Le principe est inverse de ce qu'il est dans le régime répressif : ici, la liberté ne peut s'exercer qu'avec le consentement préalable de l'administration. Le but poursuivi n'est pas de punir après coup les abus de la liberté, mais de les empAScher de se produire.
En réalité, le régime répressif a lui aussi, on l'a vu, un but préventif : on espère que la crainte de la sanction arrAStera l'abus. La répression a moins pour but de punir le coupable que d'empAScher la multiplication des délits, par la peur qu'inspirera le chatiment. C'est ce que les pénalistes nomment l'effet d'intimidation de la peine. Mais il s'agit lA d'un effet purement psychologique qui tient moins A la gravité de la peine qu'A sa probabilité, d'autant plus douteuse que la masse des délits, en augmentant, dépasse les possibilités de la répression : l'effet préventif du régime répressif est donc A la fois indirect et aléatoire, d'où le caractère largement illusoire de la confiance mise dans la seule aggravation de la répression pour assurer la sécurité, selon la
philosophie qui avait inspiré la loi du 2 février 1981. Le système préventif cherche, au contraire, dans l'intervention de l'administration, une prévention directe et certaine contre les désordres.
II ne faut pas perdre de vue cependant qu'il ne s'agit lA que d'une prévention A court terme. La délinquance a des causes profondes, éthiques, sociales, économiques. La prévention la plus efficace est celle qui s'attaque A ces causes. C'est cette prévention qui a été confiée par un décret du 8 juin 1983 A un Conseil national de la prévention de la délinquance, qui coordonne les actions conduites sur place par des conseils départementaux et communaux. Mais elle implique une politique d'ensemble, qui ne peut produire effet que sur la longue durée, et qui déborde largement le régime préventif proprement dit, seul étudié ici.
1 | THéORIE GéNéRALE DU RéGIME PRéVENTIF
a–s Caractères généraux
Le régime préventif est, dans son principe, beaucoup moins libéral que le régime répressif, au point qu'on a pu soutenir qu'il y avait contradiction entre un tel régime et l'aménagement d'une liberté. Cela tient A des raisons évidentes.
» L'autorité publique que le régime préventif fait intervenir est précisément celle que le libéralisme considère avec le maximum de suspicion : l'exécutif, responsable de l'ordre. C'est lui qui est compétent pour prendre la décision dont dépend, dans chaque cas concret, l'exercice de la liberté. Il est A craindre qu'il soit plus sensible, ce faisant, au souci de l'ordre qu'au respect de la liberté.
» La nécessité d'une intervention préalable de l'administration met en échec le principe fondamental selon lequel - tout ce qui n'est pas défendu par la loi est permis -. Ici, n'est permis que ce qui a été autorisé, de faA§on expresse ou tacite. C'est la mise en tutelle de la liberté, c'est-A -dire sa négation.
» La décision de l'autorité administrative découle, non de l'application d'une règle générale, mais de son appréciation touchant la compatibilité, dans un cas donné, du jeu de la liberté avec les nécessités de l'ordre. La décision est donc largement imprévisible. Le particulier est condamné A l'incertitude, qui est la situation la moins favorable, on l'a vu, A l'exercice de la liberté. De plus, l'absence de règle générale liant la décision permet A l'administration des discriminations entre les candidats A l'exercice d'une liberté : l'égalité peut AStre aussi aisément violée que la liberté.
a–s Modalités
L'incompatibilité qu'on vient de constater entre régime préventif et liberté, certaine dans son principe, n'est cependant pas constante. De mASme que les modalités du régime répressif peuvent en diminuer la valeur libérale (supra, p. 211), de mASme, et A l'inverse, le caractère autoritaire du régime préventif peut AStre atténué, selon les formes qu'il emprunte dans la pratique, essentiellement l'autorisation préalable, et l'interdiction, et selon la faA§on dont chacune de ces formes elle-mASme est aménagée.
» L'autorisation préalable. ' C'est le procédé le plus caractéristique du régime préventif dans toute sa rigueur : l'intervention que ce régime postule de la part de l'administration prend ici la forme d'une autorisation. La liberté ne peut s'exercer que si l'administration l'a permis. L'unité du procédé réside dans son effet : la manifestation de la liberté est illégale, soit lorsque l'autorisation n'a pas été demandée, soit tant que l'administration, saisie, n'a pas fait connaitre sa réponse, soit lorsque cette réponse est négative. Elle n'est légale qu'une fois l'autorisation accordée. On conA§oit que l'on puisse voir, dans ce procédé, non une technique d'aménagement, mais la négation de la liberté, puisqu'il ne laisse au particulier que celle du projet : le choix entre l'abstention, et la demande d'autorisation.
