I. ' L'insilité capitaliste dans l'Entre-deux-guerres
Il faut se garder du point de vue rétrospectif qui consisterait A - noircir - la période entière A l'ombre d'une fatalité sinistre : surtout au début, beaucoup de personnes yaient dans le renversement de la conjoncture en 1929 un phénomène normal, et dans le - krach - boursier et les faillites un phénomène moral.
Le retournement A la baisse de 1928-l929 n'avait rien d'exceptionnel : mieux encore, il respectait la chronologie familière des crises importantes telle qu'elle était apparue au cours du xixe siècle : approximativement, tous les 8 ou 10 ans. En l'occurrence, la
crise de 1920-l921 marquée par un très vif recul de la production industrielle dans tous les pays développés (baisse de 32 % aux Etats-Unis entre mars 1920 et juillet 1921), avait précédé celle de 1929.
De mASme, une multiplicité d'expériences antérieures montrait que les Bourses de valeurs pouvaient exagérer espoirs ou craintes.
Ainsi pendant la crise de 1921, pour nous en tenir A elle, deux effondrements boursiers s'étaient produits, au Japon et aux Etats-Unis. Mais l'indicateur essentiel des retournements conjoncturels était l'indice
des prix de gros, sa baisse signalant l'imminence du ralentissement, et sa hausse les perspectives de reprise. Le
chômage semblait la contrepartie inévile de la contraction, et les interventions étatiques visaient A accomner ces élutions tenues pour naturelles (1).
Telle était donc, en résumé, l'expérience des pays capitalistes en matière de fluctuations économiques. Les événements qui ont suivi 1929 se sont largement écartés de ce schéma.
1. La spéculation boursière. ' Le - krach - de Wall Street, en dépit de son caractère spectaculaire, n'apparait pas comme une innovation infernale ou le coup de tonnerre annonA§ant le déluge dans un ciel bleu. La plupart des Bourses européennes éluaient A la baisse depuis 1928. La spéculation fut-elle cette - orgie - si souvent dénoncée par la suite? On a souligné, pour la stigmatiser, la pratique des call loans, qui permettait de spéculer sur des actions en n'en payant que 10 %. Le mécanisme est simple : l'acheteur règle 10 % du prix de l'action et emprunte 90 % A l'agent de change; ce dernier se procure la somme auprès des banques, en empruntant de l'argent au jour le jour (on call en anglais, reports en franA§ais). Supposons donc une action qui vaut 100 S; l'acheteur avance 10 $ et le courtier 90 $ que lui prASte une banque. Si les cours montent, disons jusqu'A 110 $, il est possible de revendre l'action avec un bénéfice de 10 S, que se partageront le courtier et son client. Avant de recommencer
Cette technique d'achat - A la marge - a été systématiquement utilisée en 1928-l929, et les prASts aux - brockers -, c est-A -dire aux courtiers, ont élué de manière rapide :
4 milliards 430 S au 31 décembre 1927
4 ' 900 ' 30 juin 1928
6 _ 440'31 décembre 1928
7 ' 070 ' 30 juin 1929
8 ' 525'4 octobre 1929
c'est-A -dire au premier jour de baisse, pour retomber A 4,110 milliards le 31 décembre 1929.
L'ampleur de la spéculation ne fait pas de doute ' elle exerA§ait mASme une forte pression sur le système financier international, singulièrement sur la place de Londres, en attirant les capitaux étrangers A New York qui servaient A acheter directement des actions, ou A financer les sociétés d'investissement ou les call loans; on peut er les 8 milliards de dollars au montant de la masse monétaire américaine en 1929, estimé A 46 milliards de dollars; elle ne constitue toutefois en rien une nouveauté sur le technique : les achats - A la marge - avaient été pratiqués sur une grande échelle auparavant en France par exemple A Lyon lors du - boom spéculatif - qui avait mené au krach de l'Union Générale de janvier 1882. Des estimations rétrospectives de 1934 permettent de penser que sur 1,5 million de personnes possédant des titres en bourse A New York, environ 600000 pratiquaient les achats - A la marge - en 1929. Ce qui est évidemment considérable, mais ne permet pas de dire que la spéculation américaine était un phénomène de masse généralisé.
L'effondrement des cours commencé le 3 octobre 1929 a ruiné ainsi de nombreux spéculateurs, car le mécanisme des call loans ne fonctionne qu'A une seule condition, il faut que les cours montent. La spéculation se nourrit elle-mASme : initialement, une bonne
marche des affaires permet d'anticiper de forts dividendes et donc stimule les échanges d'actions, dont
les prix montent, puis le marché perd de vue les dividendes A mesure que l'élution des cours permet de réaliser des gains par achats et reventes. Ce fut le cas en 1929, où les tentatives des autorités monétaires pour renchérir le crédit en élevant le taux d'escompte ' politique traditionnelle en cas d'emballement du crédit ou des affaires ' ne purent enrayer le mouvement : en dépit d'une hausse de 6 A 9% du taux de l'escompte de la - Fédéral Reserve Bank - de New York, en août 1929 (2), le marché continua sur sa lancée. Le renversement était inévile, dans la mesure mASme où le processus reposait sur la croyance collective. Comme on l'a souvent remarqué, l'euphorie caractéristique du - boom - spéculatif est en soi révélatrice d'une psychologie fragile puisque la contrepartie - réelle - des actions ' usines, machines, stocks de marchandises ' est délaissée. Le détournement des fonds et de l'attention est dès lors A la merci d'une faille infime dans l'édifice; il suffit que quelques gros porteurs commencent A vendre et se retirent du marché, sous quelque prétexte que ce soit, pour immobiliser la hausse. La baisse appelle dès lors la baisse, et chacun tente de sauver sa mise par une vente qui précipite l'effondrement, et donc la perte de tous. En 1929, le prétexte du retournement new-yorkais fut la faillite frauduleuse, le 20 septembre A Londres, d'un homme d'affaires vivant d'expédients, Clarence Hatry, qui avait constitué un empire contrôlant des fournitures photographiques, des machines A sous et diverses sociétés financières.
