On en a déjà rencontré : le statut des nomades est inutilement discriminatoire; la situation des détenus n'est pas toujours adaptée. On peut penser également aux inégalités sociales. Les chômeurs sont privés du droit au
travail et, par manque de ressources, de bien d'autres. Les solutions relèvent plus de la gestion économique que de l'élution du droit.
D'autres « discriminations » sont souvent équées1. On s'y attachera à titre d'exemple, en notant la diversité des personnes mentionnées. Il s'agit des femmes, des aliénés, des militaires et des étrangers.
1 Les femmes
Le principe d'égalité. - Sans doute, la force physique de l'homme n'est-elle pas étrangère à ce que presque toutes les civilisations de l'Antiquité l'aient considéré comme supérieur. A l'inverse, la religion chrétienne ne distingue pas, au moins au point de vue spirituel, entre hommes et femmes, notamment quant à leur responsabilité individuelle face au salut2. Mais, globalement, l'état des mours a été déterminant et la civilisation occidentale a fait à la femme, le plus souvent, une place à la fois inférieure et différente. C'est, précisément, cet état des mours qui a élué dans les civilisations contemporaines, probablement parce que, du fait des élutions techniques, la force physique a moins d'importance que jadis.
De nombreux actes et traités internationaux posent le principe d'égalité entre hommes et femmes. Il en va de même dans le
droit communautaire. En droit français, on considère, aujourd'hui, que le principe d'égalité, posé par la Déclaration de 1789, s'applique aussi aux relations hommes-femmes, ce qui n'entrait sans doute pas dans les intentions de ses rédacteurs. En revanche, le préambule de la Constitution de 1946 est plus explicite lorsqu'il garantit à la femme « dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme ». Ce principe d'égalité, le législateur est intervenu pour le mettre en ouvre juridiquement, ce qui est normal. Mais, fait plus exceptionnel, il est également intervenu pour inciter à sa mise en ouvre effective.
A - La mise en ouvre du principe d'égalité
La vie familiale. - En dehors des règles anciennes tendant à assurer la protection de la maternité, c'est-à-dire de la mère et
de l'enfant à naitre, de nombreuses règles, relevant du droit civil (auquel il convient en l'occurrence de se reporter), tendent à assurer l'égalité des conjoints et l'égalité des parents. On citera seulement, pour exemple, les règles relatives à l'autorité parentale (1970), à l'usage du nom (1985)
La vie professionnelle. - Il s'agit là d'un domaine de prédilection pour la mise en ouvre du principe d'égalité.
En droit du travail, le législateur a tenté, à plusieurs reprises, d'assurer une égalité de rémunération entre hommes et femmes pour des travaux de valeur égale (cf. loi de 1972). La loi du 13 juillet 1983 a été plus loin en en donnant une définition : il s'agit de travaux qui exigent un ensemble able de
connaissances professionnelles, mais aussi de responsabilités et de charges physiques ou nerveuses (art. L 140-2 du Code du travail). A ce principe, s'ajoute celui de non-discrimination. Déjà posé en 1975, il a été précisé par la loi du 13 juillet 1983 (art. L 123-l du Code du travail). On ne peut pas prendre en considération, dans une annonce ou offre d'emploi, le sexe des individus, sauf dans les cas déterminés par décret. On notera d'ailleurs que ce type de règles risque de faire poursuivre les employeurs qui auront eu la naïveté de faire sair explicitement qu'ils entendent recruter un homme de préférence à une femme, mais non ceux qui l'auront fait sans l'air dit
Le droit de la
fonction publique a souvent été considéré comme plus farable au recrutement et à la carrière des femmes, ne serait-ce que par la place qu'il accorde au procédé du concours qui fournit, d'une façon plus générale, une garantie de
neutralité et de non-discrimination. Le principe d'égalité y est la règle4. La seule exception consiste à procéder à des recrutements distincts (concours réservés aux hommes ou aux femmes) lorsque l'appartenance des candidats à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante pour l'exercice des fonctions. Des décrets déterminent les corps pour lesquels il est possible de procéder à un tel recrutement, ceci, naturellement, sous le contrôle du juge. Ce système a été considéré comme insuffisamment modulé par
la Cour de justice des communautés européennes. Les pouirs publics doivent déterminer par emploi, et non par corps, les recrutements pour lesquels l'appartenance à l'un ou l'autre sexe est déterminante*. Actuellement, il est encore trop tôt pour sair comment le législateur tirera les conséquences de cette jurisprudence communautaire.
