NAVIGATION RAPIDE : » Index » DROIT » DROIT CIVIL » La sÛretÉ Les interventions administratives dans les domaines intéressant la sûretéLa tradition libérale interdit A l'exécutif le domaine de la répression. C'est au juge judiciaire qu'elle confie la sauvegarde de la liberté individuelle et le pouvoir d'en faire respecter les limites. Pourtant, les gouvernements n'ont jamais accepté franchement cette exclusion. L'article 10 du Code d'Instruction criminelle en témoigne : sans doute, le préfet, lorsqu'il exerce les attributions qu'il tient de l'actuel article 30 du Code de Procédure pénale, agit-il en tant qu'autorité de police judiciaire, non en tant qu'agent de l'administration, et c'est pourquoi ses pouvoirs ont été étudiés dans le cadre de la répression pénale (supra, p. 30). Il n'empASche que les mobiles qui commandent ses interventions sont ceux d'un représentant du pouvoir, non ceux d'un auxiliaire de la Justice. On étudiera successivement ces trois problèmes. LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES Il ne s'agit pas ici des mesures disciplinaires que l'administration peut prendre A l'égard de ses agents et de certaines catégories d'usagers particulièrement intégrés au service public, lorsqu'ils contreviennent aux règles qui régissent la vie du service, en les print de tout ou partie des antages qu'ils tiennent de leur statut d'agent ou d'utilisateur. Le pouvoir disciplinaire est inhérent A tout groupe organisé, public ou privé, et n'est pas, par lui-mASme, attentatoire A la sûreté. Mais l'administration, dans un nombre de domaines qui croissant, a reA§u le pouvoir de sanctionner les fautes commises par les particubers dans l'exercice de leurs activités en leur retirant elle-mASme le titre nécessaire A cette activité. H s'agit donc bien d'une peine, sanctionnant une faute souvent assortie par ailleurs d'une sanction pénale, et que l'administration pourra prononcer en dehors de toute intervention de la juridiction répressive, sans aucune des garanties que la procédure pénale apporte A l'inculpé. L'exemple type de ces sanctions, fréquentes dans le domaine professionnel et économique, est le retrait du permis de conduire. Il s'agit bien d'une peine, que le juge peut prononcer non seulement en cas d'infraction au Code de la Route, mais aussi, depuis la loi du 11 juillet 1975, pour un certain nombre de délits passibles de courtes peines d'emprisonnement, A la place de celles-ci et que la loi du 12 juillet 1978 a aggravée en transformant la simple suspension en une annulation, encourue de plein droit pour les délits les plus graves. Or, le préfet ait reA§u antérieurement le pouvoir de prononcer lui-mASme le retrait du permis, sur avis d'une Commission non juridictionnelle, et la loi de 1975 a confirmé ce pouvoir en limitant A six mois la durée maximum du retrait par décision préfectorale et en prescrint la communication de son dossier A l'intéressé. Cette dualité des compétences peut aboutir A des situations incohérentes. Mais surtout, il est choquant de voir une peine susceptible d'avoir, sur la vie professionnelle de ceux qu'elle frappe, les conséquences les plus lourdes en les print de leur gagne-pain (c'est le cas par exemple des conducteurs de poids lourds), prononcée par une autorité administrative de faA§on quasi discrétionnaire au vu d'un simple rapport de police. Le souci de la sécurité routière, la lutte contre les accidents de la circulation, si nécessaire qu'ils soient, ne doivent pas servir d'alibi A l'arbitraire. Sur le permis de conduire et ses sanctions : H. Mabille de La Paume-liASre, D, 1977, Chr., p. 173, et la bibliographie citée ; D, 1978, Chr., p. 287 ; J. L. Lenclos, Vers la fin d'une étrangeté juridique : la réforme de la suspension administrative du permis de conduire, AJDA, 1978, p. 124. L'exemple du permis de conduire pourrait AStre étendu A l'ensemble des sanctions administratives. Leur multiplication, outre qu'elle semble procéder d'une certaine défiance de l'administration A l'égard d'un juge insuffisamment répressif A son goût, constitue, pour