Les penseurs politiques grecs avaient forgé leur terminologie sous l'influence des systèmes politiques qu'ils avaient sous les yeux. Historiens et philosophes romains utiliseront les cadres grecs pour y ranger leurs propres structures constitutionnelles : c'est ainsi que, dans un passage célèbre, Polybe prétend que la République romaine est à la fois une démocratie, une monarchie et une aristocratie (1). Mais c'est là un exercice intellectuel et la réalité politique romaine n'a guère été influencée par les précédents grecs. Au contraire, les Romains ont éli des structures politiques originales, dont les dénominations ont une résonance qui est toujours d'actualité : royauté, république, empire.
A) La royauté
Rome a sans doute été à l'origine une petite colonie fondée sur le mont Palatin par la ville latine d'Albe ; les Romains du Palatin dirigèrent une fédération de sept villages (septimontium) à la fin du vine siècle av. J.-C. : l'unité politique et militaire de cette fédération fut l'œue des Etrusques qui occupèrent Rome vers le milieu du viie siècle. Ce sont sans doute également les Etrusques qui ont donné à la nouvelle cité le nom de Rome. En tout état de cause, les Etrusques ont transformé la fédération des paues villages originels en une ville vérile, métropole commerciale du Latium sous la direction de rois autoritaires et dynamiques.
Il faudrait donc théoriquement distinguer dans l'analyse des institutions politiques, la royauté pré-étrusque et la royauté étrusque. L'état des sources antiques ne nous permet malheureusement pas de connaitre les caractères précis de chacune d'elles, et nous devons nous contenter de quelques aperçus généraux sur ce personnage fondamental que les anciens Romains désignaient sous le nom de rex (roi).
1. L'absolutisme royal. — Le roi, chef unique de la Cité, a des pouvoirs étendus qu'il a sans doute conquis par la force. Ce qui le caractérise essentiellement, c'est qu'il est un magistrat unique et qu'il exerce une puissance viagère : il n'est ni héréditaire ni à proprement parler électif. Il est habituellement désigné par son prédécesseur qui le choisit dans certaines familles sénatoriales. Si le roi meurt avant d'avoir désigné son successeur, chaque sénateur exerce le pouvoir à tour de rôle pendant un temps très bref, prenant alors le titre d'interrex : l'un d'eux est investi de Vimperium définitif par approbation de tous les chefs des clans (1), sans qu'il y ait de vote vérile. Une fois désigné, le roi prend ses pouvoirs grace à une inauguratio. Ce terme traduit la participation primordiale des augures dans le cérémonial d'installation royale : un augure place la main droite (siège de la déesse Fides) sur la tête du roi, invoque Jupiter pour qu'il ratifie la désignation du souverain ; ainsi revêtu de sa puissance religieuse, le roi peut alors prendre les auspices et exercer toutes les attributions que la coutume lui confère.
La toute-puissance du roi s'exerce tant dans le domaine militaire et politique que dans les matières religieuses.
Le Rex commande l'armée, conséquence de son droit de guerre et de paix (jus belli ac pacis) et de son droit de vie et de mort (jus vitee necisque) sur tous les membres de la Cité. Son pouvoir politique lui donne le droit d'organiser la vie de la Cité, notamment du point de vue
économique : il a la disposition des terres publiques, et peut les répartir entre les particuliers, ce qu'il a surtout fait en faveur des membres de la plèbe, la classe économiquement la plus défavorisée.
Cet ensemble de pouvoirs civils et militaires est désigné du nom d'imperium, terme qui
marque la plénitude de la souveraineté et qui subsistera bien après le régime pohtique de la royauté pour désigner tout ou partie de la puissance publique attribuée aux magistrats (sous la République), puis par la suite à l'empereur, dont le nom même sera tiré du pouvoir souverain qu'il exerce.
Mais, à l'époque royale, cet imperium du rex est lié — et sans doute subordonné — à son auspicium, c'est-à-dire au pouvoir d'essence religieuse qui permet au roi de consulter les dieux pour s'assurer de leur volonté dans les domaines politique, militaire et juridique. A ce titre, le roi peut officier dans les sacrifices propitiatoires et expiatoires pour le bien de la Cité et il est irresponsable et inviolable, puisqu'il représente le peuple entier devant les dieux, avec lesquels il a des rapports directs. C'est lui qui précise le calendrier, avec les Pontifes (collège de prêtres chargés du culte de Jupiter) : le calendrier était en effet fixé par rapport aux fêtes religieuses et déterminait les jours fastes où il était permis de se lier à certains actes publics et privés. Los années étaient comptées en fonction du début du règne du roi.
