En créant l'écu, les promoteurs du SME ont eu une visée beaucoup plus longue qu'en instaurant la zone de parités fixes : il s'agissait de poser les bases d'une future monnaie européenne. On définit son mode de calcul, pour lui donner une valeur ; on lui attribue un nom ; on définit des règles strictes d'émission. Une valeur, un nom, des règles : trois ingrédients de base pour fonder une monnaie, qui repose sur la confiance et la loi et qui permet le calcul. Le dispositif initial du SME comporte deux volets : d'une part, il donne un mode de calcul de l'écu de faA§on A ce qu'il puisse servir d'unité de compte ; d'autre part, il définit un mode d'émission d'- écus officiels .- (sous forme d'avoirs bancaires au Fonds européen de coopération monétaire, FECOM) au profit des banques centrales.
La valeur de l'écu, l'écu monnaie-panier
La valeur de l'écu est déterminée par une somme pondérée des monnaies européennes, qu'elles soient ou non incluses dans la zone de flottement concerté : le cours de chaque monnaie se calcule A 1'aide de - coefficients fixes - de chaque monnaie appelés ici a, b, c, d On a ainsi : 1 ecu = a dm + b fr + c Les coefficients ont été fixés en 1979 et réajustés en 1984 et en 1989, pour tenir compte de l'entrée de nouaux membres et de la distorsion des pondérations dues aux dévaluations et aux réévaluations ; ils sont gelés ensuite. En 1989, les coefficients ont été fixés aux niaux suivants :
1 écu = 0,624 dm + 1,332 fr + 0,088 A£
En multipliant le cours pivot ' (ici en franc) de chaque monnaie par son coefficient, on obtient le poids (exprimé en franc) de chaque monnaie, d'où l'on déduit la valeur de l'écu (ici 6,63 francs) et les pondérations exprimées en pourcentage.
H résulte de cette formule que l'écu est une monnaie dont la valeur est variable en fonction des fluctuations des taux de change des monnaies européennes, qu'il s'agisse, pour les monnaies incluses dans le mécanisme de change, des fluctuations de cours, entre leur cher et leur plafond, ou de modifications de leur taux pivot. Par ailleurs, les fluctuations des monnaies européennes, non incluses dans le mécanisme de change (comme la livre sterling jusqu'en 1990 et après 1992) et présentes dans l'écu, affectent sa valeur.
Quelles sont les conséquences des variations de cours d'une monnaie sur la valeur de l'écu ? Pour répondre A cette question, on envisage un cas simplifié d'un écu qui vaudrait 7 francs et 2 marks, et qui serait composé A hauteur de 30 % de mark. Quelles sont les conséquences d'une réévaluation de 10% du mark par rapport A toutes les autres monnaies ? Elles sont différentes selon la monnaie considérée (voir . 41 ). En franc (ou dans les autres monnaies européennes en dehors du mark), la part de l'écu qui correspond au mark est réévaluée de 10% (passant de 2,1 A 2,31 francs), tandis que l'autre reste A la mASme valeur ; la valeur de l'écu passe de 7 A 7,21 francs, enregistrant ainsi une hausse de 3 % ; une fraction de l'écu (soit 30 % du total) a augmenté de 10 %. Si l'on raisonne en mark, ce qui est inchangé, c'est la part représentée par le mark, alors que la part représentée par les autres monnaies (70 %) se déprécie de 10 % ; au total, l'écu, exprimé en mark, passe de 2 A 1,86 mark et baisse de 7 %. Quelle que soit l'unité utilisée, le poids du mark augmente, passant de 30 A 32 %.
Cet exercice montre que :
-lorsque le cours d'une monnaie monte, le cours de l'écu exprimé dans cette monnaie s'abaisse, d'autant plus que le poids de cette monnaie est faible. En sens inrse, lorsque le cours d'une monnaie baisse, le cours de l'écu exprimé dans cette monnaie s'élè, d'autant plus que le poids de cette monnaie est faible ;
-la modification du cours d'une monnaie a d'autant plus d'impact sur la valeur de l'écu - exprimée dans les autres monnaies - que le poids de cette monnaie est forte ;
- la réévaluation d'une monnaie a pour résultat d'augmenter le poids de cette monnaie. De faA§on symétrique, une dévaluation fait baisser le poids de la monnaie dévaluée : les coefficients de pondération sont très sensibles aux réaménagements de parités ; entre 1979 et 1983, le taux pivot de l'écu en franc est passé de 5,80 A 6,80 (+ 17 %), ce qui fait passer le poids du franc dans l'écu de 20 A 17 %.
Il en résulte que l'évolution du cours de l'écu, que celui-ci soit envisagé par rapport aux monnaies européennes ou par rapport aux monnaies tierces, est moins variable que chaque monnaie européenne prise isolément. L'écu tire son avantage principal de cette caractéristique. Comme moyenne, l'écu est relatiment sle et donc attractif. Par ailleurs, et de faA§on assez paradoxale, l'attrait de l'écu est d'autant plus grand que les taux de change entre les monnaies européennes sont insles. En d'autres termes, l'écu se porte d'autant mieux que le système de parités fixes du SME fonctionne mal ! En contrepartie, l'écu, comme moyenne, est dépendant des éléments qui le constituent : toute modification de la valeur d'un de ses composants se répercute sur sa valeur. Or, cette dépendance de l'écu nuit A un rôle d'étalon : pour qu'une unité puisse jouer vérilement un rôle d'étalon, il est nécessaire que sa valeur ne soit pas dépendante de ce qu'elle est censée mesurer. La force et la faiblesse de l'écu tiennent également A son caractère de moyenne.
L'émission des écus : l'écu officiel, une monnaie de substitution
L'écu est non seulement une unité pour compter dont on définit le mode de calcul, mais c'est aussi des avoirs bancaires détenus par les banques européennes au FECOM : dans le SME, les banques centrales apportent au FECOM 20 % de leurs avoirs en or et en dollars et reA§oint en contrepartie, sous forme de crédits croisés A trois mois (swaps), des écus. En d'autres termes, le volume d'écus détenus est d'autant plus fort que les résers en or et en dollars sont fortes : les résers en écus mises A la disposition des banques sont dépendantes du cours de l'or, du cours du dollar et du volume de dollars détenus par les banques centrales. Il est très surprenant que les Européens, définissant les règles d'émission d'un écu, censé denir A terme un concurrent du dollar, aient élaboré un mécanisme dans lequel le volume des écus est réglé sur le volume des résers en dollars et sur le cours du dollar !
Surtout, l'écu n'est pas une vérile monnaie, c'est une monnaie de substitution ; c'est, en quelque sorte, des dollars et de l'or - déguisés - en écus : - Les résers en écus n'ont pas d'existence propre, elles représentent seulement sous un autre nom l'or et les dollars que la Banque centrale intéressée possède en propre '. - Ce n'est pas une monnaie créée ex nihilo, ou plus exactement en contrepartie de crédit, A la différence d'une partie des DTS du FMI. Les instances monétaires européennes n'ont pas la capacité de créer de la monnaie par le crédit.