NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » POLITIQUE éCONOMIQUE » Une interprétation « esthétique » de la vision morale du monde Liberté et déterminisme : la question de la troisième antinomie et le problème de la reconnaissance d'autruiSe fondant sur une reprise systématique du projet de la Dialectique transcendantale de Kant, la philosophie de l'histoire du jeune Fichte ne s'inscrit donc pas, comme le ut une légende tenace, dans un retour extravagant à la métaphysique idéaliste : le moument qui conduit de la déconstruction du dogmatisme (dont le corrélat inévile est une théorie de la ruse de la raison) à une pensée de l'histoire comme effet de la liberté est déjà présent au cœur de la structure même des Principes de 1794. En ruinant l'illusion d'un moi absolu — illusion théorique d'un substrat antérieur à l'apparition du monde, de la temporalité et de l'intersubjectivité — les Principes transforment ce moi absolu en une simple Idée pratique ouvrant l'humanité à son anir, et Fichte retrou assurément ici l'inspiration qui était celle de la Critique de la raison pratique1. Reste toutefois à dépasser le « sentiment ». Comme je l'ai suggéré en avant-propos2, la première et principale difficulté à laquelle se heurte la vision morale du monde — et Fichte lui-même ne s'y est pas trompé — est liée à la question de sa compatibilité ac le mécanisme, ac la loi naturelle du principe de causalité. Nous touchons ici le redoule problème posé par la troisième antinomie de la Critique de la raison pure : nous avons certes le sentiment, au moins dans certains cas, d'agir librement (c'est-à-dire, volontairement), mais comment ce sentiment pourrait-il être autre chose qu'une pure illusion au regard du mécanisme, ou, si l'on ut, du déterminisme qui affirme la nécessité absolue de l'enchainement des événements dans le monde ? Ce conflit prend chez Kant, comme on sait, la forme d'une antinomie, la thèse affirmant la nécessité d'admettre, en plus de la causalité naturelle, « une causalité libre pour l'explication des phénomènes », l'antithèse soutenant au contraire qu'il « n'y a pas de liberté » mais que « tout arri dans le monde selon des lois de la nature ». Comme dans toute antinomie1, la contradiction se présente comme absolue, comme relevant du tiers exclu de sorte qu'il semble (c'est là l'apparence, la « dialectique ») qu'il faille choisir entre l'une ou l'autre des deux propositions (selon qu'on tient à la liberté, c'est-à-dire à la possibilité de la moralité, ou au contraire, à la rationalité, c'est-à-dire à la possibilité de la science). La « solution critique » de cette antinomie est bien connue. Je me bornerai à en rappeler brièment le principe : elle consiste à montrer comment ces jugements en apparence contradictoires sont en vérité conciliables puisqu'ils prennent chacun le sujet de leur énoncé en un sens différent (ce ne sont pas des « contradictoires », mais des « subcontraires ») : il sera donc finalement possible d'affirmer, ac l'antithèse, que le mécanisme vaut bien pour le monde en tant que phénomène, tandis que la liberté, comme le ut la thèse, reste pensable (sinon connaissable) dans le monde en tant que noumene. Cette « solution » soulè à vrai dire autant de difficultés qu'elle en résout. Comme le montre J. Rilaygue2 — et c'est là un des enjeux principaux de la querelle qui opposa, à Davos, Heidegger et Cassirer — il est en premier lieu bien difficile de concilier l'idée même de liberté (de causalité intelligible, nouménale) ac la théorie kantienne de la signification qui exige qu'un concept soit tempo-ralisé (schématisé) pour recevoir un sens. Il est ensuite si malaisé de concevoir comment, dans un cas concret (l'événement historique), liberté et causalité se concilient qu'on ne saurait envisager d'exposer ici les dirses interprétations proposées par les commentateurs de Kant, tant leur nombre est élevé1. Qu'il me suffise d'indiquer