Les insignes traditionnels qui traduisent l'émi-nente dignité du roi ont été sans doute empruntés aux Etrusques : le sceptre, la couronne d'or, la robe de pourpre, les licteurs armés de haches et de verges liées en faisceaux. Lors des triomphes qui suivent les victoires ou qui sont accomplis à l'occasion de certaines cérémonies religieuses, les rois sont transportés sur un char, vêtus de rouge, le visage peint de sang et le sceptre d'ivoire à la main : ces insignes presque divins manifestent les ous qui les entourent. Sur le Forum, le roi dispose d'une demeure (Regia) auprès du temple de Vesta, demeure qu'occupera à la période républicaine le rex sacroTum.
2. La limitation des pouvoirs du roi. — Malgré les faisceaux qui symbolisent son droit de vie et de mort sur les citoyens, le roi ne possède pas le pouvoir arbitraire des anciens tyrans de la Grèce antique. Le rôle principal du rex, ainsi que son nom l'indique, c'est de regere, diriger, mettre de l'ordre. Dans un texte célèbre, Salluste caractérise en ces termes l'objet de sa mission : conservare libertatem, augere rem publicam.
Conservare libertatem : pour remplir ce premier devoir, le roi peut intervenir comme juge suprême en cas de crime contre la collectivité (et contre lui-même puisqu'il représente la collectivité), il peut coordonner la vie des clans (gentes) ; mais la liberté consiste à cette date, pour chacune des gentes à être protégée contre les empiétements des autres. Le roi modèle est celui qui sait maintenir l'équilibre entre les droits des gentes composant la cité, mais il ne peut agir contre le chef d'une gens, ni dans une gens dont il doit respecter l'organisation interne.
Augere rem publicam : cette locution n'exprime pas l'idée d'agrandir le territoire, car Tarquin le Superbe qui recula les frontières de l'Etat fut accusé de manquer à ses devoirs et d'aspirer à la dominatio. Tite-Live, ant Romulus à Numa, dit que tous deux, par des voies différentes, l'un par la guerre et l'autre par la paix, réussirent à augere rem publicam, à accroitre le bien public ; Numa parvint à augmenter la puissance de la cité en créant des institutions religieuses qui lui assurèrent la faveur des dieux, tandis que Romulus atteignit le même résultat en faisant la guerre aux ennemis de Rome et en écartant d'elle les menaces de la part des étrangers. Mais en aucun cas, le roi ne doit chercher à étendre ou à fortifier son pouvoir personnel.
Cette limitation de l'absolutisme royal est particulièrement typique dans le domaine législatif. Lorsque le roi veut prendre une décision importante qui modifie les habitudes anciennes, il consulte le peuple dans une forme solennelle par une rogatio : Voulez-vous, Ordonnez-vous, ô Quirites ? Je vous le demande, ô Quirites ? Le peuple répondait : uti rogas (comme tu le demandes) au cas où il approuvait ou antiquo (je préfère l'usage ancien).
Mais ces décisions votées par le peuple sur proposition du roi ne sont pas de vériles lois car il est aujourd'hui démontré que les assemblées du peuple n'ont jamais édicté de règles juridiques ayant une portée générale. Les fameuses « lois royales » dont nous parle un juriste romain du IIe siècle ap. J.-C. (Pomponius) sont en réalité des textes apocryphes, les disciples de Pythagore ayant voulu mettre sous l'autorité des anciens rois de Rome quelques préceptes de la
philosophie pythagorienne. Assisté de l'assemblée du peuple ou même fort de sa seule autorité, le roi pouvait prendre des décisions collectives en vertu de son imperium, ou même fonder des institutions (culte, organisation militaire), mais il ne pouvait s'aventurer à modifier le droit privé de la famille ou de la gens, qui était régi selon les coutumes ancestrales.
Constitutionnellement cette limitation des pouvoirs du roi se traduit par l'existence de deux assemblées : le Sénat et les Comices. Le Sénat est à l'origine la réunion des chefs des gentes (patres) ou des anciens (senatores). Le nombre des participants, d'abord imprécis, fut porté à cent puis à trois cents en raison de l'augmentation de la superficie et de la population de la Cité ; ce ne sont plus alors tous les chefs des gentes qui siègent, mais un ou plusieurs sénateurs choisis par le roi dans chaque gens. Nous avons vu que ces sénateurs, qui portent une toge bordée de pourpre exercent à tour de rôle le pouvoir d'interroi et désignent le roi au cas d'interrègne. En temps normal, le roi les consulte dans toutes les affaires d'importance, mais il ne semble pas qu'il soit toujours obligé de suie leur avis. Cet avis est en tout état de cause requis lors des déclarations de guerre qui doivent être formellement approuvées par les sénateurs et la formule de déclaration de guerre comporte mention de cette décision. De même, les décisions des Comices ne sont pleinement valables que si elles ont été approuvées par le Sénat.
