Le néo-libéralisme s'efforce d'inclure l'analyse économique dans une
philosophie de l'histoire able en compréhension totale à celle du marxisme. La liberté y joue le rôle central que Marx attribuait au
travail et le rôle dynamique qu'il réservait au prolétariat. Cette idéologie, selon laquelle la raison exige une
économie de marché, s'est développée en divers pays à partir d'un antécédent commun : le colloque Walter Lipmann où se réunit en 1938 tout ce que l'Europe Occidentale comptait d'économistes libéraux sous la patronage de l'éditorialiste mondialement connu du New York Tribune, qui venait de publier la Cité Libre, premier manifeste du néo-libéralisme. Depuis, les économistes néo-libéraux se retrouvent pratiquement chaque année sous l'égide de la très secrète et très influente Société du Mont Pèlerin.
Trois rameaux en Allemagne, aux Etats-Unis et en France, se distinguent par l'originalité de leurs contributions. Certes, des nuances les séparent. L'école de Fribourg est plus soucieuse de défendre la concurrence, moins hostile aux interventions de l'Etat, moins adonnée à l'économétrie que celle de Chicago. Les néo-libéraux français au contraire ne forment pas une vérile école et sont moins opposés au
socialisme et à une certaine programmation que les Allemands et les Américains. Mais les trois pensées néo-libérales, défendant en commun la liberté et la
concurrence dans le cadre d'une sion globale de l'histoire et de la société, s'opposent plus ou moins au courant keynésien et attachent toutes la plus grande importance aux phénomènes monétaires.
A. — L'école de Fribourg
L'ordo-libéralisme, réaction de 1 ' Allemagne secouée par le nazisme et deux guerres mondiales, tend à se confondre avec l'Ecole de Fribourg groupée autour de son maitre Walter Eucken. bien que se soient formés d'autres groupes d'économistes libéraux à Cologne et à Munich, ce dernier fréquenté par Ludwig Erhard. Cette référence à l'ordre s'explique à un double niveau anecdotique et philosophique, évoquant tant la revue Ordo qui publiait les résultats des recherches d'Eucken, de ses disciples et de ses amis juristes Frank Bôhm et Hans Grossmann-Doerth, que la philosophie néo-kantienne qui les inspire.
a. — L'apport conceptuel d'Eucken
Walter Eucken (1891-l950), fils d'un philosophe néo-kantien qui reçut le prix Nobel en 1908, a passé - dit-on - son enfance dans une petite ferme frisonne qui devait être sans cesse défendue contre la mer. Certains y voient l'explication d'un courage qui lui fit professer en 1937 un cours sur le pouvoir et l'
économie politique. Sa réaction personnelle contre l'école historique allemande et le choc de la
crise de 1929 l'ont convaincu à la fois de la nécessité et de la relatité de la théorie économique. Après avoir enseigné à Tiibingen, il obtint en 1927 à Fribourg la chaire qu'il occupera jusqu'à sa mort en 1950, survenue à Londres pendant une tournée de conférences. C'est à Fribourg que Max Weber avait enseigné l'économie politique, et que Husserl enseignait la philosophie. Ses deux œuvres principales : Les Fondements de l'économie (1940) et Les Principes de la
politique économique (1952) forment un diptyque qui n'est pas sans rappeler la critique de la raison pure et celle de la raison pratique chez Kant.
Eucken part d'une distinction fondamentale entre le cadre de l'économie et le processus selon lequel elle s'organise. Toute actité économique suppose la formation et l'exécution d'un . Or, il n'y a que deux formes possibles de coordination entre ces s multiples : le
marché concurrentiel ou la subordination au de l'autorité centrale. Plan et marché, économie centralisée et économie décentralisée, sont les deux seuls types purs d'organisation, concept issu du type pur de Marx Weber, aussi abstrait, ce qui le sépare des systèmes et des styles de l'école historique allemande, mais plus inductif que déductif. De ces deux types d'organisation, qu'Eucken définit comme le principe selon lequel s'ordonne le processus économique, seule la concurrence assure à la fois la liberté et l'efficacité. C'est donc à l'Etat de créer un cadre, essentiellement juridique, sous la forme d'une
constitution économique, qui permette au processus de la concurrence de jouer correctement. Hors d'un cadre approprié, la concurrence se détraque. A l'inverse du laisser-faire manchestérien, elle nécessite des interventions qui forment une politique ordonnatrice lorsqu'elles portent sur le cadre et une politique régulatrice lorsqu'elles sent le processus. Il importe que ces politiques soient conformes à l'ordre économique, idéal que la constitution de l'économie doit s'efforcer de réaliser. Hélas, les opinions ont varié sur ces critères de conformité, réintroduisant parfois dans l'école de Fribourg la casuistique et les divergences. Enfin, outre l'ordre économique et les types purs d'organisation, Eucken, bien avant François Perroux, érige la domination au rang de concept économique fondamental. Non seulement il la réconcilie avec la théorie, malgré son caractère passionnel, mais il la croit indispensable pour comprendre le dynamisme de l'histoire économique et la structure des marchés.
b. — Les autres économistes néo-libéraux allemands
Si W. Eucken est le maitre de l'école de Fribourg. Wilhelm Rôpke (1899-l966) en est le brillant second. Mis à la retraite anticipée pour opinions non conformes par le régime nazi, le professeur de Marburg s'exila en Turquie où il enseigna à l'Université d'Istanbul avant de venir en 1937 à l'Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales de Genève. Son œuvre, plus connue et moins théorique que celle d'Eucken, se compose principalement de deux grandes trilogies, écrite l'une de 1942 à 1945 (La crise de notre temps, Citas humana, Communauté internationale) et l'autre entre 1950 et 1960 (Mesures et Milieu, L'économie mondiale au xix" et au xr siècle et Au-delà de l'offre et de la demande) dans lesquelles il développe, puis actualise ses thèmes favoris : la cilisation occidentale, chrétienne et indidualiste, l'évolution vers une société de masse, la défense d'une politique structurelle qui « n'accepte pas au-delà de ce qui est nécessaire les conditions sociales de l'économie de marché » (1 ), préconisant une politique non conforme à l'économie concurrentielle si la personne humaine le justifie, en quoi il se sépare d'Eucken, enfin l'inflation en tant que maladie sociale dont Keynes serait largement responsable.