Quoi qu'il en soit, d'un point de vue strictement juridique, les hypothèses d'inégalité sont très limitées et pas toujours à sens unique. On peut rappeler que le service national obligatoire ne pèse que sur les hommes. Dans un domaine tout différent, qui a même intéressé le cinéma, on constate que la justice confie plus lontiers les enfants de dircés à la mère qu'au père.
Les discriminations subsistantes sont avant tout de caractère économique. Elles ne se situent pas tant au niveau des rémunérations perçues qu'au niveau des responsabilités exercées. Les jeunes filles sont orientées vers des professions « féminines », où les débouchés sont plus limités, les carrières moins ouvertes, les rémunérations plus faibles. C'est surtout pour cette raison que les rémunérations féminines sont, en moyenne, moins élevées, de même que les niveaux de responsabilités exercées. Il y a moins de femmes cadres supérieurs. Dans la fonction publique et l'enseignement, elles se trouvent rarement aux échelons les plus élevés. C'est pour cette raison que les pouirs publics, depuis plusieurs années, se sont lancés dans une politique d'incitation à une mise en ouvre effective du principe d'égalité.
B - Les incitations à la mise en ouvre du principe d'égalité
La nature des incitations. - Ces incitations sont de natures très diverses. Elles ont souvent été organisées à partir des ministère ou secrétariat d'Etat aux Droits de la femme. On en donnera trois exemples :
- La mise en place de « quotas » : Une certaine analyse a pu conduire à estimer que les femmes n'occupent pas assez d'emplois de responsabilité, notamment dans le domaine politique, et qu'une action prioritaire doit commencer par là. Telle fut la lonté du législateur lorsqu'il imposa que les listes présentées au suffrage des électeurs lors des élections municipales comportent au moins 25 % de personnes de l'un ou l'autre sexe. Le Conseil constitutionnel censura cette règle. Les principes constitutionnels de liberté de te et d'éligibilité « s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles »'.
D'une façon plus générale, la règle du quota, même décidée dans de bonnes intentions, n'est pas exempte de dangers. D'abord, parce qu'elle est sans limites. Pourquoi imposer un quota en faveur des femmes mais pas également en faveur des jeunes, des vieux, des agriculteurs, etc.? Pourquoi se limiter aux élections municipales et ne pas imposer une alternance s'appliquant au chef de l'Etat, aux maires, aux présidents d'Université? Mais, de plus, cette règle peut se retourner contre les intéressés. Dans le but, tout à fait louable, de lutter contre les inégalités sociales, les Etats-Unis ont mis en place des quotas, réservés aux étudiants de couleur, à l'entrée des Universités. Ceci a abouti à ésectiuner des candidats mieux notés, mais qui avaient le malheur d'être blancs : racisme à rebours. En outre, les Noirs apparemment bénéficiaires de cette mesure risquent ultérieurement d'en subir des conséquences négatives. Parce que certains étudiants auront été admis uniquement à cause de leur race, les diplômés de couleur, dans leur ensemble, seront jugés moins qualifiés que les autres. Tout médecin ou acat noir, pour ne prendre que cet exemple, sera soupçonné de ne deir son titre qu'à la couleur de sa peau. N'en irait-il pas de même au détriment des femmes?
