NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » ECONOMIE GéNéRALE » La coexistence des idÉologies Après marxDe mASme que l'œuvre de Keynes ne suffit pas mASme A ceux qui s'en réclament le plus fidèlement pour comprendre l'économie actuelle, de mASme l'exégèse de Marx et de Lénine ne donne pas de réponse directe aux problèmes qui se sont posés depuis la Seconde Guerre mondiale. On s'aperA§oit que l'avènement du socialisme est moins difficile dans les pays sous-développés que dans les économies éluées, que la passage au communisme est plus long que prévu et que la ification nécessite des choix d'autant plus complexes que le niveau de vie s'élève. On constate qu'en Occident il n'y a pas de baisse tendancielle des profits, pas de paupérisation croissante sur le national, et pas de fluctuations cycliques assez graves pour mettre en péril le système capitaliste. a. ' Les recherches de la théorie économique soviétique La théorie économique a connu en URSS, depuis 1958, une vérile renaissance qui a été exploitée A l'Ouest comme un retour vers les mécanismes du marché et du profit, alors que ce renouveau semble plutôt un approfondissement de la théorie économique marxiste et que les idées neuves n'ont encore que faiblement modifié la politique économique. Les deux principales causes de ce renouveau sont d'une part le dégel proqué par la mort de Staline, qui a permis l'éclosion au grand jour de conceptions mûries antérieurement - celles de Kan-torovitch et de Nojilov remontent par exemple A 1939 - et d'autre part le développement économique de l'URSS entrée, selon Rostow dans la phase de maturité vers 1950. L'accélération du progrès technique a bouleversé les coefficients techniques retenus par la ification traditionnelle et les choix, au-delA des grandes priorités, sont devenus plus délicats. Ce renouveau théorique ne se comprend qu'en réaction contre le dogmatisme stalinien dont l'hérésie de Varja donne la mesure. Varja. dans un livre paru en 1946 et intitulé - Le changement de l'économie capitaliste résultant de la II' guerre mondiale - avait été frappé par le rôle de l'Etat bourgeois en temps de guerre et supposait que ce rôle accru lui permettrait de combattre les monopoles après la guerre. Il fut aussitôt accusé d'oublier que l'Etat bourgeois est incapable de ifier et de contrôler l'économie puisqu'il est contrôlé par elle et on lui reprocha de brouiller la distinction entre le capitalisme et le socialisme. Mais Varja, soutenu par Trakhtenbcrg qui affirmait dans un ouvrage collectif que l'Etat capitaliste était devenu une organisation au-dessus des classes, ne se rétracta pas et fut mis A l'oubli. La version officielle fut que les économistes de l'équipe de Varja s'étaient laissés abuser et n'avaient pas correctement rempli leur rôle de - prAStres idéologiques -. Pendant cette période de dictature intellectuelle la seule œuvre théorique importante est celle de Joseph Staline (1879-l953) : Les problèmes économiques du socialisme en URSS, parue en 1952. Staline n'est ni un philosophe comme Lénine, ni un économiste comme Marx, c'est avant tout un homme politique. L'intérASt de ce livre vient de ce que l'homme politique, qui modifie les faits économiques, s'en fasse en mASme temps le théoricien. Staline y développe trois idées principales. D'abord les lois économiques en régime socialiste possèdent le mASme caractère d'objectivité que les lois économiques du capitalisme ; ainsi la loi de la correspondance entre les rapports de production et le caractère des forces productives est aussi valable dans les deux régimes, mais l'exigence de la croissance et le développement harmonieux de l'économie sont des lois propres au socialisme. Ensuite, la loi de la valeur est une loi économique du socialisme lA où il y a production marchande. Qui dit production marchande ne veut pas dire production capitaliste. La production marchande se justifie surtout si elle est limitée aux articles de consommation personnelle. La loi de la valeur, qui n'est pas une loi économique fondamentale du capitalisme, subsiste donc en économie socialiste. Enfin, Staline maintient que la crise du système capitaliste s'est transformée, mais aggravée depuis la Deuxième Guerre mondiale. Ainsi autant Staline est autoritaire en politique, autant il est