Une école d'économistes est une famille d'esprits. Plutôt que de donner une liste exhaustive et sans nuances de ses membres, mieux vaut n'en évoquer que quelques-uns, choisis pour leur originalité ou leur influence.
Leonhard Miksch (1901 -l950), le plus doué des disciples d'Eucken, a publié, au cours d'une e assez brève, quelques articles aux titres significatifs tels que La concurrence comme devoir et La politique économique comme si (Als Ob) montrant que l'Etat a le devoir de faire comme si l'équilibre de concurrence s'élissait.
Friedrich Lutz (1901-l975), autre disciple d'Eucken demeuré après l'arrivée du nazisme aux Etats-Unis où l'avait envoyé une bourse Roc-kefeller. s'est consacré à l'étude des problèmes monétaires, des encaisses des sociétés et des mécanismes de l'investissement (2), élissant ainsi un lien entre l'école de Fribourg et celle de Chicago, avant de revenir enseigner à Zurich.
Alexandre Rustow, ami de Rôpke et plus sociologue encore que lui, enseigna lui aussi à Istanbul de 1934 à 1950 avant de revenir à Heidelberg. Il est également auteur d'une trilogie (3) qui livre sa philosophie de l'histoire économique : une dialectique du paysan porteur de liberté et du cavalier porteur de domination faisant de la liberté un idéal à conquérir et non un paradis perdu.
Alfred Muller-Armack, qui s'est rendu célèbre comme père de l'expression d'économie sociale de marché (soziale Marktwirtschaft) (4), a insisté sur le fait que la liberté ne devait étouffer ni l'égalité ni la justice et lancé un appel en faveur d'un dialogue constructif entre les libéraux et les socialistes.
Enfin Ludwig Erhard ne se sépare dans son ouvrage Prospérité et Concurrence (1958) de l'école de Fribourg que sur deux points : d'une part, l'importance qu'il accorde à la psychologie et à la proande pour persuader indidus, entreprises et syndicats des vertus de la concurrence, d'autre part, le rôle respectif de l'indidu et de l'Etat dans la recherche de la sécurité, l'indidu devant assumer son destin par ses propres efforts et l'Etat ne devant intervenir qu'à partir du moment où l'indidu n'est plus à même de le faire.
c. — L'inspiration néo-libérale de la soziale Marktwirtschaft
Pendant ngt ans - jusqu'en 1967 - la politique économique allemande a été celle dont l'inspiration uniquement néo-libérale est le moins discule. D'abord l'ordo-libéralisme a fourni le seul modèle théorique cohérent qui pouvait inspirer la reconstruction d'une économie ctime du dirigisme et de l'inflation. Ensuite l'engagement des membres de l'ordo-libéralisme a été délibérée. Eucken faisait partie du Conseil Scientifique qui élabora la politique économique de la bizonc, puis du ministère de l'économie, Riistow fonda à Heidelberg une Communauté d'action pour l'économie sociale de marché, vérile groupe de pression néo-libéral. Muller-Armack, nommé par Erhard directeur pour les questions de principe au ministère de l'économie, dent ensuite secrétaire général pour les
problèmes européens, et participa à la rédaction du Traité de Rome et aux premières négociations en vue de l'adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE.
On conçoit donc que la politique économique allemande ait rejeté toute ification, fût-elle indicative, adopté une loi antitrust, malgré les tendances à la sectiunellisation de l'industrie allemande, accordé la priorité à une monnaie saine et à
des prix sles et refusé le contrôle des changes face à l'invasion des capitaux spéculatifs. Bien que l'économie allemande soit loin de s'identifier à l'ordre économique concurrentiel d'Eucken, ses succès ont rejailli sur la doctrine qui l'inspirait.
d. — Les fondements philosophiques de l'ordo-libéralisme
Enfin, s'il a inspiré la politique économique, l'ordo-libéralisme s'est lui-même inspiré des meilleures sources de la philosophie allemande, de Leibniz pour la tendance à l'harmonie concurrentielle, de Kant surtout dont Eucken a substitué l'idéalisme rationnel à l'hédonisme d'Epicure, d'Helvétius et de Bentham comme fondement du libéralisme et même d'Husserl dont l'analyse institutionnelle se retrouve chez Eucken lorsqu'il part des intentions économiques que sont les s pour opposer l'économie centralisée à l'économie décentralisée.
Cette rare insertion de la théorie économique dans la politique cl la philosophie ne saurait toutefois être isolée de son contexte germanique.
B. — L'ÉCOLE de Chicago
Tous les économistes néo-libéraux américains n'ont pas enseigné à l'Université de Chicago, ni même subi son influence. Certains, tels Ronald Coase en font spirituellement partie, alors qu'inversement Paul Douglas, qui y fut longtemps professeur, n'y appartient pas. Il existe néanmoins aux Etats-Unis, comme en Allemagne, une école néo-libérale dont les conctions idéologiques sont marquées et les apports théoriques, originaux. Leur chef de file est Milton Fried-man (5).
A vrai dire, on doit plutôt distinguer deux écoles de Chicago successives, celle d'avant la guerre, illustrée par Simons, Jacob Viner, le premier à avoir élaboré une théorie des unions douanières, non sans un parti pris défavorable par rapport au libre-échange, et Frank Knight, plus préoccupée de l'effet perturbateur des monopoles et des ententes, plus désireuse de concilier la redistribution des revenus et l'efficacité de l'allocation des facteurs, plus ouverte à des influences éclectiques. Après la guerre au contraire, l'école de Chicago a quitté les préoccupations sociologiques pour la théorie, sous la double influence de Keynes et de la Cowles Commission. Malgré une liberté intellectuelle qui ne va pas sans divergences de vue, trois traits caractérisent aujourd'hui l'école de Chicago : son penchant pour la théorie néo-classique, l'automatisme en politique économique et les raffinements statistiques.
a. — Le recours à la théorie néo-classique
Face à un puissant courant keynésien, l'école de Chicago représente aux Etats-Unis un rameau vace du marginalisme dont Hayek (6) et Friedman sont, avec des personnalités et des conceptions différentes, les héritiers spirituels. Le premier symbolise ce lien par sa e et ses œuvres, le second incarne le renouveau qui a jailli de la théorie de l'équilibre général.