Un mythe doit AStre ici dénoncé : les suicides de Wall Street. Il semble que des journaux londoniens furent les premiers, dans la débacle qui mettait A vif les nerfs des spéculateurs tout comme ceux des courtiers contraints A travailler la nuit pour opérer les transactions, A équer la fameuse image de financiers ruinés se précipitant depuis les fenAStres des buildings de Manhattan. Non sans humour, J. K. Gal-braith a démonté la légende (3) en remarquant qu'elle n'a pas de base statistique. Il y eut des suicides, certes, en 1929, mais en moyenne moins que durant les années 1930 A 1933. Quelques gestes de désespoir spectaculaires ont rencontré probablement une attente collective de justice immanente; et les années 30 ont vu fleurir aux Etats-Unis enquAStes parlementaires sur les pratiques boursières, livres de dénonciation, condamnations de boucs émissaires et législation restrictive, sur les call bans, par exemple.
2. Tensions et désordres internationaux. ' Si l'on prend du recul par rapport aux événements boursiers ' ce que la chronologie invite A faire puisque la production industrielle déclinait aux Etats-Unis depuis l'été 1929 ' on est conduit A souligner l'insilité globale de l'entre-deux-guerres. Aucune mesure ne permet de vérifier directement cette assertion. Toutefois la plupart des
données sur les rythmes conjoncturels mondiaux depuis le xixe siècle montrent des écarts nettement plus forts de 1918 A 1939 que durant les autres intervalles. Qui plus est, les élutions de la production ou des échanges, A la hausse ou A la baisse, sont remarquablement discordantes selon les pays, et par exemple la période 1870-l913 présente une synchronisation bien supérieure.
Cette insilité et cette désunion se sont développées A l'issue du premier conflit mondial. Deux modalités essentielles imposent un bref examen : un système monétaire et financier international fragile; des tensions et des encombrements sur de nombreux marchés. Le problème monétaire se posait ainsi en 1918 : après des années de cours forcés, de contrôle des capitaux et de pénuries inflationnistes, comment revenir A la liberté des échanges?
Le mécanisme international qui prévalait avant 1914 était celui de l'étalon-or. Il reliait entre elles les différentes monnaies par l'intermédiaire de leur poids en or fixement défini : les monnaies étaient donc convertibles en or, et le métal, qui circulait dans le public, était librement imporle et exporle.
La Conférence internationale de GASnes en 1922 a consacré un système différent, l'étalon de change-or (- Gold Exchange Standard -), éli par tatonnements après 1918. Les nécessités de la reconstruction et de la relance des échanges ont conduit A conserver la référence A l'or, mais, compte tenu de sa rareté et de sa distribution inégale, A faire une référence au second degré : la monnaie de chaque pays n'est plus liée directement A l'or, mais A une monnaie fondamentale, définie et convertible en or. Les créances sur les pays A monnaie - centrale - comme on disait, les devises, remplacent donc l'or dans la plupart des pays. Il y eut deux monnaies centrales, la livre sterling et le dollar, qui ont donc élargi la base des échanges internationaux. L'or, lui-mASme, n'a plus A circuler dans le public, il joue un rôle de réserve nationale tout comme les devises (4). On it la vulnérabilité d'un tel système bipolaire qui consacre l'affaiblissement britannique et la montée encore hésitante des Etats-Unis : la régulation internationale dépend du contrôle et de la coordination des deux centres, et de la confiance que leur accordent les autres pays.
Mais le système a fait ses débuts dans une grande confusion : les vicissitudes des inflations d'après-guerre (et des hyperinflations pour PAllemagne, l'Autriche, la Hongrie et la Pologne de 1922 A 1926) ont mené A des redéfinitions des monnaies européennes par rapport A l'or, ou les unes par rapport aux autres, tout A fait hétérogènes et selon un calendrier disparate.
Ce patchwork monétaire s'est doublé dans les années 20 de tensions financières importantes qui n'ont trouvé de solutions que provisoires et A très court terme. En effet, la liquidation de la guerre a impliqué deux séries de remboursements extrASmement lourds, selon des modalités complexes : d'une part le règlement des dettes de guerre, et d'autre part la question délicate des - réparations - que devait payer l'Allemagne pour air perdu le conflit. Ils sont solidaires : d'abord parce qu'une chaine ne peut manquer de s'élir, les paiements allemands servant A régler ou compenser les dettes interalliées, et ensuite parce que d'autres prASts s'imposent pour financer les paiements allemands : ils proviendront logiquement des Etats-Unis, promus - prASteurs en dernier ressort - du monde européen. D'où simultanément, durant les années 20, l'étalement progressif des remboursements allemands (le Dawes de 1924, le Young de 1929) et une série d'accords internationaux qui réduisent souvent de moitié les dettes interalliées. La Conférence de Lausanne, en 1932, devait annuler réparations et dettes de guerre, au plus fort de la crise.