modéré en économie. Il se montre d'une grande fidélité A la tradition de Marx, d'Engels et de Lénine et n'apporte rien de nouveau sur la reproduction élargie (théorie socialiste de la croissance). Le problème de la rationalité de la ification, soulevé dès mai 1931 lors de la Conférence réunie pour préparer le général d'élec-trification, a été repris dans toute son ampleur lors de la Conférence sur la détermination de l'efficacité économique des investissements qui eut lieu A Moscou en juin 1958. Elle marque le dégel intellectuel des économistes soviétiques. L'ampleur du problème - 200 milliards de roubles d'investissements annuels - et l'insuffisance de la traditionnelle méthode des balances-matières expliquent l'importance des recherches (33). Khatchaturov soulignait la possibilité de déterminer des coefficients d'efficacité des investissements en se fondant sur le délai de récupération. Stroumiline, abordant le problème de l'innovation, montrait que l'efficacité des techniques nouvelles se mesure A l'abaissement de la valeur : quels que soient les prix, le progrès technique déprécie les produits matériels du travail passé. Pour Bakulev, la répartition des investissements entre les différents secteurs doit s'effectuer en fonction de l'accroissement du revenu national par rapport aux investissements, mesurés par la productivité maximale, ce qui signifie que les dépenses de travail social par unité de production doivent AStre réduites au minimum. Enfin Klimenko conclut que le délai approximatif de récupération des dépenses d'automation constitue le critère de son efficacité. L'ensemble de ces rapports a abouti A recommander en général l'adoption de la méthode type provisoire de détermination de l'efficacité des investissements basée sur le délai de récupération dont l'inverse donne le coefficient d'efficacité. Ce colloque a montré l'importance pour la ification des taux d'actualisation alors que le semblait jusqu'alors rendre artificiellement simultanées toutes les décisions économiques. La gratuité de l'investissement s'est révélée mauvaise, tant au niveau de l'activité ificatrice qu'elle prive d'un critère d'allocation des capitaux fixes qu'au niveau des entreprises auxquelles elle permet de gaspiller le capital et ne pas adopter un comportement actif et critique envers les méthodes de production. C'est pourquoi, dans tous les pays socialistes, s'est manifestée la mASme tendance A réintroduire le taux d'intérASt et la rente. La théorie marxiste admet en effet que le facteur terre ait un prix, mais que ce dernier n'est pas un élément composant du prix des produits agricoles. La question, déjA soulevée pendant les années 20 de la rente différentielle de la terre, avait été reprise dès 1946 par Mme Sollertinskaia selon laquelle, si la rente absolue a disparu, subsistent des rentes relatives dues soit A la qualité de la terre soit A sa localisation. Mais elle n'a pas expliqué pourquoi la rente, dans un régime socialiste, apparait dans le secteur primaire et non dans le secteur secondaire, chaque fois qu'existent des différences dans les coûts de production. Tous ces travaux théoriques ont entrainé l'amélioration des techniques de ification. De nombreux recensements ont multiplié les statistiques disponibles et l'utilisation des mathématiques a fait l'objet d'un vérile revirement doctrinal : bannies pendant trente ans sous l'accusation de - déviation statistico-arithmétique -, elles ont été déclarées idéologiquement neutres et mASme marxistes si l'on interprète les schémas de reproduction élargie chez Marx comme des modèles mathématiques. C'est alors que les économistes soviétiques ont dénoncé l'irrationalité des prix qui complique singulièrement la tache de ificateurs. Selon Lénine, - le prix est la manifestation de la loi de la valeur -. Les principes de la formulation des prix, fixés dès 1925 et peu modifiés depuis, reposent sur la distinction fondamentale entre les prix de gros et les prix de détail, qui correspond A celle entre les biens de production et les biens de consommation, et sur l'impôt sur le chiffre d'affaires qui sert de tampon entre les prix de gros fixés d'en bas, en partant des coûts de production et les prix de détail fixé d'en haut, en partant de la somme des revenus distribués. Or ce système