La proclamation de la liberté de la communication audiovisuelle, en 1982 seulement, tient au poids des
données de tous ordres auxquelles sont liées des technologies encore imparfaitement maitrisées. Sans doute, toutes les libertés subissent-elles le poids des techniques; mais, ici, probablement plus qu'ailleurs. On peut évoquer le caractère très récent des décourtes, leur complexité et leur coût. Il est frappant de constater, comme le fait F. Balle, que le délai, séparant une inntion de son utilisation commerciale sur une large échelle, est de plus en plus bref1.
Par ailleurs, les choix institutionnels effectués A trars le monde sont très variés, sans que l'on puisse toujours opposer nettement la formule, apparemment la plus autoritaire, de l'étatisation, A celle, apparemment plus libérale, supposant une non-interntion de l'Etat.
1 Des données difficiles A maitriser
Celles-ci sont de plusieurs sortes.
Données culturelles et politiques. ' Un consensus s'est très rapidement formé pour voir, dans l'apparition et le déloppement des médias, un fait de société majeur. Les dirgences sont apparues lorsqu'il s'est agi de l'interpréter ou d'en analyser les conséquences. Les premières études ont été réalisées en Angleterre et aux Etats-Unis, premiers pays A connaitre une forte extension des médias. Certaines analyses se ulent très optimistes. L'apparition des nouaux médias correspond A une révolution dans l'histoire humaine et A l'avènement d'un age nouau. La plus connue, surtout outre-Atlantique, est due A un Canadien, Marshall Mac Luhan2. Cet auteur confond l'histoire humaine ac celle des
moyens de communication. Les noulles technologies vont revitaliser l'humanité. On va rs une - Pentecôte technologique -, rs le - monde nouau du village global -.
La plupart des analyses sont beaucoup moins optimistes. Dès les années 60, on diagnostiqua l'avènement de la culture de masse, - ensemble des comportements, des mythes ou des représentations qui est produit selon une technique industrielle et diffusé au public le plus vaste sans que celui-ci ait la faculté de réagir -3. Les mots les plus sount associés A cette culture sont ceux de standardisation, production en série, société de consommation, médiocrité, tranquillisant, voire proande.
La plupart des dirigeants en ont retenu une idée, parfois exagérée, du rôle des médias dans la formation et la déformation des opinions publiques. Ceci se traduit par le contrôle intégral des médias dans les régimes totalitaires, par l'importance primordiale attachée au contrôle des émetteurs et studios de radiotélévision par la quasi-totalité des putschistes A trars le monde. Dans les démocraties, rares sont les gournants qui, de faA§on plus subtile, n'essaient pas de conserr au moins un droit de regard en la matière.
Les penseurs libéraux, quant A eux, sont plus sceptiques. Ils ne nient pas l'impact des médias sans les considérer, pour autant, comme les seuls moyens d'influencer l'opinion. Ils cherchent des solutions pragmatiques qui passent par la reconnaissance du pluralisme. Pour les plus optimistes le public se portera nécessairement rs les meilleurs, ce qui n'est pas évident. De toute faA§on, le pluralisme est particulièrement difficile A élir dans un domaine où l'on se heurte inévilement A des contraintes financières et techniques particulièrement fortes.
Données techniques et financières. ' A leur premier niau de déloppement, la radiodiffusion et la télévision reposent techniquement sur une transmission de sons et d'images par ondes radioélec-triques ou hertziennes. Or, quels que soient les progrès techniques, les fréquences disponibles sont en nombre limité; d'où la nécessité absolue de les répartir par voie d'accords au international et par voie de réglementation au national. La liberté de la communication
audiovisuelle exige donc, a priori, des solutions juridiques spécifiques. Une simple transposition des règles existantes en matière de presse ou de cinéma est difficilement concevable.
L'apparition de noulles techniques de communication va toutefois modifier, de plus en plus, ces données de base. La retransmission par satellites casse les frontières nationales. Les émissions ainsi diffusées peunt, en effet, AStre captées directement, soit par antennes individuelles, encore relatiment coûteuses, soit par antennes collectis (ac rediffusion par cables). Les Etats ne pourront plus s'assurer la maitrise de tous les programmes destinés A leurs ressortissants. La télédistribution par cables suppose un très gros instissement collectif, déjA réalisé tant en Amérique du Nord qu'en Belgique, ce qui prou que des pays géogra-phiquement très dirs peunt s'y adapter. La France s'est, récemment, lancée dans cette voie après l'Angleterre. L'enjeu technique et industriel est considérable. Les commandes publiques favoriseront l'essor rapide de ce secteur. En outre, le cablage réussi dans un pays fait de celui-ci une vitrine et permet A ses industriels de se placer en bonne position face A une demande croissante au international. Techniquement, le cable permet de diffuser plusieurs dizaines de programmes A la fois : des programmes préparés en direct dans une station privée, des programmes préenregistrés en France ou A l'étranger, des programmes diffusés par satellites; mais il peut aussi assurer la diffusion d'informations et renseignements dirs, ou d'émissions et films enregistrés sur vidéocassettes ou vidéodisques. Ces derniers donnent, par ailleurs, aux particuliers les moyens, par achat ou location, de se constituer leurs propres programmes.