Le peuple est réuni chaque mois en comices par les pontifes pour prendre
connaissance du calendrier; outre ces sessions mensuelles, le roi peut convoquer l'assemblée du peuple si besoin est, notamment au printemps (mars et mai) avant l'entrée de l'armée en camne. Ces comices ne connaissent pas le vote individuel comme dans les assemblées démocratiques grecques : chaque citoyen ne vote que dans sa curie, et lorsque la majorité des curies est en faveur de la proposition du roi ou des pontifes, cette dernière est adoptée. Toutes les décisions politiques fondamentales pour la vie de la Cité (conclusion d'un traité par exemple) et tous les actes qui modifient la structure des gentes sont obligatoirement soumis à l'approbation des comices nommés à cette époque comices curiates puisqu'ils se réunissent et votent par curies.
B) La bépublique
Vers l'an 509 av. J.-C, un soulèvement général balaye la domination étrusque dans le Latium et cette révolte se traduit à Rome par la chute des rois de race étrusque. Il est probable que fut alors élu, par le Sénat, un dictateur (dictator) dont le pouvoir, contrairement à celui du roi, ne serait que temporaire : pour éviter toute prolongation abusive de son pouvoir, le dictateur n'était pas rééligible. Par ailleurs, si ce dictateur possédait Vimperium, il n'avait pas l'auspicium, les pouvoirs religieux étaient confiés à un personnage désigné sous le nom de rex sacri-ficulus. Mais la tentation du pouvoir personnel et arbitraire est grande pour ce dictateur : vers 450 av. J.-C, il est remplacé par une magistrature collégiale. La dictature n'est plus alors qu'un pouvoir extraordinaire : en cas de péril menaçant la Cité, un dictateur est nommé pour six mois ; seul, il exerce Vimperium enlevé aux magistrats ordinaires et ce pouvoir exceptionnel peut lui être enlevé avant l'expiration des six mois si le danger est écarté.
Le nouveau régime politique instauré au ve siècle avant notre ère est habituellement appelé Republique, des mots latins res publica, chose publique. Il est inutile de souligner que cette nouvelle
constitution ne fut pas élaborée a priori ni même forgée selon un moule logique : res publica, cela signifie simplement que les intérêts publics de la Cité prennent désormais le pas sur le règne de l'arbitraire du roi. Et, en effet, cette République, malgré les apparences qui la rapprochent du régime de certaines cités grecques (les organes constitutionnels principaux sont comme à Athènes les magistrats, le Sénat et l'Assemblée du Peuple) n'est pas une
démocratie ; la grande bénéficiaire de la chute des rois a été en réalité l'aristocratie sénatoriale.
1. Les magistrats. — Après la disparition du dictateur qui devint vers 450 av. J.-C. un magistrat épisodique, le pouvoir a été exercé par deux magistrats annuels : les consuls. Ceux-ci ont hérité, en apparence, d'une grande partie des pouvoirs et des honneurs extérieurs du roi (sauf en matière religieuse), mais ces pouvoirs sont efficacement limités par le fait qu'ils sont élus chaque année par les comices (ce qui entraine la responsabilité du magistrat à sa sortie de charge) et qu'ils sont deux, l'un limitant les pouvoirs de l'autre. Certes, chaque consul possède à lui seul l'imperium et l'exerce de manière indépendante, mais son collègue a le droit de s'opposer à l'un de ses actes en usant de son intercessio. Par ailleurs, les consuls n'ont hérité du droit de vie et de mort autrefois attribué aux rois qu'au cas où l'armée est en camne (imperium militiœ) : en temps habituel, tout condamné à mort par l'un des consuls peut faire appel au peuple et c'est alors l'assemblée des comices qui juge, le magistrat se bornant en fait à être l'accusateur du citoyen coupable.