de formation des prix est irrationnel. La fonction stimulatrice des prix de gros, qui devrait résulter de la sous-évaluation des biens de production, décourage la gestion des entreprises, proque le gaspillage ou la pénurie au niveau des consommateurs, et gASne l'Etat lui-mASme comme ificateur en farisant une allocation des ressources qui n'est pas conforme aux raretés relatives. La seconde critique portée par les économistes soviétiques au système des prix concerne la différenciation par zone du prix des matières premières, ou - bigarrure des prix de gros, alors qu'ils préféreraient un prix comple unique qui détermine la répartition optimale de la production. Enfin, la fonction répartitionniste des prix de détail est généralement moins discutée que la formation des prix de gros, non que ces prix soient plus rationnels, mais parce qu'il est admis que leur formation puisse ne pas l'AStre. Manipulés selon les nécessités de l'équilibre entre l'offre et la demande, les prix de détail ne correspondent plus A la valeur-travail. Correspondent-ils A la valeur d'usage ? C'est ce que certains économistes prétendent. Diverses théories sur la formation des prix ont donc été débattues en URSS depuis 1957-58, parmi lesquelles on peut en distinguer quatre, en allant des plus orthodoxes aux plus rélutionnaires. Pour Stroumilinc, sans doute l'économiste le plus respecté de l'URSS pour sa fidélité au marxisme et pour les hautes dignités qu'il a méritées, notamment le titre d'académicien, qui représente beaucoup plus en URSS qu'en France, les prix doivent AStre proportionnels aux coûts en travail. Il a exposé celte thèse simple, irréprochable, directement issue du Capital dès 1928 (34) et l'a toujours affirmée depuis (35). Stroumiline part du calcul de la valeur de la production selon la formule C (capital fixe) + V (capital variable) + M (produit additionnel net qui est le taux de profit en régime capitaliste) et remarque que ce produit additionnel est seulement créé par le travail vivant dont il représente une valeur constante qu'il évalue A 0,75. La formule du prix de gros devient donc C + V + 0,75 V. A cette thèse deux objections ont été faites : d'abord celle d'AStre contraire au progrès technique en farisant les entreprises qui emploient beaucoup de travail, ensuite celle de nécessiter une compilité rigoureuse des dépenses socialement nécessaires en temps de travail, difficulté tout de mASme réduite par l'emploi des ordinateurs. On peut rapprocher des conceptions de Stroumiline celle de Kronrod (36), Ivanov (37) et Boïarski (38), bien que ce dernier conteste la valeur du taux global d'accumulation que Stroumiline chiffre A 0,75. Malychev apparait comme le chef d'une autre tendance, l'école des prix de production. Malychev, personnalité aussi marquée, mais très différente de Stroumiline - polémiqueur redoule (39) - selon H. Denis, veut, en se basant sur le Capital de Marx rebatir une théorie générale de l'économie socialiste et préfère parler de la compilisation sociale du travail que de la valeur (40). L'expression de - prix de production - se trouve dans le livre III du Capital où Marx explique que dans le régime capitaliste, le prix ne dépend pas uniquement des dépenses en travail, mais du profit, qui n 'est pas proportionnel au coût en travail mais au montant des capitaux investis. Or, pour Malychev, le socialisme doit aussi calculer les prix de production en incluant un taux de profit sur les fonds investis, car la loi de la valeur ne s'applique pas seulement au capitalisme, mais aussi au socialisme. Donc, dans la formule des prix, il évalue M en affectant aux capitaux fixes et circulants une norme d'efficacité globale qui est différente du taux global d'accumulation (le 0,75 de Stroumiline) puisque ce taux dépend du fonds de salaires alors que cette norme dépend aussi des capitaux fixes. Aussi pour Malychev la valeur provient du travail vivant et du travail matérialisé, tous deux sont directement sociaux ; on ne peut empAScher que la mASme quantité de travail crée plus ou moins de valeur selon les équipements utilisés. La mesure de la renilité des fonds productifs donne A la théorie du prix de production cette généralité que cherchait Malychev en fournissant A la fois un système de prix, la prise en considération du