la sûreté, une menace directe et grave. L'internement administratif Il faut préciser ant tout que le pouvoir, pour l'administration, de décider elle-mASme la détention d'un individu, qui constitue une résurrection pure et simple de la lettre de cachet, n'est pas une institution du droit positif en période normale. Mais ce pouvoir a été consacré par la loi du 3 avril 1955, lorsque l'état d'urgence est déclaré (supra, t. 1, p. 305) et la jurisprudence administrative semble en admettre la légalité dans le cadre de la théorie des circonstances exceptionnelles (supra, t. 1, p. 311). L'internement administratif est donc susceptible de recevoir application si la situation intérieure ou internationale se dégrade. Mais, en dehors de ces circonstances, l'autorité administrative n'hésite pas A procéder A des internements de courte durée, dont l'arbitraire est évident. 1A° L'état d'urgence, lorsqu'il est déclaré, habilite le ministre de l'Intérieur A - prononcer l'assignation A résidence de toute personne dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre public -. L'euphémisme ne doit pas faire illusion, ni l'interdiction formulée par la loi de créer des camps pour la détention des intéressés ; F - assignation A résidence - s'est bel et bien transformée dans la pratique en un internement dans un camp. On a indiqué (supra, t. 1, p. 307) les garanties offertes aux victimes : demande de retrait, obligatoirement soumise A une commission composée de conseillers généraux, mais dont le rôle est purement consultatif, procédure accélérée du recours formé contre la décision dent le tribunal administratif et en appel dent le Conseil d'Etat. Mais ces garanties se sont révélées plus théoriques qu'effectives durant les périodes d'application de l'état d'urgence. Il est inutile de souligner la gravité de la menace que l'internement administratif, lorsqu'il est possible, fait er sur la sûreté. MASme réservée aux périodes de crise grave, l'institution fait, A l'arbitraire, une place redoule, car c'est précisément en temps de crise que l'arbitraire est le plus A craindre, et que les barrières destinées A le contenir doivent AStre renforcées. Il s'agit donc bien d'une décision administrative d'internement. Elle est évidemment dénuée de tout fondement légal, et la chambre criminelle de la Cour de cassation l'a expressément reconnu dans un important arrASt du 5 janvier 1973. (Friedel, D, 1973, p. 541), qui affirme : - Les pouvoirs de police administrative, s'ils permettent, quand des circonstances particulières l'exigent, de procéder A des vérifications d'identité, n'autorisent pas A retenir, fût-ce provisoirement, des personnes qui n'ont commis aucune infraction ou qui ne sont pas soupA§onnées d'en avoir commise. - L'affirmation est d'autant plus importante que la Cour de Paris, dans l'arrASt qui faisait l'objet du pourvoi, n'ait pas hésité A justifier la détention par - les règles en usage - : selon ce singulier raisonnement juridique, la pratique arbitraire trouit en elle-mASme sa propre justification dès lors qu'elle était entrée dans - l'usage - En l'espèce, un policier ait jugé que la ressemblance entre un passant et la photographie qui urait sur la sectiune d'identité que celui-ci ait présentée lors d'un contrôle d'identité un jour de manifestation au Quartier Latin n'était pas évidente, et l'intéressé ait été amené au Centre Beaujon a pour examen plus approfondi de sa situation -, puis relaché dix heures plus tard, A une heure du matin Malheureusement, l'arrASt Friedel ne s'en tient pas A l'affirmation du principe ci-dessus rappelé. Ce qui ne peut AStre justifié au titre de la police administrative le devient au titre de la police judiciaire. Il suffit que l'éventualité d'une infraction puisse AStre invoquée pour que la mise en détention apparaisse, non plus comme une mesure préventive, mais comme une application de la garde A vue, et réintègre ainsi la légalité. La seconde partie de l'arrASt aboutit donc A paralyser dans la majeure partie des cas concrets l'application du principe qu'il