Que cette synthèse ne représente pas seulement un recours au - bon sens - ou un éclectisme de bon aloi, et qu'elle soit d'autre part directement applicable A la question de l'historicité, c'est lA ce qu'il me faut maintenant montrer en analysant les quatre moments qui constituent A mon sens les vériles temps forts de cette critique non irrationaliste de la raison.
Il n'est peut-AStre pas inutile d'indiquer d'emblée A l'intention des lecteurs qui ne seraient pas familiarisés avec la pensée de Kant, que ces quatre moments fondamentaux sont déjA inscrits dans le mASme de la Critique de la raison pure et, notamment, dans la distinction que Kant opère entre le concept (acte de V entendement qu'étudie Y Analytique transcendantale), Yintuition (qui est le fait de la sensibilité qu'analyse YEsthétique transcendantale) et Vidée (opération de la Raison dont la critique est faite dans la Dialectique transcendantale). La simple définition de ces trois termes nous conduira donc immédiatement au centre de notre propos.
' Le concept est décrit classiquement par Kant comme doué de deux traits caractéristiques : la - compréhension - et 1' - extension -. Il peut AStre A cet égard é A ce que l'on désigne sous le nom d' - Ensemble - dans les mathématiques modernes. La - compréhension - est en effet la propriété de classement ou, si l'on veut, la définition autour de laquelle se regroupent les éléments, et l'extension correspond aux éléments eux-mASmes. Si le concept énonce une propriété commune A une pluralité d'éléments, on perA§oit aisément qu'il ne nous fait jamais saisir vérilement le particulier ou l'existence réelle mais seulement le général, c'est-A -dire ce qui relie cette multiplicité réelle lorsque l'on fait abstraction des différences non signifiantes par rapport A la compréhension. En d'autres termes ' dont nous verrons que, malgré l'apparence, ils ne sont pas seulement triaux ' la compréhension du concept ne nous donne pas accès A son extension, la définition d'une classe d'objets ne nous - donne - pas, si parfaite soit-elle, les objets eux-mASmes, bref, ne nous livre pas l'existence particulière, l'indidu.
' Pour saisir le particulier, l'indiduel, il faut selon Kant que je recoure A une intuition, A une représentation non plus générale, mais - singulière - qui relève non de l'entendement, mais des sens (de la - sensibilité -). L'intuition est en effet pour Kant toujours sensible, et pour saisir une existence particulière, il faut toujours recourir A ce que nous nommerions aujourd'hui une perception empirique réelle, c'est-A -dire A une perception hic et nunc, située de faA§on parfaitement singulière dans l'Espace et le Temps (ce pourquoi la doctrine de la sensibilité, - l'esthétique transcendan-tale -, se consacre pour l'essentiel A l'analyse de l'espace et du temps). L'enjeu de ces affirmations ' sans doute en apparence bien édentes ' est clair : sans nous attarder pour l'instant A l'argumentation qui les sous-tend, il s'agit pour Kant, dès l'étude de la sensibilité, de rejeter toute forme - d'argument ontologique -, toute tentative de déduire l'existence de la pensée : le réel ne saurait jamais AStre que donné et non déduit du concept qui, selon une formule bien connue, sans intuition reste - de -. Il y a donc ' tel est le sens profond de ces affirmations ' du - non-conceptuel -, du - hors concept - ou, si l'on veut, du - non-rationnel -. C'est ainsi, dès la théorie de la sensibilité, que se manifeste ce que l'on pourrait nommer, malgré l'anachronisme, 1' - anti-hégélianisme - de Kant.
' L'Idée constitue en revanche l'opération métaphysique par excellence, celle qui se A déduire le particulier du concept (du général), A le saisir par la Raison et non par l'intuition. L'idée, qui correspond A la faA§on dont Dieu percevrait le monde, serait en quelque sorte le concept devenu capable (nous verrons par quels artifices) de déduire réellement son extension de sa compréhension. Nous aurions A proprement parler une Idée si nous pouons, A partir d'une propriété générale, en tirer les indidus réels qui lui correspondent. Si une telle opération était possible nous pourrions alors connaitre directement l'existence indiduelle au lieu d'AStre contraints de la percevoir (de Yintuitionner) seulement, et nous pourrions faire ainsi l'économie de ce que Kant nomme sensibilité. A cet égard, on pourrait dire que l'intuition et l'Idée sont concurrentes, qu'elles sent un mASme but, mais par des
moyens différents : toutes deux en effet cherchent A saisir cette existence spatio-temporelle que le concept laisse hors de lui comme son extension, mais la première atteint ce but par la perception sensible tandis que la seconde prétend pouvoir y parvenir par la seule force de la Raison. Si nous pouons avoir une Idée, il n'y aurait donc plus d'intuition et tout serait intégralement pensable ou rationnel; inversement, s'il s'avérait, comme le pense déjA la - conscience commune -, que l'intuition est irremplaA§able pour saisir l'existence spatio-temporelle, l'idée ne serait qu'une illusion métaphysique dont il faudrait dès lors opérer la critique et préciser le statut exact.
A vrai dire, la
concurrence entre l'Idée et l'intuition semble presque - déloyale - tant la sée propre A l'idée parait absurde : on ne voit guère en effet, comment, en définissant mASme avec le plus grand soin une le ou un arbre, il serait possible de faire exister la le ou l'arbre eux-mASmes, pas plus qu'on ne comprend A première vue quel sens pourrait bien revAStir ce projet d'une déduction du réel A partir de la Raison.