En réalité, si le régime de l'autorisation préalable produit des effets constants, il peut revAStir des formes qui en modifient profondément le caractère.
a) Du point de vue de ses conditions, l'autorisation peut, comme tout
acte administratif, faire au pouvoir discrétionnaire une place plus ou moins large. Si aucune condition légale n'est mise par la règle de droit A l'octroi ou au refus, ils relèvent de la seule opportunité. L'administration apprécie en toute indépendance les éléments qui commandent sa décision. C'est la situation la plus contraire A la liberté. Elle livre le particulier A l'arbitraire.
L'autorisation peut aussi AStre assujettie A certaines règles, soit par la loi, soit par le juge. Le pouvoir discrétionnaire de l'administration se trouve limité d'autant. On verra que c'est, en droit positif, la situation la plus fréquente.
A la limite, la loi peut énumérer toutes les conditions auxquelles elle entend subordonner l'autorisation. Dans ce cas, l'administration exerce une
compétence liée. Elle ne peut que vérifier l'existence de ces conditions : lorsqu'elles sont remplies, le particulier peut se prévaloir d'un droit A l'autorisation. Si les conditions sont définies de faA§on objective, et relèvent de la constatation pure et simple, tout risque d'arbitraire disparait. L'administration ne retrouve quelque pouvoir que lorsque les conditions définies par la loi relèvent, non de la pure constatation, mais d'une certaine dose d'appréciation : ainsi pour le permis de conduire, dont la délivrance est fonction des résultats d'un examen, qui impHque une appréciation discrétionnaire de l'aptitude du candidat.
b) Du point de vue de ses modalités, on peut distinguer l'autorisation pure et simple, et l'autorisation conditionnelle. Dans le premier cas, l'administration n'a le choix qu'entre l'octroi et le refus. Elle peut, dans le second cas, subordonner l'autorisation A certaines modifications apportées au projet dont elle est saisie. Le système est donc plus souple, mais il peut AStre plus contraignant si elle est libre de multiplier les conditions auxquelles elle subordonne sa décision.
c) Du point de vue de la forme, l'autorisation, normalement expresse, peut AStre tacite, c'est-A -dire acquise au bout d'un certain temps si l'administration n'a pas, dans ce délai, statué de faA§on expresse.
On voit donc que la gamme des modalités dont peut AStre assorti le régime de l'autorisation préalable peut en modifier profondément la signification du point de vue de la liberté.
» L'interdiction. ' La faculté pour l'administration d'interdire la manifestation d'une liberté ne se confond pas avec le régime d'autorisation préalable. Ici, le particulier qui désire agir n'a pas d'initiative A prendre auprès de l'administration ; l'exercice de sa liberté n'est pas assujetti A une intervention positive de celle-ci. La liberté, comme dans le régime répressif, reste donc le principe. Mais, si l'acte par lequel la liberté s'exerce vient A la
connaissance de l'administration, et si elle estime qu'il risque de compromettre l'ordre public, elle peut en prononcer l'interdiction. Dans ce cas, l'exercice de la liberté devient illégal. On voit la différence avec l'autorisation préalable : le silence de l'administration, qui suspend l'exercice de la liberté dans ce régime, ne le suspend pas dans le régime d'interdiction. La manifestation de la volonté administrative a un contenu positif dans le premier cas ' elle doit consentir ', négatif dans le second : elle peut empAScher.
Comme l'autorisation préalable, l'interdiction peut AStre purement discrétionnaire. Elle peut aussi AStre assujettie par le droit A certaines conditions : c'est la situation actuelle en droit positif.
a–s Signification du régime préventif
La condamnation du régime préventif par la tradition libérale est largement fondée dans son principe. Elle appelle cependant des nuances.
Les modalités dont peut AStre assortie l'autorisation préalable, les limites assignées au pouvoir d'interdiction, peuvent, on l'a vu, en modifier la portée. D'autre part, l'autorisation confère, A son titulaire, une certaine sécurité. Celle-ci n'est cependant pas totale : en raison de l'autonomie du droit pénal, l'autorisation ne couvre pas le caractère éventuellement délictueux de l'acte autorisé ; de plus, elle peut laisser intact le pouvoir d'interdiction si cet acte se révèle, par la suite, menaA§ant pour l'ordre public.
