La théorie des antages atifs, telle qu'elle a été développée par Ricardo puis par HOS, repose, tout d'abord, sur deux hypothèses discules : l'immobilité des facteurs de production et l'absence de prise en compte du change. En effet, les flux se cantonnent aux marchandises ; le modèle émet l'hypothèse que les facteurs de production sont immobiles et que la mobilité des marchandises se substitue à celle du trail et du capital. Cette hypothèse est fortement décalée par rapport à une réalité dans laquelle capitaux et technologies (la main-d'œuvre beaucoup moins) sont extrêmement mobiles d'un pays à l'autre. Par ailleurs, le modèle repose sur l'idée que les taux de change reflètent des antages atifs et tendent à équilibrer les échanges. En fait, la formation des taux de change obéit aussi à des facteurs non commerciaux (flux financiers, politiques de dépréciation compétitive). Les échanges ne dépendent donc pas exclusivement des antages atifs, mais aussi de taux de change, eux-mêmes fonctions de riables financières et monétaires.
Toutefois, les critiques du modèle
concurrentiel portent sur la structure même d'un modèle qui repose sur un cadre d'analyse concurrentiel, qui donne une interprétation aux échanges interbranches entre pays différents, et qui est, par nature, statique.
Une analyse concurrentielle
Les modèles de Ricardo et de HOS supposent que la production et les
marchés sont définis dans un cadre de concurrence pure et parfaite, ce qui a deux implications majeures.
Dans la théorie, les acteurs, en particulier les entreprises, sont de petite taille et donc price takers : ils subissent
des prix de marché et ne disposent d'aucune marge de manœuvre dans leur politique de prix. Ce schéma de la concurrence pure et parfaite aboutit à la négation de la concurrence effective : selon l'expression de F. Perroux ', c'est un « régime des adaptations sans
stratégies », « un univers économique du contrat sans combat ». Cette hypothèse est en contradiction avec la réalité de nombre de marchés mondiaux sur lesquels régnent une
entreprise ou un petit nombre d'entreprises (informatique, aéronautique, espace, automobile) qui sont price makers, c'est-à-dire en mesure de jouer un rôle actif sur la détermination des prix. Leurs stratégies sont alors déterminantes.
Les rendements d'échelle sont, dans la théorie des antages atifs, constants ou décroissants. Il n'existe aucun antage propre à la grande taille. L'augmentation de la taille des unités de production n'a pas d'effet positif sur la productivité, et la petite entreprise peut venir concurrencer de façon efficace la grande. De plus, ces modèles reposent sur l'idée que la production est à un niveau optimal : ils ne prennent pas en compte les gains de
productivité qui peuvent naitre de l'agrandissement de la taille du marché. Les seuls gains possibles sont les gains qui proviennent de la réallocation des ressources. Le Portugal produit plus de vin et l'Angleterre plus de drap, mais dans les mêmes conditions techniques : l'augmentation de la taille du marché ne crée pas d'économies d'échelle ; la taille du marché ne crée pas de pression concurrentielle de nature à susciter des gains de productivité. Dans de nombreux secteurs économiques, les rendements croissants donnent un antage déterminant aux unités de grande taille et le grand marché permet d'obtenir une productivité plus importante.
La ure 17 oppose deux cas. Dans le premier cas, les rendements sont rapidement décroissants (les coûts croissants) ; la taille optimale est beaucoup plus faible que la taille du marché ; l'entreprise est price taker et il y a place pour de nombreuses entreprises. Dans le second cas, les rendements sont croissants (les coûts décroissants) ; la taille optimale est able à la taille du marché ; l'entreprise est price maker et il y a place pour une seule entreprise. On voit clairement le sens de l'hypothèse d'atomicité : les entreprises sont de petite taille et sans influence sur le marché lorsque les rendements sont décroissants.
Une analyse des échanges « inter-branches » entre pays différents
Les analyses de Ricardo et de HOS fournissent une explication des échanges entre branches différentes et donc entre pays différents (soit par leurs technologies, soit par leurs dotations en facteurs de production). Ce sont les différences structurelles entre pays qui favorisent l'échange international : plus ces différences sont marquées, plus l'intérêt du
commerce international est fort. Ce cadre d'analyse n'est donc capable d'expliquer, ni des échanges entre pays similaires - or ce sont les échanges entre pays développés qui, depuis une trentaine d'années, ont connu le dynamisme le plus fort - ni des échanges croisés, dits intra-branche. Or l'analyse fine des échanges internationaux montre qu'entre pays de niveau de
développement able les échanges croisés sont extrêmement intenses, l'illustration la plus fréquemment citée étant celle des échanges de l'industrie automobile.
Une analyse statique
L'approche est statique, dans la mesure où les antages atifs ne sont pas expliqués : partant de certaines caractéristiques des systèmes productifs, d'une technologie, ou de dotations en facteurs de production, qui sont des données, le raisonnement en déduit la nature des échanges et de la spécialisation. Par exemple, la théorie HOS considère différents pays inégalement dotés de facteurs de production et en déduit les flux d'échange. Il est clair que, dans cette perspective, les structures de production (importance et nature du trail et du capital) sont des données exogènes sur lesquelles on ne s'interroge pas.
Or, les « dotations » en facteurs de production ne sont pas déterminées une fois pour toutes, mais évoluent en fonction des stratégies des entreprises et des modes de développement des pays : « Dans tous les cas, le principe classique de l'antage atif reste le fondement de la spécialisation internationale Mais, de plus en plus, les analyses déterministes, qui voudraient attribuer à chaque nation sa place obligée dans la division internationale du trail, doivent être remplacées par une vision dynamique. Par l'innotion, les entreprises créent sans cesse de nouvelles sources de spécialisation, et les nations qui engendrent ou attirent ces entreprises peuvent remettre en cause tous les antages acquis antérieurement par les anciens pays industriels '. » L'hypothèse implicite de la statique concurrentielle est qu'un antage atif est permanent. Or, un pays peut avoir, à un moment donné du temps, un antage atif dans une activité déterminée qui disparait au cours du temps ; tel est le cas pour la sidérurgie et le textile dans les pays de l'Europe de l'Ouest. Inversement, tous les antages ne sont pas nécessairement naturellement acquis, ils peuvent être aussi « construits » ; c'est ce qu'exprime la notion d'« antages stratégiques » de Porter (1986).
Les conclusions tirées de la statique concurrentielle sont fortement déterminées par ces hypothèses restrictives. Partant d'antages relatifs existants, l'analyse statique préconise le libre-échange et il est significatif que, de façon symétrique, certaines justifications du protectionnisme, et en tout premier chef celles de List, partent d'une conception dynamique de l'échange international, qu'il s'agisse de créer un milieu favorable à la construction d'antages (protectionnisme des « industries naissantes » ou « industries dans l'enfance ») ou bien d'atténuer les conséquences malheureuses de la disparition d'un antage (protectionnisme des industries sénes-centes). Les barrières douanières permettent de constituer des structures de production compétitives à l'abri de la concurrence internationale. On voit aisément comment cette perspective est « dynamique », dans le sens où le temps de la
constitution d'une industrie est stratégique. L'analyse statique explique les flux commerciaux et la spécialisation par les échanges atifs. La dynamique invite à voir, en retour, les effets du commerce sur les antages atifs : les pays en voie de développement fournissent des exemples flagrants de structures modelées par les relations commerciales avec les grandes métropoles. L'analyse statique, parce qu'elle se borne à constater les antages atifs sans s'interroger sur leur genèse, ne peut prendre en compte l'effet du commerce sur les structures économiques.