NAVIGATION RAPIDE : » Index » DROIT » DROIT CIVIL » La division de la société et de l etat comme problème Les présupposés totalitaires du discours anarchisteLes grands thèmes de la critique anarchiste de l'Etat sont relativement bien connus '» et l'on a vu comment ils conduisaient inéluclement Proudhon A opérer une critique radicale des droits de l'homme en tant qu'ils impliqueraient en quelque faA§on la présence de l'Etat. Le nerf de l'argumentation proudhonienne réside explicitement dans l'idée qu'il y a au fond davantage continuité que rupture entre les théories politiques issues de la Révolution franA§aise et les doctrines absolutistes en gueur dans l'Ancien Régime : l'autorité politique, certes, se voit assigner ici et lA une origine et une légitimité différentes, mais, dans un cas comme dans l'autre, son principe mASme n'est pas remis en question : - L'Ancien Régime fondé sur l'autorité et la foi était essentiellement de droit din. Le principe de la souveraineté du peuple qui y fut plus tard introduit n'en changea point la nature ; et ce serait A tort qu'aujourd'hui on voudrait maintenir entre la monarchie absolue et la monarchie constitutionnelle, entre celle-ci et la république démocratique une distinction qui ne touche nullement au principe -*. De lA le rejet commun, déjA signalé, tant des formes manifestes de l'absolutisme que de ses formes déguisées, tels - le gouvernement direct et la législation directe les deux plus énormes bévues dont il ait été parlé dans les fastes de la politique et de la philosophie -2. Dans l'une des interminables énumérations qu'il affectionne, Proudhon donne sa réponse : - Ce que nous mettons A la place du gouvernement, c'est l'organisation industrielle. - Ce que nous mettons A la place des lois, ce sont les contrats (). - Ce que nous mettons A la place des pouvoirs politiques, ce sont les forces économiques. - Ce que nous mettons A la place des anciennes classes de citoyens (), ce sont les catégories et spécialités de fonctions, agriculture, industrie, commerce, etc. - Ce que nous mettons A la place de la force publique, c'est la force collective. - Ce que nous mettons A la place des armées permanentes, ce sont les comnies industrielles. - Ce que nous mettons A la place de la police, c'est l'identité des intérASts. - Ce que nous mettons A la place de la centralisation politique, c'est la centralisation économique -3. Chacun de ces aspects de l'anarchie positive mériterait commentaire. Pour nous borner A l'essentiel, nous percevons immédiatement que le principe fondateur de l'organisation sociale non étatique est l'idée qu'on peut, grace A une certaine conception du contrat social qui reste A préciser, remplacer définitivement le politique par l'économique ' illusion d'ailleurs commune A Saint-Simon, Marx et Proudhon1. Seule l'idée de contrat, en effet, permet aux yeux de Proudhon de concevoir une organisation sociale non hiérarchisée, une organisation sociale de - bas en haut - qu'on appellera, selon le niveau où on la considère, mutuellisme, communalisme ou fédéralisme. Le contrat anarchiste, il faut le rappeler pour en comprendre l'exacte nature, s'oppose non seulement A la notion de hiérarchie mais également A celle d'association : - J'ai toujours regardé l'association, écrit Proudhon, comme un engagement équivoque qui, de mASme que le plaisir, l'amour et beaucoup d'autres choses, sous l'apparence la plus séduisante, renferme plus de mal que de bien -2 ' assertion par laquelle Proudhon s'oppose A tout un aspect de la tradition utopiste du xixe siècle. A l'idée d'association, il faut donc substituer celle de réciprocité qui suppose un engagement libre et rationnel de la part de chacun des contractants. Le contrat social doit AStre- synallagmatique- et - commutatif - de sorte que chaque partie contractante, d'une part, ait plus A gagner qu'A perdre et, d'autre part, reste entièrement libre, - moins ce qui est relatif A l'objet spécial pour lequel le contrat est formé -. C'est donc un tel contrat qui, reproduit en nombre illimité au cours de chaque accord indiduel, doit constituer la vérile pierre angulaire de l'édifice fédéraliste. Que ce contrat se par principe, au-delA de la disparition de l'Etat, la résorption complète du politique dans l'économique, c'est ce qui apparaitra clairement si l'on considère, ne fût-ce que brièvement, la critique qu'il implique du contrat social de Rousseau. Cette critique porte avant tout sur deux points : 1 / Tout d'abord, le contrat social de Rousseau est dénoncé par Proudhon en tant qu'il tend A renforcer le pouvoir politique en le légitimant ' opération qui s'effectue selon Proudhon dans la confusion du gouvernement et de la volonté générale ( ?), alors qu'en vérité, - l'idée de contrat est exclusive de celle de gouvernement -. 