On aurait tort, pourtant, de sous-estimer l'adversaire : en prétendant posséder ces Idées, le métaphysicien ne veut pas signifier qu'il détient une mystérieuse faculté de produire ou déduire le réel de sa propre raison (ainsi Krug, un célèbre critique contemporain de Hegel, avait sans doute tort d'exiger de ce dernier qu'il déduisit la plume du stylo avec lequel il affirmait la rationalité du réel). Il veut, plus subtilement A n'en pas douter, signifier que si pour nous, le réel se donne A percevoir dans des représentations sensibles situées en un espace et un temps, il existe un point de vue, celui de Dieu ou de la science achevée, A partir duquel ce réel qui pour nous semble sensible, est en soi ou en vérité rationnel. Et appliquée A l'histoire, cette métaphysique donne effectivement une thèse dont on accordera qu'elle a pu présenter quelque crédibilité : la thèse selon laquelle le réel historique serait en soi rationnel, donc déductible du point de vue de celui qui détient les lois de cette rationalité historique. Nous sommes donc bien, avec ces trois définitions kantiennes, au cœur de notre propos.
Il nous est maintenant possible de comprendre pourquoi la critique kantienne de la métaphysique (du projet représenté par l'Idée) doit nécessairement passer par quatre moments fondamentaux. Il s'agit en effet : a) dans un premier temps, d'élaborer une théorie de la finitude afin de trancher, en faveur de l'une ou de l'autre, le conflit qui oppose l'intuition et l'Idée. Pourquoi une théorie de la finitude ? Parce que, A l'édence, il nous faut savoir si le fait que pour nous l'existence soit
donnée de l'extérieur dans l'espace et le temps par une intuition (ce qui signifie bien une finitude, une limitation si l'on veut) est le signe d'une imperfection (par rapport A l'entendement infini d'un Dieu) ou si, au contraire, c'est l'affirmation de l'existence réelle d'un point de vue infini (le point de vue de l'Idée) qui est illusoire : tel est l'enjeu essentiel de la première partie de la Critique de la raison pure, - l'esthétique transcendantale -; b) une fois résolue cette question, il conent encore d'analyser par quels mécanismes est produite l'Idée selon laquelle, par définition, le réel est rationnel, c) de conduire la critique de cette Idée/illusion, avant d) de s'interroger sur le statut qu'elle peut encore posséder après sa critique (c'est sur ce dernier point, comme on l'a suggéré, que la critique kantienne de la métaphysique se distingue essentiellement de la déconstruction heideggerienne puisqu'elle conduit, ainsi qu'on tentera de le montrer, A accorder A la raison une certaine légitimité au-delA de ses prétentions métaphysiques. C'est donc au cours de l'analyse de ce dernier moment que la solution de notre antinomie devrait commencer d'apparaitre.
Comme il n'entre édemment pas dans mon propos d'analyser ici pour elle-mASme la critique kantienne de la métaphysique, je me bornerai A indiquer très succinctement la signification générale de ces quatre moments pour la résolution de notre question : celle de l'antinomie de la raison historique.
a) La théorie kantienne de la finitude
et la non-rationalité a priori du réel
Pour mieux comprendre la portée de la doctrine de la finitude mise en place par Kant dans l'Esthétique transcendantale, il conent peut-AStre de rappeler, au moins brièvement, en quoi elle se A s'ésectiuner radicalement de la conception traditionnelle.
Dans la métaphysique cartésienne en effet, la finitude de l'homme ' le fait qu'il soit limité, c'est-A -dire reA§oive de l'extérieur les objets qui l'affectent, et soit par lA mASme un AStre sensible ' est toujours pensée relativement A un absolu dont on a posé au préalable l'existence et face auquel l'homme se perA§oit comme un AStre borné. Cet absolu est celui de l'entendement din ' entendement infini puisque du point de vue de Dieu (ou de l'omniscience), le réel et le rationnel ne faisant qu'un, la pensée n'est pas limitée par un objet qui lui ferait face. La finitude est alors vécue comme une imperfection essentielle A l'homme, comme un manque, et la sensibilité (le fait d'AStre passif, réceptif A l'égard d'objets qui nous sont seulement donnés dans l'espace et le temps) est, en tant que
marque de cette finitude, dévalorisée (du point de vue de Dieu, rien n'est sensible mais tout est intelligible).
Or, c'est au renversement complet de cette pensée métaphysique de la finitude que l'on assiste dès l'Esthétique transcendantale : c'est la passité ou la réceptité du sujet qui est posée d'abord, a priori, comme condition de possibilité de toute connaissance, de toute représentation, et c'est au contraire par rapport A cette affirmation première qui élève la sensibilité = la passité (la réceptité spatio-temporelle) au rang d'une caractéristique ontologique (sans elle, point d'objet)1, que l'absolu va AStre lui-mASme relatisé, c'est-A -dire pensé comme un simple point de vue subjectif (sens) et non comme une réalité en soi (vérité).
Ce renversement ' dont on pourrait montrer comment il tient tout entier dans la notion - d'intuition pure - c'est-A -dire, au fond, de passité a priori, que Kant utilise pour désigner ces cadres de toute donation d'objet que sont l'espace et le temps ' possède une conséquence qui intéresse directement notre propos : c'est qu'en posant la réceptité comme une nécessité ontologique, comme un élément indispensable A l'appréhension des étants (des objets), et en faisant par lA mASme de l'idée de science achevée renfermée dans la notion d'un entendement din infini, un simple idéal subjectif, une pure pensée et non une réalité en soi, Kant ouvre un espace irrésorbabk au non-conceptuel, au non-rationnel : la science ne parendra jamais, pas plus que la métaphysique, A rationaliser intégralement le monde, puisque toute
connaissance objective implique toujours une donation sensible, donc, un moment de non-concep-tualité. L'idéal de
rationalisation du réel sé par la science prendra donc nécessairement la forme d'un processus infini que rien ne ent par avance garantir, puisque le réel n'est plus pensé comme en soi et a priori rationnel.
