II y a une dimension sociale de la construction européenne qui puise dans une tradition plus ancienne. D'ailleurs, quand on sort d'Europe, l'idée que celle-ci est porteuse d'un modèle social est très répandue, parce qu'en dépit de la dirsité des institutions il y a des traits communs : un haut niau de protection sociale, un droit du
travail très élaboré, une liberté syndicale très construite et très organisée et l'accès aux
services publics, c'est-à-dire à des services jugés essentiels pour la vie quotidienne. Donc, cette unité existe en traits communs. Mais ceux-ci ne sont pas nés de rien, ils sont nus d'une histoire croisée, de luttes sociales et politiques, la solidarité ouvrière en étant un exemple emblématique. Cela dit, en terme d'organisation proprement dite, il y a différents modèles sociaux nationaux, ac des relations qui ont commencé de se construire, en gros à partir de l'Acte unique européen. Jacques Delors, au moment où a été décidée la formation d'un marché unique, et non plus commun, dans la
philosophie et la culture de l'économie sociale de marché, a fait inclure toute une partie de politique sociale dans ce traité de 1986. Peut-être faut-il préciser les caractéristiques spécifiques de cette dimension sociale de la construction européenne. Je dirais qu'il y a une clé qui s'est affirmée après Jacques Delors ac la Charte des droits fondamentaux, que chaque État doit respecter et dont on cherche à proer la culture à l'échelle globale. Il y a des droits sociaux apportés spécifiquement par la construction européenne, notamment l'hygiène et la sécurité au travail, la non-discrimination hommes/femmes, dont l'Europe est porteuse. Une autre dimension est le dialogue social, promu aussi à l'époque de l'Acte unique et consolidé ensuite, c'est-à-dire l'option ourte aux partenaires sociaux de faire avancer le droit social sous la forme de négociations professionnelles entre partenaires sociaux, avant même toute législation. Et puis, il y a la création des fonds structurels. C'est très important parce que le social sans mécanisme de redistribution, ce n'est pas du social. Or, en son temps, Jacques Delors a doublé, triplé les fonds structurels. L'idée était: on construit un marché unique et cela suppose une dimension sociale. Cela dit, la suite de l'histoire est un peu plus difficile, car on est entré dans le contexte des grandes mutations : mondialisation, mutation démographique. Chaque État-nation a réagi à sa façon, a entrepris de gros efforts de rénovation ou de transformation de son régime social et économique. Et l'Europe, dans la
stratégie qu'elle cherche à mettre en ouvre face à la mondialisation, qui est la stratégie dite de Lisbonne, lancée en 2000 et réajustée en 2005, a eu tendance à s'en remettre à un noul outil, qui s'appelle la «méthode ourte de coordination». Elle consiste à fixer des lignes directrices essentiellement sur la question de l'emploi et du marché du travail ainsi que sur la protection sociale. L'Europe fixe des lignes directrices qui sont des objectifs, les mêmes objectifs pour tout le monde, que chaque État membre doit chercher à atteindre ; mais c'est à chaque État de les réaliser : il n'y a pas de mécanisme d'incitation ni de sanction. Cette méthode ourte de coordination est denue l'outil principal. Elle a recours à la pression exercée par les pairs sur les États, pour qu'ils s'ajustent. En revanche, les éléments de déloppement d'un droit social spécifique et les fonds de redistribution dits «fonds structurels», n'ont guère avancé. On a juste créé récemment un fonds d'ajustement aux chocs de la mondialisation, à l'exclusion des restructurations produites par les échanges intracommunautaires. Dans l'ensemble, on peut dire que durant cette dernière décennie l'agenda social a été relatiment minoré, face à ces mutations. Les États ne coopèrent pas, les États ne ulent pas partager les ressources, et d'autre part, le moument social est affaibli, les partenaires sociaux continuent de négocier, mais il n'y a plus l'élan qu'on a connu il y a vingt ans. Donc on est dans une situation qui provoque un certain nombre de préoccupations et je terminerai ce point. L'Europe est divisée. On souhaite partager le social, mais elle est divisée en capitalismes nationaux rivaux. On partage un marché, mais on ne partage pas encore un projet de déloppement; et en particulier, l'idée de mutualiser les ressources pour la protection sociale d'autrui est bannie. Et même partager des ressources pour répondre aux priorités de l'agenda de Lisbonne, c'est-à-dire la recherche, l'éducation, la mobilité sur le marché du travail, cela non plus ne fait pas l'objet d'un consensus. Dans ce contexte, je dirais que la coupure entre le social et l'économique a tendance à s'aggrar. À l'époque de Delors, on avait dit: il faut construire le marché unique et délopper la dimension sociale. Delors voulait que cela aille de pair. Ce que je constate, c'est une disjonction : l'économie suit son chemin, ac pas mal de vicissitudes, et la dimension sociale tend à se réduire à la pression sur les pairs. Les États coopèrent peu. La pression sur les pairs, j'ai pu le constater, n'est pas inutile, bien qu'insuffisante. Et cette coupure entre le social et l'économique perdure dans les consciences. Au Parlement européen, on sent bien que cette coupure a deux origines : les uns demandent l'harmonisation sociale par le haut-ce qui est une idée absolument obscure: sur quels standards se fonder ? En fait, chacun ut défendre ses acquis nationaux et projeter ses propres standards. Les autres défendent une deuxième idée qui est la protection, car il faut se protéger des excès du marché. Voilà deux comportements qui ne sont pas à la mesure de l'ambition initiale, c'est-à-dire le partage d'un projet de déloppement incluant des dimensions sociétales.