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DROIT

Le droit est l'ensemble des règles générales et abstraites indiquant ce qui doit être fait dans un cas donné, édictées ou reconnues par un organe officiel, régissant l'organisation et le déroulement des relations sociales et dont le respect est en principe assuré par des moyens de contrainte organisés par l'État.


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La critique marxiste des droits de l'homme

La critique marxiste des droits de l'homme
Les grands thèmes de cette critique étant bien connus, on nous permettra ici d'être bref. L'analyse marxienne de la Déclaration des Droits de l'Homme doit bien sûr être située dans le cadre général de l'interprétation de la « Révolution bourgeoise ». On sait comment cette révolution aboutit selon Marx à la production d'un Etat séparé de la société civile, Etat qui en se donnant l'apparence de viser l'unirsel, n'est en réalité qu'un instrument destiné à permettre aux intérêts particuliers (capitalistes) de se donner libre cours au sein de la société : « En émancipant la communauté de la propriété privée, l'Etat a acquis une existence particulière à côté de la société civile et en dehors d'elle; mais cet Etat n'est pas autre chose que la forme d'organisation que les bourgeois se donnent par nécessité pour garantir réciproquement leurs propriétés et leurs intérêts tant à l'intérieur qu'à l'extérieur »l. C'est dans cette perspecti que s'inscrit l'examen minutieux, mais, nous le rrons, sélectif, auquel se livre Marx dans La Question jui à propos des dirses Déclarations. D'emblée, il souligne comment la fameuse distinction de l'homme et du citoyen par laquelle on entend isoler un niau, celui du citoyen, où s'affirmerait l'exigence de l'unirsel, n'a lieu en réalité que pour garantir plus sûrement le libre jeu des intérêts privés qui continuent de régir les relations entre les hommes. Comme l'écrit J. Habermas, « Marx conçoit la révolution bourgeoise comme l'émancipation des citoyens et non des hommes : reconnus libres et égaux devant la loi, ceux-ci n'en sont pas moins à la merci des rapports naturels incontrôlés d'une société fondée sur le libre-échange »*. La société bourgeoise reste donc, malgré, ou plutôt à cause même de la générosité de ses intentions affichées, une société principiellement égoïste, orientée rs le profit privé et fondée sur des rapports de force qui tendent à isoler les individus les uns des autres : « C'est justement ce triomphe des individus indépendants les uns des autres, triomphe qui sur cette base ne peut être qu'égoïste quant à leur comportement social, qui rend nécessaire la négation de soi dans la loi et le droit; cette abnégation est en fait l'exception, l'affirmation de l'intérêt personnel, la règle »3 - ce pourquoi Marx s'attache, dans son commentaire des Déclarations, à déceler dans l'énoncé de chacun des droits de l'homme cet égoïsme qu'ils ont pour fonction de libérer et de dissimuler tout à la fois.
Ainsi par exemple, derrière la définition, à l'article 6 de la Constitution de 1793, de la liberté comme « le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui », c'est le caractère monadique de l'individu au sein de la société civile bourgeoise qui est marqué : « La liberté est donc le droit de faire et d'entreprendre tout ce qui ne nuit pas à aucun autre. La frontière à l'intérieur de laquelle chacun peut se mouvoir sans être nuisible à autrui est définie par la loi il s'agit de la liberté de l'homme en tant que monade isolée, repliée sur elle-même ». Et Marx souligne, dans la suite de son commentaire de l'article 6, comment le vérile sens de cette définition de la liberté réside dans son caractère purement négatif, dans le fait qu'elle «'instaure pas de rapports entre les hommes, mais permet au contraire à leur séparation, voire à leur antagonisme, de jouer librement. Sous l'exigence de la sûreté, laquelle consiste selon l'article 8 de la Constitution de 1795 « dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de sa propriété », c'est selon Marx - autre exemple de sa lecture « généalogique » - « le concept suprême de la société bourgeoise, le concept de la police » qu'il faut mettre à jour, de sorte que, « par le concept de sûreté, la société bourgeoise ne s'élè pas au-dessus de son égoïsme », mais y trou, au contraire, sa plus sûre garantie2. Appliquant le même traitement à chacun des droits-libertés, Marx peut conclure que cet « homme distinct du citoyen », qui « n'est autre que le membre de la société bourgeoise » est « l'homme égoïste », « l'homme séparé de l'homme et de la collectivité »8.
Analyste brillant de la Révolution de 1848, Marx optera donc sans réser pour une défense des droits-créances, non seulement à côté des droits-libertés, mais, peut-on dire, contre eux, tant est grand son mépris pour les institutions parlementaires et, plus généralement, les libertés publiques. Et c'est bien sûr le droit au travail, inscrit dans le premier projet de constitution rédigé avant les journées de juin, qui bénéficie avant tout autre de son assentiment : « Le droit au travail est au sens bourgeois un contresens, un désir vain, pitoyable : mais derrière le droit au travail, il y a le pouvoir sur le capital, derrière le pouvoir sur le capital, l'appropriation des moyens de production, leur subordination à la classe ouvrière associée, c'est-à-dire la suppression du salariat, du capital et de leurs rapports réciproques »1. Nous rrons plus loin combien cette analyse est proche de celle de Tocqueville - bien que, est-il besoin de le préciser, leur appréciation du droit au travail soit radicalement opposée. Il importe seulement de constater pour l'instant que la critique marxienne des droits-libertés s'inscrit logiquement dans le projet d'instauration d'une domination totale de l'Etat sur la société. Qu'un tel projet possède, au moins virtuellement, des implications totalitaires, c'est là ce que C. Lefort nous semble avoir lumineusement montré dans l'article intitulé « Droits de l'homme et politique »2.