La seule justification indiscule du régime préventif réside, en définitive, dans le caractère irréparable du dommage que l'exercice de la liberté peut entrainer pour la société. Dans un régime exclusivement répressif, mASme si l'acte accompli vaut, A son auteur, une sanction pénale rigoureuse, son effet demeurera acquis. La destruction d'un espace vert par son propriétaire peut entrainer pour lui une condamnation, l'espace vert n'en aura pas moins disparu. La
pollution d'un cours d'eau subsiste malgré la répression qui frappe son auteur, et les plus lourdes peines ne rendent pas la vie aux victimes d'un produit pharmaceutique toxique. Dans les domaines, et ils sont de plus en plus nombreux, où la libre activité des particuliers risque de créer de l'irréparable au détriment de l'intérASt commun, le régime préventif répond donc A une nécessité sociale. Mais il serait dangereux de prendre argument de cette nécessité pour l'étendre au-delA .
2 | LE RéGIME PRéVENTIF EN DROIT POSITIF
a–s L'autorisation préalable
Le caractère antilibéral du procédé en a réduit l'application dans l'aménagement des libertés essentielles, et notamment des libertés de la pensée. Les principales exceptions concernent, d'une part, le régime du cinéma, d'autre part, celui des associations. L'exploitation des films reste soumise A un visa de censure, qui constitue une autorisation préalable, accordée très libéralement, A vrai dire, depuis 1974. Les radios locales privées sont également soumises A autorisation préalable, ce qui s'explique par des raisons techniques, et la nécessité de répartir au mieux des fréquences qui ne sont pas illimitées (1. 29 juillet 1982, cf. tome II, p. 283). Quant aux associations, celles d'entre elles qui envisagent de créer ou d'agrandir des élissements dans le domaine social ou sanitaire appelant un concours financier public ne peuvent le faire que moyennant des procédures d'agrément ou d'habilitation qui, sous des noms différents, constituent en pratique de vériles autorisations préalables.
Par contre, le procédé, sous des noms divers ' permis, agrément, visa, etc. ' trouve des applications très fréquentes dans le domaine des libertés économiques : liberté du commerce et de l'industrie, droit de propriété, notamment dans le cadre des régimes de la construction, de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire, de l'organisation professionnelle ; il est également très développé en matière de circulation automobile. Mais la loi seule peut, mASme dans ces domaines, décider de soumettre l'exercice d'une activité A autorisation préalable. La solution, affirmée par la jurisprudence avant 1958, a été maintenue depuis, au moins en principe.
Cf. ce, 22 juin 1951, Daudignac, Gr. Ar., p. 458. Le Conseil d'Etat, dans cette décision, annule un arrASté municipal qui avait subordonné A la délivrance d'une autorisation l'exercice de la profession de photographe-filmeur. La confirmation de cette solution dans le cadre de la Constitution de 1958 peut se déduire de ce, 22 juin 1963, Syndicat du personnel soignant de la Guadeloupe, AJ, 1963, 460.
a–s L'interdiction
Le pouvoir d'interdire dans une circonstance particulière l'exercice d'une liberté peut AStre conféré A l'administration par un texte (cf. par exemple, en ce qui concerne l'interdiction des manifestations sur la voie publique, d.-l. 23 oct. 1935). Mais la jurisprudence considère que ce pouvoir est inclus, mASme sans texte, dans ceux dont disposent de plein droit les autorités investies de la police générale. Celles-ci peuvent donc l'exercer, lorsque le maintien de l'ordre l'exige, A l'encontre de n'importe quelle liberté, mASme reconnue et protégée par la loi.
Le principe a été nettement affirmé dans l'arrASt du 18 mai 1933, Benjamin, Gr. Ar., p. 286, A propos de la liberté de réunion, qui a pourtant reA§u du législateur un régime particulièrement libéral. Le maire de Nevers, dans cette affaire, avait interdit une conférence, en alléguant les désordres qu'elle risquait d'entrainer. L'arrASt affirme très nettement que l'interdiction eût été légale si la menace de trouble avait été réelle : c'est son aspect autoritaire, souvent perdu de vue par les commentateurs. S'il annule l'interdiction, c'est parce que, dans les circonstances de l'espèce, les desordres étaient hypothétiques et, en tout cas, faciles A contenir. Sur cet aspect libéral de l'arrASt Benjamin, cf. infra, p. 228.
