Positions respectis de la science et de la technique
«Dès qu'on pousse un peu la mise en ouvre du droit, écrivait F. Gény, apparait une dirgence des efforts "émanant de l'intelligence et orientés rs la connaissance du but" et de ceux qui, issus de la volonté, tendent, "par l'action, au meilleur choix des moyens". » Il observait alors que « le champ de l'élaboration
juridique se dédouble : d|une part la science, connaissance des fins relevant de la philosophie, d'autre part, la technique, action poursuivie grace à des
moyens relevant du métier »2. Cela rejoint la distinction entre la
politique juridique qui s'attache aux objectifs à atteindre et la
technique juridique par laquelle le juriste, en possession du donné et conscient de sa mission, doit élaborer les moyens adéquats pour les atteindre. On a dit qu'il « ne s'agit plus alors de la science qui obser et qui découvre, mais de l'art qui construit »3.
Au sens large, la technique juridique englobe « l'ensemble des moyens et procédés », de quelque nature qu'ils soient, matériels ou intellectuels, par lesquels se « réalise le droit ». Cela peut englober une technique de fond, de caractère « politique », qui fournit « la matière originaire des règles » et « une technique de mise en forme », visant à rendre efficaces au point de vue de l'application effecti, les règles et leur contenu. Celle-ci ne concerne pas vraiment la pensée juridique mais seulement la « praticabilité » du droit1.
Issue de la doctrine allemande du XIXe siècle, de Savigny à Ihering, la notion de technique juridique recouvre un domaine incertain. Très large selon F. Gény pour lequel la technique englobe toute la construction juridique du donné, elle absorberait, d'après L. Duguit, presque tout le domaine du droit2. Elle ne concerne que la forme du droit et non sa matière, pour Ihering, qui y voit une méthodologie comportant des opérations théoriques et pratiques telles que l'analyse juridique, la concentration logique et la construction juridique3. Pour J. Dabin, « tout, dans la règle juridique, quelle qu'en soit la source, y compris la coutume, est construction et, en ce sens, ouvre de la technique »4.
Il est vrai que la technique juridique et la
méthodologie juridique font appel à une logique plus ou moins rigide de concepts, de catégories, de classifications, à fin proprement utilitaire, destinée à introduire dans la masse des règles clarté et praticabilité5. Même la formation du droit, « produit de la combinaison, en proportions variables, de points de vue dirs qui, tous, doint entrer en balance dans la composition des règles »6, qui implique une formulation particulière et se poursuit par une évaluation de ses effets7, procède de la technique et de la méthodologie juridique.
Pour affirmer que le droit n'est pas une science, on peut obserr que ce sont là de simples artifices pour capter sous un système rationnel l'irrationalité d'une infinité de faits sociaux et de réalités humaines.
On peut ajouter que la « logique juridique »' est, par essence contradictoire parce que fondée sur le débat contradictoire, comme le procès, et que, contrairement aux autres sciences, un problème juridique ne comporte pas une seule solution, mais au moins deux. On objectera encore que la vérité judiciaire n'est jamais qu'une vraisemblance, consacrée par le juge, qui n'est réputée vraie que parce qu'il faut bien que justice soit rendue, même dans le doute, et que la chose jugée doit être considérée comme vraie pour pouvoir s'imposer. Ordre social oblige. On dira enfin que la preu judiciaire, faussée par les réticences des parties et la fièvre du procès, bousculée par le rythme imposé à l'instance, diffère profondément de la preu scientifique.
Et, pourtant, si les sciences se définissent comme « des corps de
connaissances ayant un objet déterminé et reconnu et une méthode propre » le droit est inconteslement une science. S'il s'agit d'un « ensemble de connaissances, d'études d'une valeur unirselle, caractérisées par un objet et une méthode déterminés, et fondées sur des relations objectis vérifiables »3, la méthodologie juridique peut aussi prétendre à être une science puisqu'elle constitue un système organisé et qu'elle est d'une certaine manière permanente et unirselle. Enfin la distinction entre science et technique n'est-elle pas aussi inexacte ou artificielle que celle de la théorie et de la pratique ? Il n'y a pas de science qui puisse se délopper sans technique, ni de bonne technique qui ne s'appuie sur une science. Ne peut-on considérer alors que la méthodologie juridique, vérile science du droit, se pratique grace à de la technique juridique ?
Il importe peu alors que, comme le pensent certains, « les lois, les régularités, l'ordre que nous croyons "voir" dans le monde, nous ne les voyions jamais que dans notre esprit, au trars de nos vues mentales systématiques ou théoriques »4. La méthodologie juridique repose sur l'observation des systèmes juridiques, leurs concepts, leurs techniques, leurs principales constructions intellectuelles, leurs procédés de mise en oeuvre de leurs fonctions et de leurs aspirations
Cela peut se vérifier par une sorte d'état des recherches en cette matière.
