NAVIGATION RAPIDE : » Index » DROIT » LOI GéNéRALE » La loi et le citoyen Rousseau (la loi et le citoyen)AMOUR DES LOIS ET CRAINTE DES LOIS Rousseau est le premier à avoir autant souligné l'importance de la loi dans l'union politique. Son application pose problème. Rien n'est plus difficile que d'assurer le règne de la loi. « Mettre la loi au-dessus de l'homme est un problème en politique, que je compare à la quadrature du cercle en géométrie » (Considérations sur le gournement de Pologne, Ouvres complètes, t. III, p. 955). Si cet objectif n'est pas atteint, « ce seront les hommes qui régneront » et non la loi. Les magistrats détournent ou interprètent la loi à leur avantage. Corruption pire encore, car elle est plus radicale, la loi peut être formulée par ceux qui se destinent à en profiter. Déjà Montesquieu refusait de considérer isolément les lois dans les Républiques et les associait à la rtu politique ou amour des lois (De l'esprit des lois, p. 111). Pour durer, les lois ne peunt être simplement écrites dans les codes (« ni sur le marbre ni sur l'airain », Du contrat social, II, chap. XII), elles doint aussi être gravées « dans les cours des citoyens » (ibid.). Pour que la loi règne, qu'elle assure la liberté et la justice, elle ne doit pas être un obstacle aux volontés particulières. Il faut au contraire infléchir ces volontés de façon que les citoyens leur donnent la loi pour objet, qu'ils voient dans cette loi l'expression de leur singularité patriotique, qui soutient l'amour des lois. Notons que l'idée de patrie chez Rousseau se réfère plus à la vivacité des institutions qu'à la contingence de la géographie et de la nation. Les citoyens doint aimer la loi au lieu de se contenter de la craindre. Ils doint promouvoir les lois, au lieu de les utiliser et de n'y voir, quand les intérêts de la loi ne concordent plus ac les leurs, qu'un obstacle dont la transgression est évitée par la seule crainte du chatiment. Pour éviter cette distorsion, le législateur agit en amont, en rapprochant ces deux types de bien ; il donne aux citoyens l'amour du bien commun, de la patrie, et empêche sa distinction d'ac les intérêts particuliers. Par l'éducation, on est d'abord intéressé au bien commun dès l'enfance. Inrsement, les institutions doint être telles qu'on ne puisse réaliser son bien qu'en réalisant le bien commun. L'amour des lois se réalise concrètement dans les mours, ou bonnes mours, qui prolongent l'action des lois. La loi n'apparait pas seulement sous la ure du chatiment, car elle doit mouvoir autrement les cours, par les récompenses honorifiques notamment. able à la crainte à leur égard, la prolifération des lois aussi est le symptôme qu'elles sont absentes du cour des citoyens. Comment les connaitre en effet quand elles sont si nombreuses ? On les adapte toujours plus aux cas particuliers et elles perdent de vue l'objet commun ; la jurisprudence devient une science honorable et l'on perd l'esprit de la loi pour se complaire dans sa lettre. La loi de papier n'est pas gravée dans les cours. Pour Rousseau, la loi s'oppose aux lois : elle ne doit pas denit une technique ésoté-rique, une compétence réservée. Il n'y a pas d'élitisme de la loi. Cet aspect de la loi a d'abord été occulté au profit de l'étude « ju-ridiste » de Rousseau (R. De-rathé, J. -J. Rousseau et la science politique de son temps, Vrin, 1995). La promotion récente de l'étude du républicanisme (ou l'idée post-aristotélicienne, et revue par le machiavélisme, de faire reposer une vie politique réussie sur la participation des citoyens et sur leur rtu politique), initiée par Pocock depuis le Moment machiavélien (PUF, 1997), éclaire désormais mieux ces préoccupations, aussi importantes chez Rousseau que la définition de la loi. Elles apparaissent de façon privilégiée dans les Fragments. « Les lois en général moins fortes que les passions, contiennent les hommes sans les changer » : tout ne repose pas sur la loi seule, et la