directeur d'une morale individuelle de la personne dans son acception sciaccienne.
Or, l'un des apports majeurs de Sciacca apparait lA : il est d'avoir offert le moyen intellectuel A celui qui réfléchit sur la philosophie d'une idée juridique et sociale du juste de prour l'impossibilité de dissocier cette idée d'une idée radicalement éthique; car l'une se prolonge dans l'autre, l'une est impliquée dans l'autre, et diviser l'une d'ac l'autre pourrait dès lors correspondre A la première forme extérieurement (institutionnellement) saisissable de l'injustice la plus gra : l'injustice perpétrée contre l'esprit ou contre la vérité, et, conjointement, contre la personne humaine qui en est le siège et la visée finalisatrice.
L'obéissance misologique ou la confiscation du spirituel par le politique
Dans l'optique d'une morale nécessairement -individuelle- A consonance théologique, ou, du moins, religieuse et chrétienne, l'injustice la plus condamnable pourrait bien ainsi reler du grief de misologisme qui suppose la division gratuite et absurde de l'homme de l'esprit ou de l'- intellectuel -, pourtant A l'image la plus fidèle du Christ qui dit AStre le Logos ou la Vérité, et donc pauliniennement la Connaissance, et de l'homme d'une foi augle dans l'acception réductrice de croyance ou de conviction émotionnelle, homme du comportement sensible et volontaire, enrégimenté sans recul critique, sous les opinions dogmatiques d'une morale de règles et de commandements, suivant le modèle fallacieusement importé du plus destructeur mais bien traditionnel pélagianisme. Il s'agira de s'attaquer au fond A une summa divisio, en -diabolisant-, sans jeu de mots, cette expression des juristes: elle instaure un contre-sens déterminant au seuil de la vie spirituelle dès qu'elle conduit A rejeter toute exigence de
connaissance intellectuelle et a fortiori rationnelle de celle-ci et dès qu'elle en suggère une noulle conception qui la présente comme un ensemble de comportements ou d'attitudes sociologiques et ritualisées. VoilA bien la fausse intériorité d'où se trount abusiment exclus le Logos et la Vérité, intériorité des oraisons sans disposition de l'ame, des litanies de paroles vaines désertées par le sens. Le sens y devient mASme suspect d'une intel-lectualité et d'une connaissance menaA§antes. Répéterons-nous ac Clément d'Alexandrie les exhortations des Stromates? En ce lieu choisi pour honorer le philosophe génois, en cette salle romaine de l'Augustinianum, rappellerons-nous les véhémentes diabribes menées par l'EvASque d"Hippone contre les -sectes- nourries de cette diabolica divisio?
L'enseignement de Sciacca sur ces phénomènes renoulés de ternissement, d'- obscurcissement - des aptitudes les plus élevées de l'homme A se tourner rs la vérité d'un sens peut AStre ici repris, mais en comprenant bien que Sciacca ne porte aucun soupA§on radical sur une nature de l'homme qui est cependant encline A succomber A un tel déséquilibre de la haine du Logos. Précisément, Sciacca se révèle fort lucide dans ses diagnostics sur des résurgences de pessimisme de type janséniste A trars certaines peintures sombres de la condition humaine (sartrienne, s'il en fut, A son époque ; comp. In spirito e ritA , 38), quand il leur reproche de faire de l'hypocrisie pharisaïque qu'elles dénoncent, et qui est le produit le plus caractéristique du misologisme pélagien, une fatalité A laquelle ne saurait se soustraire la volonté invoquant l'essence connaissable du bien moral ou juste. Il est le premier A montrer que cette hypocrisie existe et qu'elle est imbue de toutes les erreurs et injustices d'une division inacceple; mais parce qu'en profondeur il rectifie cette division en remontant A l'unité personnelle dans l'AStre et dans l'esprit, Sciacca ne cède pas A la tentation commode de se résigner A sa présence pourtant massi; elle dissimule un -meilleur- de l'homme personnalisable en tant que régénéré dans sa nature, et qui peut AStre ainsi retrouvé par la connaissance or
donnée A son réfèrent: A l'AStre radicalement personnel. Le paradoxe sartrien aura été de contribuer au pire des technicismes aliénateur de l'homme en promouvant un humanisme rationaliste où la liberté morale et a-critique se fonde sur des vérités néo-cartésiennes, sur des évidences autonomes de la -ratio-, en s'écartant des pièges -irrationalistes- du sensible et en délaissant les intuitions de l'-intellectus-, témoins de sa -mauvaise conscience-; de mASme, la contradiction d'un Habermas est de se soumettre aux structures d'un
marché auparavant dénigré dans l'incapacité A recueillir le sens d'une ontologie de ses fondements
Mais au-delA de cet exemple qui nous entraine dans une aison des deux formes profane et religieuse de la justice, voyons bien l'intérASt central d'une analyse et d'une confrontation des formes morale (sans plus de différenciation) et juridique : il est, d'une part, d'accuser et d'approfondir tous les traits saillants de la pensée sciac-cienne, axée sur la personne, regardée sous l'aspect métaphysique et éthique, en la profilant sur des horizons qui permettent d'en déployer toutes les virtualités d'application imprévisibles ; et il est, d'autre part, de l'utiliser pour dénoncer l'inauthenticité et donc l'injustice que consommerait une conception éthique aux répercussions juridiques et sociales qui procéderait du refus de reconnaitre l'intégralité personnelle comme une exigence dont elle se borne A adapter les modalités.
Chemins parallèles du réalisme de l'idée
Si, cependant, la personne émerge comme fin (non certes dans l'acception kantienne, mais comme ontologiquement douée d'une fin propre), c'est A partir d'une phénoménalité qui d'abord la masque et l'étouffé, et qui fait prendre faussement aux apparences la qualité usurpée de l'AStre, qui noie l'AStre dans ce que nous en comprenons partiellement A trars des réalités secondes.
Il y a donc chez Sciacca une sorte de manifestation progressi de la personne dont la valeur culmine dans l'existence morale. La personne doit d'abord vaincre, en un mot, ses attaches dérisoires et précaires au monde des - choses -.