temps, un critère d'investissement utile A la ification sur le macroéconomique et un indice de gestion des entreprises sur le micro-économique. V.S. Nemchinov (45). académicien lui aussi, qui présidait le Conseil économique pour l'application des méthodes mathématiques dans la recherche économique et la ification jusqu'A sa mort, en 1964, estime qu'il faut tenir compte des propriétés d'usage de la production, dans le souci de son amélioration qualitative. La valeur d'usage n'est pas réservée A la formation des prix des biens de consommation mais aussi A celle des biens de production, la matière première de qualité supérieure devant par exemple AStre payée plus cher pour n'AStre pas gaspillée et éviter d'AStre rationnée. La rémunération de l'usage des équipements lui apparait moins comme une conséquence de la loi de la valeur que comme une nécessité pratique. Mais cette valeur d'usage doit faire l'objet d'une appréciation centralisée et non dépendre du marché. La reconnaissance de la valeur d'usage et non de la seule valeur-travail n'est-elle pas anti-marxiste puisqu'elle élit un lien entre le prix et l'utilité, môme si cette dernière est évaluée par le Gos et non par le consommateur souverain ? A cela Nemchinov et ses disciples Beloussov, Touretski et Diatchenko répondent qu'il s'agit d'une utilité sociale et non individuelle. Il ne faut retenir des dépenses en travail que celles qui créent une valeur d'usage, seules ces dépenses en travail seraient vraiment sociales. Cette justification semble un peu casuistique. Kantorovitch enfin représente une quatrième tendance : le marginalisme soviétique. Ce mathématicien est le vérile père de la programmation linéaire découverte par lui en 1939. Les auteurs américains dont les travaux sont postérieurs, puisque leur principales découvertes remontent A 1948-l950, l'ont eux-mASmes reconnu, notamment Koopmans ; seules les méthodes employées présentent quelques variantes. En URSS comme aux Etats-Unis la programmation linéaire consiste A déterminer le bénéfice optimum qu'un producteur peut espérer obtenir en combinant au mieux les prix et les quantités. Mais Kantorovitch (46), au lieu de déterminer les quantités en fonction des prix qu'il reconnait irrationnels, s'attache au problème dual de déterminer un système de prix connaissant les quantités. - Une méthode adéquate de ification doit conduire au optimum - qui suppose, non des évaluations quelconques mais des - évaluations objectivement déterminées -, traduisons des prix égaux aux productivités marginales. De mASme l'utilisation des facteurs de production nécessite l'introduction d' - évaluations locatives -, traduisons de la productivité du capital et de la rente. Certes Kantorovitch se défend d'un rapprochement avec les mar-ginalistes. - Les considérations qui précèdent peuvent rappeler certains principes de l'économie classique ou de l'école subjectiviste de l'utilité marginale. En réalité notre analyse est radicalement différente et elle présente sur elles l'avantage d'une approche scientifique et objective de son objet - (47). Ainsi les ressources naturelles étant limitées il faut tenir compte d'une rente qui correspond A l'économie de travail réalisée par l'utilisation de ces ressources. Mais cette rente différentielle socialiste n'a rien A ir avec la rente capitaliste. Elle n'est pas une partie de la plus-value appropriée par les capitalistes et fixée par le marché. Elle est - une partie des dépenses sociales de travail et une partie du produit social appartenant A la société -, reste la propriété du peuple et est - introduite sciemment - par le ificateur. Kantorovitch essaie alors d'élaborer une théorie de la croissance de l'économie socialiste. Cette croissance suppose l'utilisation la plus efficace possible des investissements, donc un critère qui est l'- efficacité normale -, traduisez l'efficacité marginale du capital, et non le délai de récupération qu'il critique A son tour. L' - efficacité normale - suppose qu'on actualise les dépenses et les recettes liées A l'investissement, non sur la base des prix en vigueur, mais sur celle des - évaluations objectivement déterminées - et qu'on les égalise pour tous les secteurs de l'économie. Le principal apport conceptuel de Kantorovitch est donc cette - évaluation