Tout n'a donc pas été payé, tant s'en faut (sur les 132 milliards de marks-or exigés des Allemands, par exemple, 22,5 ont été effectivement versés), mais ce qui retient l'attention ici c'est la faiblesse de la position des nations débitrices : une dette massive A long terme qui pèse sur leur économie, et un recours grandissant aux capitaux A court terme pour équilibrer le dispositif. Car, en l'absence d'organisme prASteur international (la Banque des Règlements internationaux date de 1930) les nations sont soumises au bon uloir bancaire, singulièrement américain. Ces contributions privées sont latiles, et leur arrASt peut entrainer des banqueroutes pures et simples. Ainsi, tout un édifice vulnérable fut-il construit. Si le problème dominant fut celui de ces créances de guerre, l'analyse peut s'étendre davantage et prendre en compte simultanément la dimension monétaire et la dimension financière : les devises sont des créances A court terme et dépendent du degré de confiance qu'on leur accorde : le bon fonctionnement des échanges internationaux dans leur ensemble reposait sur le maintien d'une confiance qui pouvait aisément faire défaut-La situation des grands
marchés internationaux de matières premières, de produits agricoles et industriels était, elle aussi, tendue et précaire durant les années 20. En effet, accélérant la relative décadence européenne dans la production mondiale, la grande guerre avait pratiquement interrompu les exportations des belligérants ' rappelons qu'en 1913, l'Angleterre, l'Allemagne et la France exportaient A elles trois 60 % des biens manufacturés dans le monde. En conséquence, tout un processus de
développement des contributions américaines et japonaises entre autres s'était mis en place pour fournir les anciens
clients de l'Europe. Cette substitution fut aussi l'occasion d'une percée agricole de pays neufs, et les métropoles européennes se retrouvèrent avec des problèmes aigus de débouchés et des industries de base passablement vieillies lorsqu'aux alentours de 1925 ils eurent terminé leur reconstruction. Notons qu'il y a ici des tensions qui s'impliquent les unes les autres. Les difficultés du recyclage industriel européen ont pour contrepartie une faible demande en matières premières, qui servent dans les pays peu industrialisés A payer les achats de produits manufacturés : tout dépend donc de la poursuite de l'expansion industrielle mondiale et de l'équilibre de ces balances de paiements périphériques ' on retrouve alors l'édifice du crédit international. D'où de fortes tentations protectionnistes : en matière industrielle pour les pays neufs redécouvrant la
concurrence européenne, en matière agricole pour les pays européens reconstituant leur potentiel. La période d'après-guerre est celle des réorientations commerciales et du renforcement des protections douanières : si les années 30 donnent le jour A un monde peu A peu barricadé derrière des systèmes de taxes et de quotas, on aurait tort d'oublier que pendant les années 20 on avait assisté A une authentique montée des réflexes protectionnistes. Enfin, l'engorgement agricole ne fait guère de doute : après les années - dorées - de 1914 A 1920, pour les pays qui échappent au conflit mondial, l'extension des surfaces cultivées coexiste avec des progrès techniques importants. Lorsque la demande ne suit pas, les prix baissent et les stocks s'accumulent. Tel est le cas du blé, dont la production continue A croitre avec une grande inertie entre 1926 et 1930, et aussi du sucre (ir . 8). On a pu parler d'une vérile - dépression agricole - durant les années 20, résultant d'une forte baisse des prix agricoles face A ceux des produits industriels, et impliquant de grandes difficultés financières pour les paysans endettés et un appauvrissement progressif pour tous, dans les pays riches comme dans les nations périphériques.
II. ' De la - déflation - A la - dépression -
1. Un processus cumulatif de baisse des prix et de l'activité. '» Ces aspects défarables, que l'on peut recenser de nos jours avec un grand confort rétrospectif, ne doivent pas faire oublier le dynamisme indiscule et mASme procant des - années folles -. Parler de - boom - entre 1925 et 1929 semble excessif; toutefois, l'expansion est frappante dans la plupart des pays du monde capitaliste. Il y eut quelques récessions (en 1926 pour l'Allemagne et la Grande-Bretagne, en 1927 pour les Etats-Unis), mais elles furent rapidement résorbées. Le cas américain est symbolique d'une ère nouvelle : la production annuelle d'automobiles passe de 1,9 million de véhicules en 1919 A 5,6 millions en 1929, et l'expansion du pétrole, du caoutchouc, de la radio, est tout aussi brillante. Ouverture de nouvelles possibilités de consommation, - boom - de la construction : seule l'agriculture reste globalement A l'écart de la - prospérité -.
Le leau est plus nuancé pour les autres pays industriels : la Belgique et la France bénéficient d'une forte croissance, mais tel n'est pas le cas de la Grande-Bretagne, affligée d'un taux élevé de chômage chronique, et de l'Europe en général. Le reste du monde lui-mASme connait des performances très inégales, ire des stagnations : par exemple, l'Australie après 1927, et le Japon entre 1922 et 1924, puis en 1925-l926.
Ce qui fait l'originalité du retournement cyclique de 1929, c'est qu'il survient dans un contexte de baisse internationale des prix, amorcée dès 1925-l926 pour la plupart des pays. Déflationniste dans ses antécédents, la crise des années 30 est sévèrement déflationniste dans son déroulement, si l'on entend déflation au sens large de contraction des grandeurs nominales d'une économie : restrictions monétaires et financières, baisses des prix et des revenus, recul de l'activité elle-mASme. En dépit des distorsions et de quelques paliers globaux, la baisse a suffisamment frappé les contemporains pour justifier la phrase de Schumpeter souvent citée : - Les gens sentaient le sol se dérober sous leurs pieds. -
Cette déflation généralisée semble spécifique dans l'histoire du
capitalisme : on peut en effet l'opposer d'une part aux baisses de prix violentes et rapides; par exemple en 1921 la dénivellation totale est able, mais elle ne dure qu'un an et succède A une inflation rapide. D'autre part, elle s'oppose aux tendances plus longues et irrégulières A la baisse en Europe et aux Etats-Unis durant certaines périodes du xixc siècle, tel l'intervalle 1870-l895 : une tendance générale descendante s'était révélée A travers des fluctuations secondaires d'assez forte amplitude.
Dans sa dimension objective, le processus met enjeu une série de réactions en chaine, comme des - effets de dominos - : le renversement de la conjoncture industrielle induit une contraction des échanges internationaux et une faible demande pour les matières premières, dont les prix baissent. Les pays producteurs de ces matières premières réduisent leurs achats de biens manufacturés, puis se ient contraints A la banqueroute ou A la dévaluation assortie de contrôle des changes, car les dettes contractées ne peuvent plus AStre honorées. De la mASme faA§on, les pays industriels sont agressés par des produits de moins en moins chers, et ne peuvent s'en protéger que par des barrières douanières ou des dévaluations. Le mécanisme est renforcé par les distorsions des prix consécutives A une capacité de résistance aux baisses inégale selon les marchés. En effet, face A la contraction de demande, les producteurs qui peuvent réduire rapidement leurs quantités peuvent maintenir les cours, tandis que ceux qui n'ont guère prise sur les quantités subissent l'effondrement des cours ' et tentent souvent de produire davantage! Dans le premier cas, il y a les produits industriels et - sectiunel lises -, c'est-A -dire contrôlés par des ententes rassemblant les gros producteurs; dans l'autre, les produits agricoles et les produits de base, et les marchés régis par une forte concurrence. Dès lors, la contraction des quantités du premier groupe induit une faible demande de produits de base, donc la baisse des prix du second, ce qui compromet les revenus des producteurs de base, ultimes acheteurs de produits industriels la boucle est bouclée.