Le déloppement de ces noulles techniques aura, en matière de liberté, des incidences directes et contradictoires. On supprime une limite résultant de la rareté des fréquences mais on se heurtera, au moins A court terme, A la rareté des programmes. La capacité de production franA§aise, en matière d'émissions et de films, pour ne prendre que cet exemple, est très inférieure A la demande. On risque donc de diffuser, dans des conditions techniquement de plus en plus parfaites, des réalisations de moins en moins valables. Par ailleurs, les noulles techniques et notamment le cable, ne peunt, par nature, échapper au contrôle des autorités alors que la diffusion par voie hertzienne rendait quasiment impossible la suppression de la liberté de réception. Les FranA§ais pendant la guerre, les ressortissants de pays totalitaires aujourd'hui, ont pu jouir de celle-ci, que les brouillages ont seulement pu réduire, sans jamais la supprimer totalement.
Au point de vue financier, la diffusion par voie hertzienne rendait impossible le paiement du service fourni, par le consommateur. Seul était concevable un système de redevance perA§ue par l'Etat ou de
financement par la publicité commerciale. La diffusion par cable permet, en revanche, de tarifer directement les prestations fournies. Mais, dans un cas comme dans l'autre, le coût de la mise en ouvre de ces techniques les met A la portée des Etats, ou de grands groupes financiers seulement. La liberté risque d'AStre étouffée par les uns ou par les autres. Elle n'est pas nécessairement assurée par le seul jeu de la libre entreprise. Ceci a justifié des choix politiques très dirs.
2 La dirsité des choix politiques
Les choix possibles. ' Contrairement A ce qui se vérifie généralement, l'approche institutionnelle n'est pas ici déterminante. Il n'existe pas de lien direct et nécessaire entre les structures et le degré de liberté dont jouit la communication audiovisuelle. Car s'il est exact que les régimes totalitaires remettent la gestion directe de ce secteur A l'Etat, les démocraties libérales utilisent des modalités très variables pour garantir la liberté. Certaines recourent mASme A la gestion étatique directe. D'autres préfèrent la gestion assurée par un organisme privé lié A l'Etat par conntion ou cahier des charges. La liberté peut également AStre recherchée dans la
concurrence : entre plusieurs organismes publics, répondant A une idée de
décentralisation par service, culturelle ou territoriale; entre plusieurs organismes privés ou entre secteur public et privé.
Politiquement, il est plus utile de s'attacher au degré de dépendance des organismes publics ou privés par rapport A l'Etat d'une part, aux groupes financiers d'autre part. La seule privatisation des organismes gestionnaires ne constitue pas nécessairement un signe de libéralisme. Elle peut s'accommoder d'une très forte tutelle de l'Etat et avoir seulement pour but de drainer des capitaux privés. Elle peut aussi signifier que ce secteur est entièrement dominé par un groupe commercial. En revanche, on peut rechercher une gestion libre et pluraliste grace au
service public. Les traditions et le libéralisme ambiant jouent plus que les structures. Les exemples étrangers ou franA§ais permettent de le vérifier.
L'évolution en France. ' Paradoxalement, c'est A ses débuts que la radio subit le moins l'emprise étatique. Les postes de radio, divisés en postes nationaux et régionaux sont partiellement gérés par des associations d'auditeurs. Le contrôle étatique se renforce progressiment A partir de 1933. Sous la IVe République, la radiotélévision est très largement placée sous la dépendance politique et financière du gournement. Cette situation regretle devint intolérable sous la Ve République. On commenA§ait, A cette époque, A mieux sentir le poids sociopolitique de l'audiovisuel. Par ailleurs, l'existence d'une majorité politique sle et relatiment homogène entraine une absence de pluralisme dans les nominations aux postes de responsabilités. Le public ne s'y trompe pas. La crédibilité et l'audience des ondes nationales diminuent sans cesse pour le plus grand profit des postes périphériques. Le statut de la radiotélévision fut un cheval de bataille pour l'opposition, relayée par un certain nombre de parlementaires proches de la majorité, notamment au Sénat. Outre la docilité politique, on dénonA§a, selon les tendances, la médiocrité des programmes, la gabegie et les gaspillages, la bureaucratie et les lourdeurs, la publicité clandestine, la chasse aux sorcières ou une syndicalisation excessi.
Les gournements répondirent par plusieurs réformes. L'ordonnance du 4 février 1959 conféra A la radiotélévision franA§aise (rtf) le statut d'élissement public industriel et commercial, ce qui traduisait la volonté de lui donner une plus large autonomie administrati et financière. Cette indépendance n'en était pas moins très relati. Le directeur et ses adjoints étaient nommés par décret en Conseil des Ministres. L'élissement était placé sous l* - autorité - du ministre de l'Information. La loi du 27 juin 1964, tout en conservant A I'ortf le caractère d'élissement public industriel et commercial prétendit assurer son indépendance grace A la mise en place d'un conseil d'administration. L'amélioration ainsi apportée apparut vite insuffisante et plusieurs rapports parlementaires s'en firent l'écho. La loi du 3 juillet 1972 n'aboutit pas, non plus, A donner A I'ortf une vérile indépendance. La révocation de M. Arthur Comte le manifesta clairement aux yeux de l'opinion publique. Le nouau pdg de l'Office, M. Marceau Long, chargé de préparer une réforme, préconisa la transformation de I'ortf en un organisme fédérateur de six élissements publics indépendants, dotés d'une autonomie technique, administrati, financière. Le décès de M. Pompidou et l'élection de M. Giscard d'Estaing remirent tout en question.