- Une action dans le cadre scolaire : On peut s'attacher au cadre scolaire afin d'obtenir une modification des comportements. La généralisation de la mixité, diversement appréciée, a entendu aller dans ce sens. De nombreuses propositions ont concerné les manuels scolaires et l'image qu'ils donnent de la femme. Celle-ci serait plus souvent montrée au foyer, dans certaines professions, dans les taches ménagères. Certes, on peut transmettre, par le biais des manuels, toutes les images sociales que l'on veut. Mais laquelle choisir? L'image du passé, auquel cas ils jouent au sens étymologique un rôle « conservateur », le reflet de la société actuelle, attitude apparemment la plus neutre, ou l'image de la société future. Mais qui peut prédire l'avenir? Il y aura nécessairement des choix idéologiques sous-jacents. De même, et toujours dans le cadre scolaire, on peut orienter les filles vers les mêmes carrières que les garçons. Mais devra-t-on le faire d'autorité, ou respecter le choix des parents? Faut-il raisonner par rapport aux emplois actuels ou par rapport aux emplois futurs?
- Une action dans le domaine professionnel : Des camnes publicitaires ont eu pour but d'inciter les jeunes filles à effectuer des métiers traditionnellement « masculins ». Mais le législateur a entendu être plus directif. Des contrats pour l'égalité professionnelle dans l'entreprise peuvent définir des s négociés qui tendront à fariser la promotion féminine. Un Conseil supérieur de l'égalité professionnelle veille à l'élution générale de cette politique. Comme on peut s'en rendre compte, au nom du principe d'égalité, on admet que des mesures inégalitaires soient prises en faveur des femmes. Ce sont d'ailleurs les seules inégalités tolérées par la loi, ce qui peut amener à réfléchir à la légitimité de telles incitations.
La légitimité des incitations. - Comme on vient de le montrer, la politique menée en faveur de l'égalité entre hommes et femmes est une politique incitative. Depuis plusieurs années, l'Etat ne se contente plus de proclamer le principe. Il tente de le rendre effectif. Une telle attitude de la part des pouirs publics est suffisamment exceptionnelle pour mériter d'être relevée. Remarquons, par exemple, que ces derniers sont loin de s'engager aussi nettement, lorsqu'il s'agit d'assurer l'égalité des jeunes travailleurs ou des préretraités, ire des handicapés. De même, jamais des efforts d'une telle ampleur n'ont tenté d'obtenir l'égalité des travailleurs manuels et intellectuels. Chose encore plus étonnante, il y a une continuité politique dans cet effort. Même si les dernières réformes datent de l'époque 1981-l986, où la gauche était au pouir, il n'y a pas eu de rupture, mais plutôt une prolongation des tendances antérieures.
Pourtant, et sans même se prononcer sur son opportunité, qu'il appartient à chacun d'apprécier, une telle politique n'est pas sans poser de questions théoriques, notamment quant aux rapports qui doivent s'élir entre les mours et le droit. Tout un courant de la pensée juridique, depuis Montesquieu, pense que le droit peut modifier le droit, mais que seules les mours pouvaient changer les mours. Ici la règle de droit a pour but de faire éluer les mentalités.
Enfin, cette recherche d'une égalité effective entre hommes et femmes permet de se poser trois questions plus fondamentales :
- Par rapport à la neutralité de l'Etat : il appartient à l'Etat de faciliter l'exercice de leurs droits par les administrés. Lui appartient-il de prôner un certain modèle?
- Par rapport au principe d'égalité : l'égalité souhaile entre hommes et femmes est-elle une égalité par identification des modèles et des rôles ou une égalité respectueuse des différences dont elle s'enrichirait?
L'ethnologie semble nous apprendre qu'il y a peu de rôles exclusivement masculins ou féminins, mais que toutes les sociétés reposent sur une distinction, variable, des rôles. Faut-il que les hommes et les femmes se ressemblent, et jusqu'à quel point?
- Par rapport à la liberté : dans les sociétés occidentales, le droit de faire des études et de mener une carrière professionnelle est un aspect de la liberté dont disposent les femmes. Mais le choix qui consiste à se consacrer à son foyer et à l'éducation de ses enfants, ne correspond-il pas, aussi, à l'usage d'une liberté, refusée de par le monde, en droit ou en fait, à beaucoup de femmes ?