Ces séquences internationales ont leur pendant intérieur dans un cercle vicieux bien connu : les licenciements restreignent les débouchés des entreprises en difficulté; la mise au chômage comme solution (pour une entreprise) au ralentissement des affaires accentue les difficultés, et entraine d'autres licenciements.
Mais la dimension subjective n'est pas moins importante dans le pessimisme ambiant, se développent d'abord des réflexes restrictifs, par exemple limiter les achats au minimum nécessaire, ne pas investir, pour - ir venir -, puis de vériles paniques. Celles des années 30 furent monétaires et bancaires, et culminèrent dans une crise financière internationale (1931) et la destruction de l'étalon de change-or.
2. Des reprises méconnues et timides. ' On aurait tort toutefois d'attribuer au processus de contraction une toute-puissance qui n'aurait été brisée en définitive que par des initiatives étatiques de stimulation économique. Un simple coup d'œil sur le calendrier des reprises en 1932-l933 impose d'ésectiuner une telle vue. Le minimum de la production industrielle en Allemagne est touché en août 1932, et c'est en septembre que sont prises les mesures désespérées de Von Papen; aux Etats-Unis, entre 1932 et 1933, la production industrielle remonte de 16%, mASme si la moitié des capacités de production demeurent inutilisées. Ces deux exemples, auxquels on peut joindre la - reprise paradoxale - de 1935 en France selon A. Sauvy, qui it la production repartir en mASme temps que sont pris les fameux - décrets Laval - déflationnistes, montrent suffisamment que les actions gouvernementales peuvent fariser ou entraver des retournements conjoncturels auxquels elles sont extérieures.
Il existe dans toute économie de marché des forces de freinage ralentissant le processus de contraction, capables, avec d'autres, d'inverser la conjoncture. Du côté des premières, on trouve les mécanismes qui incitent peu A peu certains agents économiques A reprendre une activité plus soutenue. Tout d'abord, A mesure que les prix et l'activité baissent, les détenteurs d'argent liquide ient leur patrimoine croitre en valeur, leur pouir d'achat se renforcer, et la thésaurisation devient moins intéressante. Ensuite, les faillites et les liquidations d'entreprises offrent A celles qui en avaient encore les moyens, l'occasion de rachats avantageux, A un prix parfois dérisoire, d'équipements en bon état. L'échec des uns restaure ainsi la renilité des autres. Ces mécanismes restent controversés, mais il suffit de noter que les baisses de prix et d'activité font toujours des bénéficiaires qui, A un moment ou A un autre, sont en état de faire - repartir la machine -.
L'inversion de la conjoncture est ainsi préparée. En termes techniques, on peut dire que la production devient de plus en plus - élastique -, c'est-A -dire susceptible de réagir A des stimulations, A un renouveau de la demande par exemple. Précisément, celle-ci ne peut guère manquer de repartir : les dépenses de
consommation sont partiellement incompressibles, et les agents économiques sont contraints peu A peu d'utiliser leurs réserves (épargnes). De mASme, aux niveaux réduits de production, un certain besoin de renouvellement des équipements et installations finit par se faire sentir. On le it : simultanément des occasions de débouchés et un redressement de la renilité apparaissent, qui sont susceptibles de lancer après une période de pause la - dépression -, un autre processus se nourrissant de lui-mASme : le retour de l'expansion.
Ces mécanismes ont très mal joué en 1932-l933. Les reprises ont été éphémères, n'ont guère apporté d'amélioration, et souvent mASme sont passés inaperA§ues du public.
Une variable clé de la conjoncture A court terme, le mouvement des stocks, illustre l'ambiguïté des redémarrages. Tout d'abord, le feu de paille américain : de mars A juillet 1933, la production industrielle passe de 59 A 100 (base de l'indice : moyenne 1923-l929 = 100), pour retomber en juillet 1934 A 71, et ne retrouver le niveau 100 qu'A la fin de 1935. Les mouvements des prix font preuve de la mASme hésitation. Il semble que la reprise de 1933 était fondée sur une accumulation de stocks bien plus que sur des investissements A long terme. A l'opposé, l'exemple allemand : le redémarrage de 1932 permet aux entreprises de liquider leurs stocks, contribuant par lA A une nouvelle baisse des prix, mais aussi de restaurer leur renilité (préalable A un redémarrage plus soutenu ?).
Ces deux réactions illustrent la conjoncture de 1932-l933 : la crise, loin de s'orienter vers une résorption généralisée et cumulative, isole des économies désunies qui repartent sur des bases précaires. On rentre ainsi dans une période incertaine de - dépression - durable. La crise débouche sur des perspectives stagnationnistes.
Ainsi en 1937-l938, un nouveau recul de l'activité met-il l'économie américaine une dernière fois en vedette : la production industrielle chute de 30 % (5) tandis que le chômage remonte spectaculairement. Pour l'explication immédiate, on incrimine en général une réduction des dépenses publiques A la suite des premières années de politique de - grands travaux -. Ce qui est en cause, c'est la faiblesse des initiatives privées, qui n'ont pas compensé l'arrASt de la relance fédérale. Cette rechute a eu des conséquences internationales limitées.
