Les techniques de limitation. ' Une activité libre ne doit pas AStre soumise A une autorisation préalable. Pour des raisons psychologiques, parce qu'elle fait de l'individu un quémandeur en matière de liberté, cette procédure est, le plus souvent, jugée inacceple. L'exigence d'une déclaration est moins contraignante. L'activité s'exerce librement. On est seulement tenu d'en informer les pouvoirs publics. Mais le régime libéral par excellence, contrairement A ce que son nom n'indique pas, est le régime répressif. Aucune restriction d'aucune sorte n'est imposée A qui que ce soit. En revanche, celui qui abuse de sa liberté en répondra devant les tribunaux répressifs.
On a pu vérifier la valeur de cette distinction A propos des grandes libertés. La jurisprudence l'a, souvent, reprise A son compte. Elle n'a cependant qu'une valeur relative. Elle est inséparable de l'ensemble du système de droit. Ainsi, l'autorisation préalable ne constitue pas nécessairement une atteinte grave A la liberté si elle est inspirée par des considérations techniques et si un refus d'autorisation peut faire l'objet de recours crédibles. A l'inverse, le régime répressif ne serait pas acceple si des délits d'opinion, nombreux, étaient définis de faA§on arbitraire, et si les juges appelés A statuer étaient incompétents et partiaux
La justification des limites. ' Aussi peut-on aborder la question en s'interrogeant sur les fondements des limites aux
libertés publiques. Ne pas nuire A autrui, ne pas nuire A la société, telles sont les deux limites A la liberté, selon la Déclaration de 1789. Telle est encore aujourd'hui la conception des systèmes libéraux. Il incombera donc au législateur d'assurer la conciliation des libertés entre elles, d'une part, de préserver les impératifs sociaux, d'autre part.
1 La conciliation des libertés
Les conflits de droits. ' Tant que les - droits de l'homme - seront exprimés sous forme de droits subjectifs, ils entreront en conflit les uns avec les autres. La conciliation sera opérée par le législateur, par l'Administration, et, le plus souvent, par le juge.
En toute logique, le conflit devrait AStre résolu en faisant prévaloir le principe de la hiérarchie des normes. L'exercice d'un droit inférieur devrait s'incliner devant l'exercice d'un droit supérieur. C'est parfois le cas. Ainsi la liberté de manifester est plus ou moins soumise aux nécessités de la circulation, c'est-A -dire A la liberté d'aller et venir48.
Mais en réalité, dans l'immense majorité des cas, la conciliation s'opère de manière pragmatique, en tenant compte des circonstances et des conceptions de l'époque. Comme l'écrit M. Denquin : - Mis en présence de questions insolubles, il (le droit) sanctionne purement et simplement des rapports de force -4'. Ceci apparait très nettement lorsque les droits opposés sont considérés, les uns et les autres, comme fondamentaux, par exemple le droit de grève et la liberté de l'information, ou le droit de l'enfant et le droit des parents
Ce type de conflit est-il réellement insoluble? Il semble que oui, dans le cadre d'une société ne consacrant que des droits subjectifs qui ont, par lA -mASme, la valeur que chacun leur attribue. Au nom de quoi faire céder une personne qui estimera - son droit -, - sa liberté -, au moins aussi important que le droit ou la liberté de l'autre ? Derrière cette opposition, on trouvera, dans la conception libérale, la valeur égale de deux volontés. Pour qu'il en aille autrement, il faudrait que soit admise l'image d'un ordre naturel, ou, en d'autres termes, d'un
droit naturel objectif. Dès lors, chaque droit pouvant lui AStre rapporté se voit reconnaitre une valeur différente. On a eu l'occasion, A plusieurs reprises, de constater qu'il n'existait pas un tel consensus. On trouve seulement des accords partiels et variables.
Les - nouveaux - droits. ' C'est un accord encore plus pragmatique qui se réalise autour des - nouveaux droits - : droits A l'emploi, A la protection de la santé, A l'instruction, A un niveau de vie décent, puis, plus récemment, droits A la paix, au développement, A la communication, A un environnement protégé.
La mise en ouvre de ces droits pourrait se révéler dangereuse. - Ceci résulte de l'imprécision du titulaire et de l'objet -, écrit M. Pelloux". Dans le mASme sens, M. Rivero ajoute : - Ces droits méritent-ils leur nom ? La réponse A cette question ne peut AStre que négative : l'incertitude quant au titulaire des - nouveaux droits - ' individu ou peuple ', l'imprécision de leur objet, l'indétermination de ceux auxquels ils seraient opposables, l'impossibilité enfin d'en organiser la sanction, autant d'éléments qui conduisent A penser qu'on ne pourrait les qualifier de - droits - que par un abus de langage, qui met en danger le concept mASme de droits de l'homme. Le meilleur de l'effort fait depuis quarante ans pour la cause des droits de l'homme réside dans leur consécration par le
droit positif interne et international et dans l'aménagement d'un système de sanctions lorsqu'ils sont violés. Cet effort serait remis en cause si l'affirmation de - nouveaux droits de l'homme -, impossibles A organiser juridiquement, ramenait, par une sorte de contamination, l'ensemble des droits de l'homme, aux yeux de l'opinion, de la sphère de l'obligation A celle de l'aspiration -.