dans quelle mesure la solution que Kant devait lui-même donner de cette antinomie dans la première Critique ne pouvait manquer de laisser le jeune Fichte insatisfait. A. Philonenko (avant de nuancer par la suite son jugement — comme il convient dans toute analyse de Kant) n'hésitera pas à écrire que : « Ce texte contesle est terrifiant pour la doctrine kantienne de la liberté : j'ignore une chose et c'est que je suis transcendantalement libre () et je sais aussi une chose, et c'est qu'en le monde sensible tous mes actes peunt être justement calculés aussi bien qu'une éclipse de Lune ou de Soleil. S'il faut exister ainsi, c'est affreux ! Ah ! sans doute les lois de la nature sont préservées, mais la liberté ? »*. Contesle, terrifiant et affreux, peut-être, mais, comme l'avait vu Fichte, conséquence inévile de l'affirmation de la validité absolue du mécanisme au niau des phénomènes : « Où se trou la limite des êtres raisonnables ? En effet les objets de mes actions ne sont jamais que des phénomènes dans le monde sensible; quels seront parmi les phénomènes ceux auxquels j'appliquerai le concept d'être raisonnable et ceux auxquels je ne l'appliquerai pas ? Tu le sais fort bien toi-même ! devrait répondre Kant. Mais si cette réponse est très juste, elle est toutefois rien moins que philosophique. Je monte sur un cheval, sans lui demander la permission et sans vouloir à mon tour lui servir de monture : mais pourquoi ai-je plus de scrupules enrs le loueur de chevaux ? »2. Ce texte, comme ceux qui précèdent, fera (on l'espère) sourire. Et pourtant, à partir de la solution de la troisième antinomie, c'est bien, ajoute Fichte, « une question très sérieuse que celle de savoir si, appuyé sur l'opinion générale, je ne monte pas ni ne chevauche sur un cheval aussi injustement que le seigneur russe qui, lui aussi appuyé sur l'opinion générale, chasse, nd et par plaisanterie fouette ses serfs »3. Et comment, dans la perspecti qui semble être celle de Kant (que l'on songe à la démonstration, dans la « deuxième analogie », de la validité du principe de causalité comme jugement déterminant constitutif de l'expérience), répondre à ces questions ? Fichte ne voulait pas dire, on s'en doute, que cette question avait une importance autre que purement philosophique2, confiant qu'il était (peut-être à tort !) qu'il ne viendrait à l'esprit d'aucun homme de douter que son semblable fût son semblable3. Mais il voulait souligner — et ac quelle perspicacité — qu'à défaut d'une réponse à cette question, le principe suprême de la vision morale de l'histoire, l'impératif catégorique lui-même, « n'avait ni applicabilité ni réalité » dans un monde phénoménal à jamais dominé par le déterminisme mécaniste. Exigeant « que la liberté se présente dans le monde sensible »4, refusant de se satisfaire du discours de « ces pitoyables bavards » qu'étaient à ses yeux les kantiens « orthodoxes » — lesquels ont toujours eu tendance à suivre la lettre du kantisme au mépris de leur propre intelligence —, Fichte n'a-t-il pas été contraint de franchir les limites du criticisme, c'est-à-dire, les limites de la finitude humaine ? N'a-t-il pas encouru le risque d'échafauder une philosophie morale qui soit — pour utiliser une analogie dont le sens devrait maintenant être clair — à l'ontologie pratique ce que Phégélianisme est à l'ontologie théorique, bref, le risque de confondre le sens et la vérité, la méthode et l'être ? Difficile question qui exigerait à vrai dire une interprétation exhausti de l'évolution de la philosophie fichtéenne. A. Philonenko lui-même a pu écrire qu'en cette voie Fichte s'était vu « contraint de franchir les limites de la phénoménologie kantienne », ici résidant le « grand défaut de sa philosophie, défaut lui aussi partiellement responsable du déloppement onto-théologique de la Doctrine de la science après 1801 ». |
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