III. ' Quelques enchainements déflationnistes américains : 1929-l933
Divers auteurs ont tenté de quantifier les effets de l'effondrement de Wall Street, dont deux sont évidents : une baisse de la valeur du patrimoine, et donc du pouir d'achat pour les spéculateurs ruinés, qui doit se répercuter dans un affaiblissement de la demande, et le tarissement d'une source de
financement pour les entreprises. Ni l'un ni l'autre de ces effets, qui ne peuvent AStre que graduels, n'apparaissent significatifs A l'échelle de la contraction d'ensemble du pays.
L'activité industrielle avait fléchi dès l'été 1929 : le sommet de la production automobile a été atteint au mois de mars avec 622 000 véhicules, en septembre, le niveau n'était déjA plus que de 416 000 : on peut donc se focaliser sur les biens de consommation durables, dont l'automobile n'est que le symbole. Une des innovations des - années folles - avait été aux Etats-Unis le crédit A la consommation. En 1927, 15% des ventes aux consommateurs se font A crédit, mais 85% des meubles, 80% des phonographes, 75% des machines A laver Ce sont ces produits qui tiennent la vedette dans l'effondrement : en 1930, la baisse de la consommation personnelle est de 6 %, mais de 20 % pour les biens durables dont l'achat a été différé; elle atteindra 50% entre 1929 et 1933. La montée des stocks tout au long de 1929 permet de ir ici une composante privilégiée (qu'il reste A expliquer) de la baisse de la demande. Liées A ce déclin, nous trouns les difficultés agricoles proprement américaines : mASme si la main-d'œuvre paysanne ne représentait que 20 % de la population active dans une nation très largement urbanisée, les conditions d'exploitation de la terre étaient devenues de plus en plus difficiles durant les années 20. C'est la fameuse ques-rion du - ciseau des prix agricoles - : les prix des récoltes et du bétail, qui déterminent (avec les quantités écoulées) les recettes paysannes, ne permettent pas un bénéfice normal une fois soustraits les coûts payés par l'exploitant : si l'on part d'une base 100 en 1910-l914 (moyenne des quatre années), les premiers éluent farablement par rapport aux seconds jusqu'en 1919 (forte demande des années de guerre). Le rapport entre les deux indices montre une supériorité des gains sur les coûts qui va jusqu'A 20 % en 1917, puis une infériorité entre 5 et 20% jusqu'en 1929 : la crise aggrave violemment la situation, l'infériorité passant A 40 % entre 1932 et 1933. De 1929 A 1933, le revenu net des exploitants fléchit de 70%. Autre composante du renversement : l'élution du logement, traditionnellement faite de hauts et de bas. Un vérile - boom - s'était produit aux Etats-Unis dans la première partie des années 20, culminant en 1926, et plafonnant depuis. La valeur des constructions neuves était de 12 milliards de dollars en 1926 et seulement de 10,8 milliards en 1929, ce qui restait toutefois considérable puisque c'était en 1929 encore plus du double du niveau d'avant 1914; il y avait donc saturation cyclique dans la construction. Il apparait impossible, en l'état actuel des connaissances, d'apprécier l'importance réciproque de ces trois éléments : réticence des consommateurs vis-A -vis des biens durables, difficultés agricoles et fléchissement du batiment. Leur combinaison mena les chefs d'entreprises A des décisions très rapides : réviser A la baisse leurs prévisions, puis leurs projets, puis leurs embauches : d'où la mise A pied ou A horaire réduit des ouvriers et employés, et l'effondrement de l'investissement brut, en 1933, A 10 % de son niveau de 1929. Les industries les plus atteintes étaient celles qui avaient été les plus vigoureuses durant les années 20 : le batiment, les équipements des consommateurs et des producteurs (baisses respectives de 85 %, 50 % et 75 % de leur production). Rétrospectivement, on ne peut que souligner la violence de ces réactions. Elles ne forment toutefois qu'une moitié du bilan américain : la psychologie a trouvé un terrain d'élection dans des convulsions bancaires. Il y avait 29 000
banques aux Etats-Unis en 1921, et 12000 fin mars 1933 A l'issue d'une panique nationale qui avait contraint le nouveau président Roosevelt A fermer tous les élissements (- bank holiday -). Il y eut en fait trois crises violentes et successives.
En juin 1929, les 250 banques les plus importantes, soit 1 % du total, disposent de plus de la moitié des ressources. Cette forte concentration a pour contrepartie une poussière de petits élissements : plus de 80 % des banques se trouvent dans des villes de 10 000 habitants au maximum. Le réseau, très hétérogène, est soumis A une législation disparate : les banques locales, soumises A une législation locale, doivent faire face A leurs difficultés par elles-mASmes. Et, précisément, les difficultés surviennent. Elles sont de deux types : d'une part, dans les petits élissements agricoles, les dépôts se réduisent A mesure que se développe, plus ou moins selon les régions, la détresse paysanne; d'autre part, et surtout, le déclin de l'activité et la baisse des titres ne sont pas compensés par la baisse des engagements en général conclus A taux fixe.
Les banques nt donc réviser leurs portefeuilles, restreindre leurs avances, demander de nouvelles garanties, etc., afin de restaurer leur liquidité compromise par la baisse de leurs airs. La réaction du public se traduit par la thésaurisation, les retraits accélérés de fonds, la ruée vers la liquidité : dès lors, des élissements sains se ient compromis, et le cercle vicieux de la perte de confiance et de la banqueroute est créé. Ses effets se renforcent lorsque se proent des pressions étrangères.
Il y eut crescendo dans les paniques, qui attaquèrent d'abord les petits élissements, puis les banques affiliées au - Fédéral Reserve System -, plus importantes, et enfin le système entier. La panique de 1933 fut aux yeux des observateurs de la sdn - l'effondrement le plus dramatique de la confiance qu'on ait jamais observé dans aucun pays depuis de longues années -. Cette remarque, sans aucun doute justifiée, appelle une importante nuance : la prospérité elle-mASme n'avait pas été exempte de faillites puisque 5 000 banques avaient fermé leurs portes en huit ans, de 1921 A 1929, soit un rythme moyen de 50 par mois. Il faut donc souligner la spécificité des problèmes américains : la facilité avec laquelle il était possible de créer une banque, fût-elle minuscule, avait conduit A une forte indiscipline dans la profession.