On notera d'ailleurs que, curieusement, ces nouveaux droits font appel A l'idée d'un ordre objectif. Ils supposent qu'il existe un environnement - normal -, un équilibre écologique - naturel -, un niveau de vie - minimum - A réaliser Ce qui peut surprendre, ce n'est pas tant cette référence en elle-mASme, mais le fait qu'elle apparaisse A propos de droits relativement secondaires et nouveaux, alors qu'elle est le plus souvent écartée pour les droits classiques ou fondamentaux. L'enfant A naitre se voit ainsi reconnaitre le droit de vivre dans une nature non polluée, alors qu'on ne lui reconnait pas le simple droit A la vie, le droit de ne pas subir de manipulations génétiques ou le droit de mener une vie de famille normale
Ceci ne révélerait-il pas une contradiction de plus de nos sociétés industrielles? Il en va de mASme lorsqu'on s'interroge sur les impératifs sociaux justifiant des limitations de libertés.
2 La préservation des impératifs sociaux
Leur valeur constitutionnelle. ' Il est nécessaire d'opérer une conciliation - entre l'exercice des libertés constitutionnelle-ment reconnues et les besoins de la recherche des auteurs d'infractions et de la prévention d'atteintes A l'ordre public, notamment A la sécurité des personnes et des biens, nécessaires, l'une et l'autre, A la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle -. Ainsi s'est exprimé le Conseil constitutionnel dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981.
D'autres principes de mASme valeur ont été dégagés et doivent AStre conciliés avec l'exercice des libertés publiques : le droit de grève doit s'accommoder du principe de continuité des
services publics, des nécessités de - la protection de la
santé et de la sécurité de la personne et des biens -. Quant A la liberté de
communication - telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme -, elle doit AStre conciliée avec - les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels -. Les choix économiques eux-mASmes doivent tenir compte de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété.
Leur portée. ' Selon cette jurisprudence qui se précise, de décision en décision, le législateur se voit contraint, sous le
contrôle du juge constitutionnel, de concilier les libertés entre elles, mais aussi d'assurer la préservation de certaines valeurs. Quelles sont-elles? Comme on a pu le noter, elles se confondent très largement avec la définition classique de l'ordre public : tranquillité, sécurité, salubrité. Il s'agit donc lA d'un ordre matériel, n'impliquant aucun jugement moral.
L'éthique sociale. ' Est-ce A dire qu'aucune éthique sociale ne soit protégée ? Il est très difficile de répondre A cette question.
En vertu du principe de laïcité, l'Etat ne soutient ni ne combat aucune croyance et aucune idéologie. Mais qu'en est-il de la bonne vieille morale de nos pères, pour reprendre l'expression célèbre de Jules Ferry ? Apparemment, elle a été progressivement abandonnée, ou, tout au moins, elle est laissée A l'apréciation de chacun.
Il est toutefois des domaines où la notion de moralité réapparait. Il existe une certaine éthique médicale. La vente et mASme l'usage de la drogue sont prohibés, de mASme que certaines manifestations de l'alcoolisme ou le doe. Toutefois, ces exemples ne sont probablement pas les plus significatifs. Le drogué, tout comme l'alcoolique, présente certains dangers matériels pour les autres. Quant au doe, son acceptation, lors des compétitions, contraindrait indirectement certains sportifs A y recourir, contre leur gré, pour ne pas AStre désavantagés dans leurs performances.
En réalité, ce qu'il faut se demander, c'est dans quelle mesure il existe des opinions dont l'expression publique serait interdite. On peut alors songer A l'existence du délit d'outrage aux bonnes mours ou A la
censure cinématographique. Dans un cas comme dans l'autre, on mesure la permissivité de nos sociétés. On a considéré que ni la tenue de commerces dénommés sex shops, ni l'exploitation de films pornographiques n'entraient dans les prévisions de l'article 283 du Code pénal. Quant A la censure, elle aboutit, le plus souvent, A classer X les films pornographiques ou violents.
Il n'y a guère que dans des cas extrASmes que tel film sera considéré comme dépassant, en caractère pornographique ou violent, ce qui est socialement admissible ou sera jugé outrageant pour les bonnes mours. Ces deux procédures sont d'ailleurs indépendantes l'une de l'autre. Le classement X n'exclut pas des poursuites pénales : - le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose A ce qu'une autorisation administrative, mASme accordée en vertu d'un texte législatif ou réglementaire, relève le juge répressif du devoir qui n'incombe qu'A lui d'appliquer la loi pénale -. D'ailleurs, selon
la Cour de cassation, les films pornographiques qu'a entendu viser la loi (films classés X) - sont seulement ceux qui, par leur caractère obscène, pourraient blesser les sentiments moraux d'une partie du public; que n'entrent pas dans cette classe et ne sauraient, dès lors, bénéficier de la dérogation légale ainsi édictée, les films qui, essentiellement consacrés A la représentation minutieuse de violences et perversions sexuelles, dégradantes pour la personne humaine, font outrage aux bonnes mours -.
Il y a donc une limite extrASme A ne pas franchir Telle avait été également l'opinion des rédacteurs d'un projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 13 mai 1975. Il proclamait, dans un article premier : - La représentation des films cinématographiques est libre. - Le régime de l'autorisation préalable était supprimé. Mais le législateur laissait subsister une possibilité d'interdire, après avis de la commission de contrôle, les films - qui portent atteinte A la dignité de la personne humaine ou qui incitent A la violation de ses droits fondamentaux -. La formulation elle-mASme est intéressante. Elle n'est pas sans rappeler celle utilisée par l'article 18 de la Constitution allemande.
Finalement, la reconnaissance des droits de l'homme est inséparable d'une croyance dans la dignité de la personne humaine. Peut-on admettre qu'ils soient utilisés pour bafouer celle-ci et par lA mASme saper leur propre fondement? Telle est la justification des traités et lois permettant de lutter contre la discrimination raciale. Le racisme est inconteslement une des formes que peut reStir le mépris de l'AStre humain. Il n'est malheureusement pas la seule.