Selon Lefort en effet - et comment ne pas le suivre sur ce terrain ? - si dans les régimes totalitaires de l'Est l'homme se trou « dissocié de l'homme et séparé de la collectivité comme il ne le fut jamais dans le passé ce n'est certes pas parce qu'il est assigné aux limites d'une vie privée, au statut de monade, parce qu'il jouit du droit d'avoir opinions, libertés, propriété et sécurité, mais parce que cette jouissance lui est interdite »3. Aussi Lefort élè-t-il contre l'interprétation marxienne des Déclarations trois objections qui semblent difficilement récusables :
- Tout d'abord, Lefort reproche à Marx de s'être lui-même laissé prendre au piège de l'idéologie bourgeoise et d'avoir fait une lecture encore superficielle des Déclarations en s'en tenant à l'apparence : « Marx tombe et nous attire dans un piège qu'il a été, dans d'autres occasions, mais aussi à d'autres fins, fort habile à démonter : celui de l'idéologie. Il se laisse faire prisonnier de la rsion idéologique des droits, sans examiner ce qu'ils signifient dans la pratique, quel boulersement ils impliquent dans la vie sociale »4.
- C'est là ce qui explique le fait que Marx est contraint de passer sous silence les articles de la Déclaration qui, manifestement, sont incompatibles ac sa lecture en termes d'égoïsme radical, et notamment les articles 10 et n qui affirment non seulement la liberté d'opinion, mais aussi « la libre communication des pensées et des opinions » : « Faut-il que Marx soit obsédé par son schéma de la révolution bourgeoise pour ne pas voir que la liberté d'opinion est une liberté de rapports, que c'est le droit de l'homme, l'un de ses droits les plus précieux, de sortir de lui-même et de se lier aux autres par la parole, l'écriture, la pensée »', bref, pour négliger le fait que les Déclarations ouvrent la possibilité d'un vérile « espace public » dont la portée transcende de loin les intérêts supposés de la bourgeoisie ?
- Enfin, et ceci est essentiel, Lefort dénonce très justement les présupposés de la critique selon laquelle les droits évoqués dans la Déclaration seraient purement formels et anhistoriques - formalisme et anhistoricité qui auraient bien évidemment pour fonction de masquer les intérêts très concrets et très historiques de la classe bourgeoise. Or cet argument, qui sert de fondement à la distinction marxiste des droits formels et des droits réels, évoque étrangement ceux déjà mobilisés par les contempteurs les plus réactionnaires de la Révolution française : il manque cette idée, centrale pour comprendre vérilement la finalité des droits de l'homme, qu'une certaine « indétermination » est indispensable à leur portée critique. C'est en effet parce qu'ils ont une visée unirselle, donc abstraite, que ces droits peunt servir, aujourd'hui encore, de références à des luttes sociales et politiques dont la réalité historique peut par ailleurs être tout à fait dirse : « Les droits de l'homme étant déclarés, surgit, dit-on, la fiction de l'homme sans détermination. Toute la critique d'inspiration marxiste, mais aussi conservatrice, s'engouffre dans cette fragile citadelle pour la démolir. Joseph de Maistre proclamait ainsi : j'ai rencontré des Italiens, des Russes, des Esnols, des Anglais, des Français, je ne connais pas l'Homme; et Marx jugeait qu'il n'était d'hommes que concrets, historiquement et socialement déterminés, façonnés par leurs conditions de classe. Ac moins de talent, nombre de nos contemporains continuent de se gausser de l'humanisme abstrait ».
Si l'anarchisme et le marxisme ne parviennent ni l'un ni l'autre à accorder un statut cohérent aux droits-libertés, c'est donc bien parce que, animés par le projet d'une suppression réelle de la division société-Etat, ils abolissent en même temps la principale condition de possibilité de ces droits. Si le libéralisme, en tant que théorie des limites de l'Etat, apparait, en revanche, comme le lieu naturel de ces droits-libertés, il n'est pourtant pas certain que la fondation qu'il en donne soit elle-même exempte de toute difficulté. Comme nous le suggérions en avant-propos, la pensée libérale, dès l'origine, est trarsée par ce que l'on pourrait nommer une tentation « économiste » et historiciste déjà repérable chez les « pères fondateurs » américains, mais dans une certaine mesure aussi dans le libéralisme français, et qui resurgit aujourd'hui ac une netteté, voire une naïté surprenantes dans le néo-libéralisme d'un Hayek, sous la forme d'une prétention à déduire littéralement le juridique de l'économique. Il est clair, d'autre part, que sur le second rsant des droits de l'homme, les droits-créances, le libéralisme, et ce aussi dès l'origine, adopte une position radicale d'hostilité. C'est donc quant à son attitude face aux deux types de droits de l'homme qu'il nous faudra maintenant interroger la tradition libérale.



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