La liberté de choix. - Dans une société comme la nôtre, chaque individu, chaque couple, a ses préférences. L'Etat libéral n'a pas à intervenir directement dans ces choix. Si le versement d'un salaire maternel est discule dans la mesure où il correspondrait à la lonté de faire prévaloir un certain mode de vie, son absence n'est-elle pas injuste si elle aboutit à méconnaitre les économies que les femmes au foyer font réaliser à la société (crèches, cantines, non-déduction de frais de garde d'enfants).
Sair, pour un couple, quel mode de vie ils entendent choisir, quelle répartition des taches ils entendent opérer, quelle place ils souhaitent accorder à la réussite professionnelle, à la vie sociale, à la vie familiale ou à l'éducation de leurs enfants relève, dans un Etat libéral, de leur conscience et non d'un choix qui leur serait imposé de l'extérieur, que ce soit même par les modes ou par les nécessités économiques*.
La question mérite d'être posée, ne serait-ce qu'en termes d'égalité.
2 Les aliénés
La loi du 30 juin 1838. - L'internement des aliénés est encore régi par une loi du 30 juin 1838. Celle-ci avait le mérite de définir
des procédures simples et claires. Elle présente l'inconvénient de reposer sur une conception très étroite du traitement psychiatrique, supposant l'isolement du malade, et une définition trop simpliste de l'aliénation mentale : « On est aliéné ou on ne l'est pas », avait déclaré le ministre, lors des débats parlementaires. Il aurait pu citer le Code civil définissant l'aliéné comme une personne « en état habituel de démence, fureur ou imbécillité »10. Il est évident que les problèmes sont, aujourd'hui, posés en termes fort différents.
Les divers types de placements. - La loi préit plusieurs hypothèses :
- la plus simple correspond à une demande de soins émanant d'un malade qui sera traité, soit en milieu hospitalier, soit en dehors;
- le placement d'office concerne les aliénés présentant un danger pour l'ordre ou la
sécurité publique. Le préfet décide de leur internement par arrêté motivé. Compte tenu des conceptions de l'époque, l'autorité administrative était parfaitement apte à vérifier, à la fois, l'état d'aliénation et le danger présenté, supposés évidents l'un et l'autre. En fait, aujourd'hui, le préfet demandera immédiatement un examen médical. Celui-ci doit, selon la loi, intervenir dans les vingt-quatre heures suivant l'internement, puis dans les quinze jours et régulièrement par la suite11. Les maires en province, les commissaires de police à Paris, peuvent intervenir à titre provisoire en cas d'urgence;
- tout aussi contraignante est l'hypothèse du placement curieusement qualifiée de « lontaire ». Il permet à un particulier (normalement un proche parent) de demander un internement, en produisant un simple certificat médical. D'autres examens sont, bien entendu, ultérieurement indispensables.
Les contrôles. - Ils incombent d'abord et principalement aux médecins et à la direction de l'élissement de soins. La loi préit, en outre, un contrôle préfectoral, qui sera, en fait, assuré par les services départementaux compétents, et une surveillance du procureur de la République. Les magistrats du parquet, débordés de travail par ailleurs, l'effectuent inégalement selon les cas1*.
La principale garantie conférée aux malades consiste dans la possibilité qui leur est donnée, ainsi qu'à leurs parents, de s'adresser sans aucune limitation aux tribunaux judiciaires, gardiens de la liberté individuelle14. Ceux-ci ont tous pouirs pour vérifier le bien-fondé de l'internement et ordonner, si nécessaire, la sortie de l'intéressé. La loi « Sécurité et liberté » du 2 février 1981 permet à tout malade et à ses proches de s'adresser « en la forme des référés et après un débat contradictoire » au président du tribunal de grande instance16.
Les juges judiciaires ordonnent périodiquement des sorties d'hôpitaux psychiatriques1*. On peut cependant noter que les risques d'arbitraire sont rarissimes dans le cas d'internement d'office. Ils sont un peu plus fréquents en cas d'internements « lontaires », car, hélas, ceux-ci servent parfois à se débarrasser d'un parent ou conjoint encombrant. Le fait qu'un juge ordonne une sortie signifie, d'ailleurs, que l'hospitalisation forcée ne lui semble pas indispensable. Elle ne signifie pas toujours qu'elle était dénuée de fondement. Dans ces conditions, faut-il réformer le droit ?
