NAVIGATION RAPIDE : » Index » MANAGEMENT » ENTERPRISE MANAGEMENT » L entree en scene de la classe ouvriÈre La question du prolÉtariatL'invention de l'entreprise ait été comme toutes les inventions qui marquent leur temps : amorce d'un progrès, signal d'un péril. Mais le problème ait ceci de particulier qu'il engageait le devenir d'une civilisation. Du jour de l'accouchement du capitalisme moderne jusqu'à l'aube du XXe siècle, acteurs et témoins n'ont plus jamais manqué pour faire rappel de ce dilemme vertigineux : l'enfant était tout à la fois marqué des stigmates de la félicité et de la déchéance. La question sociale attenante à l'entreprise n'allait pas cesser d'être alternativement mise au rang du miracle et de la malédiction. En Angleterre, où la première révolution industrielle fit l'effet d'un séisme, le débat fut très tôt à son apogée. L'idéologie libérale s'était ici répandue comme en terre conquise. Un Jeremy Bentham (1748-l832), excellent homme de loi, ait pu croire le moment venu où le principe d'utilité allait enfin s'imposer et permettre la rencontre entre «plaisir individuel» et bien-être collectif. Mais l'euphorie tourna court. Dans les faits, il fallut bien constater que l'entrée en scène de l'industrie ait été l'occasion d'une très grave rupture dans la société. Contrairement à ce qui s'était passé en France, l'élan révolutionnaire des années 1790 s'était ici brisé pour faire place au déchainement réactionnaire des classes dominantes, puis à l'abrogation des lois sociales sur l'apprentissage et les salaires. Quel qu'ait été l'intérêt objectif de la bourgeoisie industrielle à faire alliance avec le prolétariat en formation, il en résulta une coupure profonde (définitive?) entre les classes. Le rêve libéral échoua sur l'évidence d'un désastre. Dans le contexte de l'exode des paysans vers les fabriques et de la relégation des artisans indépendants aux taches assignées par les maitres d'industrie, les étapes qui scandèrent le processus rappellent sans difficulté la chronologie qui mena de la «manufacture dispersée» à la fabrique. Le trail du coton, qui s'était répandu ant le grand machinisme, occupa d'abord chez eux ou dans de petits ateliers les innombrables paysans et artisans soustraits aux mours de l'autosubsistancc. Il y ait alors un grand nombre de «petits maitres» qui, avec leur capital, achetaient quelques machines, embauchaient une poignée d'ouvriers et d'apprentis (les garçons) tout en s'assurant de l'acheminement de leur marchandise jusqu'au marché central par le biais des courtiers. Les petits maitres restaient près de leurs gens et ils occupaient à domicile les femmes de fileurs : celles-ci nettoyaient les balles arrivées à l'état brut et les préparaient pour le filage, tout en gardant leurs fonctions domestiques (nourriture familiale, soin des enfants). Avec l'arrivée des machines à peur, le paysage changea. Le trail de préparation domestique du filage devint sans objet, de telle sorte que pour trailler, les femmes durent se rendre à la fabrique. Les enfants eurent tôt fait de les y rejoindre en contrepartie de quelques shillings par semaine. Les choses changèrent encore. La puissance motrice rendit les grandes installations bien plus rentables que les ateliers disséminés dans les bourgs : les petits patrons furent brutalement submergés par la gue de concentration capitaliste et peu à peu éliminés. Les ouvriers, condamnés à rejoindre quelque faubourg industriel, n'en furent pas quitte pour leur éloignement du pays et l'intégration des fabriques : ils se virent également privés de la possibilité de discuter directement de leur condition avec leur employeur, a fortiori d'en changer. Ainsi, en l'espace de cinquante ans, la topographie des occupations cessa progressivement de s'inscrire dans le tissu de la sociabilité domestique pour se voir dicter sa loi par l'ordre usinier. Dans son grand livre sur la formation de la classe ouvrière anglaise, l'historien Edward P. Thompson décrit dans les termes qui suivent l'accumulation d'injustices qui, à la fin du compte, s'abattit sur le monde du trail : «la montée d'une classe de maitres sans autorité ni obligations transmises par la tradition; un fossé encore plus grand entre le maitre et l'homme; le caractère évident de l'exploitation dont ils tirent leur richesse et leur puissance nouvellement acquises; la perte de statut et surtout d'indépendance pour le trailleur, le fait qu'il soit réduit à dépendre totalement des instruments de production du maitre ; la partialité de la loi ; la dislocation de l'économie familiale traditionnelle, la discipline, la monotonie des horaires et les conditions de trail, la disparition des moments de loisir et des agréments de la vie, la réduction de l'homme au statut d'instrument» (Thompson, 1963, trad.fr., 1988, pp. 180-l81). La France du XIXe siècle ne connut pas d'évolution aussi radicale. Quoique de façon plus tardive et plus diffuse, le processus de la prolétarisation l'atteignit néanmoins au même titre, comme l'attestèrent de nombreux témoins. Parmi eux, le médecin Louis-René Villermé (1782-l863), obserteur distancié et inquiet, qui dressa un leau de l'état physique et moral des ouvriers suffisamment lucide pour alerter les autorités sur les dégats du progrès : journées de trail interminables, logements insalubres et surpeuplés, sous-alimentation, mortalité précoce (Villermé, 1840). De ses rapports sortit notamment la première limitation légale du trail des enfants. |
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