objectivement déterminée -, variable duale, qui éque les prix fictifs qu'utilise Tinbergen pour résoudre le choix des investissements dans une économie sous-développée, et correspond en fait A un coefficient de productivité marginale en valeur des facteurs de production. Des prix rationnels doivent s'en inspirer mais, pour Kantorovitch, la politique des prix et des salaires justifie un écart normal entre un système de prix rationnels, tenant compte des - évaluations objectivement déterminées -, et ces dernières. Cette notion a été critiquée tant par Nemchinov, qui ne lui reconnait pas le caractère de dépenses de travail, mais d'un simple critère de répartition, que par Henri Denis qui craint qu'elle implique des calculs extrASmement complexes et ne soit applicable qu'aux équipements nouveaux. De son côté, Nojilov (48), autre mathématicien, a élaboré une notion isine, celle de dépenses différentielles et de dépenses de liaison inverse. Pour chaque méthode de production, il faut calculer les accroissements de dépenses ou dépenses différentielles qui se décomposent en dépenses directes et en dépenses de liaison inverse, c'est-A -dire le coût pour le reste de l'économie du fait qu'on affecte A certains produits des biens rares qui auraient pu AStre utilisés dans d'autres branches. Ces dépenses de liaison inverse correspondent A l'efficacité marginale du capital, autrement dit A l'efficacité normale de Kantorovitch. On it combien les conceptions de ces deux économistes sont proches. Toutefois ce marginalisme soviétique diffère de celui de Pareto en ce qu'il ne pousse pas le processus d'optimisation jusqu'au consommateur, en ce qu'il se réalise par les calculatrices électroniques de l'autorité ificatrice et non par les forces du marché et en ce qu'il proclame son rattachement A la valeur-travail, puisque l'- évaluation objectivement déterminée - reflète la productivité, laquelle est l'économie d'une dépense de travail. Pourtant Nemchinov ne semble pas convaincu que cette notion soit tout A fait orthodoxe. Mais la critique fondamentale qu'on peut adresser A ce marginalisme soviétique serait plutôt la suivante : n'y a-t-il pas d'autres conceptions de l'optimum que l'affectation des ressources selon leur productivité marginale ? b. ' La pensée économique dans les autres pays socialistes Pour des raisons politiques et institutionnelles, les autres pays socialistes ont d'abord posé et résolu leurs problèmes de ification et de développement selon les méthodes soviétiques. Pourtant l'atténuation de l'allégeance soviétique, la nécessité d'adapter la ification aux conditions particulières de chaque pays, les contraintes du commerce extérieur alors que l'immensité de l'URSS et la variété de ses ressources économiques lui permettent une certaine autarcie, ont fait apparaitre une pensée économique originale en Yougoslavie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Chine, pour ne retenir que quelques exemples. L'effort d'adaptation aux conditions économiques s'est traduit en Yougoslavie par une nouvelle version de l'économie socialiste caractérisée par la ification décentralisée, l'autogestion ouvrière et la concurrence socialiste. Ce pays a en effet rompu avec le Kominform dès juin 1948, sans raison précise apparente, en fait A cause d'une rivalité profonde qui envenimait ses rapports avec l'URSS, le soutien populaire de la rélution ayant été plus large en Yougoslavie qu'en URSS. Mais jusqu'en 1950, la Yougoslavie a pratiqué un système de ification rigide conA§u sur le modèle soviétique. La rupture de 1951 s'explique A la fois par une crise économique et par une crise doctrinale qui a porté sur les modalités de la période de transition entre le capitalisme et le socialisme et sur la condamnation de la bureaucratie. La méthode d'analyse du marxisme-léninisme est restée scrupuleusement observée par l'équipe de Kardelj et de Djilas, puisque la rupture avec le Kominform ne résultait d'aucun ébranlement dans leurs convictions marxistes. Mais ceux-ci estiment que Marx n'a indiqué aucune d'action systématique pour une société en ie de transformation socialiste. C'est donc A tort que l'expérience soviétique en la matière a été généralisée. Or la ie de transformation socialiste comporte des variantes autour du thème central du