NAVIGATION RAPIDE : » Index » DROIT » LOI GéNéRALE » Justice et droit Pascal - penséesIl ne saurait AStre question de dégager une doctrine de la justice des Pensées de Pascal ; seulement peut-on espérer, A travers les paradoxes et les antinomies qu'il propose, saisir la dimension relative de ce que les hommes, A leur place, désignent par le terme de justice. Non que Pascal se soit résigné A oublier tout idéal de justice pour se réfugier dans une sorte de pragmatisme que l'on peut confondre parfois avec un certain cynisme ; mais la justice est une grandeur d'institution et non une grandeur naturelle : il faut donc la reconnaitre comme telle et pourtant la respecter ; respecter la justice élie non pas parce qu'elle est juste mais parce qu'elle est élie. Et pourtant le peuple A qui sont destinées les lois et les coutumes ne peut cesser de les croire vraies puisqu'il leur obéit pour cette raison : que faire si les lois ne peuvent AStre justes et si le peuple a besoin de les croire telles pour les suivre ? Assumer l'illusion ! Il ne s'agit pas de tromper le peuple, de jouer un double jeu mais de reconnaitre que "tout le monde est dans l'illusion" et de se fonder sur cette vérité pour apprécier dans chaque cas la relativité du jugement. Ce qui interdit A Pascal de proposer une problématique du droit, c'est la relativité de la justice humaine : c'est un fait que nul ne peut modifier mais que chacun doit découvrir pour pouir l'admettre. Mais peut-AStre aperA§oit-on A travers ces paradoxes le principe mASme du droit : se fonder sur l'arbitraire justement parce qu'il est arbitraire. 230. [69] Sur quoi [la] fondera-t-il, l'économie du monde qu'il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? il l'ignore. Certainement, s'il la connaissant, il n'aurait pas éli cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mours de son pays ; l'écart de la vérile équité aurait assujetti tous les peuples, et les législateurs n'auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait tée par tous les états du monde et dans tous les temps, au lieu qu'on ne it rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévation du pôle renversent tout la jurisprudence ; un méridien décide de la vérité ; un peu d'années de possession, les lois fondamentales changent ; le droit a ses époques ; l'entrée de Saturne au Lion nous marque l'origine d'un tel crime. Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au deA§A des Pyrénées, erreur au delA . Ils confessent que la justice n'est pas dans ces coutumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles, communes en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniatrement, si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines [365] en avait rencontré au moins une qui fût universelle ; mais la plaisanterie est telle, que le caprice des hommes s'est si bien diversifié, qu'il n'y en a point. Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place dans les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant, qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au delA de l'eau, et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui ? Il y a sans doute des lois naturelles ; mais cette belle raison* corrompue a tout corrompu" () De cette confusion arrive que l'un dit que l'essence de la justice est l'autorité du législateur ; l'autre, la commodité du souverain ; l'autre, la coutume présente, et c'est le pus sûr : rien, suivant la seule raison, n'est juste de soi ; tout branle avec le temps. La coutume fait toute l'équité, par cette seule raison qu'elle est reA§ue ; c'est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramènera A son principe l'anéantit. Rien n'est si fautif que ces lois qui redressent les fautes ; qui leur obéit parce qu'elles sont justes, obéit A la justice qu'il imagine, mais non pas A l'essence de la loi : elle est toute ramassée en soi ; elle est loi, et rien davantage. Qui udra examiner le motif le trouvera si faible et si léger, que, s'il n'est accoutumé A contempler les prodiges de l'imagination humaine, il admirera qu'un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L'art de fronder, bouleverser les états, est d'ébranler les coutumes élies, en sondant jusque dans leur source, pour marquer leur défaut d'autorité et de justice. Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l'état, qu'une coutume injuste a abolies. C'est un jeu sûr pour tout perdre ; rien ne sera juste A cette balance. Cependant le peuple prASte aisément [366] l'oreille A ces discours. Ils secouent le joug dès qu'ils le reconnaissent ; et les grands en profitent A sa ruine, et A celle de ces curieux examinateurs des coutumes reA§ues. C'est pourquoi le plus sage des législateurs disait que, pour le bien des hommes, il faut souvent les piper ; et un autre, bon politique : Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quodfallatur. H ne faut pas qu'il sente la vérité de l'usurpation : elle a été introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable ; il faut la faire regarder comme authentique, éternelle, et en cacher le commencement si on ne veut qu'elle ne prenne bientôt fin. (294). 232. [25] Dans la lettre De l'injustice peut venir la plaisanterie des ainés qui ont tout : Mon ami, us AStes né de ce côté de la montagne ; il est donc juste que tre ainé ait tout Pourquoi me tuez-us ? (291). 233. [23] Pourquoi me tuez-us(a) ? ' Eh quoi ! ne demeurez-us pas de l'autre côté de l'eau ? Mon ami, si us demeuriez de ce côté, je serais un assassin, et cela serait injuste de us tuer de la sorte ; mais, puisque us demeurez de l'autre côté, je suis un brave etcelaestjuste. (293) 234. [67] Quand il est question de juger si on doit faire la guerre et tuer tant d'hommes, condamner tant d'Esnols A la mort, c'est un homme seul qui en juge, et encore intéressé : ce devrait AStre un tiers indifférent. (296) 235. [406] Veri juris. ' Nous n'en ans plus : si nous en avions, nous ne prendrions pas pour règle de justice de suivre les mours de son pays. C'est la que ne pouvant trouver le juste, on a trouvé le fort, etc. (297) 236. [C. 366] La justice est ce qui est éli ; et ainsi toutes nos lois élies seront nécessairement tenues pour justes sans AStre examinées, puisqu'elles sont élies. (312). 237. [*73] Justice ' Comme la mode fait l'agrément, aussi fait-elle la justice. (309). 238. [165] Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D'où vient cela ? de la force qui est. Et de lA vient que les rois, qui ont la force d'ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres. Sans doute, l'égalité des biens est juste ; mais, ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir A la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir A la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que la justice et la force fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien. (299). 252. [110] < J'ai passé longtemps de ma vie en croyant qu'il y avait une justice ; et en cela je ne me trompais pas : car il y en a, selon que Dieu nous l'a ulu révéler. Mais je ne le prenais pas ainsi, et c'est en quoi je me trompais ; car je croyais que notre justice était essentiellement juste, et que j'avais de quoi la connaitre et en juger. Mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu'enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J'ai vu tous les pays et hommes changeants ; et ainsi, après bien des changements de jugement touchant la vérile justice, j'ai connu que notre nature n'était qu'un continuel changement, et je n'ai plus changé depuis ; et si je changeais, je confirmerais mon opinion. Le pyrrhonien Arcésilas qui redevint dogmatique. > (375) 285. [169] Justice, force. ' Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et, pour cela, faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette A dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force A la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. (298) 286. [*I57] C'est une plaisante chose A considérer, de ce qu'il y a des gens dans le monde qui, ayant renoncé A toutes les lois de Dieu et de la nature, s'en sont fait eux-mASmes auxquelles il obéissent exactement, comme par exemple les soldats de Mahomet, les leurs, les hérétiques, etc. Et ainsi les logiciens. Il semble que leur licence doive AStre sans aucunes bornes ni barrières, yant qu'ils en ont franchi tant de si justes et de si saintes. (393) 287. [134] Montaigne a tort : la coutume ne doit AStre suivie que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle soit raisonnable ou juste ; mais le peuple la suit par cette seule raison qu'il la croit juste. Sinon, il ne la suivrait plus, quoiqu'elle fût coutume ; car on ne veut AStre assujetti qu'A la raison ou A la justice. La coutume, sans cela, passerait pour tyrannie ; mais l'empire de la raison et de la justice n'est non plus tyrannique que celui de la délectation : ce sont les principes naturels A l'homme. Il serait donc bon qu'on obéit aux lois et aux coutumes, parce qu'elles sont lois ; qu'il sût qu'il n'y en a aucune vraie et juste A