Enfin, plusieurs attributions primitives des consuls sont passées, du Ve au ine siècle, à de nouveaux personnages : certains étaient de simples auxiliaires choisis par les consuls avant de devenir des magistrats indépendants, élus par le peuple. Ainsi, les questeurs étaient à l'origine des fonctionnaires subalternes des consuls qui leur avaient confié l'administration du Trésor public et l'instruction des procès criminels ; ils devinrent en 420 av. J.-C. de vériles magistrats ; leur nombre fut porté à quatre. C'est à cette même date que l'on confia à deux magistrats patriciens, élus par les comices centuriates, le soin de procéder aux opérations de recensement ; d'où leur nom, les censeurs. Cette magistrature devait devenir la plus recherchée des fonctions électives, car elle donnait à ceux qui en étaient investis un pouvoir discrétionnaire sur l'honneur et la situation sociale des citoyens. En effet, les censeurs ne se contentaient pas de dresser la liste des citoyens : ils devaient les ranger dans une classe déterminée et n'inscrire parmi les sénateurs ou les chevaliers que ceux qui leur paraissaient dignes de cet honneur. A ce titre, ils appréciaient la conduite de chacun et pouvaient sanctionner tout manquement à la police des mœurs traditionnelles (regimen morum) par une nota : cette note déshonorait celui qui en était l'objet et le frappait de certaines déchéances, même s'il n'était pas exclu de la classe dans laquelle il était précédemment rangé.
En 367 av. J.-C, lors de l'admission de la plèbe au consulat, on créa deux nouvelles magistratures : la préture et l'édilité curule. Le préteur était chargé de l'administration de la justice, et en raison du
développement des affaires judiciaires, un second préteur fut nommé en 242 : le préteur urbain rendit alors la justice entre les citoyens, tandis que le préteur pêrégrin organisait les procès entre citoyens et étrangers. Les édiles curules étaient chargés de la police de la ville, notamment de la police des marchés et avaient la mission d'organiser les jeux publics.
Toutes ces magistratures étaient à l'origine réservées aux patriciens. La masse du peuple, la plèbe, était donc soumise à l'arbitraire des magistrats patriciens. Sous la menace d'une vérile sécession, la plèbe obtint la faculté d'élire des tribuns : ces tribuns de la plèbe n'étaient pas de vériles magistrats, mais sans avoir aucun rôle actif dans le gouvernement de la cité, ils avaient le pouvoir de protéger l'honneur de la plèbe ou d'empêcher des mesures contraires à ses intérêts généraux, en exerçant un droit de veto absolu, aussi bien contre les décisions des magistrats que contre les délibérations du Sénat. Par la suite, lorsque les magistratures furent ouvertes aux plébéiens, les tribuns n'en continuèrent pas moins à remplir leur mission protectrice.
2. Les Assemblées du peuple. — Il existe à l'époque républicaine quatre assemblées : les comices curiates (à base gentQice) ; les comices centuriates (à base censitaire) ; les comices tributes (à base territoriale) ; les assemblées de la plèbe.
Les comices curiates dont nous avons signalé l'existence à l'époque royale, subsistent pendant la République, mais tombent en désuétude : les citoyens n'y viennent plus et pour les actes officiels qui nécessitent leur intervention (testaments. inauguratio du rex sacrorum, etc.), seuls siègent trente licteurs représentant les trente curies qui autrefois formaient l'assemblée.
Les comices centuriates rassemblent tout le peuple aussi bien les plébéiens que les patriciens. Ce sont eux qui votent les lois, élisent les magistrats supérieurs, ratifient les traités. Leur composition, en apparence démocratique puisque tous les citoyens y sont admis, traduit en fait la prédominance de l'aristocratie. En effet, le vote (comme dans les comices curiates), n'est pas individuel : on compte une voix par centurie et les comices comprennent 193 centuries, mais elles ne rassemblent pas un nombre égal de citoyens. La répartition entre les centuries est faite selon la fortune ; la première classe, composée des chevaliers et des citoyens possédant un
capital de plus de 100 000 as, compte 98 centuries (majorité absolue) et un peu plus de 10 000 citoyens, alors que tous les proletarii (environ 30 000, « prolétaires » — sans fortune) forment une seule centurie et ne représentent donc qu'une seule voix. Comme le vote se fait dans l'ordre des classes et que le vote est arrêté dès que la majorité est atteinte, les classes inférieures peuvent n'être même pas appelées à faire connaitre leur avis. Vers 230 av. J.-C, eut lieu une réforme démocratique pour donner plus d'influence aux classes inférieures, mais à cette date, les comices centuriates tendent à se fondre avec les comices tributes.