Mais nous n'en sommes encore, dans l'élaboration de la critique de la métaphysique, qu'au stade des premières affirmations. Pour les confirmer, il faut bien édemment poursuivre la déconstruction et commencer l'analyse des mécanismes par lesquels se met en place l'illusion de la rationalité parfaite du réel.
b) Les mécanismes de production des Idées
comme illusions de la rationalité du réel
Ici encore, je me limiterai A l'essentiel : la métaphysique en général (et par lA mASme, la métaphysique de l'histoire qu'énonce la thèse de notre antinomie) ne relève pas ' ou, en tout cas, pas seulement ' d'un choix arbitraire en faveur d'une extension illimitée du principe de raison. Il faut au contraire souligner ' et cette remarque prend toute son importance lorsqu'on voit avec quelle naïveté certains pensent pouvoir aujourd'hui - dépasser - les philosophies rationalistes de l'histoire en faisant purement et simplement l'économie d'une réflexion philosophique ' que le principe de raison suffisante, dont on voit mal pourtant qui parendrait A ne pas l'utiliser, renferme en lui-mASme son propre devenir métaphysique : chercher A rendre raison d'un événement ou d'un fait, c'est déjA , qu'on le veuille ou non, rtuellement ser l'idéal d'une explication de la totalité de ce qui est : car le principe de raison n'a, si l'on ose dire, aucune raison de cesser de fonctionner, et lorsqu'on a trouvé la raison d'AStre d'un événement, ce principe nous incite de nouveau A rechercher la raison de cette raison, la cause de cette cause, jusqu'A trouver si possible une cause ultime. C'est précisément cette rtualité métaphysique du principe de raison qui le rend si difficile A limiter, et, A certains égards, on comprend qu'il soit plus aisé ' comme le fait Arendt ' de feindre de pouvoir se passer d'un tel principe et de le déclarer absolument illégitime dans le domaine de l'histoire (pourquoi d'ailleurs le serait-il moins dans un autre domaine si l'étant, qu'il soit ou non humain, est en son fond mystérieux, ouvert sur l'Etre, et non clos sur un quelconque fondement ultime ?).
Dans la Dialectique transcendantale, Kant a décrit minutieusement le mécanisme par lequel cette répétition indéfinie du principe de raison (du syllogisme hypothétique) devait inélement susciter l'idée d'une science achevée en soi (du point de vue de Dieu, sinon de l'homme), c'est-A -dire l'idée d'une soumission parfaite de la totalité du réel A ce puissant principe logique. Sans prétendre ici analyser le détail de ce mécanisme, on peut indiquer qu'il présente au fond trois aspects principaux :
' Tout d'abord, la sée d'une rationalité parfaite prend nécessairement la forme d'une quASte de l'inconditionné : s'engager A rechercher indéfiniment la raison de la raison, la cause de la cause, c'est en dernière instance rechercher une cause ultime, une cause qui ne serait plus elle-mASme conditionnée par une autre cause antécédente, bref, un commencement inconditionné : c'est seulement si nous possédions un tel fondement ultime que nous pourrions enfin affirmer la rationalité parfaite de la totalité du réel. Appliquée A l'histoire, cette sée métaphysique conduira A poser un commencement et une fin de l'histoire, ces deux termes extrASmes embrassant la totalité du devenir historique.
' On observera ensuite que cette quASte de l'inconditionné doit nécessairement s'effectuer dans trois directions ou, si l'on veut, donner lieu A trois Idées métaphysiques, A trois formes d'illusion de rationalité parfaite du réel : elle peut en premier lieu s'engager dans la voie du sujet et chercher A penser ce que serait un sujet transparent A lui-mASme, c'est-A -dire un sujet qui ne serait plus le prédicat d'une autre réalité mais qui serait parfaitement auto-fondé; elle peut ensuite s'engager du côté de l'objet, du Monde, et chercher A penser ce que serait un univers dont la science serait totalement et dans les moindres détails achevée; elle peut enfin, faisant la synthèse de ces deux premiers moments, du sujet absolu et du monde rationnel, tenter de produire le point de vue d'où ces deux réalités, sujet et objet, ne feraient plus qu'un au sein d'une rationalité parfaite. La première enquASte est celle de la psychologie rationnelle, la seconde celle de la cosmologie rationnelle et la troisième, celle de la théologie rationnelle, point culminant, donc, de ces trois moments de la - métaphysique spéciale -*.
' Enfin, il faut encore indiquer que le fonctionnement infiniment redoublé du principe de raison, mécanisme qui culmine donc dans l'idée d'un Dieu pour lequel réalité et rationalité, objectité et subjectité, ne feraient plus qu'un, dévoile l'articulation qui unit dans la métaphysique le principe de raison et l'argument ontologique entendu en son sens le plus général, c'est-A -dire comme déduction de l'existence A partir de la pensée : c'est en effet grace au principe de raison que nous parvenons A l'idée d'une cause première ' d'une cause de soi ', donc A l'idée d'un point de vue pour lequel tout étant rationnel, le concept et l'intuition, la pensée et l'existence deennent identiques. Dans la
philosophie rationaliste de l'histoire, l'usage métaphysique du principe de raison conduit donc bien, comme on l'avait suggéré, A une forme sécularisée d'argument ontologique puisqu'il permet de penser l'avenir comme présible, comme déductible du concept (des lois de l'histoire), au moins en soi ou, ce qui reent au mASme, du point de vue de celui qui, A l'instar du Dieu de la métaphysique, possède la science parfaite de l'histoire.
Si le principe de raison contient en germe ces trois implications métaphysiques, quelle critique conent-il d'en faire si nous voulons, non seulement quitter la thèse de notre antinomie, mais aussi éter l'irrationalisme de l'antithèse ?
e) La critique de l'illusion métaphysique
et le dépassement de la thèse
Pour l'essentiel, la métaphysique ' et par lA mASme la philosophie rationaliste de l'histoire qui n'en est qu'une application particulière ' est rejetée au sein de la philosophie critique sur trois chefs d'accusation : parce qu'elle est sophistique, non vraie et dénuée de sens. Les deux premiers points étant relativement simples et bien connus, je ne ferai que les rappeler brièvement pour m'at-tacher plus particulièrement A l'analyse de la théorie de la signification au nom de laquelle le discours métaphysique peut AStre taxé d'insignifiance.