L'état des recherches en méthodologie juridique
La méthodologie juridique, que certains semblent avoir oubliée et que d'autres paraissent découvrir, peut se prévaloir de grands précurseurs tels que Ihering, au XIXe siècle en Allemagne1 et François Gény, voire René Demogue, en France, à la fin du xixe siècle et au début du XXe2. Un cours fut même consacré aux « méthodes juridiques », au collège libre des Sciences sociales, en 1910.
Mais peu d'ouvrages spécifiques ont été consacrés, depuis, à la méthodologie juridique, dans son ensemble4. Quelques-uns, rares aussi, font cependant un examen synthétique de la méthodologie de l'application du droit5. En France, toute étude générale de cette matière semble avoir été, depuis longtemps, délaissée.
Certains domaines suscitent cependant un grand intérêt.
C'est d'abord le cas de l'interprétation des textes qui, dans le monde entier, a donné lieu, depuis des décennies, à de nombreuses publications et à des débats ardents entre partisans de 1' « exégèse », de la « libre recherche scientifique », et des méthodes d'interprétation extrinsèque, appuyées sur des méthodes historiques ou tournées rs le but social6
L'étude des
raisonnements juridiques et de la « logique juridique » a pris maintenant un grand essor. La réflexion se divise en dirses tendances. D'une part, il s'agit de la « noulle rhétorique », représentée surtout par l'École belge de Ch. Pérelman, qui considère la logique juridique comme une théorie de l'argumentation, de la controrse, de la persuasion7. D'autres préfèrent se tourner rs une logique formelle et une formalisation mathématique8. Enfin, on voit apparaitre une noulle approche, particulièrement adaptée au droit : celle de la « logique floue » qui utilise des standards, des concepts généraux et flexibles, voués au « décodage » des juges et des praticiens1.
La science de la législation fait, d'autre part, l'objet de recherches intenses, dans de nombreux pays, dans les dirses familles juridiques, sount de manière concertée2, en particulier par la Fondation européenne de la science.
La science de la législation porte sur le fond de l'élaboration législati et les choix législatifs, sur la codification, sur la rédaction et la formulation des textes auxquelles on limite volontiers la légistique, sur l'évaluation des effets de la législation3, voire sur des problèmes plus particuliers de méthodologie législati, tels que les définitions ou les formulations d'objectifs dans les textes4. La méthode législati fait même maintenant l'objet, dans certains pays comme la Suisse ou le Portugal, de revues spécialisées5 et semble particulièrement d'actualité dans les pays anglo-saxons.
Le processus de la décision juridictionnelle a également suscité un assez grand nombre d'études de grande qualité6 et des réflexions approfondies au sein d'ouvrages plus généraux d'introduction au droit, de
philosophie ou de théorie générale du droit, de droit positif et de procédure.
Il faut encore ajouter que de nombreuses recherches sur le langage juridique et la sémiotique juridique1 concernent à bien des égards la méthodologie juridique.
L'enseignement de la méthodologie juridique
L'enseignement de la méthodologie juridique aux étudiants est indispensable tant pour leur faire comprendre le droit que pour leur apprendre à l'appliquer. L'accumulation de connaissances ne saurait suffire à des juristes qui ont plus besoin d'une formation de l'esprit que de mémoriser des règles éphémères et spécialisées. Au début de leur formation, comme à son plus haut niau, tout juriste a besoin de connaitre et de mettre en ouvre les instruments, les techniques, les modes de raisonnement permanents du droit. Rien n'est plus pratique que cela pour administrer, rédiger des contrats, exercer des activités judiciaires ou pour la vie des affaires
Si dans certains pays européens, comme la Belgique, la Grèce, la Pologne ou l'Allemagne, et latino-américains, voire dans certaines unirsités nord-américaines, de tels enseignements sont dispensés, seules quelques rares facultés françaises en proposent. Cela se limite sount à des fragments de théorie générale éparpillés dans des introductions au droit, à de l'initiation à la recherche documentaire, maintenant, à quelques notions d'informatique juridique ou à des recettes pour les exercices habituels auxquels sont soumis les étudiants1.
Dans certains pays, on voit maintenant se délopper des enseignements de méthodologie législati destinés aux étudiants ou à des professionnels. C'est notamment le cas en Suisse.
Ces recherches et ces enseignements permettent de définir l'objet de la méthodologie juridique.