Tout converge donc au printemps 1933, la stagnation au plus bas niveau de l'activité et la catastrophe bancaire globale. Dans cette tourmente, les initiatives du président Hoover ont souvent été critiquées pour leur insuffisance. Leur insuccès seul ne fait pas de doute.
Dans le domaine monétaire, les Etats-Unis tout comme la Grande-Bretagne, outre le maniement du taux d'escompte (le prix de l'argent A court terme), pratiquaient une autre technique d'intervention appelée A un grand avenir : les opérations a'open market (6). Apparue durant les années 20, elle avait été utilisée aux Etats-Unis dans les deux sens : restrictif lorsque les autorités ulaient neutraliser l'effet expansif d'une arrivée d'or (c'est la - stérilisation - de l'or), ou au contraire expansif, avec un certain succès. Les interventions publiques commencent en 1929 par un indéniable activisme : H. Hoover annonce des réductions d'impôt (de peu d'ampleur) afin de soutenir le pouir d'achat; des injections monétaires par ïopen mar-quet soulagent les difficultés bancaires découlant du krach boursier, le budget fédéral est en léger déficit, ce qui a un effet contracyclique, et on multiplie les déclarations rassurantes. Nombre d'auteurs ont souligné du reste la nette amélioration conjoncturelle du printemps 1930 aux Etats-Unis : ralentissement de la baisse des prix, redémarrage de l'activité financière nationale et des prASts internationaux Cette accalmie ne devait pas durer.
A mesure que le temps passe et que se dérobe le - coin de la rue - où l'on devait retrouver la prospérité, s'impose la nécessité d'une stricte discipline budgétaire, cependant que les taux extrASmement bas du marché monétaire (1 % A 2 %) convainquent les autorités qu'il est inutile d'injecter de l'argent dans un système bancaire qui n'en est pas demandeur, jusqu'en septembre 1931, date A laquelle des pressions sur le dollar imposent des restrictions. Ainsi Vopen market est-il la plupart du temps mis en sommeil alors mASme que se contracte la masse monétaire : entre août 1929 et août 1933, sa chute est d'un tiers.
L'ampleur de la catastrophe mène A partir de 1931 A d'autres mesures : premières
aides aux chômeurs, par l'intermédiaire de subventions aux Etats locaux, annonce de la politique de grands travaux, réseaux de prASts d'urgence, achats de produits agricoles C'est dans le domaine bancaire que l'action fut la mieux organisée : après l'échec, fin 1931, de la - National Crédit Corporation -, regroupement de grands élissements accordant des crédits aux petites banques, Hoover crée en février 1932 la - Reconstruction Finance Corporation -, au
capital entièrement versé par le gouvernement, destinée A faire des avances aux sociétés financières en difficultés, et il assouplit la législation bancaire par le Glass-Steagall Act du 27 février 1932. Ces efforts culminent dans l'Emergency Relief Act de juillet 1932, que reprendra Roosevelt en 1933 dans un pays A bout de nerfs et massivement paupérisé.
IV. ' Les grands axes de proation internationale
Chaque pays, on l'a vu, a réagi différemment A la crise, et le cas américain n'est bien évidemment qu'un cas particulier, mASme fondamental.
1. La crise financière internationale de 1931. ' Peu ou pas maitrisées tout au long de la période, résultant des disparités objectives de situation dans le monde tout autant que des anticipations de leurs détenteurs, les lte-face des capitaux A court terme ont successivement pénalisé puis farisé divers pays. De nombreux auteurs attribuent au tarissement des prASts américains en faveur de l'Allemagne durant l'année 1928, la première contraction de l'activité industrielle, annonciatrice du désastre dans ce pays fondamentalement débiteur A l'époque. Les capitaux américains seraient revenus dans leur nation d'origine pour participer A l'enl boursier, asphyxiant les marchés financiers allemands. Premier retournement au début de 1930 : le redémarrage de l'exportation des capitaux américains farise A nouveau l'Allemagne. Toutefois, A mesure que se confirment les difficultés politiques découlant de la montée nazie (premier succès
électoral du nsdap en septembre 1930) et que se révèle la précarité bancaire germanique pendant que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis font face A une situation aggravée, c'est la France qui apparait comme un refuge. Après 1933, les tendances réformatrices du - New Deal - de Roosevelt, puis du Front populaire en France, ramènent A Londres les capitaux flottants, qui repartiront en France après 1938 et le retour au pouir d'une équipe libérale
Ces mouvements de bascule trouvent leur paroxysme durant la crise financière internationale de 1931 qui aboutit A la destruction de l'étalon de change-or. Trois pays furent successivement au cœur de la tourmente : l'Autriche, l'Allemagne et l'Angleterre. En mai 1931, une gigantesque banque autrichienne, le Crédit Anstalt, constituée en 1929 (elle gérait 70% des dépôts du pays, nous sommes aux antipodes du cas américain), doit faire appel A une aide publique internationale car elle est engagée dans une série d'achats d'actions et de prASts, soldés par des pertes énormes. C'est alors que se déclenche une vague de retraits massifs, moitié autrichienne, moitié étrangère, qui la contraint en trois jours A fermer ses portes. Dès lors, la situation A Vienne dépend de prASts internationaux A court terme, et ceci non sans pressions politiques (la France tente de dissuader l'Autriche de réaliser son projet d'union douanière avec l'Allemagne), d'où la chute du gouvernement autrichien et en mASme temps un vérile assaut sur les banques hongroises, tchèques, roumaines, polonaises et allemandes.
En juin, la pression monte dans ce dernier pays, et se mettent en place les détonateurs qui nt opérer en juillet. En effet, le 17 juin, une
entreprise de textile, la Nord wolle, fait faillite; elle avait acheté un important stock de laine (en escomptant une remontée des cours) grace A des avances d'une grande banque, la Darmstadter und National Bank (la Danat). L'explosion du début juillet it la déconfiture de la Danat. Toutes les banques ferment le 13 juillet 1931, pour rouvrir le 16, avec gel de tous les crédits étrangers et
constitution d'un groupement interbancaire rendant tous les élissements solidaires les uns des autres. Au 1" août, le taux d'escompte atteint 15% (ce qui est considérable) et le contrôle des changes se généralise dans tous les pays d'Europe centrale et orientale.