1 / Sophistique, la métaphysique l'est pour une raison fondamentale : parce qu'elle passe indûment de la pensée A l'existence en hypostasiant l'idée d'inconditionné (obtenue par la répétition indéfinie du principe de raison) pour conclure A la réalité effective de cet inconditionné. C'est en ce sens que Kant écrit, dans une formule souvent lue, souvent citée, mais dont on perA§oit rarement la vérile portée, que - la logique générale considérée comme organon est toujours une logique de l'apparence, c'est-A -dire dialectique - : c'est en effet par un usage simplement logique d'un principe lui-mASme simplement formel, le principe de raison, que l'on parent, en cherchant sans cesse la raison de la raison, la cause de la cause, A l'Idée d'une cause ultime; et le fait que cette Idée apparaisse ainsi comme nécessaire, c'est-A -dire comme automatiquement produite par la logique interne du fonctionnement du principe de raison, ne justifie nullement (lA est la - dialectique -, la - sophistique -) le fait qu'on utilise cette idée comme - organon -, c'est-A -dire qu'on la réifie en lui accordant un contenu réel, bref, qu'on en déduise l'existence effective d'un Dieu (ou d'une science en soi achevée). Telle est donc la première illusion métaphysique, illusion qui consiste A confondre une Idée logiquement ou subjectivement nécessaire avec une Idée objective, possédant effectivement un corrélat réel. La métaphysique peut ainsi AStre décrite comme une forme de fétichisme intellectuel puisqu'elle oublie l'actité mentale qui conduit A l'Idée d'inconditionné, au profit du produit, du contenu (faussement) objectif de cette Idée.
2 / Sophistique, le rationalisme dogmatique est également dénué de toute vérité scientifique, puisqu'il en ent A énoncer des propositions qui ne sont plus susceptibles d'AStre vérifiées ou infirmées par l'expérience. En termes poppériens ' et l'on sait combien le néo-positisme de Popper est sur ce point explicitement l'héritier du kantisme ' on pourrait dire que les propositions métaphysiques (et, notamment, leur principe suprASme, A savoir l'affirmation de la rationalité parfaite du réel) ne sont pas - falsifiables -, qu'elles se meuvent dans un domaine qui, situé au-delA de l'espace et du temps, échappe A tout contrôle de l'expérience.
3 / La métaphysique s'avère également dénuée de sens. Pour saisir pleinement cette affirmation, il conent de rappeler, au moins brièvement, la théorie kantienne de la signification telle qu'elle est élaborée dans la doctrine de ce que Kant désigne sous le terme de Schématisme. Car c'est A ce niveau que se situe le vérile - noyau dur - de la critique criticiste de la métaphysique, A ce niveau aussi que la thèse et l'antithèse de notre antinomie pourront AStre dépassées dans une direction différente de celle qui est suggérée par les critiques positistes (qui se contentent fort bien des deux premières objections). Comme l'a montré A. Philonenko, suivant en cela Cohen et Cassirer1, la théorie kantienne du - Schématisme - est destinée essentiellement A résoudre les objections classiques qui sont opposées par les empiristes aux cartésiens touchant la question de la - représenilité - des concepts généraux. Selon les empiristes, en effet, les idées innées et les concepts généraux n'ont en réalité aucune signification, pour la bonne et simple raison que, d'un point de vue psychologique, il est impossible de se représenter un concept général. Chaque fois que je pense, par exemple, A l'idée de triangle, il est édent que je me représente, non une notion universelle et abstraite, mais un triangle particulier (une image particulière), possédant une forme et une grandeur également particulières. De lA la conclusion des empiristes selon laquelle les concepts généraux ne sont que des abstractions des et sans signification, toute représentation étant toujours, du point de vue du sujet empirique (mais il n'est pas d'autre point de vue !), particulière. Kant se devait inélement d'affronter cette objection, et ce, au moins pour deux raisons : d'abord parce que, sur un psychologique, il en avait toujours reconnu la validité, d'autre part parce qu'il admettait néanmoins l'existence de concepts universels a priori et nécessaires, A savoir les catégories ' dont on a dit comment elles définissaient l'ontologie (les critères de l'objectité en général) ' ainsi que les concepts scientifiques (par exemple, les concepts mathématiques comme le concept du triangle). Le problème posé par l'empirisme dent donc pour Kant le suivant : comment des concepts généraux peuvent-ils AStre particularisés, représentés par le sujet fini, par une conscience empirique située dans le temps, sans qu'ils cessent pour autant de posséder ce caractère de généralité sans lequel ils ne pourraient prétendre A une validité vérilement objective (universelle). C'est cette question que tente de résoudre la théorie du schématisme. La solution peut AStre simplement décrite dans les termes suivants : les concepts ne sont plus en vérité des images universelles (ce qui, effectivement, Kant l'accorde aux empiristes, n'a psychologiquement aucun sens), mais seulement des schèmes, c'est-A -dire des méthodes universelles (valables en tout temps et en tout lieu) de construction des objets. Par exemple : le concept de triangle n'est nullement une - représentation générale -, mais uniquement un ensemble de règles définissant la faA§on dont il faut procéder dans le temps, avec une règle et un compas, pour parvenir A tracer l'image particulière d'un triangle qui, malgré sa particularité, possédera en commun avec les autres triangles un certain nombre de propriétés (trois angles, trois côtés, 18oA°, etc.). Cette opération de - schématisation - des concepts est désignée par Kant sous le terme de - présentation - (Darstellung). Nous pouvons maintenant percevoir en quoi cette théorie de la schématisation/présentation permet bien de résoudre l'antinomie des cartésiens et des empiristes : en tant que schème, le concept général peut A la fois AStre particularisé et saisi dans le temps (dans le - sens interne - dit Kant) par la conscience empirique qui concrétise les règles de construction, sans perdre pour autant son caractère d'universalité (puisque, quelle que soit la personne qui trace le triangle et quelles que soient la taille et la forme de ce triangle, les procédés de constructions resteront identiques). On pourrait montrer de la mASme manière comment tous les concepts universels peuvent AStre pris comme schèmes : par exemple, le concept de causalité ne désignera plus une - création en général -, mais seulement un procédé ' celui de la méthode expérimentale ' par lequel on isole des variables afin de tester une hypothèse portant sur l'explication d'un phénomène, etc. Mais l'important, ici, est de percevoir que cette théorie du schématisme suppose une théorie de la signification : aucun concept n'aura de sens pour un sujet empirique concret s'il ne peut se schématiser, c'est-A -dire se représenter dans le temps (le sens interne) propre A la conscience de ce sujet; aucun discours n'est sensé s'il ne peut, d'une faA§on ou d'une autre, AStre rapporté A l'expérience, c'est-A -dire - présenté - dans une - intuition -. - Comment saurions-nous en effet procurer un sens, une signification A nos concepts si quelque intuition ' devant toujours en fin de compte AStre l'exemple d'une expérience possible quelconque ' ne leur était point soumise ? -*.
