Je voudrais attirer l'attention sur deux points d'application essentiels dont la pertinence m'apparait constante dans tous mes contacts avec l'entreprise.
L'image des collaborateurs
Il va de soi que chaque collaborateur a son intelligence, son intuition qu'il utilise au mieux.
Il est donc capable, d'après son vécu, d'après ses prestations, de se faire une image plus ou moins juste de sa personne, de ses capacités, de sa valeur. Mais cette image est constituée également de l'image que lui renvoient de lui les personnes qui lui sont liées par l'affection et l'autorité. Edemment, cela est d'autant plus opérant, que le collaborateur est plus jeune, et n'a pas encore dans son passé de quoi étayer sa propre perception. Mais ceci dit, tout le monde est un peu le reflet des images qu'on lui envoie ou qu'il croit percevoir. Le
manager de 40 ans dont le fils de 20 ans un beau jour se moque, en se demandant comment il peut bien commander A 500 personnes alors qu'il ne peut A la maison se faire entendre ni de son épouse, ni de ses enfants, ni de la bonne, ni de son chien, reA§oit une blessure au talon qui commence A le faire boiter. Le jeune de 15 ans que sa famille et ses professeurs traitent constamment de graine de vaurien n'entrevoit souvent qu'une issue : le devenir pour qu'au moins les choses soient claires5. Sans avoir fait toutes ces réflexions, le théatre de boulevard franA§ais du XIXe siècle avait eu cette intuition. Les maris soupA§onneux étaient toujours ceux qui poussaient leurs épouses, pourtant fidèles, A les tromper.
On deent petit A petit non ce qu'on croit AStre, non mASme ce que les autres croient qu'on est, mais ce qu'on croit que les autres croient qu'on est.
Votre jugement influe donc énormément sur la perception que vos collaborateurs ont d'eux-mASmes. Les jugez-vous peu fiables ? Tranquillisez-vous, mASme si au début ils sont fiables, ils ne tarderont pas A perdre cette qualité. Les estimez-vous apathiques ? MASme s'ils ne le sont pas, ils vont bientôt le devenir. Il n'est pas dit certes que si vous les croyez soucieux de participation et de responsabilité, ils le deennent rapidement. Mais au moins, vous ne dégraderez pas la situation en entretenant un tel espoir.
A€ vrai dire, ces situations comportent toujours deux issues : celui qui est l'objet de jugements dévalorisants peut, soit se révolter fortement pour faire mentir les affirmations et les présions, soit se coucher et se conformer aux jugements portés sur lui. Mais dans les deux cas, il aura été influencé par autrui.
L'encadré de la e précédente va mASme plus loin. Il indique A quel point il est important de manifester clairement aux collaborateurs l'estime qu'on a pour leur personne, l'appréciation positive qu'on a de leur
travail quand cela est la vérité. Sans cela, ceux-ci peuvent se faire des idées fausses et petit A petit y conformer leurs attitudes.
L'image de l'enronnement
Ici encore, chaque collaborateur a son jugement qui lui permet d'apprécier avec plus ou moins de bonheur les divers composants de l'enronnement. Il n'a besoin de personne pour savoir que le
chômage est A la porte, mASme s'il n'a pas (mais qui les a ?) toutes les explications du phénomène ; il voit la rue encombrée de motos japonaises, et n'a besoin de personne pour constater l'existence d'une situation de concurrence. Mais lA encore, une partie des opinions, des jugements qu'il portera sur cet enronnement endra des opinions et des jugements des personnes en qui il a confiance : son délégué du personnel, le chef syndical, son responsable hiérarchique si celui-ci a sa confiance ; l'enronnement l'atteindra partiellement A travers la
médiation de ces personnes. J'ai noté trois éléments de cet enronnement sur lesquels cette introduction était plus notoire.
Une tonalité générale : le pessimisme ou l'optimisme
Qu'il le veuille ou non, le
manager est l'équivalent d'un capitaine de bateau, mASme si le bateau est petit. Que le capitaine
marque son inquiétude, et bientôt c'est la panique. S'il voile son inquiétude derrière un optimisme de faA§ade, il ne trompe personne. Je ne dis pas qu'il n'y ait pas des situations où les signaux d'alarme ne doivent pas AStre tirés. Mais je dis que trop souvent, notre culture pousse les
managers A afficher la crainte du pire d'une manière absolument irresponsable. Une fusion ent de se faire avec tel élissement : - Soyez sûr que cela va aller mal pour vous ! - Nous venons de changer de directeur ? : - Il ne serait pas étonnant que notre serce soit supprimé -, etc. Certains serces en ennent ainsi A suer l'angoisse irresponsable alors que la base objective de l'optimisme est que nous ne sommes pas plus débiles que d'autres, et que nous allons faire un travail valable.