Les comices tributes comprennent eux aussi plébéiens et patriciens, mais à l'origine seuls peuvent y siéger les propriétaires fonciers. Les tribus correspondent au lieu où sont situées les propriétés des citoyens romains : Rome est divisée — par Servius Tullius, selon la tradition antique — en quatre tribus urbaines et la camne du Latium ainsi que les premiers pays conquis formèrent par la suite 31 tribus rustiques. Une réforme d'apparence démocratique prise sous l'impulsion d'Appius Gandins, prit en considération non plus la fortune terrienne, mais la fortune mobilière ; dans son application, la réforme fut tournée car on réunit dans les tribus urbaines (quatre) tous ceux qui n'avaient pas de propriétés foncières (soit 120 000 citoyens environ) tandis que les propriétaires terriens, souvent patriciens, restaient dans les 31 tribus rustiques. Les attributions des comices tributes sont très voisines de celles des comices centuriates : vote des lois, élection des magistrats inférieurs.
Les assemblées de la plèbe furent créées pour donner à la plèbe une organisation autonome. Elles se réunissent sans doute d'après la tribu, le lieu d'habitation, ce qui les rapproche des comices tributes. Ces assemblées élisent les magistrats de la plèbe, tribuns et édiles (1), votent des décisions (plebis scila — dont nous avons tiré le mot plébiscite), qui, à l'origine, n'obligent que les plébéiens mais qui, à dater de 287 av. J.-C, deviennent applicables à tous les citoyens, même patriciens ; les plébiscites ont alors la même valeur qu'une loi.
La multiplicité des assemblées républicaines est plus apparente que réelle : en fait, il n'y a qu'une assemblée du peuple qui se réunit sous une forme ou sous une autre, selon qu'il s'agit d'élire les magistrats supérieurs (comices centuriates) ou inférieurs (comices tributes). La différence essentielle consiste dans la personne de celui qui préside : tribun pour les assemblées de la plèbe, magistrat pour les autres.
3. Le Sénat. — Le recrutement et les attributions du Sénat permettent de comprendre pourquoi la République romaine qui aurait pu être une démocratie, fut en réalité une aristocratie aux mains des plus fortunés, ou pour reprendre un terme employé par certains philosophes grecs, une ploutocratie.
A l'époque royale — ainsi que nous l'avons vu — le Sénat était composé de 300 chefs de famille patricienne : patres ou senatores, choisis par le roi. Les consuls héritèrent des pouvoirs du roi puis, vers 312 av. J.-C, les censeurs furent chargés de dresser la liste des sénateurs. Mais consuls et censeurs doivent recruter les plus dignes, et qui est plus digne d'entrer au Sénat qu'un ancien magistrat ? En fait, le choix des censeurs fut pratiquement réduit à néant, car les places disponibles étaient toujours remplies par d'anciens magistrats.
La
compétence du Sénat fait de cet organisme le vérile moteur de l'Etat. Il possède, comme sous la royauté, l'interrègne : il peut nommer un interroi en cas de vacance du consulat, en attendant l'organisation d'une élection complémentaire. Pour être applicables, les lois votées par les comices doivent avoir reçu son approbation. Il a la haute main sur les affaires étrangères et la diplomatie. En matière financière il surveille toute l'administration des fonds publics, assurée par les censeurs et les questeurs. C'est lui qui, dans le domaine militaire, fixe les contingents à lever, décide en cas de guerre s'il y a heu de poursuie les hostilités ou d'engager les pourparlers d'armistice. Seuls les sénateurs peuvent être juges dans les procès privés et le Sénat s'est attribué la compétence suprême en matière criminelle.
Si le Sénat ne possède en théorie aucun pouvoir sur l'action des magistrats, il exerce en fait un contrôle précis sur toutes leurs décisions, car le Sénat concentre le pouvoir tandis que les magistratures, très nombreuses, le morcellent ; il est assuré de la continuité alors que les magistrats ne restent en fonction qu'un an et aspirent à entrer au Sénat ; enfin, il peut refuser des demandes de crédits ou la ratification de lois présentées par tout magistrat, de même qu'il lui est possible de le poursuie pour irrégularités à sa sortie de charge ou au contraire lui confier la direction d'une province conquise à titre de promagistrat. Tout ceci explique que les conseils donnés par le Sénat (senatus-consulta : sénatus-consultes) aient toujours été suivis par les magistrats auxquels ils s'adressaient et qu'ils soient dans la réalité politique supérieurs aux lois, puisque celles-ci ont besoin de Yauctoritas, de l'approbation du Sénat et que ce dernier peut même dispenser certains citoyens, à titre exceptionnel, d'obéir aux lois.
Lorsqu'un sénateur mourait, le titre sénatorial restait dans sa famille, d'où une vérile noblesse aristocratique alliant le pouvoir à la richesse. Car, pour accéder à cette noblesse, il fallait nécessairement passer par les magistratures, coûteuses et non rétribuées ; en fait, les magistrats sont recrutés tout au long de la République dans une centaine de familles qui dominent ainsi toute la politique et l'économie romaines. Le déclin du Sénat, à partir du IIe siècle av. J.-C, correspond au déclin de la République.