Il faut insister sur le caractère absolument général du pouvoir d'interdiction ainsi reconnu aux autorités de police générale : aucune liberté n'y échappe, quel que soit par ailleurs son régime. L'autorisation préalable elle-mASme, lorsqu'elle est
donnée au niveau national, ne fait pas obstacle A l'interdiction par l'autorité locale : ainsi, le visa de censure, en matière cinématographique, laisse aux maires le pouvoir d'interdire la présentation du film dans leur commune si les circonstances locales l'exigent (ce, 18 décembre 1959, Société des Films Lutetia, Gr. Ar., p. 577). L'interdiction a des prolongements : les saisies administratives de journaux, les lacérations d'affiches par la police ne sont que des mesures d'exécution forcée d'une interdiction.
a–s L'aménagement du régime préventif par le juge
MASme lorsque le législateur n'a pas assujetti A des conditions précises les mesures préventives auxquelles il subordonne une activité, l'administration n'est pas investie, A l'égard de ces mesures, d'un pouvoir discrétionnaire. Le Conseil d'Etat leur impose d'abord les exigences normales de la légalité externe ' compétence, forme ' et interne : contrôle du but et du motif. Mais surtout, il a, par une de ses constructions jurisprudentielles les plus remarquables, assujetti les autorités de police A un ensemble de règles propres A la matière, dont il sanctionne la violation en annulant les décisions qui les enfreignent, et qui limitent assez strictement leurs pouvoirs en matière de mesures préventives.
» Les directives fondamentales dont s'inspire le juge peuvent 3e résumer dans les formules suivantes :
' La liberté est le principe, la mesure restrictive, l'exception.
' L'autorité de police doit concilier les nécessités de l'ordre et les exigences de la liberté. En sacrifiant systématiquement la liberté A l'ordre, elle agit illégalement.
' Cette conciliation doit s'opérer compte tenu des données propres A chaque situation concrète, et non dans l'abstrait. Le bien-fondé des mesures préventives dépend donc des circonstances de fait. Le légal et l'illégal sont, dans ce domaine, étroitement relatifs.
' La mesure préventive se justifie par sa nécessité. La justification est suffisante : toute mesure nécessaire au maintien de l'ordre est fondée. Mais elle est indispensable : toute restriction apportée A une liberté alors qu'elle n'était pas nécessaire est, du fait mASme, illégale, puisque l'autorité qui l'a prise n'a pas respecté la directive de conciliation entre ordre et liberté qui s'impose A elle.
» L'application de ces directives conduit le juge A une série de distinctions :
a) Il distingue d'abord selon la nature de l'activité que vise la mesure préventive. A l'égard des libertés définies (supra, p. 186), les pouvoirs de l'autorité de police sont plus limités qu'A l'égard des manifestations non définies de la liberté : la protection par la loi entraine donc une protection juris-prudenticlle renforcée. MASme dans le cadre d'une liberté définie, les manifestations essentielles sont mieux protégées que celles que le juge considère comme accessoires : dans le domaine de la liberté des cultes, les interdictions sont plus aisément considérées comme légales lorsqu'elles frappent une procession non traditionnelle que lorsque la procession interdite se rattache A la célébration régulière du culte selon ses règles liturgiques.
Enfin, le juge semble élir une hiérarchie entre les manifestations non définies de la liberté : celles qui relèvent, A ses yeux, de la fantaisie pure et simple ne méritent qu'une protection limitée : d'où, par exemple, l'approbation qu'il a donnée A une mesure d'interdiction frappant, dans une commune, le stationnement des roulottes de camping, A l'époque lointaine où cette pratique faisait ure d'initiative audacieuse (ce, 3 juin 1932, Dulaurens-Prétecille).
b) Le juge, d'autre part, distingue selon la nature des mesures prises. On a déjA vu qu'il n'admettait pas la création par l'autorité de police d'un régime d'autorisation préalable (CE, 22 juin 1951, Daudignac, Gr. Ar., p. 458). Il considère toujours avec suspicion les interdictions lorsqu'elles sont permanentes, générales, absolues. Une sorte de présomption d'illégalité les frappe, car elles constituent pour l'administration une solution paresseuse : avec un peu d'imagination, il eût sans doute été possible de sauvegarder l'ordre sans sacrifier totalement la liberté. Le juge incite donc l'autorité de police A préférer la réglementation (qui ne peut comporter d'interdictions que partielles et limitées) A l'interdiction.