L'école de Chicago se relie en effet directement au néo-marginalisme autrichien à travers Friedrich von Hayek (1899). Si l'on peut distinguer trois périodes dans sa e, selon qu'il a vécu en Autriche, en Grande-Bretagne, dont il est resté citoyen, ou aux Etats-Unis (il a enseigné à Chicago de 1950 à 1962), ses œuvres se classent en deux catégories : les apports théoriques (7), tels que le fameux triangle par lequel il représente la surcapitalisation, cause selon lui des fluctuations économiques, et la
neutralité de la monnaie qu'il assimile à la constance de la quantité de monnaie et non à celles des prix, et la philosophie sociale (8), développée dans ses livres d'après guerre dont la spontanéité des forces sociales contre une
rationalisation abusive et l'indisibilité des libertés économiques et politiques sont les thèmes majeurs.
Théodore Schultz, né en 1902, dent, après une enfance dans le monde agricole du Dakota-du-Sud lui aussi professeur à l'Université de Chicago depuis 1943 et publia deux ouvrages importants sur l'agriculture (Economie Growth and Agriculture, 1968, et Distorsions of Agricultural incentives, 1978) avant de recevoir le prix Nobel en 1979.
Il voit dans la substitution d'un marché politique au marché économique et dans le
développement de l'interventionnisme l'explication de tous les maux de l'agriculture, dénonçant les agriculteurs surpayés là où ils sont peu nombreux (CEE) et sous-payés là où ils forment la majorité (PVD).
Il les croit tous sensibles au profit et capables si on laisse jouer les lois économiques de « transformer du sable en or », selon sa propre expression. Favorable à la modernisation de l'agriculture que gênent les politiques gouvernementales et les accords internationaux, et partisan du libéralisme, Schultz n'est pas un théoricien abstrait, mais un expert aux recommandations décapantes. Mais que fait-il des spécificités du monde rural ?
De ses études à Chicago et à Columbia, sous la protection de Burns, Milton Friedman (né en 1912) hérita une habileté statistique remarquable et, en réaction contre l'absence de théorie au point où l'avaient pratiquée Burns et Mitchell, le souci de rechercher dans la théorie walrasienne un point d'ancrage. Ses premières analyses, en collaboration avec Savage (9) ont tenté d'apprécier l'utilité marginale de la monnaie à partir du comportement de joueurs soumis au risque, mais susceptibles de l'éter en versant une prime. A un niveau de revenu peu élevé, un indidu souscrit volontiers une assurance et n'accepte un pari que si le gain est important. A un niveau plus élevé, en revanche, il ne s'assure que contre les pertes importantes et accepte davantage les paris. Un tel comportement signifie que la fonction d'utilité, loin d'être constamment décroissante possède un, voire deux points d'inflexion, étant décroissante, puis croissante, puis à nouveau décroissante. Le principe de la dé
croissance de l'utilité marginale n'est donc une approximation insuffisante du comportement réel, bien que la maximisation de l'espérance d'utilité demeure une hypothèse valable.
Ce principe authentiquement walrasien conduit Milton Friedman à formuler la théorie du revenu permanent (10), sa contribution principale.
Celle-ci peut s'énoncer de la façon suivante : si un consommateur décide rationnellement de maximiser son utilité pendant toute son existence, sa consommation, une certaine année, dépend non de son revenu cette année-là mais des ressources dont il disposera pendant sa e entière auxquelles correspond un revenu permanent différent de son revenu courant. En faisant dépendre le choix du consommateur de la conception qu'il se fait de son revenu normal, la théorie de Milton Friedman accorde, comme la théorie classique, la plus grande importance aux facteurs psychologiques. De plus, comme la théorie sociologique de Duesenberry, elle cherche à expliquer l'étonnante silité des propensions à consommer et à épargner qui s'est révélée aux Etats-Unis entre 1897 et 1949, mais l'explication qu'elle en donne se sépare de celle de Duesenberry par le maintien des postulats classiques ; l'indépendance des comportements des consommateurs et la symétrie de leurs réactions à une hausse ou à une baisse de revenu, postulats que Duesenberry a rejetés comme irréalistes.
D'autres économistes américains, tels Modigliani et Brumberg (11), rejoignent Milton Friedman pour l'essentiel de la conception du revenu permanent et ne s'en séparent que sur des nuances. Alors que M. Friedman rattache directement l'épargne à l'incertitude du futur et évalue à trois ans au minimum la période d'appréciation du revenu permanent, Modigliani et Brumberg expliquent par l'héritage et la propriété immobilière le fait que l'épargne nette d'un sujet économique soit généralement positive le jour de sa mort, alors que la maxi-misation de son bien-être indiduel voudrait qu'elle soit nulle, et ils conçoivent le revenu permanent dans le cadre de la e entière.
D'une manière analogue, la théorie des choix du sujet économique conduit Milton Friedman à réaffirmer le bien-fondé de la théorie quantitative de la monnaie (12). Partant de l'hypothèse d'optimisation selon laquelle le sujet économique repartit ses avoirs entre différents emplois pour obtenir le maximum de satisfaction. M. Friedman montre que la demande de monnaie dépend d'une série de variables qui correspondent aux différentes formes de détention de la richesse (monnaie, valeurs mobilières, biens physiques mobiliers ou immobiliers, etc.). La rencontre de cette demande et d'une offre qui s'élit de façon autonome, hypothèse classique que Friedman, comme Keynes, ne remet pas en question, donne le niveau général des prix qui dépendent donc de la masse monétaire, ce qu'il fallait démontrer pour restaurer la théorie quantitative de la monnaie, à travers la demande de monnaie.