La réforme du droit. - On a parfois demandé qu'aucun internement ne puisse être décidé sans qu'intervienne, au préalable, une décision judiciaire. Cette solution est parfaitement logique au des principes. Mais elle soulève, en fait, plus de questions qu'elle n'en résout.
L'intervention d'un tribunal risque de nuire à la discrétion qui doit entourer un tel traitement. Elle risque de perturber l'équilibre du malade inconscient de son état. Elle risque, enfin, d'entrainer une confusion dans son esprit entre traitement et mise en détention. De plus, les juges devront consulter des experts et cette intervention ne fera que transférer le pouir réel de décision d'un psychiatre à un autre. Enfin, peut-on régir ainsi une matière éminemment complexe ?
Beaucoup de facteurs jouent et le principe d'égalité sera difficile à respecter. L'internement, indispensable pour certains malades isolés, ne le sera pas nécessairement pour une personne entourée de sa famille. Les relations avec le médecin doivent être empreintes de confiance.
L'intervention du juge, représentant ici l'honnête homme, ne saurait être écartée. Peut-être, contrairement aux principes, ne doit-elle être qu'a posteriori.
3 Les militaires
La place des militaires dans la nation. - Elle ne posa guère de problèmes sous l'Ancien Régime, dans la mesure où les sujets ne possédaient pas de droits politiques, et où les armées étaient très réduites et composées, pour l'essentiel, de soldats de métier (souvent étrangers). Il n'en va plus de même avec la Rélution, qui recrute, en masse, parmi des citoyens accédant à la vie politique. Le premier principe posé est celui de la neutralité, précisément parce qu'il n'était pas, spontanément, respecté : « Nul corps armé ne peut exercer le droit de délibérer, la force armée est essentiellement obéissante »".
Le xixe siècle va éluer entre deux conceptions : la première traduit la lonté d'intégrer les militaires à la Nation. Fonctionnaires, ils sont soumis à une obéissance stricte dans le cadre de leurs fonctions. Individus, ils redeviennent des citoyens ordinaires, hors de leur service, et jouissent de tous les droits politiques. Cette attitude est, plus ou moins, celle de la période rélutionnaire, de la Monarchie de Juillet et de la IIe République. Une seconde conception conduit à procéder au « cantonnement juridique » des militaires. Elle sera retenue sous la IIIe République. La loi de 1872 requiert du militaire une neutralité absolue, lui interdit d'exprimer une opinion politique, lui retire le droit de te et l'éligibilité. L'armée est alors la « Grande Muette ». La recherche de la cohésion et de l'unité du corps, en dehors de toute idéologie, débouche sur une sublimation de la discipline.
Ce régime était-il acceple dans une
démocratie libérale? On en douta de plus en plus. On en veut, pour preuve, les nombreuses propositions parlementaires tendant à modifier cette situation. Parmi les motifs inqués, relens-en deux : il est dangereux de maintenir l'armée séparée de la nation; les militaires doivent disposer de droits politiques, ne serait-ce que pour défendre leurs intérêts matériels. Un troisième argument apparut après la guerre : on ne peut plus refuser le droit de te aux militaires dès lors qu'on l'accorde aux femmes, sans déséquilibrer la composition du corps électoral. De fait, la réintégration des militaires dans leurs droits politiques résulte de l'ordonnance du 17 août 1945 modifiée par la loi du 13 juillet 1972 qui pose les bases du droit positif actuel.
Le principe de liberté et les exceptions. - L'article 6 de la loi de 1972 pose un principe de liberté : « Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens » mais il ajoute aussitôt, « toutefois l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées par la présente loi ». Quelles sont ces limites?