Avec Kant, s'instaure ainsi une rupture A l'égard du cartésianisme : le concept cesse d'AStre considéré comme une image générale qui habiterait l'entendement, pour devenir une actité de construction des objets ou des lois objectives (scientifiques), il n'est plus une représentation passive, mais un travail, un Begreiffen. De lA la troisième objection formulée contre la métaphysique : celle-ci énonce en effet un discours qui, par définition, est non schémati-sable, non représenle par la conscience empirique humaine : je puis certes définir l'omniscience d'un Dieu en disant qu'elle consiste dans le fait de - tout savoir -, je puis bien encore affirmer que, de son point de vue, la totalité du réel est rationnelle, mais je ne puis cependant attribuer aucun sens A de tels énoncés, car je ne puis jamais me les représenter concrètement : pour moi, AStre fini, le réel reste toujours au moins partiellement opaque, sensible, et l'idée d'omniscience ne peut jamais AStre présentée dans ma conscience. Le discours métaphysique apparait ainsi comme un discours qui, bien que cohérent conceptuellement, se déploie dans une sphère d'où je suis exclu en tant qu'AStre fini. En d'autres termes : le discours métaphysique n'est tenable que par quelqu'un qui renonce au sens, qui renonce A se représenter ce qu'il dit, et s'efface ainsi derrière ses propres énoncés.
Il semble bien, A considérer les trois objections qui d'un point de vue criticiste se peuvent élever contre la thèse de notre antinomie, que nous soyons ainsi irrémédiablement conduits vers l'antithèse, que nous ne puissions, puisque le discours de la raison n'est ni vrai ni sensé, que renoncer A cette raison et la tenir, décidément, pour - l'ennemie la plus acharnée de la pensée -. N'avons-nous pas en effet, sans mASme nous en rendre compte, opéré cette critique radicale que pourtant nous dénoncions ? Suggérant que la différence entre la critique phénoménologique et la critique criticiste de la métaphysique résidait dans le fait que la dernière accordait un certain usage légitime au discours métaphysique après sa déconstruction, cet usage avait pu AStre situé au niveau du sens. Mais comment un tel usage serait-il possible si, non vraie, la métaphysique (donc la thèse de notre antinomie) est également dénuée de sens ? C'est A cette question qu'on pourra répondre en examinant le quatrième et dernier moment de cette critique criticiste du rationalisme dogmatique.
d) Le statut des Idées après leur critique :
la raison comme exigence de sens ou le dépassement de l'antithèse
Si la critique criticiste prend essentiellement la forme d'une déféticbisation, si elle consiste A rappeler par quels mécanismes intellectuels se produit l'Idée d'une rationalité parfaite du réel (du sujet, du Monde, et de leur unité en Dieu ou en une science achevée, systématique) et comment, une fois cette Idée engendrée, elle est réifiée, hypostasiée, dans un discours qui échappe dès lors au sujet qui le tient (un discours qui n'est plus schématisable, représenle), il reste A nous demander A quelles conditions la métaphysique peut AStre - défétichisée - et ce qui subsiste d'elle, une fois opérée cette - défétichisation -.
Le point culminant du discours métaphysique est l'Idée de Dieu, entendue A la fois comme le terme ultime auquel la quASte des causes et des raisons ne peut que s'arrASter, mais aussi comme le point de vue A partir duquel la totalité de l'univers constituerait un ensemble cohérent, transparent et rationnel, bref, un système.
Cette Idée du système présente, abstraction faite de la question de sa vérité ou de sa signification, certaines propriétés remarquables : contemplé du point de vue de ce Dieu dont l'Idée est mécaniquement produite par la répétition du principe de raison, le Monde (et, par lA mASme, l'histoire de ce Monde et des hommes qui l'habitent) devrait offrir un certain nombre de caractéristiques qui le constitueraient proprement comme système. Il devrait en effet : i) regrouper sous une loi unique, 2) la plus grande pluralité possible d'AStres différents, y) sans que pour autant il y ait entre ces AStres un de, un hiatus par quoi la rationalité systématique serait brisée (principe de continuité); ainsi, 4) cette unité systématique de la totalité du divers pourrait apparaitre, sous l'œil du détenteur de la science achevée, comme pleinement rationnelle de sorte que intuition et concept, existence et pensée ne feraient qu'un1. Il est inutile de souligner que la philosophie de l'histoire qu'énonce la thèse de notre antinomie présente ces mASmes qualités, qu'elle n'est que l'application A l'historicité de cette Idée du système (D'où le caractère éminemment théologique des tentatives qui, mASme sous les apparences d'une sécularisation de cette représentation du système, prétendent livrer les clefs de l'ensemble du cours de l'histoire.)
On a dit comment cette notion de système sous sa forme fétichisée, réifiée ' en tant qu'on la posait comme objective et valable en soi ' n'avait ni vérité ni signification. Mais on a également souligné en quoi elle était néanmoins une Idée nécessaire de la raison, inélement produite qu'elle était par le fonctionnement mASme d'un principe ontologique (le principe de raison) dont il semble impossible de prétendre faire l'économie. De lA le projet de - défétichiser - cette Idée pour lui redonner, sinon une vérité, du moins une signification :
' défétichiser la notion de système reent au fond A lui restituer son statut d'Idée, c'est-A -dire d'exigence subjective, mais nécessaire, de la raison humaine;
' lui redonner sens : c'est, si on se réfère A la théorie de la signification qu'on ent d'exposer, tenter de la schématiser, de la faire tomber dans la conscience.