C'est alors A l'Angleterre que s'attaque la défiance. En dépit de ses efforts de prASts internationaux A l'Autriche et A l'Allemagne, elle garde une monnaie fragile, jugée surévaluée depuis longtemps, et un stock d'or restreint par rapport A celui des Etats-Unis et de la France. Un mouvement généralisé de vente de livres sterling fait chuter le gouvernement travailliste le 24 août. Le gouvernement d'Union nationale qui le remplace annonce des compressions budgétaires mais ne peut enrayer le mouvement : au contraire, de multiples protestations ruinent l'annonce de discipline budgétaire par une annonce d'indiscipline sociale. Le 21 septembre 1931, la Grande-Bretagne suspend ses paiements en or et laisse flotter la livre sterling, pour six mois croit-on. La décision avait été prise en trois jours. Dès le lendemain, plusieurs banques centrales commencent A convertir des dollars en or Toutefois, la pression sur le dollar n'aboutira pas A un effondrement américain : elle renforcera la prudence des autorités monétaires outre-Atlantique, les menant A relever le taux d'escompte, ce qui compromettra la reprise A New York. Si le dollar est dévalué en 1933, ce n'est pas sous une forte pression spéculative.
2. Echanges extérieurs et réactions étatiques. ' Face aux déséquilibres des échanges extérieurs et A d'éventuelles attaques monétaires, la déflation au sens strict consiste A restreindre la multiplication des
moyens de paiement par de strictes économies budgétaires, des réductions autoritaires de prix ou de
salaires et un freinage du crédit. On espère par lA peser sur le niveau des prix internes du pays et donc restaurer sa compétitivité : mieux vendre A l'extérieur, résister aux produits étrangers, attirer les capitaux. Cette option fut retenue successivement par le Japon, dès 1929, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne, comme on l'a vu, l'Allemagne et l'Australie en 1931; cependant que les efforts franA§ais les plus significatifs datent de 1935 et sont donc particulièrement tardifs.
Ces efforts passent par des mesures spectaculaires : réduction de 10%, ire davantage, de tous les salaires, suspension de certains paiements La riposte sociale est évidente et violente. On a déjA parlé des remous britanniques; il y eut d'authentiques émeutes en Australie, A Sydney et A Perth et en Nouvelle-Zélande en 1932. Outre ces risques, qui ne sont pas minces, les multiples rigidités des économies limitent dans la plupart des cas les effets de la baisse.
Dès lors, la dévaluation apparait comme une alternative efficace et relativement indolore : abaisser la parité de sa monnaie par rapport aux autres soit en la laissant - flotter -, c'est-A -dire en laissant les cours chuter (dans l'hypothèse où la monnaie subit des tensions), soit en modifiant sa définition-or, c'est d'abord éviter une défense potentiellement coûteuse en réserves de métal précieux et en devises, et c'est remplacer la déflation interne par des mesures en principe susceptibles de siliser ou soutenir les prix et l'activité du pays : les exportations sont stimulées par l'abaissement de leur valeur en monnaie étrangère, cependant que les importations sont renchéries; il peut y air inflation, au moins pour un temps.
Dans la conjoncture des premières années de crise, deux traits distinctifs ont caractérisé les dévaluations : tout d'abord, nombre d'entre elles ont été forcées; lorsqu'une vive spéculation épuise les réserves d'un pays, ce peut AStre la seule issue. Mais une simple élution du commerce extérieur peut y conduire, pour des nations vulnérables. On a équé la décision anglaise de 1931, qui correspond au premier cas. Le second n'est pas moins important. En témoignent 49 pays exportateurs de produits primaires, classés par le pourcentage parfois effarant de baisse de leurs exportations en valeur, de 1928-l929 A 1932-l933 (ir leau 3). Si l'on ajoute A cette contraction nominale l'arrASt du flux des prASts internationaux (anticipant une insolvabilité future), on comprend qu'une telle asphyxie ne laisse comme issue qu'une dévaluation assortie de contrôles des changes et d'une limitation draconienne des importations.
Ensuite, chaque décision nationale signifie le report et éventuellement l'accentuation des pressions déflationnistes sur d'autres pays, puisqu'ils auront plus de mal encore A vendre et devront résister A des produits étrangers devenus soudain meilleur marché. La dévaluation dans cette perspective a d'autant plus de succès qu'elle survient tôt et qu'elle est forte ' du moins pour les pays qui ne sont pas en banqueroute. Il y a un aspect de guerre
économique dans la - cascade - des dépréciations monétaires.
Les deux options : déflation ou dévaluation, convergent donc dans une restriction indirecte des échanges internationaux, chaque pays tentant d'acheter moins pour vendre plus. La troisième option est évidemment la restriction directe : le protectionnisme, avec ses différentes possibilités : les droits de douane partiels ou généraux, les quotas ou contingentements, les interdictions pures et simples. Une logique de protection, puis de rétorsion a rassemblé ces diverses lignes d'action dans un enchainement destructeur, isolant peu A peu les échangistes en - zones -.