dépérissement de l'Etat et de son corollaire, la démocratie du système. Le niveau de conscience sociale est certes encore insuffisant, les masses, peu prolétariennes, mais elles doivent participer au système, sinon l'état-major rélutionnaire devient lui-mASme un frein pour toute l'élution socialiste et l'élution risque d'AStre arrAStée par le bureau-cratisme. Pour Kardelj et Djilas, le bureaucratisme prend donc un sens beaucoup plus large que celui d'une méthode de fonctionnement des administrations. C'est une méthode de gouvernement, une caste sociologique dont les intérASts propres s'opposent A ceux des producteurs. Elle est antidémocratique, antiprolétarienne, mène A l'impasse du capitalisme d'Etat et arrASte l'élution vers le communisme. Bref, ils n'ont pas de mots assez durs pour flétrir le bureaucratisme. Ceux de Milovan Djilas (49) initialement membre du quadriumvirat qui dirigea la Yougoslavie A la Libération et théoricien officiel du titisme ont été si corrosif qu'ils ont atteint le régime yougoslave, ont fait de lui un renégat et l'ont enyé de longues années en prison. L'élution ultérieure de la Yougoslavie laisse cependant douter que ce pays ait trouvé la ie de transformation socialiste la plus directe vers le communisme. En Hongrie et en Pologne, économies plus dépendantes de leurs échanges extérieurs, la théorie économique s'est orientée A partir des années cinquante vers la recherche de modèles d'optimalisation du commerce extérieur. Antérieurement, l'objectif assigné au commerce extérieur était de satisfaire la demande d'importations indispensables. La structure des échanges était donc déterminée par les balances-matières et par les balances des paiements bilatérales du pays avec chacun de ses partenaires commerciaux. Si, au contraire, l'objectif du commerce extérieur est de bénéficier de la division internationale du travail et de réduire les dépenses de travail socialement nécessaires, un grand nombre de choix s'impose : quelles exportations choisir ? Faut-il importer ou recourir A la production domestique ? Quel montant d'investissement entreprendre dans le secteur des exportations pour fabriquer les produits échangés contre les importations, etc. ? Les recherches commencées en Hongrie en 1954 par Tibor Liska et Antol Marias ont d'abord essayé de dégager toute une famille de coefficients d'efficacité des exportations faute de pouir utiliser des taux de change rationnels, avant que Mycielski, un disciple de Kantoro-vitch, et Trzeciakowski élaborent un modèle général d'optimalisation du lume, de la composition et de l'orientation du commerce extérieur, fondé sur des prix comples pour tenir compte des raretés et des possibilités d'importations et d'exportations. C'est aussi un économiste polonais. Oscar Lange (1904-l965), qui a essayé, en intégrant les contributions bourgeoises telles que le marginalisme et le keynésianisme, A la théorie économique marxiste, de construire une économie généralisée. Doué d'une vaste érudition. Oscar Lange fut en effet d'abord formé A la pensée néo-marginaliste. puis keynésienne. Il fui mASme professeur A l'Université de Chicago avant la Seconde Guerre mondiale. Il n'était alors pas encore marxiste, mais le marxisme le séduisait déjA comme théorie économique et extra-économique des phénomènes de longue période. La Seconde Guerre mondiale le ramena dans le camp socialiste où il mena de front l'activité de professeur A l'Université de Varsovie, celle de président du Conseil économique de Pologne, de membre du Praesidium et de l'Académie des sciences et de président de la Commission du et du budget de la Diète polonaise. Dans La Théorie économique du Socialisme (50), bref ouvrage qui regroupe deux articles écrits en 1936 et 1937 dans l'American Economie Review, Oscar Lange esquisse la théorie économique du socialisme et prouve la possibilité pratique de son fonctionnement, contrairement A l'opinion de Von Mises, dont il prend pour point de départ la célèbre controverse qui l'a opposé vers 1900 A Enrico Barone. Il suppose d'abord que la liberté de choix des consommateurs et la liberté de choix des emplois sont maintenues et démontre que les prix d'équilibre peuvent AStre déterminés par tatonnements A partir de niveaux historiquement déterminés. Puis, abandonnant ces deux