La liberté d'opinion, ou de croyance (philosophique, religieuse ou politique) est reconnue par l'article 7. Mais une autorisation ministérielle est nécessaire si un militaire veut traiter d'une question politique, en mettant en cause une organisation internationale ou une puissance étrangère". Par ailleurs, l'autorité militaire peut interdire, dans les casernes, les publications susceptibles de nuire au moral ou à la discipline.
La liberté politique est admise. Les militaires possèdent le droit de te et sont éligibles. Cependant, il leur est interdit d'adhérer à un parti politique sauf durant la camne électorale précédant les élections au cours desquelles ils sont candidats*1.
Les militaires peuvent adhérer à des associations. Us sont cependant tenus d'informer l'autorité militaire des responsabilités qu'ils y exercent. Par ailleurs, il leur est interdit d'adhérer à une association politique", de se syndiquer et de faire grève.
La neutralité de l'armée. - Toutes ces limitations nt dans le même sens : l'armée ne doit pas constituer un enjeu dans le
débat politique. Elle ne doit pas sembler avantager le gouvernement ou l'opposition. Un large assentiment existe, en France, autour de cette idée. A l'inverse, on peut faire valoir l'exemple des Pays-Bas4'. On peut ajouter que les policiers et les magistrats peuvent se syndiquer et adhérer à des partis à condition de ne pas méconnaitre leur obligation de réserve. Pourtant, leur neutralité- importe autant, dans une démocratie, que celle de l'armée. En revanche, la discipline s'accommoderait difficilement d'une certaine politisation.
Un médiateur pour les armées. - Tous les arguments sont affaire de mentalité. On peut précisément se demander si le
régime disciplinaire en vigueur dans les forces armées n'est pas en contradiction avec l'état de droit qui régit la société civile. Est-il logique que des peines privatives de liberté puissent être prononcées sans que l'intéressé puisse se défendre devant une juridiction?*4. C'est un débat que toutes les démocraties connaissent. Certaines l'ont résolu par une demi-mesure. Elles ont institué un médiateur militaire, indépendant, qui garantit le respect du droit". Cette solution, qui ne peut nuire aux exigences de la discipline, mériterait un examen sérieux.
4 Les étrangers
Il convient de rappeler que le
droit international donne très peu de garanties aux étrangers, si ce n'est le droit au respect d'un standard minimum. Aucun moyen de contrôle n'existant, des exemples prouvent, périodiquement, que les étrangers sont, hélas, à la merci des gouvernements des Etats sur le territoire desquels ils résident. Notre civilisation est partagée entre une tendance universaliste (apport du christianisme et des Lumières) et la théorie de la souveraineté de l'Etat, apparue au xvie siècle et dominante de nos jours. Aussi le droit français, quelles que soient ses imperfections, est aujourd'hui l'un des plus protecteurs qui soient à travers le monde, aussi bien par les garanties qu'il confère que par le caractère des limites qu'il impose.
A - Les garanties
La lutte contre les discriminations. - Les étrangers jouissent, tout d'abord, du droit d'être respectés dans leur personne et dans
leur dignité.
La loi du 1er juillet 1972 punit de peines d'amende et d'emprisonnement ceux qui proquent à la discrimination, la haine ou la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de son appartenance ou de sa non-appartenance à une race, une ethnie, une religion ou une nation. Elle permet également de sanctionner toute personne dépositaire d'une autorité publique ou tout citoyen chargé d'un
service public qui refuse un droit pour l'une des raisons précédentes. Sont enfin réprimées les discriminations, fondées sur les mêmes motifs, dans la fourniture de biens ou de services, dans l'embauche ou le licenciement.
De telles dispositions auraient facilement pu rester lettre morte, par suite de leur ignorance par les intéressés. Aussi le législateur a-t-il confié aux associations régulièrement déclarées depuis plus de cinq ans et se fixant pour objectif, dans leurs statuts, la lutte contre les discriminations, de se constituer partie civile lorsque de tels délits sont commis.
