Ces contrats peuvent-ils AStre administratifs bien qu'ils soient passés entre deux personnes pries? La réponse est affirmative et, A vrai dire, ce n'est pas surprenant car l'activité compte plus que la personne qui l'exerce. Des décisions de justice illustrent cette solution (A) qui devrait d'ailleurs AStre confirmée et élargie bien qu'elle soit contraire A ce qui semble bien AStre le principe (B).
A ' LA JURISPRUDENCE ACTUELLE
1. L'affaire -Société Entreprise Peyrot-
Concessionnaire de la construction et de l'exploitation d'une autoroute dans des conditions déterminées par une loi du 18 avril 1955, une société d'économie mixte, la société de l'autoroute Estérel-Côte d'Azur, passe un
marché avec la société Entreprise Peyrot pour la construction de cette voie de communication. Les deux sociétés sont des personnes morales de droit pri. Pourtant le Tribunal des conflits estime que le contrat qui les lie est un contrat administratif et qu'il constitue un marché de travaux publics. Il a moti ainsi sa décision :
1. la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature A l'état;
2. les
marchés passés avec des entrepreneurs pris, par l'état, maitre de l'ouvrage, pour cette construction sont donc des
contrats administratifs, c'est-A -dire des contrats soumis aux règles du droit public;
3. il doit en AStre de mASme pour les marchés passés pour la construction d'autoroutes -sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l'état ou, A titre exceptionnel, par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l'état, que ce concessionnaire soit une personne morale de droit public ou une société d'économie mixte, nonobstant la qualité de personne morale de droit pri d'une telle société-.
Certes, la rédaction de l'arrASt du Tribunal des conflits est d'une extrASme prudence. Le juge insiste surtout sur le fait que la société d'économie mixte est substituée A l'état et que tout se passe, au fond, comme si ce dernier était le rile contractant. Il n'en reste pas moins qu'un contrat entre deux personnes pries est bien qualifié de contrat administratif. Cette jurisprudence a été étendue en dehors de la construction des autoroutes : elle a été appliquée A la construction du tunnel routier sous le mont B/anc]4, A l'élissement de voies publiques dans une zone A urbaniser en priorité15, A l'installation d'un réseau d'assainissement et de distribution d'eau pole'6.
2. L'affaire -Dame Culard-'7
En 1958, le Crédit foncier de France, société commerciale de droit pri, s'engage envers l'état A passer avec des citoyens franA§ais, propriétaires d'immeubles en Tunisie, des contrats de prASt destinés A faciliter leur réinstallation en France. Un litige survient A l'occasion de l'une de ces opérations. Le Conseil d'état affirme sa compétence, contrairement au tribunal administratif qui avait été saisi en première instance, en s'appuyant sur les arguments suivants :
' les prASts sont consentis pour le compte de l'état sur avis favorable d'une commission présidée par l'ambassadeur de France A Tunis;
' les contrats ainsi passés entre deux personnes pries, le Crédit foncier de France et l'emprunteur, ont pour objet l'exécution du service public d'aide aux FranA§ais rapatriés de Tunisie.
B ' UNE éVOLUTION SOUHAITABLE
Certains commentateurs de ces arrASts en limitent la portée. La plupart des juristes insistent sur le maintien du principe traditionnel d'après lequel un contrat administratif comporte nécessairement, parmi les contractants, une personne publique. Les seules exceptions seraient les cas où une personne prie aurait reA§u mandat d'une personne publique et par une extension quelque peu laxiste, ceux où elle agirait pour le compte de l'Etat (ou d'une autre personne publique), ce qui correspond A un mandat implicite. Les mASmes interprètes ajoutent que, d'une manière générale, le critère organique intervient généralement et prioritairement dans la détermination de la
nature juridique d'un acte et qu'il serait illogique et inopportun de l'ésectiuner en matière contractuelle.
Cette thèse parait très contesle. Il est parfaitement admis qu'un
acte administratif unilatéral peut avoir pour auteur une personne prie18. Un contrat ne pourrait-il pas AStre administratif simplement parce qu'il est passé entre deux ou plusieurs personnes pries? En réalité, la seule raison qui justifierait une telle différence de
régime juridique résiderait dans la vieille idée, jamais bien assurée et actuellement abandonnée, d'après laquelle le recours au contrat inclinerait A l'application du droit pri tandis que l'utilisation de l'acte unilatéral s'harmoniserait mieux avec la mise en ouvre du droit public19.
Ce débat est illustré, en particulier, par le contentieux lié A la politique d'aide A l'agriculture.
En 1968. le Tribunal des conflits avait eu A connaitre d'un litige relatif A l'aide accordée A une
entreprise prie, la société -Distilleries bretonnes- par le Fonds d'orientation et de régulation des marchés agricoles (le F. O. R. M. A.)20. Il avait précisé que celui-ci, s'il est dénommé élissement public A caractère industriel et commercial par le décret qui l'a créé, est, en réalité, un élissement public administratif : il a, en effet, pour mission -de préparer les décisions gouvernementales relatives aux interventions de l'état sur les marchés agricoles- et de les exécuter -sans poursuivre aucune action propre-21. Le juge en avait conclu que les contrats passés par cette personne publique avec des exportateurs bénéficiant d'une subvention allouée sur des ressources provenant de l'état sont des contrats administratifs stricto sensu21. Quelle position allait-il adopter dans une hypothèse voisine où l'intervention administrative est semblable mais où intervient, A la place du F.O. R. M. A., une entreprise prie? La question a été posée lors d'un litige opposant un négociant en produits laitiers, la S. A. P. I. E. M., et un organisme d'intervention, la société Intcrlait, personne prie habilitée A passer pour le compte de l'état toute la gamme des contrats (importation, exportation, stockage, etc.) par lesquels la puissance publique intervient sur le marché des produits laitiers. Le tribunal de commerce puis la cour d'appel avaient estimé que les
juridictions judiciaires étaient compétentes mais le conflit fut éle, l'autorité administrative se fondant essentiellement sur l'analogie avec l'affaire -Distilleries bretonnes-. En l'espèce, aucune personne publique n'était en cause et le Tribunal des conflits a donné raison aux juges de première instance et d'appel : Interlait se livre librement A des opérations commerciales et les différends relatifs A cette activité qui l'opposent A ses fournisseurs et A ses
clients ressortissent A la compétence des tribunaux judiciaires23. En statuant ainsi, le Tribunal des conflits refusait de suivre les conclusions de son commissaire du gouvernement. Celui-ci avait pourtant perA§u et exprimé l'essentiel, notamment dans ces quelques phrases : -Sans qu'il soit nécessaire de retracer dans le détail une évolution que nul, au reste, ne peut ignorer, il est permis de dire que, depuis un quart de siècle, l'effort le plus intéressant de la jurisprudence du Conseil d'état, consacrée et mASme, A l'occasion, devancée par celle du Tribunal des conflits, tend A dissocier, dans l'analyse des rapports de droit, le régime applicable A ces rapports eux-mASmes de la qualité des personnes qui les entretiennent ; en d'autres termes, il n'y a plus, en général, de correspondance automatique entre la nature, publique et prie, d'un acte juridique et la qualité de personne publique ou de personne prie de son auteur. La logique rejoint le besoin de simplicité pour justifier le rejet total du critère organique.-
Cette doctrine claire et forte ne s'est malheureusement pas imposée : les contrats entre personnes pries sont des contrats de droit pri mASme s'ils répondent A toutes les autres caractéristiques des contrats administratifs24.