affirme dans sa première partie : en effet, l'étroite imbrication des opérations de police administrative et de policejudiciaireper-metle plus souvent d'invoquer l'éventualité d'une infraction pour justifier une détention manifestement préventive et arbitraire. La loi du 2 février 1981 dont la loi du 10 juin 1983 reprend, sur ce point, les principales dispositions, a confirmé la pratique antérieure, en l'entourant de certaines garanties. Si le contrôle d'identité qu'elle autorise (supra, p. 37) n'est pas jugé probant, l'interpellé peut AStre conduit dans un local de police et retenu le temps nécessaire A la vérification de son identité. Il s'agit donc bien d'un internement décidé en dehors de toute intervention de l'autorité judiciaire. Pour attémier cette atteinte A la liberté individuelle, la loi prévoit des garanties plus efficaces que l'obligation de - courtoisie - que, non sans un humour involontaire, elle imposait aux agents dans sa version initiale : possibilité pour l'interpellé de prévenir sa famille ou toute personne susceptible de confirmer son identité, et surtout limitation A quatre heures de la durée de la détention. De plus, la loi cherche A réintégrer ces opérations, mASme quand elles se rattachent A la police administrative, dans un cadre judiciaire : le procureur de la République peut, de sa propre initiative ou A la demande de la personne retenue, vérifier les conditions de la détention et décider d'y mettre fin. Sur un point, cependant, la loi du 10 juin 1983 est plus sévère que celle de 1981 : la prise de photos et d'empreintes digitales, que celle-ci interdisait, devient possible, lorsqu'elle est nécessaire, en cas de recherches judiciaires, sur autorisation du procureur. Si la vérification n'aboutit pas A une enquASte, elle ne peut donner lieu A une mise en fiche, et le dossier doit AStre détruit dans les six mois. LE RéGIME DES ALIéNéS La loi qui réglemente l'internement des aliénés date du 30 juin 1838 ! Lorsqu'on songe au total renouvellement de la psychiatrie depuis cette date, le consertisme du législateur apparait d'autant plus surprenant que c'est, avec l'internement, la liberté individuelle qui est en cause. Il est tentant, en effet, d'affirmer l'aliénation de ceux que l'on souhaite éliminer, et de remplacer pour eux la prison par l'asile. Cette méthode a été érigée en système par tel gouvernement étranger pour venir A bout des dissidents de son intelligentsia. Mais le danger ne vient pas seulement du pouvoir. Sous l'Ancien Régime, déjA , les lettres de cachet étaient parfois sollicitées du roi par une famille arguant de la folie d'un de ses membres pour le mettre A l'écart. C'est une pratique qui n'a pas totalement disparu. L'intervention de l'administration, dans une matière qui semblerait devoir relever ant tout du médecin, s'explique par le danger que peut représenter, pour la sécurité publique, l'aliéné vérile. La loi de 1835 a voulu tenir compte de ces divers éléments. Elle a tenté de protéger A la fois le prétendu aliéné contre l'éventuel arbitraire, et l'ordre public contre l'aliéné vérile. Les solutions qu'elle a adoptées et qui demeurent en vigueur, bien qu'elles aient marqué, A leur date, un progrès considérable, n'échappent pas A la critique. Pour le placement volontaire, la production par la famille qui demande l'admission d'un certificat médical constatant l'état de la personne A admettre suffit. Le directeur de l'élissement doit avertir le préfet dans les vingt-quatre heures de l'admission. L'internement d'office est décidé par le préfet ou, en cas d'urgence, par le maire, A charge d'avertir le préfet dans les vingt-quatre heures. La décision doit indiquer les motifs qui rendent la mesure nécessaire. Dans les deux cas, le médecin de l'élissement doit examiner l'interné une première fois dans les vingt-quatre heures de son admission, puis une seconde fois au bout de quinze jours. Il doit indiquer mensuellement, sur le registre où sont obligatoirement consignés les admissions, les changements survenus dans l'état du malade. Le préfet est tenu de notifier les placements effectués au procureur de la République. 