force passionnelle les soutient ou les combat. Loin d'opposer le contractualisme au républicanisme dont ce texte montre certains aspects, Rousseau voudrait soutenit l'un par l'autre. La force passionnelle du patriotisme donne appui à la définition abstraite des lois. La hantise républicaine de la corruption du régime (classique depuis Platon, et reprise de façon aiguë par Machial) prend ici la ure particulière de la hantise de la corruption des lois et de leur esprit. Il n'y a pas d'individualisme au sens de choix laissé aux individus de s'épanouir selon leurs préférences et dispositions. La cité ne laisse pas ses citoyens libres de choisir leur éducation, ni l'objet qui doit les occuper principalement. C'est dans un autre sens d'« individualisme » qu'on retrou chez Rousseau les préoccupations pour l'individu. Derathé l'identifie dans le refus du principe sacrificiel de l'utilitarisme : jamais il n'est question de sacrifier un homme pour saur le reste de la communauté, tous les individus doint être aussi bien défendus par la communauté. 4 Qu'est ce qui rend les lois si sacrées, même indépendamment de leur autorité, et si préférables à de simples actes de volonté ? C'est premièrement qu'elles émanent d'une volonté générale toujours droite à l'égard des particuliers ; c'est encore qu'elles sont permanentes et que leur durée annonce à tous la sagesse et l'équité qui les ont dictées. 5 On est libre quoique soumis aux lois, et non quand on obéit à un homme, parce qu'en ce dernier cas j'obéis à la volonté d'autrui mais en obéissant à la Loi je n'obéis qu'à la volonté publique qui est autant la mienne que celle de qui que ce soit. D'ailleurs un maitre peut permettre à l'un ce qu'il défend à l'autre au lieu que la loi ne faisant aucune acception la condition de tous est égale et par conséquent il n'y a ni maitre ni serviteur. 6 Des lois La seule étude qui convienne à un bon Peuple est celle de ses Lois. Il faut qu'il les médite sans cesse pour les aimer, pour les obserr, pour les corriger même ac les précautions que demande un sujet de cette importance, quand le besoin en est bien pressant et bien avéré. Tout Etat où il y a plus de Lois que la mémoire de chaque Citoyen n'en peut contenir est un État mal constitué, et tout homme qui ne sait pas par cour les lois de son pays est un mauvais Citoyen ; aussi Lycurgue ne voulut-il écrire que dans les cours des Spartiates. 7 Si l'on me demandait quel est le plus vicieux de tous les Peuples, je répondrais sans hésiter que c'est celui qui a le plus de Lois. La volonté de bien faire supplée à tout, et celui qui sait écouter la loi de sa conscience n'en a guère besoin d'autres, mais la multitude des Lois annonce deux choses également dangereuses et qui marchent presque toujours ensemble, savoir que les Lois sont mauvaises et qu'elles sont sans vigueur. Si la Loi était assez claire elle n'aurait pas besoin sans cesse de noulles interprétations, ou de noulles modifications si elle était assez sage ; et si elle était aimée et respectée on ne rrait pas ces funestes et odieuses contentions entre les Citoyens pour l'éluder et le sourain pour la maintenir. Ces multitudes effroyables d'Edits et de déclarations qu'on voit émaner journellement de certaines cours ne font qu'apprendre à tous que le Peuple méprise ac raison la volonté de son sourain et l'exciter à la mépriser encore davantage en voyant qu'il ne sait lui-même ce qu'il ut. Le premier précepte de la Loi doit être de faire aimer tous les autres : mais ce n'est ni le fer ni le feu ni le fouet des Pédants de cour qui font obserr celui-là, et pourtant sans celui-là tous les autres sernt de peu ; car on prêche inutilement celui qui n'a nul désir de bien faire. Appliquons ces Principes à toutes nos Lois, il nous sera facile d'assigner le degré d'estime qu'on doit à ceux qui les ont rédigées et à ceux pour qui elles ont été faites. Par exemple, la première réflexion qui se présente en considérant le gros