L'arrASt du 26 février 1960, lle de Rouen, Rec, p. 154, offre, A propos des photographes-filmeurs, un bon exemple de cette distinction. Le maire de Rouen ne pouvait légalement - opposer aux intéressés une interdiction générale et permanente dans une zone aussi étendue que celle prévue par l'arrASté contesté -. Il aurait pu, par contre, interdire en cas de nécessité l'exercice de la profession - dans certaines rues ou A certaines heures où la circulation est particulièrement intense et difficile -. La réglementation, comportant des interdictions partielles et limitées, eût été légale : l'interdiction générale ne l'est pas.
c) Le juge distingue enfin, et ceci résulte des exemples précédents, selon les circonstances. Toutes les données de fait propres A chaque situation concrète sont passées au crible. La légalité de la mesure va dépendre de cette analyse des circonstances : circonstances de lieu ' dans l'arrASt lle de Rouen, précité, l'interdiction aurait pu AStre légale dans certaines rues, mais non dans les autres ; circonstances de temps : cf., dans le mASme arrASt, la distinction selon - les heures où la circulation est particulièrement intense - ; relation entre l'ampleur de la menace courue par l'ordre et les
moyens dont disposait l'autorité de police pour y faire face.
Dans l'affaire Benjamin, l'interdiction frappait une conférence littéraire, dont l'auteur, écrivain et polémiste, s'était attiré, par de vives attaques contre l'enseignement primaire, l'hostilité des instituteurs, qui annonA§aient une contre-manifestation. Ni la conférence, étant donné son sujet ' Courteline et Sacha Guitry ', ni la contre-manifestation, étant donné le caractère des participants, professionnellement peu enclins A la violence, ne laissaient prévoir des troubles tels que les forces de police dont disposait le maire ne fussent en état de les éviter par un service d'ordre bien éli. L'interdiction est illégale, parce que hors de proportion avec la menace. C'est une application ancienne de ce qu'on appelle aujourd'hui le principe de proportionnalité dans la jurisprudence administrative et dans celle de la Cour européenne des droits de l'homme.
L'arrASt Bucard (CE, 23 décembre 1936, Rec, p. 1151) offre une bonne synthèse de cette jurisprudence. La manifestation interdite était organisée par un parti politique de tendance fasciste dans les principales villes des trois départements-frontière d'Alsace et de Lorraine (circonstances de lieu), donc au voisinage immédiat de l'Allemagne alors dominée par l'hitlérisme, et le mASme jour (circonstances de temps), ce qui laissait craindre que les forces de police fussent débordées par les désordres simultanés sur tout le territoire (proportionnalité des moyens A la menace). L'interdiction était donc légale.
d) Dans l'application de ces directives, le juge a longtemps semblé témoigner d'une sévérité particulière A l'égard des autorités locales, et notamment des maires, qu'il paraissait soupA§onner d'inexpérience et de partialité. Il montrait plus de confiance A l'égard de la police d'Etat, dont les décisions étaient contrôlées avec une moindre rigueur. La distinction ainsi faite était discule. Il semble qu'elle soit abandonnée.
On ne saurait trop insister sur l'importance de la réglementation ainsi élaborée par voie jurisprudentielle : c'est elle, et non les règles écrites, très sommaires, qui permettent d'insérer des mesures préventives dans un système libéral sans trahir celui-ci.
Il reste malheureusement que, si l'administration ne respecte pas ces règles, la sanction juridictionnelle ne sera pas toujours efficace. En cas de refus ou de retrait illégal d'une autorisation préalable, l'annulation par le juge n'emporte pas, de plein droit, octroi de l'autorisation. L'annulation de l'interdiction, au contraire, permet l'exercice de la liberté : mais il est fréquent qu'elle intervienne tardivement, lorsque l'interdiction illégale aura produit tout son effet. L'annulation, dans ce cas, ne constitue qu'une
censure morale. Sur cet aspect du problème, cf. infra, p. 268.
Sur l'aménagement du régime préventif par le juge administratif, nombreux développements dans les ouvrages de
droit administratif. L'ouvrage de base reste, malgré sa date : P. H. Teitcen, La police municipale, 1934. Sur l'interdiction, cf. la position du doyen Hauriou dans une note sous ce, 3 décembre 1897, lle de Dax, S., 1898, III, p. 145.