Mais A considérer les expressions aujourd'hui culturellemont connues des philosophies juridiques et sociales (A trars principalement - théories de la justice - et néo-jusnaturalismes en vogue), nous pouvons AStre tentés de reprendre le chemin sciaccien et de tirer l'élément personnel d'un ensemble de conceptions qui s'imaginent pouvoir se dispenser de sa référence, et qui pourront mASme plus subtilement contribuer A l'estomper en faisant passer des -personnages- de simple -nature- pour cette personne elle-mASme en son identité substantielle.
Ce chemin nous conduit de la nature des choses A la nature de l'homme, mais de cette dernière surtout A la personne rosminienne-ment distinguée en son acte de vie de tous les rôles que la raison peut lui faire jouer (que dans l'ordre moral, comme l'enseigne Sciacca, cette raison calculatrice et utilitaire des mesures et de l'égalité peut lui assigner, au détriment des exigences plus hautes d'un esprit qui intuitionne la valeur absolue : la dignité irremplaA§able de chacun).
Comme nous l'avons eu fait maintes fois, il s'agit en somme de réentreprendre une personnalisation de la nature, que ce soit de la nature de l'homme ou de la nature des choses, mais de suivre en l'occurrence une méthode parfaitement appropriée qui est plus directement inspirée de Sciacca, et de mieux nous débarrasser grace A elle des tendances empiristes ou rationalistes qui reposent sur une division de l'homme, et qui impliquent une représentation relationnelle de sa structure la plus intime sans comprendre que la relation qui le caractérise en tant que personne est une relation elle-mASme absolue et ordonnée A l'AStre: la relation du moument d'expansion infini de l'acte du vivant, de sa liberté qui dépasse les formes de la mesure et de l'échange; la relation que médiatise et dont témoigne l'idée en lui, cette idée qui présentifie l'AStre dans son esprit et qui le renvoie A sa -vraie- appartenance et A son -vrai- destin.
I. Le silence éternel des -choses-
Non sans rappeler la sunagogAS typique du platonisme, tout se passe donc dans l'attitude sciaccienne comme s'il fallait surmonter en premier heu l'illusion que procure le spectacle de choses qui sont -muettes- sur l'essentiel de l'AStre et qui sont dénuées d'une valeur de justice originaire (ou -imparticipée-), pour accéder dialectique-ment et critiquement A l'intuition contemplati de la personne dans son aspiration A rejoindre la plénitude de l'AStre, puisque la personne atteint sa fin ou réalise l'achèment de son acte propre dans l'AStre, ce dont l'idée qui la trarse lui indique la direction.
Et peut-AStre pouvons-nous alors parler d'un -silence éternel- de ces -choses- (si nous transposons pascaliennement dans un autre registre le fameux intitulé Cosi mi parlano les cose mute). Ainsi viserons-nous sous le mot - choses - l'ordre d'un réel impersonnel qui s'étend aux -biens- que les hommes se répartissent juridiquement ou moralement entre eux, qu'ils soient hors d'eux ou identifiables A eux-mASmes (dignité éthique d'une -bonne nature-, libertés fondamentales, droits primordiaux), qu'ils s'entendent du domaine d'un avoir que le droit saisit sous le concept de -patrimoine- ou qu'ils aient trait plus directement A une extra-patrimonialité où le droit abandonne progressiment sa
compétence A une morale sociale qui inspire le politique des - grandes déclarations - (mASme si le contenu de cette morale demeure entièrement juridique).
Tant que ces -choses-, ces -biens-, ces -droits- n'ont pas en effet reA§u leur justification d'un principe personnel qui les transcende, ils sont dépourvus d'objectivité. L'objectivité ne fonde une valeur quelconque et ne s'élit qu'en référence A une intériorité totalement assumée, jusqu'A la source, dans l'esprit, dans l'idée: l'intériorité de la personne comme acte et comme continuant le processus actualisateur de l'AStre. Car A défaut de l'esprit, les choses et toute nature ac elles, sont privées d'unité, d'unirsalité, de vérité : seul l'homme peut rendiquer l'unité de l'esprit et par l'esprit dans l'indivisibilité de la personne que l'esprit atteste par-delA les œuvres de raison et le généricisme des concepts Charles Morgan invoquait littérairement ce néo-platonisme; il s'agit chez Sciacca de lui redonner le sens de l'authenticité des personnes comme unirsel concret.
C'est A la fascination, c'est A l'emprise exercée par ce monde des choses et des droits par lA réifiés, qu'il convient de soustraire la justice. Et ce qui peut sans doute y aider est de repérer les dirs modes d'oppression de l'idée de justice qui se sont accrédités dans les secteurs juridiques, sociaux ou purement moraux, et qui ont usé des mASmes réductions tendant A traiter la chose comme le support unique et exclusif des fins recherchées. Cette -chose- volontiers qualifiée ainsi de -chance- dans le vocabulaire de la -post-modernité-, selon le discours politico-médiatique de l'heure, manifestera sa dépersonnalisation ultime A trars les faits quantifiables qui la traduisent : elle n'est qu'un produit dominant de l'ordre de marché, un bien éprouvé par les techniques de gestion de l'- opinion publique- qui ne saisissent d'elle, en vue de la rationaliser, que des
données empiriques, et qui la découpent en segments ou en séquences de comportements vérifiables.
Déplacement du juste : les relations inter-objectis
Cette justice que l'on voudrait issue d'une hiérarchie de l'AStre, des finalités qui s'y inscrint, n'est donc que le calque des rapports de force les plus factuels, par où l'homme ne se révèle que comme animal du besoin et volonté matérielle. D'où le déplacement de signification et de valeur que la justice opère, quand les choses recueillies ou enregistrées n'ont effectiment - rien A dire - et restent enfermées dans l'opacité de leur nature ou de leur intériorité sans fond d'humanité. En effet, la valeur prônée par une éthique, par une conception de la justice embrassant tous les aspects de la vie, y compris ses aspects juridiques, a plutôt tendance A se situer au sein des relations de reconnaissance, de répartition et d'échange entre les choses, biens ou droits offerts; et elle prend ainsi la forme d'un simple critère d'égalité, dans l'oubli du seul critère authentiquement premier qui discerne une exigence de dignité personnelle et donc d'AStre et de devoir-AStre de l'homme.