Bien que non schématisable, non représenle, dans sa forme fétichisée, l'idée de système peut en effet fort bien se laisser schématiser, donc posséder une signification, A titre d'exigence : si schématiser un concept, c'est le transformer en un ensemble de règles destinées A construire dans le temps un objet, schématiser l'Idée de système reendra A la penser comme un impératif adressé A l'entendement humain de travailler A constituer autant que faire se peut nos
connaissances scientifiques en système. En d'autres termes : en tant qu'Idée métaphysique réifiée, la notion de système affirme en soi la rationalité du réel; en tant que scheme, elle ne fait qu'exiger que l'on cherche A produire le maximum de systématicité dans nos connaissances. Défétichisée, transformée en exigence, en horizon d'attente, et non plus posée comme affirmation dogmatique, l'Idée de système peut ainsi trouver A se schématiser, non il est vrai d'un seul coup et en totalité, mais au cours de ce processus partiel et indéfini qui caractérise toute actité vérilement scientifique. Chaque progrès scientifique fonctionnera dès lors comme une illustration de cette Idée, comme une évocation de l'exigence qu'elle nous impose de travailler A la rationalité du réel, s'il est vrai du moins que - les vérités se groupent en système alors que les erreurs se perdent dans un magma informe -*. En ce sens, les Idées de la raison continuent de posséder après leur déconstruction, une certaine légitimité, un - usage régulateur -, - celui de diriger l'entendement vers un certain but qui fait converger les lignes de directions que suivent toutes les règles en un point qui, pour n'AStre, il est vrai, qu'une Idée (focus imaginarius), c'est-A -dire un point d'où les concepts de l'entendement ne partent pas réellement ' puisqu'il est entièrement placé hors des bornes de l'expérience possible ' sert cependant A leur procurer la plus grande unité avec la plus grande extension -2.
L'Idée de système (de rationalité parfaite) étant purement subjective, rien ne garantit qu'elle puisse trouver dans la réalité la moindre illustration; mais rien h'interdit non plus de chercher A lui trouver des commencements de présentation ' et, en évoquant ainsi cette Idée, de lui conférer une signification concrète A titre d'exigence. Les commencements de présentation ou de schématisation sont désignés par Kant sous le nom de - symboles -, et le processus par lequel le réel évoque de lui-mASme l'Idée de système possède un sens pour la réflexion subjective (dans ce que Kant nomme le - jugement réfléchissant -), mais non une vérité objective. Dans son usage régulateur, l'Idée de système (ou, si l'on veut, la thèse de notre antinomie) permet ainsi de conférer un sens A certains phénomènes, A vrai dire, A tous les phénomènes qui, tels le progrès scientifique ou l'objet beau, ennent donner un début de réalisation A notre exigence de systématicité et créent ainsi une satisfaction - esthétique -l.
C'est donc sur le modèle de ce que Kant désigne comme processus de réflexion qu'il conent peut-AStre de chercher la solution ultime de notre antinomie. Le terme de réflexion (dont on rappellera qu'il est chez Kant parfaitement univoque) décrit une actité intellectuelle qui, quel que soit l'objet auquel elle s'applique, renferme cinq moments. Un bref exemple, celui de la formation des concepts empiriques (emprunté A la logique de Kant), pourra serr ici d'illustration et faire comprendre plus concrètement en quel sens on se propose de chercher la solution de l'antinomie dans ce paradigme qu'est le processus de réflexion. Pour forger le concept empirique d'un ensemble d'objets qui nous sont inconnus (par exemple une variété d'arbres non encore répertoriée), il faut procéder A ce que nous nommerions aujourd'hui une opération de - classement - : en ant des ressemblances, en faisant abstraction de différences non essentielles, on parent A regrouper sous une classe commune les objets considérés; le concept empirique est ainsi créé. Dans cette opération simple, les cinq éléments constitutifs de la réflexion (du - jugement réfléchissant -) sont déjA présents :
1) Tout d'abord, l'actité réfléchissante procède A l'édence du particulier A l'universel, des indidus A la classe.
2) Le général (ou l'universel) n'est donc pas présent avant l'actité de réflexion, mais seulement après et par elle. (Ce par quoi le jugement réfléchissant s'oppose au jugement - déterminant- qui lui, tout au contraire, va d'un universel qu'on possède vers le particulier et ne constitue ainsi qu'une application de l'universel.)
3) Bien que le général ne soit pas donné comme concept au départ, il existe nécessairement pourtant un horizon d'attente implicite qui sert de fil conducteur ou, comme dit Kant, de principe A cette réflexion : en l'occurrence, ce principe est fourni par la logique des classes : il consiste dans l'espérance, l'exigence que le réel va se laisser classer, et se conformer ainsi au logique. Le général qui n'est pas donné comme concept déterminé, l'est donc bien comme Idée, comme exigence, ou pour employer encore deux expressions synonymes, comme - principe régulateur - ou - principe de réflexion -.