C) L'Empire
Le processus de désagrégation de la République commence vers 130 av. J.-C. et s'achève par l'attribution du titre d'Auguste à Octave en 27 av. J.-C. L'aristocratie sénatoriale se révèle incapable pendant cette période de résoudre les problèmes fondamentaux qui se posent à elle : la réforme du régime traditionnel de la Cité, insuffisant pour assurer le gouvernement des vastes territoires conquis, et l'accession des classes populaires à une situation économique meilleure.
Les Gracques, vers 130 av. J.-C. entament la lutte pour donner plus de pouvoirs aux chevaliers et au peuple. Ils tentent de reconstituer une classe moyenne paysanne par le lotissement des terres conquises en Italie (ager publiais) ; ils privent le Sénat d'une partie de sa compétence judiciaire pour l'attribuer aux chevaliers ; ils décident la distribution du blé à bas prix. Mais se heurtant à l'hostilité sénatoriale, les Gracques sont obligés de violer la constitution républicaine : Tiberius Gracchus fait déposer un tribun du peuple qui lui résistait et brigue lui-même le tribunat pour une seconde fois, ce qui est contraire à la non-réitération immédiate des magistratures. Le Sénat lui-même entre dans cette voie lorsqu'il prend le senatus consulte ultionum, en 121 av. J.-C, donnant tout pouvoir aux consuls, suspendant les garanties individuelles pour veiller à la sûreté de l'État.
Les tentatives des Gracques échouèrent, mais les exemples de violation des principes leur survécurent au profit des généraux ambitieux qui s'appuyèrent tantôt sur le peuple contre le Sénat, tantôt sur l'aristocratie pour étouffer les aspirations populaires. Ainsi, le Sénat ayant confié le commandement de l'armée d'Afrique à Metellus, Marius se le fit attribuer (en 107 av. J.-C.) par les comices ; il aura de nombreux imitateurs et c'est le peuple lui-même qui prit l'habitude de déléguer le pouvoir à un seul homme.
Après Marius, Sylla et Pompée, l'étape définitive est marquée par César. En 49, il est proclamé dictateur et il enlève au Sénat la presque totalité de ses pouvoirs politiques : les finances, l'administration provinciale, le droit de guerre et de paix sont attribués à César qui démembre les magistratures. Pour mieux assurer sa toute-puissance, il crée lao préfecture des mœurs» qui remplace la
censure et lui permet ainsi de nommer les sénateurs. Dans le même temps, il réalise des mesures sociales en faveur du peuple : entre 59 et 44 av. J.-C, environ 100 000 propriétés nouvelles ont été créées en Italie et dans les provinces, presque toutes en faveur des vétérans des armées de Pompée et de César ; 20 000 assignations agraires eurent lieu en Camnie en faveur des pères de trois enfants. Mais le dictateur va trop loin : il se fait proclamer divin en 44 et organise son propre culte ; son ambition amène son assassinat aux ides de mars 44.
1. Le Haut-Empire (27 av. J.-C-284 ap. J.-C).
— Contrairement à César, son fils adoptif Octave a l'habileté de se présenter comme le sauveur des institutions républicaines. Au lieu d'abolir les magistratures, il les maintient mais les cumule sur sa propre tête : il obtient du peuple et du Sénat la puissance tribunicienne à vie et 1 imperium proconsulaire sans limitation de temps ni d'espace. Au beu de lutter contre le Sénat, a en fait la pièce maitresse du régime, lui donnant la plénitude des pouvoirs apparents, mais la réabté du gouvernement appartient à Octave qui manie le Sénat à sa guise. Et s'il prend le titre de Princeps (« premier » des citoyens), il accepte également du Sénat, en 27 av. J.-C, celui d'Auguste, qui marque sa toute-puissance ; peu après sa mort le pouvoir du princeps sera transformé par Tibère en vérile pouvoir impérial. Dès lors, par paliers successifs, les antiques institutions républicaines s'effaceront pour faire place à la toute-puissance impériale.
1. Les Comices. — L'assemblée du peuple conserve un rôle législatif sous les premiers empereurs. Sous le règne d'Auguste et dans les premières années de celui de Tibère, de nombreuses lois sont votées ; leur nombre se restreint ensuite et les dernières décisions législatives se situent sous le règne de Nerva (96-98). Mais, avant même la disparition de la procédure du vote, ce pouvoir législatif est purement formel car les comices se bornent à entériner les propositions faites par l'empereur.