C'est pourquoi la personne humaine s'y trou dans une position subalterne ; elle y est uniquement regardée selon le profil d'un partage possible ou comme attributaire d'une part, d'un avantage, d'un émolument, d'un suum ius (ou, pour reprendre le néologisme de la scolastique esnole : d'une suidad) A calculer dans l'inntaire des - chances -. Elle cesse de désigner un centre d'inhérence de la justice, A moins que l'on n'invoque en elle une - nature - comme l'indice d'un statut de raison ou comme la
marque du standard de l'homme générique : de l'homme moyen correspondant aux normes de la relation ou du partage.
Dans cette logique du juste, logique d'une noulle doxa misoio-gique ou écrasant
le logos, et récusant toute référence alèthique, ce sont les relations entre les choses qui fixent le premier sens de la valeur, mASme si ces relations ne reproduisent au fond rien d'autre que le sens rationnel et donc matériel et empirique qui est assigné d'abord aux choses. L'AStre malencontreusement confondu ac ce réel sectionné en -faits- offusque totalement la personne vouée A un rôle marginal. La personne se borne A accueillir passiment la justice de l'extérieur, A se soumettre en somme A l'action des relations structurées entre les choses ou biens que la raison lui oppose comme son -vrai - destin ontologique ; et c'est ce qui présuppose déjA sa définition de sujet juridique ou moral comme limité au concept d'aptitude A recevoir de telles choses ou de tels biens. L'homme n'est homme qu'en épousant le modèle abstrait et uniforme de l'homme susceptible de denir l'agent de cette relation donnée d'avance; c'est dire qu'il n'agit plus, mais qu'il est agi, et qu'il est donc entièrement fonctionnalisé.
Cependant, la justice eut de préférence permis A cet homme d'accomplir son acte d'AStre personnel et irréductible et de promouvoir le respect d'une valeur indivisible, qui n'est ni mesurable ni partageable : la valeur de la personne qui est sans sujet abstrait de remplacement (ou juridiquement -fongible-) dans les nomenclatures de l'esprit. Car c'est cette personne qui peut rendiquer sa qualité d'AStre l'auteur libre de ses actes concrets et qui s'affirme en -chance- absolue au-dessus de tout autre chance ou bien ou droit ; c'est elle qui détermine par lA le sens juste auquel tout autre chance ou bien ou droit doit s'efforcer de participer.
La communication détournée de l'AStre
L'effacement de la personne n'est ainsi qu'artificiellement compensé par son retour au titre discule de bénéficiaire d'une chose, d'un bien ou d'un droit alors qu'en réalité ce bien sert A définir la personne comme aptitude A le recevoir, au lieu que ce soit la personne qui le définisse comme connant A son essence.
Mais lorsque le débat sur la justice, - protocolarisé -, - procédura -lisé-, entrant dans les moules préconstitués d'une -négociation- de la valeur, porte non plus mASme sur les critères d'égalité inter-rela-tionnels, distributifs ou commutatifs, mais sur la manière d'adopter le meilleur critère, sur les arguments -démocratiques- assurant la transparence du discours, selon l'idée d'une vérité apodictique et soumise A un consensus rationnel des esprits éclairés, et donc d'une valeur -raisonnablement- décidable, l'artifice de la personne au premier est sans doute A son comble, puisque l'exigence de justice est d'autant plus éloignée de celle-ci qu'elle ne s'applique qu'aux conditions et aux schèmes logiques et formels d'une discussion A la recherche d'un principe éthique. Autrement dit, la chose se projette sur la relation, ce qui fait oublier en mASme temps que la chose elle-mASme a subi une définition qui la diminue ; puis, la relation est rétro-projetée sur la personne; puis, c'est enfin, au point culminant d'une inrsion du sens, le mode logique de compréhension de la relation qui est reporté sur la mASme personne et qui conduit A la réduire A la fonction d'agent -correct- du discours
De fait, le silence qui envahissait l'espace infiniment matériel des choses a pénétré le vide des discours tautologiques sur la justice. La justice, conceptuellement mais non idéalement générée, vaut désormais par la forme ou par la conformité A une procédure de détermination d'un sens, mais nullement en référence A une vérité interne de ce sens, wittgenstiennement indifférent ou impertinent.
Aucune expérience historique comme expression de l'AStre, aucune contradiction ne peut plus AStre entendue ni ne peut mASme provoquer un écho quelconque en retentissant A l'intérieur des noulles éthiques (ou des noulles -théories- d'une monstrueuse et -personnellement- irresponsable production de l'éthique, une production volontiers en -groupes- ou en -comités- habilités A cette tache). Ces éthiques s'élaborent sur une communication d'initiés en circuit fermé, sur
la communication des concepteurs de chances égales, issus des derniers cabinets d'enquAStes et de prospection sociologique Une évolution bien naturelle du rationalisme A l'empirisme, de l'intérASt abstrait où se réfugiait l'intérASt privé le plus vil sous court d'une apparente rectitude, A cet intérASt lui-mASme impudiquement mis A nu. Une évolution que Sciacca pouvait prévoir en accusant précisément les éthiques rationalistes de se contenter d'un formalisme prompt A recouvrir, suivant le néo-kantisme kelsénien, -n'importe quel contenu- (de sens et de valeur s'entend). Ce n'est pas un hasard si Sciacca ironise autant sur ce que nous appellerions aujourd'hui une justice -clean-, sur la promotion de l'- honnASteté - et d'une éthique de la rtu formelle et des - devoirs -, suspendue aux équilibres raisonnables et pondérés, cette éthique dont Alberto Caturelli dit si bien A ce propos qu'elle est une éthique du -parfait égoïsme- (M.F. Sciacca. Metafisica de la integralidad, BSI, II): une -éthique sans morale-, A la mesure de l'auto-suffi8ance qu'elle accorde A ce qui est second en l'homme, A la raison qu'elle émancipe de l'esprit qui tient cette raison seconde en tutelle
VoilA en tout cas ce qui marque un net détournement de cette requASte permanente de la communication chez Sciacca (v. L'interio-ritA oggettiva), de son rattachement A la perception de l'homme-personne, de l'homme de l'esprit, de l'homme de l'idée, et donc de l'homme ancré dans l'AStre qui le fait AStre, qui stimule son acte d'AStre. L'homme sous-jacent A la communication n'est plus que l'homme de la morale dont -se moque- pascaliennement la -vraie- morale, il est l'homme de la -raison éthique- et non plus de l'intelligence morale-: des concepts instrumentaux qui sont productifs, et non de l'idée élevée A une fin et qui possède seule l'aptitude créatrice.