Un régime de droit. - Il était tentant pour les pouirs publics de régler discrètement la situation des étrangers par circulaire, au
gré de la conjoncture économique. Le Conseil d'Etat n'a pas admis cette façon de ir. Selon les droits en cause, la situation juridique des étrangers doit être définie par la loi" ou par décret. Le juge administratif a censuré les circulaires ou instructions ministérielles méconnaissant la hiérarchie des normes ou un principe général du droit.
Des droits égaux. - Dans la plupart des domaines, les étrangers, régulièrement installés en France, jouissent des mêmes droits fondamentaux reconnus par la Constitution, droits civils", droits sociaux.
Certes, il existe de nombreuses discriminations, mais, pour la plupart, elles ne sont pas juridiques. Elles sont plutôt d'ordre économique, social ou culturel sauf en ce qui concerne les droits politiques refusés aux étrangers.
B - Les limites
Les droits politiques. - L'absence de droits politiques pour les ressortissants étrangers est une règle très généralement appliquée par les Etats du monde contemporain. Les pays qui sont allés le plus loin dans le désir d'insérer politiquement les étrangers (pays nordiques et Irlande) ont accepté le te de certains d'entre eux lors des élections municipales. Le but est de permettre aux étrangers de faire entendre leur ix sur des problèmes concernant leur vie quotidienne (transports,
services sociaux, sécurité). Cette solution a été préconisée en France, notamment en 1981. Elle s'est heurtée à un certain nombre d'objections. Les élections municipales en France ont un caractère politique très
marqué et elles sont loin de constituer un scrutin de nature différente ; par ailleurs, certains partis seraient plus soucieux d'obtenir les bulletins de te des étrangers, quitte à les manipuler, que d'améliorer leur situation, d'où un risque d'intervention de gouvernements étrangers dans la vie intérieure française. Au-delà de ces arguments, une telle réforme supposerait une révision de la Constitution. Une autre solution consiste à ouvrir plus largement les possibilités de naturalisation pour ceux des étrangers qui le désirent.
L'accès au territoire français. - En l'état actuel du droit, les étrangers ne possèdent pas un droit au séjour. Il y a des
exceptions : les ressortissants des autres pays de la
communauté européenne, les personnes soucieuses de s'installer en France au titre des regroupements familiaux.
Pour entrer en France, l'étranger doit être porteur des documents exigés31. L'accès au territoire français peut lui être refusé s'il constitue une menace pour l'ordre public ou s'il a fait l'objet d'une interdiction de territoire ou d'un arrêté d'expulsion. Il s'agit alors d'un refoulement3*. On considère que l'étranger se trouve encore juridiquement hors du territoire français. Il peut être maintenu, s'il y a nécessité absolue, par décision écrite motivée du préfet, dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ.
Le droit au séjour. - Admis régulièrement sur le territoire français, l'étranger ne saurait y séjourner pendant un délai
supérieur à celui pour lequel il a été admis35, faute de quoi il se trouverait en infraction.
La situation des travailleurs étrangers est différente. Ils sont munis traditionnellement d'une sectiune de séjour et d'une autorisation de travail. Le lien existant entre l'une et l'autre, notamment après la loi du 10 janvier 1980, pouvait conférer à leur séjour un caractère précaire en cas de perte d'emploi. Ce n'est plus le cas depuis la loi du 29 octobre 1981 puisque l'expulsion peut seulement être motivée par des considérations d'ordre public.
La loi du 17 juillet 1984 a même mis en place, les parlementaires étant unanimes sur ce projet, une sectiune de résident36. Ce document unique confère à ses bénéficiaires une certaine sécurité juridique, d'autant que cette catégorie ne risque pas, en principe, l'expulsion.
L'expulsion. - Aux termes de la loi de 1981 elle pouvait être prononcée, par arrêté du ministre de l'Intérieur, si la présence de l'étranger sur le territoire français constituait une « menace grave » pour l'ordre public. Elle devait être précédée de l'audition de l'intéressé par une commission comprenant deux magistrats judiciaires et un conseiller du tribunal administratif. Le ministre ne pouvait passer outre à un avis défarable de celle-ci.