2 / Mais dans un second temps ' et c'est sans nul doute le plus important ' le contrat social rousseauiste est suspecté d'ignorer radicalement la e concrète de la société, c'est-A -dire la e économique : - Pas un mot du travail, ni de la propriété, ni des forces industrielles que l'objet du contrat social est d'organiser Son programme est exclusivement politique, il ne reconnait de droits que politiques, il ne reconnait pas les droits économiques -2. On voit donc que la vérile signification du contrat social proudhonien est bien économique : - La justice commutative, le règne des contrats, en d'autres termes, le régime économique ou industriel, telles sont les différentes synonymies de l'idée qui par son avènement doit abolir les eux systèmes -3. Le grand mérite du communisme, que Proudhon ne peut dès lors éter de célébrer, est d'avoir perA§u - qu'au lieu de scinder, comme le fait le système bourgeois, la politique et l'économie politique, et d'en faire deux ordres distincts et contraires -, il faut affirmer - l'identité de leurs principes et essayer d'en opérer la synthèse -, tant il est vrai que - l'unité économique - est - destinée par le progrès des idées A remplacer l'unité politique -, soit, encore, dans l'inimile style de Proudhon : - Entre le régime politique et le régime économique, entre le régime des lois et le régime des contrats, pas de fusion possible, il faut opter : le bouf continuant d'AStre bouf ne peut devenir aigle, ni la chauve-souris, colimaA§on. De mASme la société en conservant, A quelque degré que ce soit, sa forme politique, ne peut s'organiser selon la loi économique -4. Le présupposé ultime de la critique de l'Etat apparait dès lors en pleine lumière : ce qui est littéralement postulé par l'anarchisme proudhonien et qui transparait constamment jusque dans les métaphores qu'il utilise, c'est que l'Etat est un artefact mort tandis que la société, livrée A elle-mASme, est harmonieuse parce que analogue A un AStre vant : voilA pourquoi - il ne peut AStre question de toucher A la société elle-mASme que nous devons considérer comme un AStre supérieur doué d'une e propre et qui par conséquent exclut de notre part toute idée de reconstitution arbitraire -. Dans la philosophie politique, l'usage de métaphores analogiques de l'organisme est, il est vrai, fréquent. Proudhon, toutefois, choisit la plus funeste d'entre elles : celle de la e. Ainsi que l'a montré A. Philonenko2, l'organisme est conA§u, dans la pensée moderne, selon trois modèles : 1/ / Le modèle mécanique qui réduit ' comme on le voit dans le cartésianisme (et, en un sens aussi, dans notre biologie moléculaire contemporaine !) ' l'organisme A une machine, A un automate, sublimement perfectionné, certes, mais néanmoins réductible aux seules lois du mécanisme. 2 / Le modèle de l'AStre organisé, qui n'est pas encore le vant, et dont l'exemple type est la te. Ce qui caractérise l'AStre organisé ' que la Critique de la faculté de juger de Kant décrit en ce sens pour la première fois ', c'est le fait que son indidualité n'est encore que relative : on peut considérer l'arbre, par exemple, comme un indidu, mais on peut tout aussi bien considérer chaque branche de cet arbre A son tour comme un indidu, car on peut greffer une branche sur un autre arbre, ou mASme tout simplement la ter en terre. La transposition de ce modèle sur le politique possède des propriétés tout A fait remarquables : lorsqu'on conA§oit, par exemple, le contrat social comme l'analogue d'une greffe par laquelle les indidus s'agrègent A un tronc commun, la métaphore utilisée laisse clairement entendre que dans le tout social ainsi constitué, chaque indidu demeure un AStre autonome, indépendant des autres (comme la branche est, si l'on veut, indépendante de l'arbre qui la porte). Le tout n'absorbe pas les parties. 3 / C'est au contraire ce qui a lieu au niveau de la e (qu'il ne faut pas confondre avec l'organisation) : la e est le domaine de l'indidualité absolue en ce sens que les membres articulés d'un AStre vant (et non justement ses organes) ne peuvent posséder aucune existence séparée, A la différence de ce qui a lieu pour les branches d'arbre. er le corps politique A un AStre vant, c'est donc suggérer que les indidus (les membres) n'ont aucune existence autonome et que le tout absorbe les parties qu'il englobe et auxquelles, A la limite, il permet d'exister. Le thème de la société sans Etat n'est pas sans danger. L'analyse de la critique proudhonienne des droits de l'homme nous en fournit encore une nouvelle preuve. En prétendant supprimer la dision société-Etat au profit d'une conception - taliste - de l'organisation sociale, Proudhon engage, A notre sens, la pensée anarchiste sur un versant totalitaire ' ce que laissait déjA présager le thème d'une liquidation du politique au profit de l'économique. Avec des présupposés symétriques inverses, puisqu'elle tend, au moins dans un premier temps, A accroitre le contrôle de l'Etat sur la société, la critique marxiste des droits de l'homme conduit, elle aussi, par sa sée d'une suppression de la dision Etat-société, A des conclusions problématiques. |
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