Dialectique de l'intelligence et de la raison, de l'amour et du devoir
Mais comment en irait-il différemment si l'on saisit adéquatement la nature de l'intelligence morale A trars cette dialectique par laquelle Sciacca la distingue ac tant de force de la raison éthique ?
Cette intelligence est l'esprit, capable de l'idée, qui traduit en lui la forme de l'AStre, qui indique sa présence sous un aspect - idéal - ; mais elle est cet esprit en tant qu'il s'unit au sentiment et en tant qu'il reflète ainsi l'unité elle-mASme de l'homme dans sa personne; elle associe l'essence ou l'idée et l'existence ou le sentiment. Et c'est de ce lien des facultés que nait l'amour, en tant qu'acte caractéristique émané de la personne, exprimant son aspiration morale, et joignant précisément en l'homme son essence en l'idée et son existence dans le sentiment. Dans une telle intelligence qui habite l'amour, et qui se prolonge dans la volonté chargée des actualisations dernières de cet acte personnel, l'AStre prend dès lors, et A nouau rosminiennement, sa forme morale.
Cette intelligence morale est donc mue par l'amour. Elle est le seul moteur d'une justice quelconque, qui n'a plus ensuite qu'A s'incarner ou s'actualiser en dirs avatars successifs, de la morale individuelle A la morale sociale, de celle-ci au droit, et du droit au politique ; qui n'a plus ensuite qu'A assigner leur degré de justice (par participation) aux biens reconnus en l'homme, imputés A sa -nature- ou traités en avoirs par rapport A lui et objets de possession externe et distribuables ou échangeables selon des normes d'égalité. Mais s'il en va de cette manière, c'est dans la mesure où la - raison éthique - ne saurait, dans son
travail conceptualisateur, que discerner l'abstraction, le générique, le matériel et le factualisable ; en se portant sur l'homme, elle ne saurait percevoir que l'entité dont il relè, mais non cet homme-ci ou cet homme-lA . Il est plus aisé de comprendre comment la plénitude de l'acte intellectif de l'amour moral peut faire valoir toute l'intensité qualitati et profonde de l'objet regardé : un tel objet cesse par lui d'AStre une - chose -, un produit de la raison, une pure essence, pour denir une présence, reliée A l'AStre, et incorporant la dimension personnelle de l'existence.
L'intelligence morale va A cette existence et elle atteint par lA le tout, l'unité, l'unirsel, la vérité, la valeur en son absoluité singulière, en tant qu'elle est réfractaire aux prises de la généralisation et de son uniformisation médiocrisante. - L'acte conceptuel fait abstraction du sentiment et, par conséquent, de l'existence qui est sentiment-, écrit Sciacca (Acte et AStre, tr.fr., Aubier, p. 146); et plus loin: -L'existence qui échappe au concept est récupérée par l'acte moral (qui) est l'acte de reconnaissance de ce que la raison connait.- La morale postule donc cet amour qui se distingue du devoir des néo-kantismes et de leurs éthiques -pures-, plongés dans un généricisme augle : elle évolue dans le - vécu - et le senti, guidée par l'idée qui en fait admettre l'AStre, et non dans le simple - perA§u - ou vu, qui se contente des rationalisations classifiantes. Elle n'appartient pas A la - vie réflexe - ou reconstituée conformément aux canons de la raison qui e; elle est bien plutôt dans la -vie directe - ou immédiate qu'elle assume en son intégralité, ac ce sens évangélique du plus -pauvre-, du radicalement -autre-, lequel est situé au-delA des genres et des -groupes-, et est considéré en son existence inassimilable A une catégorie toute faite.
Justice imputée et justice inhérente. De l'existant A l'essence, du sentiment A l'idée
Nous nous élevons progressiment de la chose A la personne ; et si les biens que la justice identifie sont, d'un côté, des - choses - pour pouvoir AStre admis dans la sphère du droit et AStre soumis A sa nécessaire égalisation générique, ils échappent, d'un autre côté, A un tel enfermement en ce statut réducteur, et ils sant maintenir leur ourture A cette personne qui seule les justifie.
Justice inhérente, oserons-nous alors ajouter, si nous devons prolonger théologiquement le débat, et non justice imputée : car cette justice passe par les facultés de l'homme régénéré et elle lui fait connaitre la fin de justice comme étant précisément l'homme, ou le meilleur de cet homme, en tant que personne et imago dei.
Par lA , les voies dirgent radicalement d'ac des conceptions de la justice qui inclinent au positivisme de la nature rationnelle. Elles se rallient en effet au principe d'après lequel le législateur qui formalise d'autorité une telle nature, d'après les - chances - statistiquement consacrées, peut imputer sa justice, tel le Dieu nominaliste, A un homme concret, en sollicitant uniquement sa foi comme croyance irrationnelle et en usant du concept moralisateur de l'obéissance passi aux règles. Terror conscientiae s'il en fut, véhiculée par tant de -théories- rationalistes dans la quasi-ignorance de leurs présupposés, mais dont les effets - purs - et perrs ne sont plus A décrire La justice inhérente rappelle l'homme, au contraire, dans la proximité de son Dieu, tout en le sachant en proie A ses errements et A ses faiblesses, et elle ne lui refuse pas la possibilité de connaitre et d'oeuvrer dans la justice sans gratuitement jeter sur son action quelque soupA§on de pélagianisme ou d'égocentisme sublimatoire.