La théorie des
marchés contesles, née au début des années 80 des recherches de William Baumol. professeur aux Universités de New York et de Princeton, et discutée dans un numéro de l'American Economie Reew de 1983, offre une synthèse entre la concurrence parfaite et les économies d'échelle qui à première vue s'opposent en limitant le nombre des firmes sur le marché. Un marché contesle est un marché sur lequel règne une pression concurrentielle, quel que soit le nombre des firmes présentes, grace à l'entrée éventuelle de nouveaux producteurs. La contesilité permet ainsi de généraliser le concept de concurrence parfaite.
La contesilité présente quatre avantages : l'absence de prix ou de profits excessifs, l'absence d'inefficacité ou de gaspillage, l'absence de subventions occultes ou croisées entre
les prix de deux produits, l'un excessif et l'autre insuffisant, ou de prix prédateurs (c'est-à-dire momentanément cassés pour éncer les concurrents), enfin l'opti-malité paretienne du régime des prix.
Ces avantages ont d'heureuses conséquences tant sur le théorique que sur le pratique. Sur le théorique, la contesilité permet de traiter le prix comme la variable que peut modifier la firme, plutôt que la demande qui s'impose à elle. Elle permet aussi de dégager la notion d'économie de gamme ou d'envergure, lorsqu'un ensemble de biens peut être produit à moindre coût par une seule firme plutôt que par un groupe d'entreprises spécialisées.
Sur le pratique, la technique, en conditionnant les économies d'échelle, détermine les possibilités d'entrée dans la branche, sans coût : la théorie de la contesilité explique alors la structure des branches : de nombreuses petites firmes dans telle branche, un oligopole dans telle autre, ce qu'exprime le titre de l'ouvrage de Baumol : Les
marchés contesles et la théorie de la structure industrielle.
La théorie des marchés contesles permet ainsi d'éclairer la politique de concurrence, la
politique commerciale, puisque l'entrée d'un concurrent étranger se fait sans coûts, ceux-ci étant déjà supportés sur le marché domestique, la
politique industrielle et la politique des prix. En effet, la contesilité impose un prix plafond au niveau qui justifierait l'entrée et un prix cher au niveau du coût marginal, cantonnant la réglementation des prix dans cet intervalle.
D'autre part, « le degré de participation du secteur privé à la fourniture d'un serce quelconque dépendrait de la contesilité de ce serce », un marché contesle doit se traduire par une privatisation plus grande qu'une autre qui l'est moins. La théorie des marchés contesles offre enfin aux privatisations le fondement théorique qui leur manquait.
b. — Le souci de la vérification statistique et économétrique
Le souci de Milton Friedman et de ses disciples de tester par l'éco-nométrie leurs hypothèses théoriques contraste agréablement avec l'insouciance de tant de théoriciens envers les faits.
Pourtant la vérification statistique du revenu permanent ne peut être qu'indirecte. Si la
consommation courante dépend du revenu permanent, alors que les faits avaient jusqu'à présent permis d'élir une relation entre la consommation courante et le revenu courant, c'est qu'il existe un lien entre le revenu courant et le revenu permanent. Plus précisément, le revenu permanent s'accroit moins proportionnellement que le revenu courant, Milton Friedman en déduit que l'élasticité de la consommation par rapport au revenu courant doit être plus faible pour les titulaires de revenus irréguliers. Or, les statistiques confirment que l'élasticité de consommation des fermiers et des entrepreneurs américains est bien inférieure à celle du reste de la population : leur consommation dépend bien de leur revenu permanent et non de leur revenu courant. Friedman a suggéré une preuve supplémentaire (13) : l'élasticité de consommation doit être d'autant plus faible que le groupe professionnel est plus étroitement défini ; la moyenne « convenablement pondérée » des sous-groupes doit alors être inférieure à l'élasticité de l'échantillon tout entier. Or, selon le sens donné à cette moyenne « convenablement pondérée » le nombre des cas défavorables à l'hypothèse de Friedman l'a emporté ou au contraire elle a brillamment passé le test.
Cherchant d'autre part à vérifier l'application de la théorie quantitative de la monnaie, M. Friedman (14) a entrepris une étude longue et minutieuse de l'histoire monétaire des Etats-Unis entre 1867 et 1960 qui lui permet de conclure à l'existence de relations sles entre les variations de la masse monétaire, du revenu national et des prix. Enfin, pour vérifier l'influence du revenu permanent sur la demande de monnaie, il calcule la valeur des encaisses désirées à partir d'un revenu permanent assimilé à la moyenne pondérée des revenus passés selon une pondération décroissant exponentiellement, en déduit une tesse désirée qu'il e à la tesse effective et conclut que la première est une bonne approximation de la seconde, du moins jusqu'en 1950. On ne peut que regretter que la vérification statistique dépende de procédés trop subtils pour être tout à fait convaincants.
Si le comportement du sujet économique possède à travers le revenu permanent ce régulateur interne, il ne faut pas que les interventions désordonnées des pouvoirs publics ennent le perturber. Aussi M. Friedman est-il partisan d'assujettir l'Etat à une règle stricte, autrement dit de recourir à une politique automatique.
c. — L'automatisme en politique économique
On conçoit qu'aux Etats-Unis, où les machines cybernétiques les plus perfectionnées ont été mises au point, les économistes néo-libéraux aient été tentés de découvrir des servo-mécanismes pour restaurer l'équilibre économique sans la maladresse des interventions délibérées. Diverses recommandations illustrent cette tendance dans les domaines différents.
En matière budgétaire, le Comité de Développement économique, dès 1947, puis le manifeste de Princeton en 1949 auquel ont participé, outre Friedman (15), Samuelson et Musgrave, préconisaient de s'en remettre à la seule flexibilité interne du budget, autrement dit à l'effet exercé sur la demande finale par la réaction spontanée des recettes, des dépenses et des transferts aux variations conjoncturelles. Le budget éli en équilibre serait ainsi automatiquement déséquilibré dans le sens nécessaire au retour à l'équilibre. Ce courant-d'opinion, alors largement sui, réagissait contre la
politique budgétaire contracy-clique d'inspiration keynésienne, accusée d'agir à contre-temps en raison des retards de réaction, pour peu que la conjoncture se retourne brusquement.
