La politique de concurrence joue un rôle fondamental dans la
construction européenne : le postulat de base est, en effet, qu'une
économie de marché effective est le moyen le plus efficace de réaliser les objectifs économiques de l'Union européenne ; de plus, la réalisation d'un marché intérieur suppose, non seulement la suppression des entraves nationales à la circulation des marchandises, mais aussi l'élimination des structures et des comportements susceptibles de fausser le jeu du marché et d'engendrer une appropriation des gains du grand marché par des acteurs particuliers.
Trois questions se posent : celle de la légitimité d'une politique de concurrence, celle de son orientation et celle de la légitimité d'une politique commune de concurrence.
Concurrence et efficience
La politique de concurrence se réfère au message de la théorie
économique de base qui considère que les effets bénéfiques d'une économie de marché ne peuvent être obtenus que dans le cadre d'une économie concurrentielle. Dans l'analyse traditionnelle des structures de marchés, le régime de concurrence pure et parfaite, dans lequel les entreprises n'ont pas indiduellement d'influence sur la formation
des prix (elles sont price taker), le prix tend vers son minimum, le point où le coût moyen est minimal, ce qui constitue un optimum pour l'économie dans son ensemble. Un prix plus élevé engendrerait des surprofits; un prix plus faible, des pertes. En revanche, le monopole aboutit à une situation bien moins avantageuse, puisque le prix est supérieur et la quantité fournie plus faible. Cette analyse, couramment admise, entre, en fait, en contradiction avec la réalité de la compétition entre firmes qui suppose qu'une
entreprise tend à s'imposer par des coûts et des prix plus faibles et des innovations, qui sent à accroitre sa part de marché et donc son pouvoir de marché.
Une politique de concurrence, ayant pour objectif d'instaurer un vérile régime concurrentiel, reendrait alors à affaiblir les gagnants et les firmes les plus efficaces. Lorsqu'il existe de fortes économies d'échelle, et que la petite entreprise produit à un coût nettement supérieur à celui de l'entreprise plus grande, le monopole, qui est alors un « monopole naturel », ou, de façon générale, la grande entreprise, est générateur d'efficience. C'est ainsi que, dans les industries où les coûts d'entrée et les économies d'échelle sont élevés (par exemple, dans l'industrie aérospatiale), le prix du monopole peut être inférieur à celui qui résulterait d'une concurrence ve entre petites entreprises inefficientes. Sur un marché réel
marqué par certaines imperfections (économies d'échelle, coûts irrécupérables, innovation, information asymétrique), on trouve des arguments en faveur de la concentration et de la protection des droits de propriété. C'est ainsi que, si les droits de propriété des inventeurs ne sont pas assez protégés, l'inventeur peut ne pas avoir intérêt à diffuser son innovation, et le chercheur peut ne pas être incité à innover.
La politique de la concurrence se trouve ainsi au cœur d'une contradiction : d'un côté, la concentration permet la
rationalisation de la production et l'acquisition d'une taille optimale ; d'un autre côté, la concentration étouffe la concurrence, maintient les prix à un niveau élevé et inhibe l'innovation.
Différentes conceptions de la politique de la concurrence
On peut opposer deux grandes familles de conceptions de la politique de concurrence : celle qui prône la « concurrence en soi » et celle pour laquelle la concurrence est un instrument.
Parmi les tenants de la recherche de la « concurrence en soi », deux conceptions peuvent être dégagées. Une première conception considère que la politique de concurrence ne poursuit pas seulement un objectif d'efficacité, mais aussi un objectif politique en soi, permettant l'exercice de la liberté de choix et de l'initiative indiduelle. L'objectif est donc de diffuser le pouvoir économique de telle façon que la
constitution de pouvoirs privés importants ne jette pas de discrédit sur la propriété privée. Cette approche préconise donc la surveillance des positions dominantes, l'aide à la création et la protection des petites ei moyennes entreprises.
Une autre conception peut être qualifiée d'ultra-libérale, dans la mesure où elle pousse Ie laisser-faire jusqu'à l'élimination de toute politique de la concurrence, jugée moins efficace que le jeu naturel du marché. Cette position, défendue par les libéraux de l'École de Chicago, se réfère souvent aux analyses de l'innovation de Schum-peter selon lesquelles la concurrence oblige les entreprises à acquérir, grace à l'innovation, des positions dominantes mais transitoires sur le marché. La dynamique de l'innovation et l'entrée de nouveaux intervenants érodent la position des monopoles et des sectiunels et rendent leur maintien impossible. Le monopole n'élimine pas la concurrence parce que, par nature, il est transitoire. La remise en cause spontanée des pouvoirs de marché existants est plus efficace qu'une réglementation définie par des bureaucrates et/ ou des politiques. La concentration n'est pas a priori inquiétante puisque les firmes les plus grandes sont les plus efficientes. Si cette approche accepte la surveillance des collusions et la suppression des barrières à l'entrée légales, en revanche, elle s'oppose au contrôle des comportements (abus de position dominante, restrictions) qui sont bénéfiques et qui ne peuvent perdurer. Surtout, elle préconise la suppression de toutes les entraves à la concurrence d'origine étatique, qu'il s'agisse des différentes formes de réglementation ou des monopoles publics.
Deux autres conceptions se réfèrent à une sion de la concurrence comme instrument. Une première conception se à promouvoir l'efficacité, l'idée étant que la concurrence est souvent, mais pas toujours, le moyen d'accroitre le bien-être, ce qui peut passer par la promotion de « champions », nationaux ou européens. Cette approche, très pertinente, se heurte à des difficultés de mise en œuvre, de mesure de l'efficacité, en particulier en raison d'une asymétrie d'information, le décideur public ne disposant pas de toute l'information sur les effets de telle ou telle pratique de concurrence. Une deuxième conception cherche, à travers la politique de la concurrence, à satisfaire l'intérêt public, à réaliser des objectifs économiques et sociaux. La réalisation de la concurrence doit alors être combinée avec d'autres politiques : une
politique industrielle sant à promouvoir certaines actités ; une politique sociale destinée à assurer la reconversion des secteurs en crise, la difficulté tenant à la définition et à la aison d'objectifs hétérogènes par nature.
Les justifications d'une politique de concurrence européenne
Au-delà de la question de la légitimité d'une politique de concurrence, se pose le problème du niveau de définition de cette politique et de la pertinence d'une politique européenne. Tout d'abord, un transfert de compétence de l'État-nation vers les autorités européennes a pour but de promouvoir une harmonisation européenne de la politique de concurrence et d'éter les divergences entre les politiques nationales. Par ailleurs, même si les politiques sont construites sur les mêmes bases, elles peuvent créer des externalités qu'une politique communautaire est mieux à même de prendre en charge. En troisième lieu, c'est à la Communauté européenne que reent la mission de contrôler les entraves à la concurrence qui trouvent leur origine dans le comportement des États membres (subventions, réglementation des serces publics de réseaux).
Politique de concurrence et politique industrielle sont, au moins en partie, contradictoires : la première repose sur la
neutralité et la neutralisation de toutes les entraves au jeu du marché ; la seconde prilégie la sélectité. Dans ce conflit entre deux politiques, c'est, dans le cadre européen, plutôt la politique de concurrence qui a le dessus.