Cependant, pour en arrir A cette conclusion, il ne s'agit pas de s'y prendre par l'objet, mais par le sujet, et il importe alors de montrer l'objectivité intérieure que possède le sujet et le rôle que l'idée joue dans son esprit. C'est son regard que l'homme de la justice doit modifier et non d'abord l'objet de son regard. Si ce regard change, l'objet lui-mASme sera autrement capté et révélera sa -vraie- objectivité en écho ac l'intériorité objecti du sujet pleinement personnel. Or, dans ce travail d'éducation du regard, visant A le rehausser au degré où se place l'intelligence morale, l'homme semble bien conquérir une première justice qui est celle qu'il se doit A lui-mASme, dans son effort d'apprentissage interne, avant de la promouvoir A l'égard des autres. Cette justice consiste A retrour son unité personnelle, celle qui le sépare en l'occurrence du monde des -choses- vouées A la dispersion et au multiple ; une unité qui traduit l'indivisible autonomie de son acte d'AStre personnel, - de ce dont l'idée lui fournit la connaissance, le sentiment l'intuition, et la volonté le pouvoir de s'actualiser dans des conduites extérieures-Cette unité par laquelle l'homme se reconnait d'abord libre, capable d'- initiatis - et de choix moraux, et non uniquement mû par des -impulsions- organiquement ou rationnellement commandées, s'affirme donc au-dessus des choses, des biens, des droits, comme de toute nature, fut-elle celle de l'homme, generico sensu. Et elle triomphe ainsi de ce déséquilibre constitutionnel qui nous met sans cesse aux prises ac deux tendances opposées, l'une rs la finitude et l'autre rs l'infini de l'AStre dont l'idée porte témoignage. Nous savons maintenant que l'infini peut surgir dans le fini de ce que circonscrit la raison, et que l'existant peut émerger sous l'essence. L'intelligence morale nous l'apprend, et elle nous enseigne que seul cet infini de l'AStre est aimable, car seul il est la vérité une ou unirselle : un infini qui a le nom de personne et qui renvoie aux existants spirituels et humains derrière toutes les -choses- dites -justes -, derrière tous les biens, derrière toutes les - chances - morales, juridiques, sociales. L'ombre de l'infini personnel peut désormais s'étendre sur des choses finies, sur des essences arrachées A leur auto-suffisance mondaine et resituées dans l'AStre.
II. L'appel vivant des hommes
-Au fond, on n'aime que les personnes et non pas les choses- Les -choses-, les biens, les droits ne sont décidément aimables que personnalisés, qu'en tant qu'ils sont pénétrés par l'esprit qui leur apporte la - présence totale - de l'AStre et qu'en tant qu'ils sont sentis ou - expérimentés - comme véhiculant cette part d'humanité perbon-nelle qui les rend dignes ou justes selon notre jugement moral. Et le droit notamment devra en tirer leA§on, non seulement dans l'ordre patrimonial qui est son siège d'élection classique, en définissant les avoirs et les propres de l'homme, mais en s'attachant aussi A l'homme tout court qu'il regardera A son tour comme une sorte de propre substantiel, comme s'appartenant A lui-mASme.
Ainsi peut se délopper la réflexion sciaccienne, issue de la pensée qu'aimer les choses implique leur possession par la personne et une référence A la mesure de son unité ontologique. Mais le sens de la personne ne s'apprécie ici qu'en renant A l'exigence pour la personne de communiquer.
La communication comme acte de l'esprit prend alors successiment deux valeurs : celle de la reconnaissance inélucle du singulier, de l'incommunicable enraciné dans l'existant, inviscéré au plus profond de son acte d'AStre ; et celle du moument généreux et obla-tif qui conduit A dépasser les biens justes sur lesquels une justice sociale ou juridique se fixe pour faire admettre le don qui refuse d'avance toute contrepartie, qui suppose -l'humilité de ne rien demander, de ne rien vouloir, mais de tout accepter, mASme ce qui, par sa petitesse, est comme rien-. Un Omnis de Deo accipere en somme, dont la passivité consentante A l'AStre est l'action suprASme de la charité rosminienne de l'esprit; elle rachète ce néant de l'homme qui cohabite ac son AStre et qui explique sa tension parfois désespérée rs lui, son épanchement insatisfait A le rejoindre ' s'il est vrai que sera A jamais - absente (en ce monde) la présence totale que je ux AStre -.
Communiquer sans assujettir : le don A l'AStre
Force est d'abord d'y insister : il n'y a aucune contradiction entre la communication dans son déploiement et la singularité, incommunicable par essence, qui lui résiste. Ce que montre d'ailleurs l'ordre de l'AStre qui consiste A commencer par la justice A l'égard de soi, dans l'épaisseur du secret de soi ac soi, avant de l'envisager par rapport aux autres, en les traitant dans leur authentique altérité, c'est-A -dire en tant qu'analogues dans la profondeur de leur intimité propre et irréductible.
- La personne est un principe actif, suprASme et incommunicable -, dira Sciacca, dans la ligne de s. Thomas et de Rosmini, en se démarquant d'une philosophie hellénique de style aristotélicien que son hylèmorphisme a engagée dans l'impasse de la - matière individualisante-; et il ajoutera: -tout existant dans sa singularité, dans la mesure où il est une personne, est sans ancAStres ni postérité - (Acte et AStre, tr. fr., Aubier, p. 112; v. aussi L'uomo; Corne si vince a Waterloo, etc.). Cette analyse révèle le dominium sui actus et sa radicale liberté, et elle est destinée A prour que toute réalité située hors de l'homme appartient A celui-ci et que l'homme ne peut donc sans aliénation recevoir sa fin d'un principe étranger, et ne peut AStre davantage aligné, sous un culpabilisant prétexte -démocratique-, sur quelque autre homme que lui, si ce n'est de manière formelle, qui ne saurait préjuger en somme de la spécificité de chaque existant.
C'est leur différence substantiellement ontologique, celle de leur -sub-stratum-, qui unit les hommes, plus qu'une nature identique et immuable ; et c'est le respect de cette différence qui lance un appel au droit et A la morale afin qu'ils ne soient pas étouffés sous la logorrhée des discours égalitaires ou fonctionnalisants ni soumis A l'influence de normes statistiques et au nominalisme vide d'une per-sona ficta.
Mais si le réel appartient aux personnes et si aucune personne n'appartient A une autre, un minimum d'objectivité rationnelle et conceptuelle est requis dans la constitution, par dérivation, d'un droit et d'une morale sociale qui ne saisissent que des entités génériques et qui donnent par lA fermement prise A leurs constructions de systèmes d'échange et d'égalité ; une extension de la notion d'appartenance en résulte implicitement. Si, de mASme, l'incommunicabilité affecte en profondeur l'AStre créé, l'existant humain et spirituel, le moument de son acte d'AStre le porte A communiquer, mais A communiquer alors en donnant, en se donnant et en faisant AStre les autres AStres lui ressemblant dans leur différence singulière.