Le changement
C'est assurément un des points d'application les plus significatifs de l'action du manager. Tout le monde parle du changement et personne ne l'aime quand il ent A déranger. Ce qui est sûr c'est qu'il est lA , tapi au coeur de notre culture, passager clandestin du véhicule qui nous transporte A travers l'histoire. Le réalisme consiste A bien se dire qu'il n'y a plus d'autoroutes de la pensée, de ces larges avenues qui nous permettent de voir où nous allons ; tous les s quinquennaux doivent AStre résés bien avant terme. Ce ne sont plus que des s de masse qu'on restructure A chaque nouveau bilan. Il n'y a plus que des chemins cinaux A chaque détour desquels on risque de découvrir un paysage absolument nouveau. Et il n'y a pas de raison que cela change, qu'on reenne A une situation de silité telle qu'on avait pu en connaitre. Avec notre désir de tout gérer en temps réel, avec un système industriel dont le réseau s'interarticule tout autour de la ète, il ne peut y avoir qu'un changement perpétuel.
Si vous n'AStes pas entré dans cet univers, si vous avez de la difficulté A vous ébattre, A trouver votre souffle dans un monde changeant, vous avez sans doute une influence assez néfaste sur votre entourage.
Il ne demande qu'A se défier du changement ; je tiens pour assuré, en raison des aisons que je puis faire entre des serces parallèles, que l'attitude des employés face aux nouveautés, aux changements, aux restructurations, aux expériences tient pour une bonne part A l'attitude des managers face A cette mASme réalité. Il suffit que certains collaborateurs changent de chef pour que leur attitude face A ces éléments de la e industrielle contemporaine soit transformée en un sens ou en l'autre. Ceci est pathétique quand on songe que dans certaines entreprises une sorte de culture a été contractée selon laquelle il est de bon ton pour les managers de se plaindre de tout, de douter de tout. Selon cette culture le doute est perA§u comme signe d'intelligence, la confiance comme naïveté sible, voire coupable. Vous lui donnez du bois pour alimenter son foyer de mécontentement.
Extrait de conversation
- - Ce qui nous manque, M. Piveteau, c'est la mobilité du personnel. Ils ont une mentalité d'installés. Les occasions ne manquent pourtant pas étant donné notre structure. Mais il faut presque les oler pour y arriver.
- Oui, c'est sûrement un handicap. Vous constatez cela depuis longtemps ? Je veux dire depuis combien de temps AStes-vous ici ?
- Oh ! Moi, depuis le début onze ans ! -
Les boucs émissaires
Dans toute entreprise, il y a les - ils -, les - eux lA -bas -, ceux du siège, les grands patrons qui n'y comprennent rien, qui sont complètement aveugles, qui prennent des décisions en dépit du bon sens. La tendance A rejeter sur eux tout ce qui n'est pas satisfaisant est assez normale et s'ils ont le sens de l'humour, ils doivent bien savoir qu'ils jouent lA un rôle de fixation essentiel. Encore faut-il que cela ne prenne pas des proportions névrotiques, car alors peut se perdre le minimum de confiance qu'il est nécessaire d'avoir dans son entreprise.
Dans mes voyages, je n'ai encore jamais vu une hôtesse de l'air ou un copilote faire irruption dans la cabine, et s'écrier en présence des passagers, A l'attention d'un collègue : - Tu as vu : les trois réacteurs fonctionnent au ralenti ! C'est encore la faute de ces serces de réparation. Quelle bande d'incapables ! - Moi, je vois chaque mois l'équivalent dans les entreprises que je site.
Dans un séminaire groupant des participants d'une très grosse entreprise, un manager A la suite de je ne sais quel travail s'écria : - Tout cela est bien beau, mais chez nous au sommet, nous sommes gouvernés par une bande d incapables. On ne pourra donc jamais mettre cela en pratique. - - Edemment ! - risquai-je, - c'est une manière de parler -. - C'est la plus simple vérité, ce sont des incapables. - On a peine A adhérer aveuglément, d'une part, et d'autre part, il disait cela devant trois de ses collaborateurs.
Ici encore, l'image de ces - ils -, de ces - eux - transite en grande partie par la mentalité du manager. Il ne s'agit pas de faire l'apologie aveugle et inconditionnelle de ces - eux - distants et inaccessibles. Il s'agit de les traiter seulement comme a droit d'AStre traité tout AStre humain ; eux comme vous ; c'est-A -dire qu'a priori on leur accorde le préjugé favorable et non le contraire, et qu'ensuite on essaye de se renseigner et de comprendre les raisons qui ont pu dicter telle ou telle conduite.
Irresponsable I
Le responsable de l'usine avait réuni son chef de personnel et son chef d'atelier pour m'accueiliir et préparer une intervention pour les mois A venir.
A€ la fin, il me dit : - Comme vous le voyez, la situation n'est pas sombre. Les gens d'ici sont braves. Ah ! S'il n 'y avait pas le siège et ce serce centralisé des méthodes pour nous mettre des batons dans les roues ! - Je ne pouvais quand mASme pas abonder dans son sens, moi étranger ; je m'abstins de commentaires ; le téléphone sonna ; je s le responsable montrer sa surprise, protester, refuser, ricaner et finalement clore sur une ambiguïté pleine de réticence.