Il en va de même pour les élections de magistrats : déjà César avait introduit la recommandation officielle des candidats aux magistratures. Ce système est employé par les premiers empereurs, et les magistrats élus sont toujours en fait les candidats proposés par Auguste et ses successeurs. Puis, on se contente de réunir les comices pour leur faire entendre le nom des candidats nommés par le pouvoir central et finalement, sous Trajan (mort en 117), on ne réunit plus les comices.
2. Le Sénat. — La composition du Sénat nous fait toucher du doigt la décadence de l'aristocratie républicaine : sous Auguste, il n'y avait plus que 29 % de patriciens dans cette haute assemblée ; sous Néron, 12 %. Et l'empereur introduit sans cesse au Sénat des éléments nouveaux sans respecter le privilège des anciens magistrats. Domitien (mort en 96 ap. J.-C.) et ses successeurs sont censeurs à vie : ils font chaque année la révision de la liste des sénateurs et sont assurés ainsi de leur docilité. Témoignage de l'agrandissement territorial de l'Empire, les étrangers sont de plus en plus nombreux au Sénat, Africains et surtout Orientaux.
Pendant quelque temps encore, le Sénat garde une importance considérable dans la vie de l'Etat. C'est ainsi que les sénatus-consultes deviennent de aies lois (puisque le pouvoir législatif des comices a disparu) : mais des sénatus-consultes sont en général proposés par l'empereur dans un discours de présentation (oratio principis) et vers 200 ap. J.-C, cette oratio principis devient l'élément essentiel du sénatus-consulte car le Sénat se contente pratiquement d'enregistrer les décisions de l'empereur, sans discussion aucune, jusqu'au jour où les sénatus-consultes disparaissent totalement.
A partir de 250, la plupart des fonctions réservées jusque-là à l'ordre sénatorial passent aux chevaliers ; on exclut les sénateurs de l'armée, des administrations provinciales ; on soumet le Sénat à un régime de délation et d'espionnage. Le Sénat est réduit au rôle d'une assemblée municipale de la ville de Rome.
3. Les magistrats. — Auguste avait eu la grande habileté de ne pas supprimer les magistratures, il est imité par ses successeurs. Le nombre des magistrats est multiplié : ainsi, les consuls sont toujours deux, mais ils ne restent en fonction qu'une partie de l'année. Les prêteurs, deux sous la République, sont douze sous Auguste, dix-huit au IIe siècle ; et bientôt tous les magistrats perdent une grande partie de leurs pouvoirs originels au profit des fonctionnaires nommés par l'empereur et à son entière dévotion : les préfets de la ville enlèvent leur compétence policière aux anciens édiles curules, les préfets du trésor détiennent les fonds publics autrefois surveillés par les questeurs, etc. La plupart des magistratures se trouvent réduites, comme le Sénat, à la simple fonction d'organes municipaux de la ville de Rome, ce qu'ils étaient tout au début de la République. Le gouvernement du monde romain passe donc entièrement aux mains de l'empereur.
4. L'empereur. — Les pouvoirs d'Auguste lui avaient été attribués par un vote du Sénat et des comices : le principe de l'élection est donc la base du nouveau régime et pendant un certain temps, c'est le Sénat qui désigne l'empereur et lui attribue ses pouvoirs par un sénatus-consulte ratifié par les comices : la lex de imperio. Mais ce principe de l'élection a été contrecarré par deux tendances d'ailleurs contradictoires elles-mêmes. D'une part, les empereurs se sont efforcés d'attribuer leurs pouvoirs à un membre de leur famille, de préférence à leur fils : Auguste lui-même n'était-il pas le fils adoptif de César ? A la dynastie des successeurs d'Auguste, fait suite celle des Flaviens (69-96), des Antonins, puis des Sévères (193-235). D'autre part, à la mort d'un empereur, chaque fraction de l'armée s'efforce de faire élire son chef comme empereur et, si elle n'y parvient pas, entre en camne pour imposer son candidat : après 235, s'oue une période d'anarchie militaire pendant laquelle les empereurs se succèdent à un rythme rapide, plusieurs empereurs se disputant parfois le pouvoir ! Aucune règle constitutionnelle fixe ne vient décider entre élection, hérédité, et désignation par l'armée : c'est là l'une des plus graves lacunes du système impérial.