La communication devient ainsi un vérile don A l'AStre, afin de le rendre présent au maximum de ses possibilités d'actualisation et de le -faire AStre- davantage. Une conséquence du -faire la vérité- rosminien. Or, cet acte est d'une absolue nécessité pour que la personne puisse exister en prenant conscience d'elle-mASme. La conduite apparemment seconde de la communication ac autrui est exigée comme la condition de la naissance d'une communication pourtant préliminaire de soi A soi. Il est vrai que l'ordre moral rélit cette hiérarchie et que si la personne n'est morale ou juste qu'en existant en rapport ac les autres, elle n'est morale ou juste ac ces derniers qu'en assumant la justice de son accord ac l'appel de l'AStre au cœur d'elle-mASme : autrement dit, qu'en étant personne sous la clarté objecti de son regard intérieur.
Cependant, la communication peut prendre progressiment la voie de l'incarnation, de l'actualisation des valeurs personnelles, dans le respect optimal de l'unique existentiel, mais ac le souci permanent de s'adapter aux inélucles règles d'égalisation génériques et conceptuelles que l'organisation sociale et juridique réclame. Et c'est alors, dirons-nous dans notre perspecti, que l'idée personnaliste tient sa place de principe directeur ou orientateur de la justice des solutions proposées.
L'imprudence de la vérité
Quant A l'attitude du don, quant A ce geste qui franchit les limites du simple échange, du rapport de type juridique, synallagmatique, entre un - mien - et un - tien -, entre un - propre - et un - dû -, et qui vise A substituer le langage de l'AStre A celui de l'avoir, il ne fait ici que traduire la constante supériorité morale de l'intelligence sur la raison, de l'-esprit de finesse- sur l'-esprit de géométrie-; et il permet de montrer que les tranquillités possessoires, les pacifiques équilibres et les sereines égalités qu'entretiennent nécessairement les morales juridique et sociale, doint céder le pas A l'élan d'une morale individuelle accomplissant ou actualisant l'acte de la personne et la conduisant A affronter les extrASmes dans la violence de leurs antinomies, de leurs dysharmonies, de leurs innombrables inégalités, de leurs profondes et insondables différences (v. toujours Acte et AStre et les dirses études composant Dall'attualismo allô spiritualismo critico).
La vie morale est - au risque de de se perdre - A trars tous les dangers de la réconciliation des contraires les plus éloignés, dans la seule unité qui soit, celle de la personne, pour récuser le seul déséquilibre qui mérite de l'AStre, celui de l'homme qui s'opposerait au déloppement de la personne en bonne synchronie ac sa double tendance A la finitude, par le sentiment, et A l'infinité, par l'esprit. La vie morale est loin d'AStre une -vie sans histoire-, ironisera sount Sciacca. Elle bat aux rythmes contrastés de l'affirmation alternée des contraires par l'intelligence morale. Et au lieu d'AStre facteur de paix, elle apporte ce glai de toutes les audaces. Elle méprise les prudences rationnelles, elle surmonte les lléités A une autonomie bien-pensante, autonomie jadis de la morale de Yaus Pflicht kantien, autonomie aujourd'hui d'un fairplay ou d'un comportement de gentleman au jeu des chances, selon les -bonnes mœurs- du consensus démocratique et les très nobles lois du marché D'où une condescendance A peine voilée de la pensée sciaccienne vis-A -vis des tentatis pseudo-philosophiques et a-dialectiques, aux intentions pourtant irréprochablement -pures-, de contractualisation de l'éthique dont la culture contemporaine ressent les assauts vainement répétés. En témoigneront, s'il en est encore besoin, les dernières théories néo-rawlsiennes, dworkiniennes, habermassiennes ou luhmaniennes d'une justice techno-bureaucratique -produite-, théories du laminage des personnes, lesquelles sont requises comme - personnages - ou comme simples agents de fonctionnement et de réception de messages ou de signes A décoder, mais ne sont nullement perA§ues comme sujets et destinataires d'un langage - signifiant - ou soutenant l'esprit dans son élan rs la vérité.
Ainsi la morale sciaccienne - inclue --t-elle en se fiant A l'acte compréhensif de l'intelligence amoureuse, et par lA juste, qui fait dynamiquement progresser, s'accroitre et s'enrichir l'AStre essentia-lisé dans l'existence vivante; et ainsi n'-exclue--t-elle pas en suivant les pentes réductrices d'une rationalité éthique, régressiment et statiquement tournée rs l'unirs des essences et des -juste milieu-, des mesures ou des égalités A respecter entre des biens soumis A un partage Car la référence A la personne est une vérité unirselle, alors qu'est exclusi, ou plutôt excluante par principe, la référence aux -personnages-, A la nature de l'homme, aux rôles qu'on lui fait jouer, que ce soit dans le rationalisme des grandes déclarations protectrices des droits, ou dans l'empirisme des recherches de situations réelles et sociologiques A quantifier et A normaliser. Dès que le produit de la raison éthique est l'unique point de repère, il est entaché de l'autonomisme immoral que cette raison s'attribue volontiers dans le rejet de l'AStre, dans la mise A l'écart de la personne existentielle qui seule peut rendiquer une authentique autonomie, cette autonomie mASme que désigne la suffisance de l'AStre ou de son idée.
Révision de la notion de - mesure -
Le terme du chemin correspond, semble-t-il, A un retour en arrière : il décèle une condition primaire et radicale de l'homme et il manifeste l'antécédence de son AStre moral en tant que personne saisie sous sa dimension la plus complète et achevée. C'est d'ailleurs ce qui permet de confirmer en mASme temps la primordialité de la valeur morale de l'AStre et de vérifier que l'analyse philosophique sciaccienne n'accède A l'intégralité de l'homme qu'en denant une -métaphysique morale- ou une -ontologie morale-. Elle atteste par lA la double signification ontologique et axiologique de l'idée ; l'idée est capable d'élir la fin dans l'AStre mASme comme seule référence unitaire ou seul équilibre fondamental, un équilibre sous-jacent A l'expérience de l'existence la plus sensible, qui triomphe des divisions introduites par la raison et qui fait justice des tensions ou du déséquilibre natif de la nature finie (comp. P.P. Ottonello, Studi su Sciacca, 67 s.), des tourments ou des inquiétudes qui la secouent.
