Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut AStre ni promulguée ni mise en application.
Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et A toutes les autorités administratis et juridictionnelles.
380. L'article 62 tire les conséquences logiques de l'article 61. Le contrôle de constitutionnalité n'a de sens qu'autant qu'il fait échec A la promulgation (des lois organiques ou ordinaires) ou A la mise en application (des règlements des assemblées) de dispositions inconstitutionnelles (supra, 375). De ce fait, et malgré l'usage, il est juridiquement inexact de parler d'annulation puisque les dispositions sont censurées avant d'exister réellement.
Mais le présent article va plus loin, en consacrant, dès l'origine, l'importance des décisions du Conseil, non susceptibles de recours et impératis pour tous les pouvoirs publics.
381. L'autorité de chose jugée s'attache aux décisions rendues sur les seuls textes que le Conseil a effectiment examinés. Mais il s'astreint alors lui-mASme A la respecter, puisque lorsqu'il est saisi A nouau d'un texte qu'il a déjA contrôlé, il impose, et il s'impose, de limiter le noul examen aux seuls éléments ayant varié depuis le précédent (supra, 333).
Il existe néanmoins deux atténuations.
La première concerne des dispositions qui lui ont déjA été soumises, mais qu'il n'avait pas été appelé A examiner spécifiquement parce qu'elles n'étaient pas contestées par les saisissants de l'époque. Il achè toujours ses décisions par un considérant selon lequel - il n'y a lieu en l'espèce pour le Conseil constitutionnel de souler d'office aucune question de conformité A la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise A son examen -. On aurait pu en déduire que cela valait bret de constitutionnalité pour les articles en question et que ce bret était court de l'autorité de chose jugée. En réalité, le Conseil n'attache l'autorité, dans ce cas, qu'A ce qu'il a jugé expressément (88-244 DC), tandis que n'en bénéficie pas forcément la disposition analogue qui reparait dans un texte ultérieur. Cela donne A son considérant rituel une portée limitée : il revient A dire non pas que les autres dispositions sont conformes A la Constitution, mais simplement que leur inconstitutionnalité éntuelle n'est pas manifeste.
Le seconde atténuation A l'impossibilité de remettre en cause une décision du Conseil est tout simplement l'hypothèse de la rectification d'erreur matérielle. Elle s'est déjA produite dans le contentieux électoral, mais elle pourrait, après tout, se présenter dans d'autres types de contentieux.
Il faut souligner, enfin, que pour qu'il y ait autorité de chose jugée, il faut évidemment qu'il y ait chose jugée, c'est-A -dire que les décisions que le Conseil peut prendre dans l'exercice de pouvoirs consultatifs ou administratifs (supra, articles 58 et 60) n'ont pas juridiquement la mASme autorité.
382. Dès 1962, le Conseil constitutionnel a défini lui-mASme l'étendue de la chose jugée : - L'autorité des décisions visées [par l'article 62] s'attache non seulement A leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement mASme - (62-l8 L). Ainsi toutes les autorités publiques, administratis et juridictionnelles sont tenues au respect des décisions de conformité ou non-conformité, mais aussi au respect des principes tels que le Conseil les énonce dans la motivation des décisions en question.
Cela a pris un relief particulier ac l'apparition des résers d'interprétation. Que le Conseil choisisse ou non d'y refaire référence explicite dans le dispositif d'une décision, elles s'imposent en tout état de cause.
Ces résers d'interprétation sont peu appréciées des parlementaires, qui y voient une atteinte supplémentaire A leur liberté d'action. Ils ont tort.
Lorsque le Conseil recourt A cette technique, c'est parce qu'une disposition législati, conforme A la Constitution si elle est interprétée d'une certaine manière, ne le serait pas si elle était interprétée autrement. De ce fait, l'usage de cette commodité profite au Parlement bien plus qu'elle ne lui nuit car, si elle n'existait pas, le Conseil serait conduit A censurer toutes les dispositions pour lesquelles une telle précision s'impose. C'est parce qu'il peut l'apporter, et qu'elle sera suivie d'effets, qu'il peut s'abstenir de déclarer non conforme la disposition en cause. Et c'est aussi parce que l'alternati qui s'offre A lui est bien celle entre non-conformité ou conformité sous réser d'interprétation ' ce qui exclut la conformité sans réser - qu'il prend soin de préciser que cette réser est stricte.
383. Si le Conseil poussait jusqu'au bout l'idée selon laquelle l'autorité de ses décisions est absolue, et s'attache A la fois au dispositif et A la motivation, cela pourrait avoir comme effet d'interdire toute évolution, et a fortiori tout revirement, de jurisprudence. 11 n'en est rien et le rigorisme s'incline devant le bon sens. De mASme que rien ne prou que ce soit A la première pomme qu'il a reA§ue sur la tASte que Newton a pressenti les lois de la gravitation, rien n'impose au Conseil constitutionnel d'innter, dès la première fois où il est confronté A un sujet, la solution ou le considérant de principe parfait. Cela arri mais, le plus sount, il procède par retouches successis avant de parnir A une rédaction raisonnablement claire, tout A fait complète et satisfaisante. Il ne pourrait modifier ce qu'il a une fois énoncé si l'autorité de chose jugée étendue aux motifs s'appliquait aussi A lui-mASme et dans son augle rigueur.
384. En fait, les
juridictions administratis et judiciaires, après quelques réticences initiales, ont aujourd'hui pris l'habitude d'intégrer A leurs propres décisions, sans difficulté majeure, les acquis de la jurisprudence constitutionnelle. Elles le font évidemment lorsqu'elles y sont expressément contraintes. Mais, mASme quand ce n'est pas absolument le cas,
la Cour de cassation, le Conseil d'état et le tribunal des conflits, ainsi que, de plus en plus spontanément, les juridictions qui leur sont subordonnées, adoptent de bonne grace l'interprétation
donnée par le Conseil constitutionnel de tel ou tel principe, et il n'existe pratiquement plus aujourd'hui de jurisprudences grament dirgentes.
385. Les effets des décisions du Conseil vont encore au-delA de leur force contraignante et de la liste, limitée dans l'article 62, de ceux auxquels elle s'impose. Elles ont aussi un effet direct sur les citoyens, sur l'opinion publique.
Le Conseil constitutionnel a conquis suffisamment d'autorité pour AStre considéré comme l'interprète incontesle de la Constitution. Il dit le
droit constitutionnel, le droit constitutionnel réel, sur les sujets dont il est saisi. Le spécialiste peut, A l'occasion, estimer telle ou telle décision contesle, voire telle ou telle argumentation infondée. Cela peut mASme AStre intéressant et alimenter des débats fructueux, des spéculations sur la solution que commanderait le droit pur. Mais c'est parfaitement inopérant dans le droit réel sur lequel le Conseil a un monopole absolu. Pour reprendre la terminologie de Hans Kelsen, on peut avancer toute interprétation scientifique, mais seules les décisions du Conseil donnent l'interprétation authentique.
Or on ne souligne pas assez le service ainsi rendu A la
démocratie : lorsque le Conseil constitutionnel a tranché, le citoyen peut approur ou regretter sa décision, mais il sait, et accepte, que ni lui ni un autre ne peunt la remettre en cause, que la loi est censurée ou indiscule et que, dans les deux cas, il n'a plus lieu de se poser de problèmes A ce sujet. C'est lA un progrès sensible de la paix des ames, de celles du moins que troubleraient des controrses constitutionnelles.