Après avoir songé A s'orienter rs une privatisation partielle, le nouau Président de la République dut composer ac les gaullistes et faire présenter, par le gournement de M. Chirac, un projet discuté très rapidement. La noulle loi inno beaucoup plus que celle de 1972. A la place de I'ortf, on trou sept organismes distincts : deux élissements publics industriels et commerciaux (l'élissement public de diffusion tdf, Télédiffusion de France et l'Institut national de l'Audiovisuel) et cinq sociétés nationales, soumises A la législation sur les sociétés anonymes (la Société franA§aise de production et les quatre sociétés de programme TFl, Antenne 2, fr3 et Radio-France). La principale originalité de la loi consiste donc en ce que le service public, au lieu d'AStre géré par un élissement unique, l'est par des organismes partiellement placés en situation concurrentielle.
L'opposition, entre autres, critiqua viment cette loi. Il n'est donc pas étonnant que le jeu de l'alternance en mai 1981 ait débouché sur la présentation d'un nouau projet. Ce qui l'est peut-AStre plus, c'est qu'A côté de certains éléments indéniables de nouauté, on trou beaucoup d'éléments de continuité. Un noul équilibre a été trouvé. La liberté de la communication audiovisuelle a été proclamée. Elle n'en demeure pas moins une liberté largement sous tutelle.
Le vote de la loi de 1982. ' La loi de 1982 est présentée comme une grande loi. Le 10 juin 1982, devant le Sénat4, le ministre de la Communication n'hésitait pas A déclarer : - Ce n'est pas une loi pour 1983, 1984, 1985 ce n'est pas une loi pour le septennat, c'est une loi pour la fin du siècle C'est une loi pour le prochain millénaire. Soyons modestes, en tout cas pour le début du prochain millénaire. - On pouvait en douter, car cette loi comme celles qui l'ont précédée, n'avait recueilli que les voix d'une majorité (le Parti communiste s'abste-nant) et les critiques de l'opposition.
Les débats parlementaires, calmes et sereins au Sénat, plus vifs A l'Assemblée nationale, avaient permis de déceler, dans ce dernier cas, deux conceptions fondamentalement différentes. Pour le ministre et la majorité parlementaire, la liberté sera préservée par le service public. - Le service public ne se justifie plus uniquement par un quelconque monopole mais par la nécessité de plus en plus affirmée du pluralisme. A des organismes privés qui seraient dominés par les seuls soucis de renilité, et donc soumis A la servitude de l'audience, nous préférons l'affirmation du service public, qui, seule, permet la prise en compte volontaire et cohérente des dirs courants de l'opinion et de la vie culturelle du pays et une information libre et pluraliste -.
A cette conception, M. Madelin, au nom du groupe UDF en opposait une autre : - La question pour l'Etat n'est plus de décider ce que ulent regarder les téléspectateurs, chaque soir, d'harmoniser les programmes, mais d'organiser un
marché concurrentiel, comportant un secteur public et permettant de satisfaire la dirsité des demandes -.
Contrairement aux objectifs promis au moment de son vote, la loi de 1982 évolua dans un sens - libéral -. A côté des radios associations, le législateur admit l'existence de radios commerciales financées par la publicité. Par ailleurs, dans le cadre législatif prévu en 1982, le gournement octroya, dans des conditions discutées, des concessions A la 5e et A la 6e chaines.
Les réformes de 1986 et 1989. ' Le changement politique surnu en 1986 s'accomna d'une modification législati en deux temps, par suite d'une décision du Conseil constitutionnel. Les idées libérales étaient en vogue auprès d'un certain nombre de parlementaires de la majorité. On s'orienta rs un système de concurrence doté d'une instance de régulation. Pour la première fois en France, le secteur privé de la communication audiovisuelle denait majoritaire, notamment A la suite de la dénationalisation de tfI, mesure importante et symbolique, qui ne rallia pas, semble-t-il, la majorité de l'opinion publique. La multiplication des spots publicitaires, sount de plus en plus vulgaires, des séries américaines et des téléfilms et émissions de qualité douteuse mécontenta une large fraction de l'opinion. Elle servit, bien sûr, A dénoncer politiquement les - méfaits - de la privatisation. On pouvait donc s'attendre, en 1988, A un retour de balancier. Curieusement, la loi du 17 janvier 1989 ne fait que modifier, sur des points secondaires, les textes de 1986. Elle remplace l'autorité de régulation, mais conser le système libéral et concurrentiel, mis en place précédemment, qui constitue donc le cadre du droit positif actuel.