- Tenez, Monsieur Piveteau, me dit-il, voici un bon exemple. On nous demande voici 16 jours de tout axer sur la commande du Brésil ; je mobilise mes contremaitres en conséquence ; nous nous y mettons tous. On m'annonce maintenant qu'il vaut mieux mettre le Brésil en sommeil et faire passer en premier lieu la commande du Koweït. De quoi vais-je avoir l'air, moi ? Oh ! Mais vous avez vu comme je leur ai répondu. -
Il disait cela dans une usine de 460 personnes, devant son chef d'atelier et un étranger !
Agir ainsi n'est nullement signe de faiblesse, mais de maturité et de respect de tout homme. Soyons clairs : ce n'est pas parce que quelqu'un est responsable qu'il est nécessairement débile ou pervers.
Pas de - bon exemple - /
Une double précision importante s'impose ici pour terminer. - Mais ce que vous recommandez lA , n 'est ni plus ni moins que la bonne eille méthode du bon exemple. - Si c'est ce que vous avez compris c'est que je me suis mal exprimé. A€ vrai dire, je ne sais pas trop ce qu'est la méthode du bon exemple mais je sais ce que ce concept éveille en moi : une sorte de nausée.
Je vois deux différences entre ce que je présente comme le phénomène d'induction et ce procédé qui me donne la nausée. D'abord, il y a dans l'exemple un côté ostentatoire, exhibitionniste. On fait quelque chose de modèle et on veut que ce soit su. Le manager que j'ai dans l'esprit ne fait rien de spécial, il n'exhibe aucun drapeau. Il est lui-mASme. Comme il se sent une plus grande responsabilité, il tente pour lui-mASme et non pour les autres d'acquérir des réflexes de maturité et de contrôle. Mais c'est tout. En second lieu l'exemple a un but : on le donne pour recevoir l'imitation ; il y a cette finalité seconde dans le comportement. On cherche délibérément par lA A entrainer les autres : dans le phénomène d'induction que j'ai décrit, il n'en est pas ainsi ; il n'y a aucun but recherché : les effets sont des retombées d'une action menée essentiellement pour voir clair, pour penser mieux soi-mASme.
La manipulation
- Mais alors c 'est encore pis. Est-ce que vous ne faites pas de votre manager le pire des manipulateurs ? - VoilA le grand mot laché : le mot terroriste qui condamne aux galères tous ceux qui auraient eu commerce avec lui. Je pense qu'on ne peut répondre clairement qu'en distinguant deux domaines. S'il s'agit du sens commun vulgarisé, je pose la question suivante au cours de mes séminaires. - En toute simplicité ceux qui ne se sentent pas manipulateur, levez la main. - Je n'ai encore jamais vu aucune main se lever quand je pose cette question. C'est que, si manipuler c'est exercer de l'influence sur autrui, sans qu'autrui soit dupe et sans qu'il perde sa volonté, alors toute relation humaine est manipulatrice.
L'homme qui courtise une femme est manipulateur. L'enfant qui dit A sa mère - tu es la plus gentille des mamans, donne-moi une glace -, est manipulateur. Vivre en présence d'autrui, c'est manipuler et il serait intéressant de savoir qui a pu donner naissance A ce désir de relations lyophilisées, pasteurisées, dérelationnées dont certains semblent rASver.
Mais la manipulation a un sens fort. Je suis manipulateur si je cherche A influencer quelqu'un sans qu'il s'en doute, alors que moi, je sais fort bien ce que je veux obtenir, A mon rythme, sans le consentement d'autrui et pour mon profit.
Cela existe certes, mais ce n'est nullement ce que j'ai décrit. L'action d'induction est une action non intentionnelle, non ifiée par celui qui en est A l'origine, jamais accomplie au profit de celui qui en est A la source ; c'est mASme le contraire qui se produit. La personne authentique se refuse A manipuler. Et c'est parce qu'elle s'y refuse qu'elle deent susceptible de créer des mouvements induits chez ceux qui l'entourent.
Résumé
1. Des expériences et l'observation commune montrent que l'AStre humain est influencé par la conduite des AStres proches de lui, en qui il a confiance ou affection, ou qui ont autorité sur lui.
2. Le mécanisme de cette influence tient au phénomène bien connu de renforcement des conduites attendues, aux messages non-verbaux qu'échangent les indidus et aux capacités d'induction qu'ont des expressions d'états intérieurs.
3. Cela n'est pas étranger au monde industriel ; les mASmes phénomènes s'y rencontrent.
4. En pratique, le manager doit se persuader qu'il a une grande influence :
a) sur l'image que les collaborateurs se font d'eux-mASmes ;
b) sur la teinte plus ou moins optimiste ou pessimiste qui colore leur e dans l'entreprise ;
c) sur leur plus ou moins grande souplesse face au changement ;
d) sur la perception qu'ils ont de l'organisation.
5. Mais cette influence est A distinguer soigneusement de deux contrefaA§ons : l'exemple et la manipulation.