L'automatisme dans la
politique monétaire est plus ancien encore. Dès 1936, Henry Simons avait proposé un système d'opérations automatiques à l'open-market en fonction du niveau général des prix, idée reprise peu après la guerre par Lloyd Mints et par Milton Friedman (16). Ce dernier, après avoir montré à quel point l'émission de monnaie influençait le revenu et souligne l'expérience facheuse d'une politique monétaire trop restrictive aggravant la récession de 1953, insiste sur l'effet déséquilibrant de la politique monétaire en raison de son double délai d'action entre la décision et l'action sur la masse monétaire, puis entre celle-ci et ses effets sur l'actité économique. Il conseille donc une politique automatique menée par une seule autorité monétaire, le Fédéral Reserve System, grace à un seul instrument, l'open-market, avec un seul objectif, l'équilibre intérieur, qui se résume dans la croissance régulière de la masse monétaire à un taux annuel compris entre 3 et 5 %.
Dans le domaine des changes, M. Friedman s'est fait, dès 1950, alors qu'il était attaché à l'Administration de Coopération économique en Europe, le champion des taux de changes flexibles (17), système pourtant réprouvé par le F.M.I. Après avoir réfuté les objections traditionnelles contre la flexibilité des changes, l'insécurité des transactions et l'effet inflationniste sur les prix intérieurs, en soulignant qu'on peut toujours se protéger contre les variations de change par des opérations à terme et qu'elles sont le symptôme plus que la cause de l'inflation, il célèbre les deux grands mérites des taux flexibles : assurer l'ajustement automatique de la balance des paiements et permettre, croit-il, l'indépendance de la politique monétaire intérieure par rapport à la balance extérieure et aux politiques monétaires étrangères.
L'influence de l'école de Chicago sur la politique économique américaine a surtout été critique. Elle a raillé la politique de parité des prix agricoles, le protectionnisme douanier, le contrôle des prix, des
salaires et des loyers, l'absence d'intérêt sur les dépôts à vue dans les
banques commerciales - où l'on a vu une des causes de la création des eurodollars - bref l'interventionnisme croissant de l'Etat dans l'économie américaine depuis le New Deal qui tend à faire basculer l'image des Etats-Unis de la libre concurrence vers la ification privée. Ces critiques, fondées sur une idéologie cohérente et des assises statistiques sérieuses, ont constitué sinon un programme de rechange pour le gouvernement républicain, du moins des suggestions dont plusieurs ont été retenues, telles la suppression de l'obligation pour les Etats-Unis d'acheter ou de vendre de l'or à prix fixe, celle d'assurer la couverture à 25 % des engagements du Fédéral Reserve System en or et avant d'aller jusqu'à la flexibilité des taux de change, cette idée a assez gagné pour qu'on s'oriente dès 1971 vers un élargissement des marges de fluctuation des monnaies.
L'économie de l'offre a connu à partir de 1976 un succès qu'a confirmé l'élection du Président Reagan en 1980 au point de donner naissance au néologisme de reaganomics. Elle s'oppose à la régulation de la demande d'inspiration keynésienne et insiste sur l'accroissement de l'offre. Au sens étroit, elle se résume dans la courbe d'Arthur Laffer, professeur à l'Université de Caroline du Sud et conseiller économique du Président, qui montre que les recettes fiscales évoluent en cloche en fonction du taux de l'impôt et qu'au-delà d'un seuil, mal précisé, mais que Laffer estime atteint aux Etats-Unis, la matière imposable s'évapore. 11 préconise donc un tax-cut d'inspiration très différente de celui de Kennedy qui agissait à travers le
déficit budgétaire. Ici le taux de l'impôt diminuant, les recettes devraient au contraire augmenter avec l'encouragement de l'actité économique, sans affecter le solde budgétaire.
Si au sens étroit, l'économie de l'offre se ramène aux effets stimulants d'un allégement fiscal sur la production, au sens large elle renoue avec l'école classique d'Adam Smith et de J.-B. Say en insistant sur les propensions à travailler, à épargner et à investir qui commandent l'actité en longue période. Complétant la courbe de Laffer, celle de Peter Gutman attribue à la pression fiscale le partage entre l'économie légale et l'économie souterraine moins productive. L'économie de l'offre considère l'Etat comme un problème, jamais comme une solution et voit dans la dérégulation, dans la limitation de ses responsabilités, le meilleur moyen de redresser les propensions qui font le dynamisme du capitalisme.
Enfin, sur le monétaire, les économistes de l'offre semblent favorables au rattachement du dollar à l'étalon-or.
L'économie de l'offre a plutôt mal supporté l'épreuve des faits puisqu'elle n'a pas réussi à empêcher la récession de 1982. à quoi ses partisans opposent trois arguments.
Leurs recommandations d'allégements fiscaux n'ont pas été suies. Les impôts sur le revenu ont diminué, mais les prélèvements de Sécurité sociale et les impôts locaux ont augmenté. Ils aiment à souligner que le déficit budgétaire est moins dû aux dépenses militaires qu'au gaspillage des deniers publics.
Leurs recommandations fiscales ont été contrecarrées par la politique monétariste du FED. La hausse du taux d'intérêt a empêché le sursaut des propensions. Enfin, les délais sont encore trop courts pour juger des résultats d'une politique qui porte sur les ressorts du capitalisme en longue période.
L'économie de l'offre suscite quelques critiques. D'abord elle reste très confuse sur le monétaire oubliant l'importance de l'offre de monnaie. Ensuite, elle ne préconise rien de nouveau et se ramène au bon sens et à la mesure. Le besoin de freiner la croissance des prélèvements obligatoires et de redécouvrir l'esprit d'
entreprise ne sont pas l'apanage des Américains. Avec un rare sens du
marketing intellectuel, les conseillers du Président Reagan ont habillé des arguments théoriques les plus classiques un sentiment de révolte fiscale et un désir de nouveauté par rapport à des recettes de politique économique keynésienne et démocrate qui datent de la Grande Dépression.