Depuis la loi du 9 septembre 1986, cet avis n'a plus qu'un caractère consultatif. En outre, une simple « menace » pour l'ordre public suffit pour motiver une expulsion. L'arrêté ministériel est cependant toujours susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouir. En outre, certaines catégories d'étrangers, un peu moins nombreuses qu'en 1981, ne sont pas expulsables. Ce texte fait l'objet de critiques relatives, notamment, à son application. Une réforme législative est en cours.
Les clandestins. - Il s'agit des étrangers qui sont entrés ou demeurés clandestinement en France. La loi de 1981 remettait leur sort aux tribunaux judiciaires qui pouvaient les condamner à une peine d'amende et de prison et ordonner, en outre, leur reconduite à la frontière. Ceci aboutit à accroitre de près de 10 % la population des élissements pénitentiaires et à sanctionner d'une peine de prison des gens qui n'avaient pas commis un délit très grave. Aussi les procureurs furent-ils invités par la Chancellerie à requérir la peine de reconduite immédiate à la frontière, à titre principal, si possible en flagrant délit40. Cette condamnation, exécutée rapidement, n'allait pas sans poser de graves problèmes matériels et humains. Depuis 1986, à côté de la procédure judiciaire, est apparue une procédure administrative. La plupart des clandestins sont expulsés par arrêté préfectoral. Le recours, non suspensif, devant le tribunal administratif, n'aboutira qu'après l'exécution de l'arrêté. C'est l'un des points qui pourrait faire l'objet d'une réforme.
L'extradition. - Elle peut concerner n'importe quelle catégorie d'étrangers, seule l'extradition des nationaux étant juridiquement impossible. Elle consiste à remettre aux autorités d'un autre pays l'auteur présumé d'un délit commis sur leur territoire, afin qu'il y soit poursuivi et jugé. Son régime est défini par des conventions bilatérales complétées ou suppléées par la loi interne.
L'extradition est décidée par décret pris après avis de la Chambre d'accusation de la cour d'appel. Il ne peut pas être passé outre à un avis défarable. En revanche, la possibilité de choix reste intacte en cas d'avis farable.
La Chambre d'accusation, sans se prononcer sur le fond de l'affaire, doit vérifier si la procédure est régulière, si l'on entre bien dans l'un des cas d'extradition prévu et si la demande formulée n'a pas un caractère politique ou n'est pas fondée sur un motif politique.
Les intéressés disposent dorénavant d'un double recours. La Cour de cassation, rompant avec une jurisprudence constante, a admis la recevabilité d'un recours suspensif, formé contre l'avis de la Chambre d'accusation43.
Ceci n'empêchera pas le dépôt d'un recours pour excès de pouir, non suspensif, contre le décret d'extradition, devant le Conseil d'Etat. L'extradition pose des problèmes d'aspect juridique. Elle revêt aussi un caractère politique. Les pouirs publics apprécient son opportunité. Les magistrats se prononcent sur sa légalité, mais doivent, pour cela, apprécier le caractère politique de l'infraction reprochée.
Or cette notion est particulièrement délicate. Une
conception subjective domine. Une infraction est d'abord politique en fonction des motivations de son auteur. Mais on a pu distinguer l'infraction politique de l'infraction sociale, dirigée non contre telle ou telle forme de gouvernement mais contre toute forme d'organisation sociale. Surtout, on tend, de plus en plus, à considérer que l'utilisation de certains moyens, particulièrement graves et odieux, retire à une infraction le caractère politique qu'elle pourrait air par ailleurs.
De toutes façons, il sera difficile de ne pas tenir compte, en examinant une demande d'extradition, de celui qui la demande. Autant l'asile politique a un sens lorsqu'il tend à protéger les ressortissants d'Etats totalitaires, autant il le perd lorsque sont en cause des délinquants de nations démocratiques dont on sait qu'ils auront droit à un procès juste et équile et à l'usage des ies de recours nécessaires. La libre circulation des personnes entre les démocraties libérales est indissociable de la mise en place d'un certain espace judiciaire.