hypothèses, il estime qu'un système de prix comples peut encore fonctionner, mais qu'il reflète l'échelle de préférence du Bureau central de Planification et conclut que - le danger réel du socialisme est celui de la bureaucratisation de la vie économique (51) -. Si l'on trouve quelques bonnes analyses du fonctionnement de l'économie chinoise, la pensée économique chinoise ne semble guère air été étudiée en France. Seul Ch. Bettelheim allie sa connaissance de la théorie économique occidentale et marxiste A l'expérience directe de la Chine. La théorie de la croissance chez Mao Tsé-toung, qui est avant tout un théoricien marxiste et un Chinois xénophobe, a deux sources d'inspiration, le marxisme-léninisme et les réalités chinoises. Il faut en chercher les fondements dans ce que Mao Tsé-toung appelle les contradictions au sein du peuple (52). Selon lui, il existe deux sortes de contradictions très différentes, - entre nous et nos ennemis -, c'est-A -dire la force réactionnaire de l'impérialisme (A l'intérieur, les capitalistes et A l'extérieur, les Etats-Unis), et les contradictions - au sein du peuple -, notamment celles entre les rapports de production, la superstructure et les forces productives, la base économique. Or, le rythme de développement dépend de l'ajustement des rapports de production aux forces productives : meilleur il est, plus le développement peut AStre - impétueux -. Ces principes marxistes fermement posés, Mao recourt A la méthode empirique pour réduire les contradictions au sein du peuple, car elle seule peut résoudre la contradiction entre les lois objectives du développement économique et notre connaissance subjective. La suppression progressive de ces deux contradictions a pour conséquence le développement en spirale. Les rapports de production et les forces productives sont donc A la fois ajustés et en contradiction, la correspondance entre la superstructure et la base économique est sans cesse remise en question. Un processus de réajustement constant est nécessaire pour parvenir A un équilibre toujours réduit entre la production et les besoins de la société, l'accumulation et la consommation, les s doivent AStre perpétuellement réajustés et l'on progresse de déséquilibre en déséquilibre. Cette méthode est censée permettre une accélération du développement par rapport au développement régulier d'une ification quinquennale. Un tel développement est en tout cas mieux adapté aux conditions économiques naturelles de la Chine, continent régulièrement soumis A des cataclysmes, A des inondations et A des famines consécutives A des récoltes si mauvaises qu'on a souvent dit que l'agriculture chinoise connaissait, comme l'Egypte, l'alternance de vaches grasses et de vaches maigres. Mais l'inégalité de développement est dans le temps, elle n'est pas sectorielle. Pour Mao, les choix entre l'industrie et l'agriculture ou entre l'industrie lourde et l'industrie légère sont de faux dilemmes. L'économie doit connaitre un équilibre rationnel entre les secteurs, selon le principe qu'il faut - marcher sur deux jambes -. Un tel développement assure seul l'indépendance économique nationale. La Chine ayant été longtemps un pays - aliéné -, l'édification d'une économie indépendante est une des préoccupations principales de Mao et l'exemple A offrir aux autres pays sous-développés. Les conceptions économiques chinoises sont donc remarquables par leur empirisme, l'originalité de la théorie du développement par bonds et l'attrait qu'elles présentent pour les pays sous-développés. Ce qui frappe enfin, c'est que, quelle que soit la variété des situations économiques en U RSS, en Pologne, en Yougoslavie ou en Chine, une réelle originalité intellectuelle s'allie A une constante préoccupation d'orthodoxie marxiste.
Après le révisionnisme d'Henri de Man pendant les années trente, le marxisme s'est caractérisé en Occident par un retour A l'économie pure de Marx, tout en admettant qu'en un siècle, le capitalisme se soit considérablement transformé. Le structuralisme a donné du marxisme une version épistémologique originale avec Althusscr. Quant au message sociologique de Marx, ses mérites ont été reconnus par tous les économistes, de quelque tendance qu'ils soient. |
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