C. — Le libéralisme moderne en France Il n'y a pas en France d'école néo-libérale comme celles de Fri-bourg et de Chicago. La pensée néo-libérale n'y est pas groupée autour d'un maitre, mais l'expression de brillantes personnalités, tels Jacques Rueff et Maurice Allais, qui ne sont pas des universitaires, mais des ingénieurs dans la grande tradition de Dupuit et de Colson. L'absence d'une vérile école tient aussi à ce qu'en France le néolibéralisme est considéré comme une doctrine démodée par un courant technocratique à tendance keynésienne, ificatrice et socialiste. C'est pourquoi les économistes français préfèrent parler de libéralisme moderne, flirter avec le socialisme et proclamer que si les mécanismes du marché concurrentiel sont le ressort fondamental de l'expansion, l'intervention étatique se justifie par leur respect, la programmation n'étant qu'une modalité de l'expansion.
a. — L'ordre social et monétaire selon Jacques Rueff
Né à Paris en 1896, fils de médecin, Jacques Rueff (1896-l978) dent, après de brillantes études à Polytechnique, inspecteur des
finances et expert financier aux côtes de Poincaré, de Laval et de Léon Blum. C'est ainsi qu'il fut consulté sur l'ampleur de la dévaluation de 1928 et y acquit une expérience qui lui serra en 1958 lors de la silisation Pinay. Ensuite attaché financier à l'Ambassade de Londres de 1930 à 1933, il analysa la situation de l'économie, celle même qui a inspiré à Keynes la Théorie générale. Sous-gouverneur de la Banque de France en 1939. il en démissionna en 1941. Après la Seconde Guerre mondiale, il fut successivement juge et président à
la Cour de Justice de la CECA, puis des Communautés européennes. Le même esprit européen l'inspira lors de l'assainissement monétaire et financier de décembre 1958 qui devait permettre l'ouverture de l'économie française au Marché Commun. Enfin J. Rueff fut le premier économiste élu en 1964 membre de l'Académie française et chancelier de l'Institut.
L'Ordre social (1945) n'est pas seulement le titre de l'œuvre principale de J. Rueff, c'est un système philosophique et social dont la cohérence réside dans l'articulation entre la philosophie des sciences et la théorie monétaire. Polytechnicien et économiste. J. Rueff croit à l'unité des sciences physiques et sociales. C'est ainsi qu'il e la loi de l'offre et de la demande à la loi de Mariotte. De même que celle-ci ne serait entièrement vraie que pour des gaz parfaits, mais rend de grands serces pour le comportement des gaz réels, de même la loi de formation des prix par l'offre et la demande ne serait tout à fait vérifiée qu'en concurrence parfaite, mais donne une expression approchée des phénomènes de marché, lorsqu'il y a de nombreux acheteurs et vendeurs. A travers la statistique qui élimine le libre arbitre des actes indiduels, la science économique n'est qu'une physique sociale. Or, toute société, qu'elle soit d'atomes, comme la molécule, ou d'indidus, ne se comprend qu'à partir d'un ordre. En reliant les droits de propriété aux richesses existantes la monnaie exprime l'ordre social. Seule la liberté des prix assure l'équilibre entre les richesses et les droits, qui sont alors de vrais droits, et l'ordre social, tandis que l'inflation, qui transforme la monnaie en « égout collecteur de faux droits », est le signe du désordre social et conduit au dirigisme. Conclusion pratique : « exigez l'ordre financier ou acceptez l'esclavage ». L'ordre social admet cependant deux variantes « soyez libéraux, soyez socialistes, mais ne soyez pas menteurs (18) ».
Les contributions théoriques de Jacques Rueff concernent donc principalement l'analyse monétaire. Le mécanisme de la régulation monétaire (19), sur le national, repose sur la sensibilité du marché monétaire à l'écart entre le taux du marché et celui de la Banque centrale, assurant tantôt la fourniture des encaisses désirées, tantôt la résorption des encaisses indésirées. Cette création et cette destruction continue de monnaie agissent comme un régulateur de la masse monétaire. Mais ce mécanisme, asymétrique, se bloque facilement dans le sens de la destruction de monnaie, submergé par l'arrivée à échéance de fausses créances, l'allongement de la durée des effets réescomptés ou l'inondation de deses provoquée par le fonctionnement de l'étalon de change-or. La faute n'en est pas au mécanisme de la régulation monétaire, mais à l'imperfection des institutions sociales et internationales. De même qu'Eucken distingue le cadre du processus pour mieux affirmer la nécessité de réformer le cadre, de même Jacques Rueff oppose les institutions aux mécanismes pour mieux souligner l'imperfection des institutions. Cette analyse du marché monétaire n'est pas non plus sans rappeler celle de l'équilibre monétaire chez Wicksell, Myrdal et Koopmans (20) ou la relatisa-tion de la théorie quantitative chez Keynes.
Sur le international, l'équilibre se décompose en une tendance à l'équilibre de la balance des paiements de telle ou telle nation, qui dépend de la régulation monétaire, et une tendance à l'équilibre des échanges entre toutes les nations, qui dépend du système monétaire international. Lorsque la régulation monétaire fonctionne bien, la tendance au rééquilibre de la balance des paiements tient au déplacement du pouvoir d'achat d'une nation déficitaire vers une nation excédentaire. Ce même déplacement du pouvoir d'achat explique qu'en cas d'inconvertibilité les variations du taux de change oscillent dans un intervalle large limité par deux points de marchandises analogues aux points d'entrée et de sortie d'or, et que les possibilités de transfert de capitaux dépendent de la volonté de sacrifice du débiteur, même si la baisse du change facilite ses exportations. Pour Jacques Rueff, contrairement aux post-keynésiens, le pouvoir d'achat se déplace d'une nation à une autre sans se multiplier (21). La multiplication ne peut être que celle des « faux droits ». L'inflation, en bloquant le mécanisme de la régulation monétaire, supprime la tendance au rééquilibre de la balance des paiements et le déficit extérieur en deent la conséquence et le test révélateur, explication conforme à l'expérience historique française. De même le gold exchange standard (22), inflationniste à l'échelle mondiale, est un système dangereux et injuste en ce qu'il constitue un prilège exorbitant pour les pays à monnaie de réserve, qui détraque la tendance à l'équilibre des échanges entre toutes les nations. C'est pourquoi avant qu'ait été reconnue la masse pléthorique des eurodollars, Jacques Rueff ne croyait pas à la pénurie de liquidités internationales et qualifiait les projets qui saient à en créer de « s d'irrigation pendant le déluge ».