2A° Le contrôle en cours d'internement est triple : médical, administratif et judiciaire. a I Le médecin de l'élissement doit indiquer, sur le registre où sont obligatoirement consignées les admissions, les changements survenus dans l'état du malade ; il adresse au préfet un rapport semestriel ayant le mASme objet. b ! Le contrôle administratif est exercé par le préfet et les maires. Ils doivent visiter les élissements, prendre connaissance des registres, recevoir les réclamations des internés. Le préfet doit, en outre, au vu du rapport semestriel du médecin, se prononcer tous les six mois sur le renouvellement ou la cessation de l'internement. c / Avec le contrôle judiciaire, le législateur a entendu faire place au principe constitutionnel qui fait, du juge, le gardien de la liberté individuelle. Le procureur de la République doit visiter chaque semaine les asiles publics, chaque trimestre les élissements privés. Le président du tribunal de grande instance et le juge d'instance possèdent, eux aussi, le droit de visite. Le tribunal de grande instance peut également désigner un parent ou un ami de l'interné, chargé notamment de veiller A ce qu'il recouvre la liberté dès que son état le permettra. 3A° La sortie de rélissement. ' Elle peut avoir lieu : ' d'office, en cas de placement volontaire, lorsque le médecin constate la guérison ; ' volontairement, dans le mASme cas, sur demande de la famille, sauf opposition du maire si le médecin estime que l'intéressé est encore dangereux. Il appartient alors au préfet de décider du maintien de l'internement ; ' sur décision du préfet, tant en cas de placement volontaire jugé par lui abusif, qu'en cas de placement d'office lorsque le médecin déclare la guérison acquise ; ' par décision du tribunal de grande instance, sur requASte de l'intéressé, d'un des siens, ou du procureur, en cas d'internement injustifié. Le régime ainsi décrit fait traditionnellement l'objet de vives critiques. On lui reproche de ne pas rendre impossibles les internements arbitraires, et l'on cite, A l'appui de cette condamnation, quelques cas où l'abus a été patent. Il faut pourtant noter que ces abus sont le fait des familles, et que l'internement d'office ne semble pas faire partie des moyens utilisés par les pouvoirs publics franA§ais contre leurs adversaires politiques. D'autre part, les abus signalés tiennent moins A la loi elle-mASme qu'A deux données différentes. La première est la faA§on dont elle est appliquée : la loi ne peut empAScher l'éventuelle légèreté d'un médecin dans la délivrance d'un certificat ' ni sa complicité avec la famille qui souhaite se débarrasser d'un des siens. De plus, il n'est pas certain que les préfets, et les magistrats, surchargés, et peu au fait des problèmes de la psychiatrie, soient en mesure d'exercer de faA§on régulière et efficace les contrôles dont ils sont chargés. Enfin, on fait loir que les décisions d'admission ou de sortie du préfet peuvent AStre influencées par des considérations financières, le placement d'office dans un asile public mettant l'entretien de l'interné A la charge ' fort onéreuse ' des collectivités publiques. Mais un second ordre de considérations joue sans doute, dans les abus ou les erreurs signalés, un rôle déterminant : c'est la difficulté, que les progrès de la psychiatrie ne cessent de mettre en relief, de tracer une ligne de démarcation absolue entre la normalité et l'aliénation. MASme de bonne foi, les proches, l'administration, les médecins eux-mASmes peuvent s'y tromper. Or, toute l'économie de la loi repose sur le caractère certain de cette délimitation. C'est dans cette perspective, et dans le renforcement du rôle des médecins dans les décisions d'internement, que la mise A jour nécessaire semble devoir s'orienter. Sur l'internement des aliénés : J. Lemoine, Le régime des aliénés et la liberté individuelle, 1934 ; J. Pbéult, L'internement administratif des aliénés, 19SS. |
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