recueil de Justinien c'est que cet ouvrage immense a été fait pour un grand Peuple, c'est-à-dire pour des h[ommes] incapables d'aimer leurs lois, par conséquent de les obserr, et même de les connaitre ; de sorte qu'en voulant tout prévoir Justinien a fait un ouvrage inutile. Soit qu'on fasse attention à la multitude énorme de ces Lois, ou aux perpétuelles discussions d'intérêt sur lesquelles elles roulent presque uniquement, ou aux dirses interprétations dont on semble avoir eu soin de les rendre susceptibles, on y reconnait aisément l'avarice qui les a dictées. Que Trébonien et Theodora les aient ndues au plus offrant, je n'ai pas eu besoin que Procope me l'apprenne. Procope a pu être un calomniateur ; mais un témoignage plus fort que le sien est celui de ces Lois mêmes et des mours de la Cour où elles ont été compilées. 9 Un Lacédémonien, interrogé par un étranger sur la peine infligée par Lycurgue aux parricides, lui répondit qu'on les obligeait de paitre un bouf qui du sommet du mont Taygète pût boire dans l'Eurotas. Comment, s'écria l'étranger, serait-il possible de trour un tel bouf ? Plus aisément, reprit le Lacédémonien, qu'un parricide à Sparte. La terreur peut contenir les scélérats, mais ce n'est jamais par les grands crimes que commence la corruption d'un peuple, et c'est à prénir ces commencements qu'il faut employer toute la force des Lois. Voilà le principe sur lequel il faut juger de ce que peunt les lois non seulement pour épouvanter le vice mais aussi pour encourager la rtu. Je sais que le premier prix des bonnes actions est le plaisir de les avoir faites, mais les hommes ne connaissent ce plaisir qu'après l'avoir goûté et il leur faut des motifs plus sensibles pour leur donner la première habitude de bien faire. Ces motifs sont les récompenses bien choisies et encore mieux distribuées, sans quoi loin d'honorer la rtu elles ne feraient qu'exciter l'hypocrisie et nourrir l'avarice. Ce choix et cette distribution sont le chef-d'ouvre du Législateur. Un mauvais précepteur ne sait que donner le fouet, un mauvais ministre ne sait que faire pendre ou mettre en prison. Ainsi nos politiques qui ne croient faisables que les petites choses qu'ils font n'auront garde d'adopter ces maximes et c'est tant mieux pour nous, car s'ils admettaient l'utilité des récompenses ils n'imagineraient qu'argent, pensions, gratifications ; ils établiraient vite de nouaux impôts dont ils distribueraient quelques petites portions à ces troupes d'esclas et de coquins qui les environnent et mettraient le reste dans leur bourse. Voilà tout ce que le peuple gagnerait à cela. 10 Un auteur moderne qui sait instruire par les choses qu'il dit et par celles qu'il fait penser, nous apprend que tout ce que la loi propose pour récompense en devient une en effet. Il n'était donc pas plus difficile aux Législateurs d'exciter aux bonnes actions que d'empêcher les mauvaises. Cependant ils se sont presque tous bornés à assurer la vindicte publique et à régler entre les particuliers les discussions d'intérêt, deux objets qui devraient être les moindres de la Législation dans un État bien constitué. 11 Les Lois qui parlent sans cesse de punir et jamais de récompenser sont plus propres à contenir les scélérats qu'à former d'honnêtes gens ; tant que les Lois s'arrêteront aux actions et qu'elles ne diront rien à la volonté, elles seront toujours mal observées, parce que ac quelque sagesse qu'elles soient conçues la mauvaise intention donne toujours des lumières suffisantes pour apprendre à les éluder. 12 C'est une chose qu'on ne peut assez admirer que chez les premiers Romains l'unique punition portée par les Lois des 12 les contre les plus grands criminels était d'être en horreur à tous, sacer estod. On ne peut mieux concevoir combien ce peuple était rtueux qu'en songeant que la haine ou l'estime publique y était une peine ou une récompense dispensée par la Loi. |
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