Enfin, Jacques Rueff est connu pour sa loi, qui élit un parallélisme presque parfait entre les variations du
chômage en Angleterre entre 1919 et 1939 et celle du salaire réel, obtenu par le quotient de l'indice des salaires par l'indice des prix, loi énoncée dès 1925 (23) et étendue, dans un article paru en 1951, à « un certain nombre d'autres pays en diverses périodes ». Ainsi, le chômage qu'a connu la Grande-Bretagne entre 1925 et 1931 a donné lieu à deux explications, à première vue opposées. Rueff fait dépendre, comme Pigou, le chômage du salaire réel. Keynes l'explique par l'insuffisance de la demande effective. En fait, ces deux analyses ne sont pas inconciliables : Keynes ne nie pas que le chômage dépende du rapport salaire-prix, il affirme que le salaire étant rigide, ce rapport ne peut diminuer que par la hausse des prix et par conséquent l'accroissement de la demande effective, tandis que Rueff estime plus facile de diminuer le rapport en agissant sur le seul taux de salaire, sa crainte de l'inflation l'empêchant de retenir l'autre branche de l'alternative.
Très critiquées pour leur antikeynésianisme et leur obnubilation monétaire, les conceptions de Rueff ont pourtant été appliquées avec succès dans la politique française. Comme expert, et non comme ministre, J. Rueff a infléchi les finances de la France à trente ans d'intervalle. C'est pourquoi les deux dévaluations réussies qu'il a inspirées ne portent pas son nom ; la silisation Poincaré en 1928 et la silisation Pinay en 1958. Par deux fois il s'y est révélé un habile chirurgien de la monnaie. Ses conseils ne sont pas limités à la France puisqu'il a participé à la silisation monétaire de la Grèce et de la Bulgarie après 1927 et influencé celle du Portugal quelques années plus tard, sans oublier qu'il fut dix mois ministre de la Principauté de Monaco. La politique d'aménagement institutionnel et d'accroissement de la concurrence préconisée en 1960 par le comité Rucff-Armand (24) demeure un excellent programme de politique néo-libérale pour la France contemporaine, même s'il n'a été que partiellement mis en œuvre. Enfin ses critiques à l'encontre du gold exchange standard ont directement orienté l'attitude de la France entre 1965 et 1969 dans la crise du système monétaire international.
b. — Maurice Allais et l'efficacité économique maximale
Maurice Allais, né à Paris en 1911, le premier Français qui a obtenu le prix Nobel d'économie en 1988, fait partie de la lignée d'économistes mathématiciens français qui remonte à Cournot. Sorti major de Polytechnique en 1933, il deent le premier professeur de l'Ecole des Mines de Paris, puis directeur de recherche au CNRS. Il a formé toute une génération d'économistes mathématiciens français tels que Gérard Dcbrcu (prix Nobel avant son maitre en 1983 mais qui a pris la nationalité américaine, Edmond Malinvaud. Jacques Lesourne. Thierry de Montbrial, etc.). Ingénieur, il se devait d'éclairer l'action par la théorie et a
marqué de son influence la politique communautaire des transports.
Son apport s'oriente autour de quatre thèmes : le marché, le taux d'intérêt, la décision sous risque et la monnaie.
1 ) Allais s'est d ' abord livré dans A la recherche d'une discipline économique, énorme livre publié en 1943 à compte d'auteur, puis dans La théorie générale des surplus (1981) à une critique immanente des conditions de l'équilibre général walrasien.
Après avoir marqué l'opposition entre le point de vue éthique et celui de l'efficacité, à l'inverse des néo-classiques qui avaient cherché à les confondre, M. Allais centre la théorie économique sur la recherche de l'efficacité économique maximale (25), que les auteurs anglo-saxons qualifient d'allocation optimale des ressources, formule contesle qui laisse penser qu'il n'existe qu'un seul optimum.
Bien qu'il reprenne la définition paretienne de l'efficacité maximale, M. Allais préfère définir l'équilibre économique général, non par un système de prix égalisant les offres et les demandes comme Walras, mais par une situation à la frontière du possible et de l'impossible, pour laquelle le surplus disponible est nul. Son apport s'insère dans un courant néo-walrasien d'approfondissement des conditions de l'équilibre économique général. Tandis que Von Neu-man (26) et Wald (27) ont amélioré la démonstration de l'équilibre. Koopmans (28), celle de l'équivalence entre cet équilibre et l'optimum, et que Debreu (29) reformulait ces démonstrations à l'aide de la théorie des ensembles, l'effort de M. Allais a consisté à discuter les hypothèses restrictives de continuité, de dérivabilité et surtout de convexité qui lui paraissent très irréalistes dans un état de la technique où les rendements marginaux sont d'abord croissants et ne deennent décroissants qu'au-delà d'un seuil. Il distingue donc deux secteurs : le secteur différencié « où la technique optima de production est réalisée par la juxtaposition d'entreprises identiques » et le secteur « non différencié » où la technique optima de production est réalisée par une entreprise unique et énonce le théorème du rendement social qui fait coïncider l'efficacité maximale avec des prix égaux au coût marginal de production correspondant au minimum du coût moyen de production dans tous les cas, autrement dit pour le secteur non différencié comme pour le secteur différencié. La tarification des serces publics sur la base du coût marginal en est la conséquence pratique.
Mais selon la répartition des revenus et l'état de la technique et des goûts, il y a une infinité de solutions possibles, ce qui permet de dynamiser l'équilibre dans un modèle pluraliste d'économie de marchés, expliquant les formes différentes dans le temps que prend l'efficacité maximale.
Appliquant ces considérations au domaine des transports (30). M. Allais montre que l'efficacité maximale implique le libre choix des usagers entre les modes de transports et la fixation de tarifs qui égalisent la demande à la capacité. Certes la politique des transports peut serr d'autres objectifs tels que la politique régionale ou la redistribution des revenus, mais si elle recherche l'efficacité maximale, on doit admettre que les infrastructures et le transport par rail font partie du secteur non différencié, caractérisé par des rendements croissants par rapport à la capacité, tandis que le transport par route et par eau appartient au secteur différencié.