Dès 1930, la sdn avait vu le danger : dans une conférence douanière en février, 30 pays européens s'étaient engagés A ne pas rompre les liens commerciaux qui les unissaient. Mais les pressions restrictives triomphent dès le mois de juin aux Etats-Unis, pays A tradition protectionniste, où le - tarif Hawley-Smoot - préit une augmentation de 40 % des droits sur le blé, le coton, la viande et les produits industriels. De 1930 A 1933 se multiplient les tentatives de déflation, les dévaluations en chaine et les mesures protectionnistes, dans une ambiance d'impuissance internationale, alors mASme qu'un vérile ballet diplomatique s'ouvre entre les puissants d'alors, sans résultat tangible. La conférence monétaire mondiale de Londres (juin 1933) met un point d'orgue A ce processus : ultime tentative de concertation internationale, réunissant 70 Etats A un moment où les Etats-Unis venaient d'abandonner la convertibilité du dollar (mars 1933) et mettaient en route les réformes de Roosevelt, elle se solde par un échec. Le représentant américain, Cordell Hull, se rallie initialement aux propositions de silisation concertée. Mais une baisse A Wall Street montre l'inquiétude des milieux financiers peu désireux de ir le dollar A nouveau défendu en parité fixe, et Roosevelt refuse finalement tout accord monétaire international.
La dislocation du système monétaire international fut totale en 1935-l936, lorsque le - Bloc-Or - qui regroupait quelques monnaies fidèles A la parité d'avant 1929 : celles de la France, de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, de l'Italie et de la Suisse, s'effrita peu A peu. Ces champions de la monnaie forte étaient soit de tout petits pays, soit des nations victimes d'une forte inflation après 1918, dont la parité-or monétaire avait été élie sur une base dépréciée avant 1929 : farisés pour le
commerce international vers cette date, ces pays ont durement ressenti leur renchérissement relatif par la suite, ce qui explique leur revirement tardif.
Il y eut donc, monétairement parlant, quatre groupes de pays : le bloc-dollar, qui unissait autour des Etats-Unis plusieurs pays d'Amérique et les Philippines; le bloc-sterling autour de la Grande-Bretagne; le bloc-or jusqu'en 1936; et enfin l'ensemble des pays ayant instauré des systèmes de changes multiples.
Les mesures douanières furent prises en ordre dispersé et progressif; en général, les barrières commencent par une hausse des droits, puis des mesures plus autoritaires sont prises, surtout par les pays qui ne dévaluent pas, cependant que se multiplient les accords réciproques.
Si aucun pays n'a échappé A cette logique, l'Allemagne nazie, au commerce extérieur dirigé par l'Etat après 1934, l'a menée A son terme en utilisant systématiquement le clearing et le dumping.
Ces deux termes, paradoxalement anglais, désignent d'une part un système de compensation des flux d'importations et d'exportations par pays, qui impose en permanence leur équilibre. II s'agil d'un quasi-troc réglé par un office national des changes, qui crée des liens de dépendance en liant l'écoulement de tel produit A l'achat de tel autre. D'autre part la pratique du dumping consiste, outre diverses manipulations monétaires, A vendre au-dessous du prix de revient, les exportateurs recevant la différence d'une caisse de compensation alimentée par des cotisations en provenance de l'ensemble de l'économie.
Dans cette élution apparemment irrésistible, deux coups d'arrASt doivent AStre mentionnés pour terminer. Une trASve douanière partielle et isolée a été rendue possible pour les Etats-Unis dès 1934, avec la loi - Reciprocal trade Agreements Act - qui autorise le président A réduire les droits de moitié, en signant des accords particuliers avec certains partenaires commerciaux. Entre 1934 et 1945, les Etats-Unis passent des accords avec 29 nations. De mASme, pour éviter désormais les cascades de dévaluations désordonnées, la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis publient, le 25 septembre 1936, une - déclaration commune - affirmant leur intention de coordonner leurs politiques monétaires.
Ces deux initiatives ne peuvent évidemment pas renverser le cours des choses, l'une dans le domaine commercial et l'autre dans le domaine financier. Du moins prennent-elles date.
Un simple fait montre l'ampleur de la désintégration du commerce mondial induite par le désordre au début des années 30 : en décembre 1932, le prix du blé en Italie était deux fois plus élevé A Milan qu'A Berlin ou Paris, et trois fois plus élevé qu'A Londres aux parités en vigueur. Le trait dominant d'un marché mondial pour un produit fondamental ' la tendance A l'unification des cours compte tenu des frais de transport ' avait donc disparu dès cette date.
Cette inefficience spectaculaire n'était évidemment pas le but poursuivi par les responsables des premières mesures protectionnistes de 1929-l930. Les politiques suivies durant l'effondrement étaient très largement des actions-réflexe, entendons ici non pas des décisions aveugles, mais des réactions difficiles A éviter, de plus en plus inéviles A mesure que s'aggravait la catastrophe : une certaine marge de manœuvre existe en 1929, qui permet A quelques pays de tenter des actions contracycliques, comprenant par exemple des déficits budgétaires (Etats-Unis, Australie) mais aussi des restrictions monétaires témoignant d'une gestion saine des deniers publics. Ces actions ne peuvent guère AStre envisagées par la suite du moins tant que l'effondrement des affaires n'apparait pas exceptionnel, puisque le déficit se creuse de lui-mASme par la réduction des recettes fiscales, et que l'accentuer apparaitrait comme une preuve de mauvaise gestion, ce qui n'est guère indiqué dans la montée de la défiance. Rappelons d'autre part que l'insertion étatique dans l'économie A la fin des années 20 n'est pas telle qu'elle puisse autoriser une action rapide et de grande ampleur face aux renversements de conjoncture. De mASme, les pays victimes du bas niveau des cours ne pouvaient-ils rien entreprendre isolément pour les soutenir et préserver leurs balances des paiements : ils auraient fait par lA le jeu de la concurrence et compromis leurs débouchés, comme l'ont expérimenté par exemple les Brésiliens pour le café et les Américains pour le coton. Autrement dit, en l'absence d'une vérile concertation mondiale, délicate dans les divergences des élutions et des intérASts, chaque pays s'est souvent protégé comme il l'a pu, prenant au jour le jour des mesures partielles. Cette caractéristique essentielle de la plupart des politiques économiques suivies de 1929 A 1932-l933 et parfois plus tard, leur dimension réflexe et conservatoire, s'oppose A la mutation spectaculaire constatée peu A peu : la montée, durant la détresse, du nationalisme, de l'interventionnisme étatique, et de projets qui ajoutent A la lutte frontale contre la crise une lonté de régénération sociale.