La grè est trop liée A la liberté syndicale, elle occupe, parmi les formes contemporaines de l'action collecti, une place trop importante, pour qu'une étude des libertés collectis puisse la passer sous silence. Sans entrer dans le détail de son régime, qui relè du droit du travail, il est nécessaire de la situer dans le groupe auquel elle appartient et de marquer les particularités qui la distinguent.
1A° Le droit de grè, liberté collecti.
a j C'est une liberté publique. Comme toute liberté, elle offre aux salariés un choix : soit la continuation de l'activité A laquelle ils se sont engagés par le contrat de travail, soit la cessation de cette activité pour faire aboutir une rendication. Le choix, difficile pour le salarié tant que le juge civil analysait la grè comme une rupture du contrat, a été facilité par la loi du 11 février 1950 (art. 4) qui en fait un cas de suspension du contrat : le salarié est donc assuré, la grè terminée, de retrour son emploi, sauf en cas de faute lourde justifiant le licenciement.
6 / C'est une liberté collecti : la grè est une action concertée ; il n'y a pas de grè d'un seul, l'arrASt individuel de l'activité est considéré comme une inexécution du contrat de travail.
c / C'est une liberté propre aux seuls salariés. Si la cessation collecti des activités non salariées prend, dans la langue courante, le nom de grè (grè de commerA§ants, grè d'étudiants), elle n'en présente pas les caractères juridiques. Sur ces grès de non-salariés, cf. supra, t. 1, p. 290.
d / C'est une liberté inégalitaire : son
efficacité est fonction moins du nombre des grévistes et du bien-fondé de leur rendication que de la plus ou moins grande importance de leur fonction pour la vie de la société.
2A° Une liberté différente des autres. ' Le droit de grè se sépare des autres libertés sur un point fondamental : alors que toutes ont pour limite, dans l'optique de 1789, l'obligation de - ne pas nuire A autrui - (supra, t. 1, p. 68), la grè, elle, au contraire a pour objectif de nuire : elle ne peut réussir que si le dommage causé A l'employeur par la cessation du
travail est assez gra pour l'amener A céder. Elle est la possibilité de s'engager légalement dans une épreu de force. D'où la difficulté d'en déterminer exactement les contours : l'épreu de force a sa loi propre ; qu'il s'agisse de son déclenchement, de sa durée, des modalités qu'elle peut revAStir, elle cherche l'efficacité. C'est pourquoi les formes de la grè sont allées en se dirsifiant ; A partir de l'arrASt collectif de travail se sont déloppées des variantes multiples : grè surprise, grè tournante, grè ac occupation des locaux de travail, grè perlée, qui rendent difficile la définition précise du contenu de la liberté. Surtout, le dommage que cause la grè, et qui conditionne son succès, tend A changer de nature notamment pour les
services publics : ce n'est plus A l'employeur qu'elle doit nuire pour réussir, mais A la collectivité dont elle perturbe les conditions d'existence (grè des transports, de l'électricité, etc.), et c'est ce dommage causé A l'ensemble des usagers qui peut amener la prise en compte des rendications par les responsables.
3A° Les limites de la liberté de grè.
a / La difficulté de la délimitation s'accroit du fait de l'incertitude des sources du droit en ce domaine. Si le Préambule de 1946 a donné, A la liberté de grè, la garantie constitutionnelle, c'est - dans le cadre des lois qui la réglementent -. Or, ces lois ne sont pas internues. Le législateur s'est borné A fixer quelques limites A la grè des services publics (1. 31 juillet 1963). De son silence, le Conseil d'Etat a déduit la
compétence du pouvoir réglementaire dans ce dernier domaine (7 juillet 1950, Dehaene, Gr. Ar., p. 342). Quant A la grè dans le secteur privé, c'est la jurisprudence qui en précise les limites.
6 / Quant au fond, une première limitation, commune A toutes les libertés, résulte de l'application du droit pénal : la grè ne saurait excuser un acte délictueux, notamment la séquestration des employeurs (C. pén., art. 341) ; elle doit respecter, en outre, la liberté du travail des non-gréviste- : l'atteinte A cette liberté est punie par l'article 414 du Code pénal.
Une seconde limite, dégagée par la jurisprudence, s'attache au but de la grè : seul est licite son emploi A l'appui d'une rendication professionnelle, A l'exclusion de la grè politique. Comme en matière syndicale, la limite entre le politique et le professionnel est difficile A tracer, et la pratique l'ignore sount.
La difficulté s'accroit ac la délimitation des moyens, que la jurisprudence civile est amenée A opérer pour déterminer la faute gra qui, commise A l'occasion de la grè, autorise l'employeur A résilier le contrat de travail. La logique de l'épreu de force ne va pas, selon le juge, jusqu'A autoriser - la désorganisation de la production -, qui constituerait un - abus de droit -. Si l'occupation des lieux de travail est admise, la grè - tournante >, la grè - surprise - sont parfois considérées comme fautis.
Dans le cas des services publics, enfin, la grè est interdite par la loi A quelques catégories d'agents publics (magistrats, militaires, personnels de police et crs) ; elle peut AStre limitée, pour les autres, par voie réglementaire de faA§on A assurer un minimum de continuité du service (cf. p. ex. pour le personnel de la radio-télévision, supra, p. 293) ; elle est en outre assujettie A une déclaration préalable adressée au chef de service cinq jours au plus tard avant la date prévue (1. 31 juillet 1963, art. 3) ; enfin, elle ne peut prendre la forme de la grè tournante (mASme loi, art. 4), c'est-A -dire de la grè affectant successiment, par échelonnement dans le temps, les dirs secteurs d'activité d'un mASme service.
On remarquera que, comme la liberté syndicale, la grè est la seule liberté qui échappe par elle-mASme A l'exercice de la police générale, A laquelle elle ne donne prise que si ses manifestations extérieures mettent en danger l'ordre public.
4A° La liberté de grè, en définiti, présente la double particularité d'entretenir, ac les autres libertés, des relations qui ont été signalées supra, 1.1, p. 289, mais d'échapper dans la plus large mesure au cadre général dans lequel le droit les enferme.