Le coût marginal des infrastructures comprend deux éléments, l'un égal au coût marginal par rapport au trafic et l'autre lié à la congestion, qui est nul tant que la demande au tarif en gueur est inférieure à la capacité et sinon, tel qu'il doit les égaliser. Quant au serce de transport, il doit être géré de façon à maximiser le profit dans le secteur différencié et minimiser les coûts dans le secteur non différencié. En fait, la pratique des positions dominantes et des subventions nationales exige qu'on se rapproche de la tarification au coût marginal à travers une tarification à fourchette. Ces orientations générales sont celles mêmes qui inspirent la politique des transports de la CEE.
2) Le taux d'intérêt
Dans le chapitre 10 d'Economie et intérêt (1947) complété par quatre articles parus dans les années 60, Allais distingue bien les quatre influences du taux d'intérêt sur la valeur du
capital accumulé à un moment donné, sur le partage entre épargne et consommation, sur l'intensité capitalistique du processus de production et sur le prix de la liquidité, réalisant la synthèse entre les approches classique et keynésienne. financière et technique du capital.
Ainsi il anticipe sur de nombreux travaux ultérieurs.
Remarquant que les consommateurs n'étaient pas tous au même moment de leur cycle de e, il annonce les modèles à génération (Samuclson 1958), la valeur nulle du taux d'intérêt en régime permanent (Phelps 1961) et la demande d'encaisses de transaction (Bau-mol 1952).
3) La décision sous risque : le paradoxe d'Allais
Des observations sur les paris des courses de chevaux furent, comme chez Pascal, l'origine d'une reformulation de la théorie de l'utilité. Allais et Darmois organisèrent à Paris, en 1952, une conférence sur l'appréciation du risque. Alors que Von Neuman et Mor-genstern estimaient dans leur ouvrage de 1944 que le goût du risque différait seulement selon les indidus. Allais prouva par un questionnaire que ce goût dépendait aussi de la distribution des
risques pour le même indidu. Ainsi ceux qui préfèrent la certitude de gagner 100 à 10 chances sur 100 d'en gagner 500 devraient aussi préférer 11 chances d'en gagner 100 à 10 chances d'en gagner 500. Or la plupart des personnes interrogées, y compris Savage lui-même, auteur de la théorie de l'utilité néobernoullienne, préfère la première solution à la seconde, mais paradoxalement la quatrième à la troisième. C'est ce qu'on appelle le paradoxe d'Allais, qui prouve que le goût du risque diffère non seulement selon les agents, mais aussi en fonction de la distribution des risques. De nombreux économistes approfondirent cette nouvelle théorie de l'utilité tels que Machina, Munier, Quiggin. etc.
4) La monnaie
De plus en plus soucieux de confronter la théorie à la réalité par l'économétrie, M. Allais a d'autre part mis en lumière un comportement héréditaire en matière de monnaie et de redistribution. Fondant la demande de monnaie sur un comportement psychologique de l'indidu valable en tout temps et en tout lieu, M. Allais, comme Fried-man, aboutit à une reformulation de la théorie quantitative de la monnaie, qu'il affine en une théorie héréditaire, relatiste et logistique (31 ). En effet il y a un lien entre la masse monétaire et le niveau général des prix, mais le coefficient de proportionnalité, loin d'être constant, est influencé par la mémoire économique ! Cette théorie est héréditaire en ce qu'il existe « une dépendance fonctionnelle entre la valeur de la demande de monnaie à un instant donné et les valeurs précédemment observées du taux d'expansion du revenu national en valeur nominale ». Elle est relatiste, car il ne s'agit pas du temps psychologique indiduel, mais du temps social au cours duquel les sociétés oublient d'autant plus te que le contexte historique est troublé. C'est par rapport à ce temps psychologique social que la tesse de circulation est constante, en quoi Allais perfectionne l'équation d'irng Fisher. Enfin, la théorie est logistique en ce que l'encaisse désirée, dont l'encaisse effectivement détenue ne s'ésectiune guère, est une fonction logistique de l'indice psychologique de la conjoncture qui mesure une capacité d'oubli. Or, ce taux d'oubli n'est autre que le taux d'intérêt. La vérification empirique de cette théorie, d'une formulation mathématique complexe, aboutit à des résultats tout à fait extraordinaires pour 9 pays et 15 périodes différentes.
De même, appliquant la loi lognormale à la distribution des fortunes, qui est dans ce domaine préférable à la célèbre loi de Pareto, il conclut que l'inégalité est sans doute inéliminable car elle aussi a une cause héréditaire.
L'évolution de M. Allais l'a conduit peu à peu à délaisser les préoccupations normatives, à raisonner davantage en termes de surplus qu'en termes de prix et à se tourner de plus en plus vers une économie quantitative et appliquée. Ses recommandations de politique économique apparaissent souvent plus progressistes que celles de la plupart des autres néo-libéraux. S'il ne croit plus aujourd'hui à l'annulation du taux de l'intérêt et à l'appropriation collective du sol, comme Walras. il préconise une monnaie gagée à 100 %. solution déjà défendue par Walras, Mises et, avant guerre, l'école de Chicago. Favorable à la suppression des profits, à l'universalité des revenus du travail. à une société sans classe, son socialisme se justifie par la concurrence qui sélectionne les meilleurs et assure, par la libre circulation des biens, des capitaux, des hommes et des informations, l'efficacité maximale aussi bien des unions régionales d'Europe Occidentale (32) que du Tiers Monde, trop tenté de fonder son développement sur une ification lourde et gaspilleuse.
Entre Allais et Friedman, entre Ruefi et Rôpke les rencontres intellectuelles suffisent à prouver l'unité et la gueur de la pensée néolibérale, au-delà des tendances nationales. L'inégal succès des politiques économiques qui s'en sont inspirées reste la principale différence entre Fribourg, Chicago et Paris ; alors qu'elles ont triomphé en République Fédérale d'Allemagne, les idées néo-libérales, influentes aux Etats-Unis, sont demeurées contestées en France, jusqu'en 1983 et adaptées ensuite par les partis politiques aussi bien de gauche que de droite.