4) En conséquence, il est parfaitement contingent que le réel corresponde ou non A cette exigence de rationalité logique que nous ne lui imposons pas mais lui soumettons seulement : il serait possible en effet que le réel ne corresponde pas A notre exigence subjective de systématicité logique de sorte que nous ne parendrions A constituer ni genres ni espèces. Bref, en des termes qui nous sont maintenant familiers, il se pourrait que le réel soit - illogique -, qu'il ne soit pas rationnel ' éventualité que la Critique de la raison pure ensage très explicitement1. C'est donc en ce point précis que la critique de la métaphysique et l'Idée de réflexion se rejoignent : si le réel est contingent par rapport A notre exigence de systématicité logique, c'est parce que, ayant brisé le cercle de la métaphysique, on a posé clairement la non-rationalité du réel; si la notion de réflexion est possible, c'est que la systématicité ou la rationalité ne sont plus des affirmations, mais des exigences.
f) L'actité de réflexion s'avère AStre ainsi par essence la source d'une satisfaction que Kant désigne dans la troisième Critique comme esthétique (A entendre ici, A la différence de l'usage fait de ce terme dans la première Critique, en référence avec la notion de beauté) : c'est parce que le réel est contingent par rapport au principe de notre réflexion (A notre exigence de rationalité logique), c'est parce que ce principe n'est pas une certitude mais une exigence, qu'il peut y avoir un plaisir d'ordre esthétique, une satisfaction que rien ne garantissait a priori. De lA le fait que l'on retrouve dans le jugement de goût les cinq moments décrits, ce jugement procédant lui aussi : a) du particulier A l'universel; b) et cela sans concept; c) l'Idée de système lui tenant lieu de principe de la réflexion; d) l'existence de l'objet beau étant contingente par rapport A cette Idée; e) et l'accord lui aussi contingent du réel particulier avec l'exigence universelle de système engendrant un plaisir esthétique : en effet, l'Idée de système, ou de rationalité parfaite du réel exigerait que le sensible (le non-rationnel par excellence) et l'intelligible fussent réconciliés (sans quoi, par définition, tout ne serait pas rationnel). L'objet beau est ainsi celui qui, réalisant de faA§on contingente un certain accord du sensible et de l'intelligible (la peinture ou la musique, par exemple, sont toutes matérielles, mais qui nierait qu'elles semblent avoir un sens ?), évoque symboliquement cette Idée de système.
L'actité de réflexion qui s'explicite dans les cinq moments qu'on ent brièvement de rappeler nous fournit ainsi le paradigme d'une solution de notre antinomie : la thèse peut AStre conservée A titre d'exigence, de - principe de la réflexion - ou de fil conducteur sans que F antithèse, l'affirmation de la contingence ne soit abolie ; et réciproquement : le maintien de l'antithèse ne supprime plus la rationalité pourvu seulement qu'elle soit posée comme exigence de sens et non comme vérité dogmatique.
Munis de ce paradigme de solution, nous pouvons maintenant l'appliquer concrètement A la question du statut du principe de raison dans l'intellection de l'historicité. Ce statut est, pour résumer ce qui précède, double :
' d'une part, le principe de raison peut AStre utilisé comme un concept scientifique en vue de rechercher l'explication d'un phénomène (principe de causalité);
' d'autre part, il peut, lorsqu'il se redouble lui-mASme dans une quASte infinie de la cause ultime de toutes les causes, donner heu A l'illusion métaphysique de la rationalité parfaite du réel (Idée de Dieu ou de système).
Pour posséder une signification, le principe de raison doit, conformément A ce qui a été dit, pouvoir se laisser schématiser, représenter dans le sens interne, dans la conscience empirique temporelle.
' Cette schématisation a lieu pour le principe de raison dans son usage scientifique, lorsque la causalité ne désigne plus une entité créatrice d'un effet, mais seulement une méthode (la méthode expérimentale) par laquelle on cherche, en émettant des hypothèses, en isolant des variables, etc., A déterminer quel événement succède A quel autre de faA§on irréversible (cf. la - deuxième analogie de l'expérience - dans la Critique de la raison pure).
' De son côté, l'Idée métaphysique de système est schématisée lorsque, transformée en exigence, elle deent seulement, elle aussi, une méthode sant A organiser nos connaissances et A conférer un sens A des phénomènes qui, d'eux-mASmes, feraient signe vers une telle organisation systématique (tel l'objet beau).
Cette double schématisation du double statut du principe de raison (comme concept scientifique et comme Idée métaphysique défétichisée) dessine ainsi l'articulation de ce que pourraient AStre une science historique critique et une philosophie critique de l'histoire :
' Une science historique critique : l'expression - science de l'histoire - est, on l'oublie trop souvent, tout A fait équivoque. Elle tend aujourd'hui, sous l'impulsion du marxisme - scientifique -, A désigner une pseudo-science/pseudo-métaphysique de l'histoire qui correspond en fait A la philosophie de l'histoire qui, dans le schéma esquissé en avant-propos, occupe la position nA° 3. Comme telle, c'est A juste titre que cette expression a été discréditée, notamment dans des travaux comme ceux de K. Popper sur l'historicisme. Il serait cependant absurde d'en déduire que toute prétention A la scientificité dans le champ de l'histoire soit illusoire et qu'elle se confonde inélement avec le projet de science de l'histoire tel qu'il fut élaboré dans l'horizon du marxisme. En d'autres termes, il serait aberrant de récuser, comme le fait Arendt, l'usage du concept de causalité en histoire sous le prétexte fallacieux qu'un tel usage engendre inélement le projet d'une - science de l'histoire - au sens marxiste. Comme j'ai tenté de le montrer ailleurs1, il est un usage possible du principe de causalité en histoire qui permet d'attribuer A cette discipline un statut A la fois scientifique et cependant non historiciste2 : tel fut le projet de M. Weber qui, dans une tradition nettement inspirée du kantisme, a entrepris précisément de conférer A l'usage de la causalité en histoire un statut non historiciste, non incompatible avec l'indétermination et la contingence caractéristiques du monde de l'esprit. Sans entrer ici dans le détail de la pensée wébérienne de la causalité historique ' une telle analyse a déjA été lumineusement menée par R. Aron dans ses travaux sur Weber et la question de l'objectité historique ' on se bornera A souligner qu'elle ne consiste en rien d'autre qu'en une tentative d'appliquer A l'historicité le concept scientifique de la causalité pris comme schème, et d'élaborer ainsi une méthode expérimentale historique dont la sociologie ent tester les hypothèses. La question célèbre - Que se serait-il passé si les Perses avaient gagné la bataille de Marathon -, question qui, dit-on, faisait sourire les historiens, n'avait pas d'autre but dans l'esprit de Weber que de montrer la compatibilité de l'usage de la causalité et de l'indétermination (contingence) historique.