Elle est d'autant plus dangereuse pour l'Etat que l'empereur cumule en fait sinon en droit tous les pouvoirs autrefois répartis entre les magistrats, le Sénat et l'assemblée du peuple. Car l'empereur détient l'imperium qui lui donne le commandement militaire et civil : direction des opérations militaires, commandement des années, pouvoirs juridictionnels en matière civile et pénale, administration des provinces, etc. A cet imperium s'ajoute la puissance tribnnicienne : comme les anciens tribuns, l'empereur a le droit d'intercessio contre tout acte d'un magistrat quelconque et sa personne est inviolable, sacro-sainte ; et tandis que la puissance des tribuns était annale et ne s'étendait qu'à la seule ville de Rome, celle de l'empereur est viagère et s'étend à tous les territoires, italique et provinciaux. A ces fonctions fondamentales, l'empereur peut en ajouter d'autres : il lui arrive d'être consul et nous avons déjà noté qu'il s'était attribué définitivement, à partir de Domitien, les attributions autrefois confiées aux censeurs. Témoignage de la toute puissance de l'empereur, un culte impérial se crée (1) qui cimente dans la cohésion religieuse les diverses parties de l'immense empire sans cesse agrandi par les conquêtes impériales.
Pour administrer ces vastes territoires, l'empereur crée des organes nouveaux : le Conseil impérial qui comprend un personnel permanent et assiste le souverain en lui préparant ses décisions ; des bureaux qui correspondent à peu près à nos ministères modernes ; une multitude de fonctionnaires hiérarchisés qui suptent peu à peu les anciens magistrats républicains ; à Rome, le préfet du prétoire (administration générale et justice), le préfet de la ville (police), le préfet de Pannone (ravitaillement), le préfet des vigiles, etc., et dans les provinces, des légats ou des procurateurs.
2. Le Bas-Empire. — Alors que le Haut-Empire avait été une période d'expansion et de splendeur, le Bas-Empire est une période de lente décadence. L'Empire déjà gravement compromis par les crises militaires accomnant la désignation des empereurs de 235 à 284, l'est encore par une inquiétante diminution de la population au cours des trois premiers siècles de notre ère : des empereurs énergiques s'efforceront après 284 de rélir l'ordre, mais leurs successeurs ne sauront empêcher le morcellement du monde romain.
Dioclétien qui monte sur le trône en 284 réorganise le gouvernement impérial en partageant l'administration entre plusieurs chefs suprêmes : il s'adjoint Maximien qu'il nomme César, puis Auguste. En 293, il complète cette organisation en ainsi les événements : a Comme ses iniquités avaient tout fait enchérir considérablement, Dioclétien s'efforça de fixer par une loi le prix des marchandises. Alors on vit, pour de» articles infimes et de misérables denrées, le sang couler à flots. La crainte fit tout disparaitre du marché et la hausse
des prix sévit plus gravement encore. Enfin, la loi tomba en désuétude par la seule force des choses, mais non sans avoir causé la mort de bien des gens (1). »
D'autres interventions étatiques, sans être toujours beaucoup plus efficaces, furent plus durables : outre les manipulations monétaires qui visaient à la fois à élir une monnaie unique pour l'empire et à équilibrer les
finances publiques, les empereurs élirent un contrôle serré de certaines activités économiques. Par les corporations, l'artisanat et le commerce sont étroitement surveillés ; malheureusement, les mesures prises pour river les agriculteurs à la terre qu'ils cultivaient, les artisans et les commerçants à leurs corporations, ne firent qu'aggraver le mal ! La contrainte supprima l'énergie individuelle et aboutit en fait à faire baisser la production. L'obligation faite aux enfants d'exercer le métier de leur père amena elle aussi bien des mécomptes. Cependant, tout n'est pas a critiquer dans ces tentatives impériales et l'on voit poindre à cette date un embryon de droit social : les ouiers ne pouvaient plus, pratiquement, être congédiés par leur patron ; ceux-ci les formaient en les prenant en apprentissage pour deux ans, moyennant une légère redevance versée par les parents ; le chômage, si les ordres impériaux avaient été mis en œue, aurait dû disparaitre, puisque tout homme sans
travail était dirigé d'office vers une œue publique qui l'employait.
Non seulement l'Etat contrôle l'économie, mais encore il se lie lui-même à certaines activités économiques qu'il juge particulièrement intéressantes pour
la Cour ou les Services publics : les importations de soie et la confection des tissus de pourpre (signes de la hiérarchie politique) sont monopolisées ; les mines de métaux précieux sont exploitées par des services d'Etat ; les manufactures impériales peuvent seules se lier à la fabrication des armes et autres fournitures militaires. Le Bas-Empire est le premier régime dirigiste dont nous connaissons assez bien le fonctionnement.