introduire, que nous n'y connaissons rien, et qu'ainsi il faut seulement suivre les reA§ues : par ce moyen, on ne les quitterait jamais. Mais le peuple n'est pas susceptible de cette doctrine ; et ainsi, comme il croit que la vérité se peut trouver, et qu'elle est dans les lois et coutumes, il les croit, et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité (et non de leur seule autorité sans vérité). Ainsi il y obéit ; mais il est sujet A se rélter dès qu'on lui montre qu'elles ne valent rien ; ce qui se peut faire ir de toutes, en les regardant d'un certain côté. (325) 295. [244] Opinions du peuple saines. ' Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu'ils méritent. Le mal A craindre d'un sot, qui succède par droit de naissance, n'est ni si grand, ni si sûr. (313) 296. (Portefeuilles Vallani). Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables A cause du dérèglement des hommes. Qu'y a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gouverner un Etat, le premier fils d'une reine ? On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des yageurs qui est de la meilleure maison : cette loi serait ridicule et injuste. Mais parce qu'ils le sont et le seront toujours, elle devient raisonnable et juste ; car qui choisira-ton ? Le plus vertueux et le plus habile ? Nous ilA incontinent aux mains : chacun prétend AStre ce plus vertueux et ce plus habile. Attachons donc cette qualité A quelque chose d'incontesle. C'est le fils ainé du roi : cela est net, il n'y a point de dispute. La raison ne peut mieux faire, car la guerre civile est le plus grand des maux. (320) 297. [79] La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse, et ce fondement-lA est admirablement sûr ; car il n'y a rien de plus [sûr] que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l'estime de la sagesse. (330) 308. [151] Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle, qui est le vrai siège de l'homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes ames, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent sair, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent en cette mASme ignorance d'où ils étaient partis ; mais c'est une ignorance savante qui se connait. Ceux d'entre d'eux, qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et n'ont pu arriver A l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-lA troublent le monde, et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles composent le train du monde ; ceux-lA le méprisent, et sont méprisés. Ils jugent mal de toutes choses, et le monde en juge bien. (327) 309. [231) Raison des effets. ' Renversement continuel du pour au contre. Nous ans donc montré que l'homme est vain, par l'estime qu'il fait des choses qui ne sont point essentielles ; et toutes ces opinions sont détruites. Nous ans montré ensuite que toutes ces opinions sont très saines, et qu'ainsi, toutes ces vanités étant très bien fondées, le peuple n'est pas si vain qu'on dit ; et ainsi nous ans détruit l'opinion qui détruisait celle du peuple. Mais il faut détruire maintenant cette dernière proposition, et montrer qu'il demeure toujours vrai que le peuple est vain, quoique ses opinions soient saines : parce qu'il n'en sent pas la vérité où elle est, et que, la mettant où elle n'est pas, ses opinions sont toujours très fausses et très mal saines. (328) 310. [231] Raison des effets. ' Il est donc vrai de dire que tout le monde est dans l'illusion : car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tASte, car il pense que la vérité est où elle n'est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se urent. [Ainsi,] il est vrai qu'il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc. (335) 311. [231] Raison des effets. ' Il faut air une pensée de derrière, et juger de tout par lA , en parlant cependant comme le peuple. (336) 312. [231] Raison des effets. ' Gradation : le peuple honore les personnes de grande naissance ; les demi-habiles les méprisent, disant que la naissance n'est pas un avantage de la personne, mais du hasard ; les habiles les honorent, non par la pensée du peuple, mais par la pensée de derrière ; les déts, qui ont plus de zèle que de science, les méprisent, malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu'ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne ; mais les chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi se nt les opinions succédant du pour au contre, selon qu'on a de lumière. (337) |
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