' Mais c'est aussi une philosophie critique de l'histoire qui se peut fonder sur la schématisation du second statut du principe de raison. Car prise comme exigence de rationalité, l'idée de système peut, comme Kant a tenté de le montrer dans ses opuscules sur la philosophie de l'histoire, mais aussi et surtout dans le A§ 83 de la Critique de la faculté de juger, serr d'horizon d'attente quasi esthétique A une historiographie philosophique. Sans postuler la vérité d'une quelconque - ruse de la raison -, elle peut utiliser la structure générale de cette philosophie de l'histoire comme fil conducteur, comme principe de la réflexion destiné A fournir un sens A des événements marquant une époque ou, dans les termes de Kant, A la notion de Progrès ou, ce qui reent au mASme, de la non-rationalité du réel. Schématisé, c'est-A -dire mis en accord avec les conditions propres A la finitude radicale de l'esprit humain, le principe de raison peut donner lieu A une science historique et A une philosophie de l'histoire qui, ni l'une ni l'autre, ne nient l'indétermination de l'historicité sans renoncer pour autant (tentative A l'édence impossible épistémologiquement et singulièrement dangereuse sur le politique) aux exigences de la rationalité.
La solution critique de cette antinomie autorise ainsi deux conclusions et soulève, il est vrai, une difficulté majeure.
La première conclusion tient au fait que cette solution nous inte A penser de faA§on schématique (méthodique) aussi bien l'antithèse que la thèse de notre antinomie : penser schématique-ment la thèse, c'est, on l'a longuement expliqué, la transformer en exigence et par lA mASme en méthode. Penser schématiquement l'antithèse, c'est ' et cela, nous ne pouvons le percevoir que maintenant ' penser la contingence, la - différence ontologique -, non en termes - objectifs -, comme une différence entre - l'Etre et l'étant -, entre la - venue en présence - et - la présence -, mais en termes - subjectifs - et cependant non métaphysiques, comme l'étonne-ment ou le plaisir esthétique ponctuel que peut ressentir le sujet qui, exigeant la rationalité sans en postuler d'avance l'incarnation, voit son attente parfois et partiellement satisfaite.
La seconde conclusion concerne l'articulation de la science historique A la philosophie critique de l'histoire. La solution de notre antinomie conduit A poser deux termes extrASmes : d'un côté la contingence radicale du réel, par définition non rationnel, de l'autre l'exigence de rationalité parfaite, systématique, ces deux extrASmes correspondant A la pensée - schématique - de l'antithèse et de la thèse. Ces deux moments, pris ensemble dans la solution critique de l'antinomie, esquissent le cadre d'une philosophie critique de l'histoire. Mais c'est entre ces deux extrASmes que peut venir se loger la science historique critique, c'est-A -dire la science qui, construisant A l'aide du concept scientifique de causalité des explications toujours partielles et hypothétiques, ne refuse ni la dimension de contingence, ni la dimension de sens qui sont aussi celles de l'histoire et s'ésectiune ainsi des deux tentations que représentent l'historicisme et l'irrationalisme.
Cette solution critique de l'antinomie qui se forme A propos du statut du principe de raison dans le champ de l'histoire me semble cependant, malgré la justesse qu'elle présente A mes yeux sur le purement théorique, soulever une difficulté redoule sur le de la philosophie pratique. Elle nous a permis d'échapper aux apories inélement engendrées par les deux dogmatismes que constituent l'hégélianisme et sa déconstruction phénoménologique ; elle autorise sans contradiction A penser l'histoire comme contingente tout en maintenant les exigences de la raison spéculative, mais elle nous laisse dans une totale incertitude quant au statut de la liberté humaine dans l'histoire, puisque A la question de la cause de l'événement historique elle ne peut répondre que d'un point de vue purement théorique, en proposant des explications partielles qui s'ouvrent A l'indéterminé et s'orientent A une sion globale du progrès d'où la liberté indiduelle est aussi absente que dans l'hégélianisme. Autrement dit : le fait que la théorie de la ruse de la raison ' ou du - dessein de la nature - ' n'ait plus le statut d'une affirmation dogmatique est certes essentiel d'un point de vue théorique, puisque la schématisation de cette idée permet d'introduire en mASme temps la contingence et la scientificité dans le champ de l'histoire. Mais d'un point de vue pratique (éthique) il semble bien que cette différence ne possède aucun impact : que le rationalisme de la thèse ait ou non le statut d'un - principe de la réflexion -, d'une simple exigence, ne change rien au fait qu'il exclut par essence la sion morale de l'histoire. Et il serait tout A fait fallacieux ' bien qu'une telle opération soit bien souvent effectuée dans la tradition phénoménologique ' de conclure subrepticement de la contingence A la liberté morale : comme le suggérait déjA l'avant-propos de cet essai, ce n'est pas parce que le monde humain est en son fond indéterminé, ce n'est pas parce que nous échappons A l'emprise totale du rationalisme dogmatique que nous pouvons, sans autre forme de procès, nous penser nous-mASmes comme liberté agissante, comme fondement ultime de nos propres actions. Bref, la limitation de la thèse et de l'antithèse de notre antinomie ne nous autorise pas encore A penser l'indétermination comme liberté morale, de sorte que la philosophie pratique de l'histoire (la - sion morale du monde -) reste largement problématique au stade où nous en sommes parvenus de notre recherche. De lA la question qu'il nous faut encore aborder : A quelles conditions une sion éthique de l'histoire peut-elle AStre compatible avec la solution théorique de l'antinomie qu'on ent d'exposer ?
C'est afin, sinon de lever, du moins d'explorer les apories auxquelles nous conduit une telle question, qu'on se proposera d'analyser dans ce qui suit la philosophie de l'histoire du jeune Fichte en tant qu'elle constitue la plus goureuse et la plus cohérente mise A jour des présupposés et des implications ultimes d'une sion éthique de l'histoire.