Mais l'on voit bien comment cet apparent retour permet au fond le bond en avant des actes les plus audacieux de la volonté, comment il reconduit A l'unité personnelle perA§ue A sa source dans l'AStre et dans l'esprit, orientée par l'idée, jusqu'A son accomplissement ultime dans le don de soi.
Ainsi la valeur de justice est-elle proportionnée A cette exigence de s'adapter A une telle condition première de l'homme qui synthétise en lui tous ses aspects, cognitifs et sensuels, transcendantaux et empiriques, par l'idée et par l'amour. Et ainsi présente-t-elle A l'analyse d'une philosophie juridique et morale la spécificité de sa norme propre. Sa norme, son critère, sa mesure sont précisément mixtes. La valeur du juste sera A la fois subjecti et objecti, mais elle sera débarrassée de la suffisance - immorale - des mesures, de la prétention A l'exhaustivité justifiante d'une égalité de pondération ou de prudence rationnelle ; et elle prendra de nettes distances A l'égard des morales du devoir ou des contractualisations argumentatis si prisées qu'elles soient aujourd'hui. Objectiment, la valeur régulatrice de tout acte est l'AStre lui-mASme dont l'idée procure la connaissance, et il coïncide ac les personnes considérées comme le ressemblant dans son incommunicable différence; subjectiment, cette mASme valeur correspond A ce qu'exige l'amour tel que l'idée l'inspire et tel qu'il déloppe toutes ses intuitions dans le sentiment.
Les perspectis habituelles de l'égal et de son ordre de mesures s'en trount donc profondément révisées.
Le boulersement s'impose A la vérité dans l'ordre strict d'une morale individuelle. Si nous sommes l'un et l'autre personne, d'une part, je ne puis te traiter en égal en t'alignant sur ce que je suis déjA , mais en différent, car je ne puis que te -donner-, en te permettant d'AStre ce que tu es, autrement que je ne suis moi-mASme, et en acceptant par anticipation que tu puisses donc AStre plus que je ne suis ; et, d'autre part, je ne puis que te donner en te faisant AStre davantage dans ta différence propre et ton éntuelle supériorité, de sorte que moins je serai moi-mASme et plus tu pourras AStre toi. Ainsi se déploie, par dépassement permanent de l'égalité, l'amour juste ou moral des personnes
Mais il ne s'agit pas de nier la nécessité pour la morale sociale, ni le besoin pour le droit d'user de critères qui procèdent des schémas génériques d'une égalité ; il ne s'agit pas de contester non plus l'opportunité de s'engager dans ce que nous avons nommé une - dikèlogie- où la justice se fonde sans cesse sur une
rationalisation conceptuelle de l'idée (idée que nous avons qualifiée de -prosopolo-gique-). Il s'agit en conséquence d'empAScher, comme nous l'avons soutenu dans notre Introduction Ph. D., en suivant l'inspiration rosminienne, une tendance au repliement autonomisant de la partie si elle résiste A son intégration dans le tout, si elle vise A détacher des solutions positis de principes de nature, et ces principes eux-mASmes de principes de personne, et si elle refuse d'admettre que le commencement de la pensée se situe dans le tout du commencement ontologique, dans l'AStre personnel, et si enfin elle place ce commencement dans la partie d'un AStre second, -naturel- ou -positif-: il s'agit d'affirmer nettement l'impossibilité de reconnaitre sans injustice gra, sans une maxima iniuria, la moindre autonomie A de tels critères génériques d'égalité qui hantent pourtant la plupart des conceptions de la justice juridique et sociale en cours. Ces critères ont beau participer en effet de la justice, ils n'en sont toutefois que des dérivations.
La seule justice absolue, indiquée - directiment - par l'idée, A la source d'une morale individuelle, est dans la personne telle que la promeut ensuite la volonté aimante, polarisée par la valeur de l'AStre lui-mASme, et -corrigeant toutes les perspectis-, comme le dit Sciacca (Acte, 159), sans se plier aux mesures rationnelles. Ainsi donnera-t-elle de l'importance A des - rien -, A des détails, et rabais-sera-t-elle ou dégonflera-t-elle ce que les mesures ordinaires d'un sens modéré et raisonnable ont pu exagérer en valeur sous l'angle de l'exigence personnelle. Ne retenons qu'un exemple typique de notre société, celui d'une justice -morale- et sociale des -chances- qui vante le recours bien sount dérisoire A des critères techniques voire bureaucratiques de sélection pédagogique et professionnelle, critères largement pressentis par Sciacca comme facteurs d'injustice blessant la personne. Ils permettent en effet de valoriser des qualités secondes ou inférieures, le plus sount aujourd'hui de -bon technicien- ou d'agent expert en méthodes, au préjudice de la dignité personnelle de l'homme de science, de culture, de réflexion et de création, dont les actes de l'esprit, guidant sa raison, peunt aisément mettre en déroute ou pulvériser tous les s et toutes les - méthodes - programmées, dans le domaine de l'ensemble des sciences fondamentales Cependant, pour peu que l'on généralise, le drame de l'injustice est toujours dans cette sorte d'humiliation -bien pensante- et rationnellement, éthiquement, formellement, dogmatiquement -avisée- et -éclairée- qui est infligée au -sans-défense - de l'esprit. Et recourir en ces conditions A l'esprit, dans ce dénuement et cette forme de solitude qu'il procure face A l'oppression rationnelle et aux remises en cause de l'opinion qu'elle sécrète, prend du reste une portée de symbole: c'est assumer en toute sa rigueur l'exigence de la pauvreté évangélique.
La pauvreté du juste ou l'image du sans-défense
Mais l'esprit ne s'isole donc pas de la raison. Le sans-mesure des requAStes de la volonté intellectualisée, aimante et morale, ne condamne A rien d'autre qu'A un effort de superamento sans négation du moment dépassé. La mesure égale demeure impliquée dans le sans-mesure des dirses inégalités. Et sans doute est-ce lA le prolongement inattendu, au d'une morale juridique et sociale, de la -dialectique de l'implication- des formes de l'AStre, une dialectique qui retentit sur les actualisations ou incarnations de la valeur par la volonté.
En ce sens, la morale individuelle qui tend A promouvoir exclusiment et totalement la personne, peut se combiner ac la morale juridique et sociale qui s'attache A une nature, de la nature humaine A la nature des biens. Ainsi, le logos du juste fonde la positivité du droit et de la société, la positivité de l'histoire civile comme œuvre d'institutionnalisation. Et, grace A lui, l'institution devient susceptible d'exprimer l'intégral de l'homme, de traduire sa personne, de l'ouvrir A la dimension de la - vraie - communication par et dans l'esprit, et de reposer sur ce sous-jacent ou sur ce troisième terme qu'est l'AStre.
De fait, un tel logos débouche sur une - dia-logie - où l'interprète de l'historicité ou de la positivité juridique, des -dispositions- les plus apparemment factuelles du droit, peut comprendre la réelle signification du -rum et factum conrtuntur- vichien. Mais il n'adoptera pas alors nécessairement une perspecti d'interprétation habermassienne, et il se déclarera animé, tout au contraire, de cette sensibilité particulière qui le portera, sans nominalisme réducteur, sans individualisme dissolvant, au singulier ontologique ou A l'unirsel concret : A ce tout de l'AStre dont témoigne la partie qui le phénoménalise (dans le moument mASme que nous avons ailleurs appelé - épiméthéen - pour marquer son caractère de projection hors de soi: v. in Studi Imbraguglia, Japadre).
Corrélatiment, l'homme juste se soustrait aux discours subjec-tivisants des doxai de l'heure. Il cesse d'apparaitre enfoncé dans les tourments d'une culpabilité dont il supporte le poids morbide, en fonction de commandements, de préceptes, de devoirs, que les raisons ées et volontiers misologiques lui enseignent en jetant un regard froidement inquisitorial sur sa vie. Réillé A la puissance de l'esprit et de ses intuitions, il se révèle -actif- ac force, et personne en tant qu'auteur de ses propres actions. Il est aussi confiant sans optimisme pélagien, et il sait retrour le nerf de toute faculté créatrice ou poiétique sous la couche des actes accomplis (de ces actes dont Montherlant dit si bien qu'ils -nous suint-, dont l'-avoir fait- semble AStre un ner more inélimi-nable). Et, dans cette activité mASme, il associe sa faiblesse A sa puissance, ses inclinations subjectis, qui trahissent ses -pertes d'équilibre -, A sa tendance objecti rs l'AStre au moyen de l'esprit ou de l'idée et au moyen du cœur ou du sentiment, pascaliennement, augustiniennement, pauliniennement
Celui qui reflète ainsi l'unité acti de la personne ne saurait prendre le profil de l'AStre moral des éthiques modernes, qui abusiment privilégient et autonomisent au sein de la nature de l'homme un aspect rationnel (l'aspect recherché et exploité par une machia-llienne et wébérienne Werantwortungsethik) ou un aspect empirique (suivant l'émotionnalisme des opinions et des croyances conA§us comme simples affects mentaux, et dans le sillage de cette méta-éthique irrationaliste qui envahit l'esprit de bien des institutions symptomatiquement - productis -, aux voix exprimées, de certitudes morales, sous la mystification du pluralisme démocratique).
Mais il n'est pas non plus un héros qui évacuerait de lui une partie -bonne- et qui désavouerait une partie -mauvaise-, qui réaliserait l'exception dans le rejet de ce dont elle se distingue. Il ne combat pas de front un mal de privation d'AStre. Il peut sans doute le diagnostiquer et le nommer, mais il l'assume, et il le dépasse, et il l'incorpore A son expérience de la valeur A promouvoir et A incarner, A institutionnaliser et A juridiciser.
Il est d'abord surtout celui qui accepte, dans son objectivité, l'éclairage de la lumière de l'esprit, de la connaissance procurée par l'idée, celui qui consent A l'AStre, et y ordonne son sentiment, et sollicite sa volonté de le re-connaitre en opérant la synthèse concrètement acti de toutes ses énergies, mASme les plus éloignées, comme signe que sa subjectivité s'y plie en s'y intégrant.
Cette intégration seule concorde ac le vérile amour moral qui compose et allie l'objectif et le subjectif, les deux extrASmes de l'esprit et de la chair, et qui ne fait pas de l'homme juste ou du saint un héros en ce sens mythique et connu.
Il est vrai que le héros de justice classique, ce héros bafoué et méprisé que rabaissent, avilissent et narcissisent A plaisir le géné-ricisme rationaliste et la psychanalyse aux multiples refuges dissimulateurs d'impuissances, ce héros que raille tout aussi cyniquement une culture de salon en le réduisant aux ures de complaisance de contes pour enfants, ce héros systématiquement dévalué n'est nullement celui de la morale kantienne du devoir que stigmatise Scheler et qui semblerait mériter en revanche de telles critiques alors qu'il est d'ordinaire A l'abri de tout soupA§on.
Il ressemble plutôt, A s'y méprendre, A cet homme juste qui sert de référence A l'analyse de Sciacca. Il a le visage mASme de l'Autre, de Dieu en l'homme régénéré, repercussio splendoris vultus Dei in homine de l'encyclique Veritatis splendor, marque de la loi éternelle de la personne, au fond, dans la loi naturelle humaine et mondaine qui en est une participatio. Il a le visage de ce saint, de ce - pauvre - radical, ou, pour actualiser plus encore notre propos, de cet -exclu-, exclu, non directement par la société, mais par les idéologies qui la trarsent, et d'abord par l'idéologie - anti-exclusiviste - qui, après les emphases de généreux élans, est bien la première1 A épouser les étroitesses du rationalisme ou de l'empirisme, et A tomber, aujourd'hui comme hier, dans les rétrécissements discriminatoires du -genre-: A accomplir le nouau rituel d'un meurtre de l'homme sur l'autel mASme d'une humanité jugée très hautement respecle, mais qui est - tout le monde - A la fois d'une série donnée, de quelques vainqueurs ou gagnants aux jeux ou aux compétitions des - chances - productis, sans pouvoir désigner personne en particulier.
Cet homme juste sciaccien, de l'unirsalité retrouvée dans le concret, est donc A l'image de l'irréductible sans-défense, au cœur du monde, mais A l'écart de sa prose, mû par la naïté de l'esprit.